En provenance de l’Opéra de Saint-Etienne, après Nice et Toulon, c’est sur le Vieux Port de la Cité phocéenne que cette production du Nabucco de Giuseppe Verdi fait, cette fois, escale. Las, on ne peut s’empêcher de regretter que le travail de Jean-Christophe Mast s’en tienne à une approche essentiellement illustrative (bien que dépouillée), en composant des tableaux la plupart du temps peu vivants (à part les chorégraphies très intéressantes et énergiques de Laurence Fanon), laissant ainsi à la musique de Verdi le soin de les animer. Les décors – stylisés et minimalistes (un grand escalier et des panneaux de bois sombres qui descendent et remontent dans les cintres dans un va-et-vient permanent) – sont conçus par Jérôme Bourdin (qui signe également les superbes costumes : beiges pour les hébreux, noirs pour les assyriens), mais ce sont surtout les savants éclairages de Pascal Noël qui apportent le dramatisme à l’ensemble, bien plus qu’une direction d’acteurs plutôt discrète…
La soirée valait surtout pour les deux principaux protagonistes, le baryton andalou Juan Jesus Rodriguez et la soprano hongroise Csilla Boross, réunis à nouveau par Maurice Xiberras dans son théâtre marseillais après leur triomphal Macbeth in loco en 2016. Evidence chaque fois confirmée – après son Macbeth précité, son Simon Boccanegra en 2018 ou, plus récemment, son Giacomo (dans Giovanna d’Arco) sur cette même scène marseillaise -, l’identification de JJR (pour les intimes) au monde verdien renouvelle le miracle. Au-delà de ses qualités vocales qui cochent toutes les cases de la fameuse tessiture de « baryton verdien », l’évolution du personnage constitue un modèle, depuis la fureur de son entrée, (« Tremin gl’insani ») à la prière « Dio di Giuda ! » que le chanteur n’aborde pas comme un « grand air », mais comme l’accomplissement d’une soudaine humilité. Et comment ne pas vanter aussi la présence scénique, la sobriété du geste, l’efficacité de l’expression, aussi fabuleux que ne le sont le timbre, le souffle ou l’étendue vocale. Nous le répétons à longueur de recensions, l’un des plus grands barytons verdiens de sa génération !
Nabucco de rêve à Marseille
Juan Jesus Rodriguez,
l’un des plus grands barytons verdiens de sa génération
Quant à Csilla Boross, elle ne connaît que peu de rivales dans un rôle où on l’a entendue à maintes reprises aux quatre coins de l’Europe. La voix est celle d’un authentique soprano dramatique d’agilité, doublé d’une présence scénique évidente, pour un rôle écrit dans sa juste perspective belcantiste. Autre bonheur vocal, la basse coréenne Simon Lim dans la partie de Zaccaria, l’un des rôles de basses parmi les plus exigeants, dans la lignée du Moïse de Rossini. Cet artiste, dont la présence et le noble chant ne sont plus à découvrir (Ah son Oroe dans Semiramide à La Fenice de Venise en 2018 !), fait preuve d’une maîtrise proprement stupéfiante, avec sa voix parfaitement timbrée sur toute l’étendue, son émission tout à tout tranchante ou moelleuse, et son discours italien parfaitement émis et projeté.
De son côté, la mezzo française Marie Gautrot donne également à Fenena une importance inhabituelle, qui ne se borne pas au très beau chant de son « Oh, dischiuso è il firmamento ». Elle rétablit par là l’équilibre entre les deux figures féminines du drame, qui sont toutes deux des figures politiques. Las, le chant débraillé, le timbre nasal et le registre aigu désormais rebelle de Jean-Pierre Furlan (Ismaël) vient ternir l’excellence de la distribution, et nous lui préférons largement le jeune et prometteur Jérémy Duffau (Abdallo), qui aurait bien mieux servi Verdi dans le premier rôle (de ténor) ! Une mention, enfin, pour le Grand-Prêtre de la basse Thomas Dear, dont la fermeté du registre grave ne manque pas d’impressionner.
Enfin, au pupitre, l’excellent chef italien Paolo Arrivabeni, grand habitué de la fosse phocéenne, impose une lecture vigoureuse et riche de contrastes, en accentuant les coups de sang et de théâtre typiques des opéras de jeunesse du maître de Bussetto, sans jamais sacrifier l’accompagnement des chanteurs, notamment dans les reprises des cabalettes. La phalange maison, dans une forme olympique, lui répond avec autant de précision que de chaleur, tandis que les chœurs, toujours aussi excellemment préparés par Emmanuel Trenque, doivent déjà regretter le départ de leur chef adoré… pour le Théâtre de La Monnaie à la fin de la saison !
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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal, le 30 mars 2023. VERDI : Nabucco. J. J. Rodriguez, C. Boross, S. Lim… J. C. Mast / P. Arrivabeni. Photos © Christian Dresse.
TEASER VIDÉO : « Nabucco » de Giuseppe VERDI à l’Opéra de Marseille