jeudi 28 mars 2024

ENTRETIEN avec le QUATUOR TCHALIK à propos de leur nouveau cd Boris Tishchenko…

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ENTRETIEN avec le QUATUOR TCHALIK à propos de leur nouveau cd Boris Tishchenko… Dans ce 4è album, les membres du Tchalik interrogent leurs origines. En dédiant leur nouvel album au compositeur méconnu et pourtant fascinant, Boris Tishchenko, la fratrie explore ses racines russes car la musique de Tishchenko – déjà abordée en 2015, témoigne d’une période que la famille Tchalik a connue ; la vérité et la sincérité du geste renforcent le caractère familier et la profonde implication des 5 instrumentistes (coopération du pianiste Dania Tchalik pour l’extraordinaire Quintette). Elève admirateur de Chostakovitch, Tishchenko se singularise du Maître : son écriture concise, variée, d’un raffinement lumineux voire positif inédit, transparaît dans la réalisation des Tchalik qui lui offrent ainsi un hommage particulièrement convaincant en choisissant de révéler ses Quatuors n°1 et n°5, surtout son sublime Quintette. Chaque nouvel opus permet aux Tchalik de tisser des filiations avec la peinture et les arts plastiques, d’où la présence des œuvres de Vladimir Yankilevsky dans le projet Tishchenko… d’où la création visuelle spécifique, créée pour l’album et qui reconstitue l’atmosphère familiale d’un appartement communautaire, propre aux années 1980 – avec références à l’année 1989 et la présence d’objets plus personnels qui rendent d’autant plus singuliers le programme et son approche… Immersion / explications dans un imaginaire soucieux d’équilibre et de structure et doué d’un souffle poétique aussi puissant qu’original.

 

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CLASSIQUENEWS : Comment s’inscrit ce nouveau CD dans le sillon de vos précédents, dans le geste artistique du Quatuor ?

QUATUOR TCHALIK : Après trois albums consacrés à la musique française (Thierry Escaich, Reynaldo Hahn et Camille Saint-Saëns), nous avons décidé de nous tourner cette fois vers nos racines russes. Comme les précédents, ce disque est le reflet d’une culture qui nous est familière et qui nous parle. La musique de Tishchenko est le témoin d’une époque qu’une partie de notre famille a vécue et nous tourner vers ce compositeur nous a semblé tout naturel. 
Cet album est également caractérisé par le même goût de la recherche que l’on peut retrouver dans nos enregistrements antérieurs. Les choix d’un répertoire peu ou insuffisamment joué, ainsi que d’une conception graphique originale tissant des liens avec d’autres formes d’art nous permettent de créer un objet artistique singulier qui nous caractérise.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Pourquoi choisir aujourd’hui les œuvres de Boris Tishchenko ? Et qu’est ce qui vous séduit particulièrement dans son écriture ?

QUATUOR TCHALIK : En tant que compositeur soviétique n’ayant de surcroît que peu voyagé hors de son pays, ce qui a desservi sa notoriété, Tishchenko n’a pas connu le désenchantement caractéristique de la postmodernité occidentale. On peut donc le voir comme un vrai moderne se nourrissant avec la plus grande curiosité des apports les plus divers de la modernité occidentale, mais aussi des musiques traditionnelles des quatre coins du monde (notamment japonaise), le tout en affirmant une haute idée de la mission morale de l’artiste que nous avons largement perdue depuis près d’un demi-siècle. Cette musique toujours expressive, exigeante et servie par un métier sans faille mérite assurément d’être connue et reconnue en Occident.

CLASSIQUENEWS : Distinguez-vous des différences / ou une évolution de la pensée et de la forme, entre les 3 œuvres jouées (Quatuors n°1, n°5 ; Quintette avec piano) ?
QUATUOR TCHALIK : Le Quatuor n°1 démontre un sens consommé de la concision, avec des idées affirmées mais peu développées, tandis que le n°5 fait au contraire entendre les métamorphoses successives d’un « thème-caméléon » qui prend les visages les plus divers au gré des sections musicales successives. Pour sa part, le Quintette d’une ampleur toute symphonique apparaît comme un modèle de maîtrise du temps musical et de la grande forme, avec ses longs processus et superpositions de couches sonores s’élevant graduellement et inexorablement vers un climax à la limite du soutenable, avant d’entamer une tribulation hasardeuse vers la lumière finale : cette immense arche s’apparente à un chemin initiatique de la noirceur vers la rédemption. Gageons que cette œuvre monumentale deviendra un incontournable du répertoire de sa formation de la fin du XXe siècle.

 

 

 

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : La comparaison avec Chostakovitch qui fut son maître, paraît inéluctable. Cependant voyez-vous des différences qui singularise Tishchenko de son aîné ?

QUATUOR TCHALIK : Boris Tishchenko vouait une admiration sans borne à son maître Chostakovitch. Mais l’on se rend compte à la lecture de leur correspondance qu’ils ne partageaient pas toujours les mêmes goûts esthétiques. Par exemple, Chostakovitch était très épris de la poésie de Evgueni Evtouchenko, tandis que Tishchenko la trouvait prosaïque et pourvue de lourdeurs. Il lui préférait Anna Akhmatova ou Iossif Brodsky avec qui il entretenait d’étroites relations amicales avant que celui-ci n’obtienne le Prix Nobel.
La différence entre Chostakovitch et Tishchenko tient surtout du fait qu’ils sont les enfants de périodes très différentes. Chostakovitch a vécu la pire période stalinienne. Tishchenko s’est formé en tant que compositeur pendant la période du dégel, après la mort de Staline. Une période où les jeunes compositeurs soviétiques ont pu se nourrir aussi bien des avant-gardes occidentales que des chefs-d’œuvre de la renaissance, du baroque ou des musiques extra-européennes. On sent dans la musique de Tishchenko, et notamment ses Quatuors et son Quintette, une très grande maîtrise de toutes les formes musicales, et de tous les moyens d’expressions à sa disposition. Il nous semble que la variété d’écriture et d’expression est plus grande chez Tishchenko, tandis qu’il y a plus d’unité chez Chostakovitch.
Enfin, peut-être parce qu’il a moins vécu la terreur Stalinienne, Tishchenko semble plus facilement parvenir à transformer la souffrance et la noirceur en lumière et en espérance.

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Sur le plan artistique et musical, quels sont les défis pour réussir à jouer convenablement Tishchenko ? Qu’avez-vous travaillé particulièrement pour ce programme ?

QUATUOR TCHALIK : Les œuvres de Tishchenko sont des œuvres d’envergure symphonique qui demandent une grande largeur de son et une grande force d’expression. Elles repoussent les limites habituelles du quatuor à cordes et du quintette avec piano, les emmenant dans des registres extrêmes, ce qui met au défi les interprètes. Non seulement ce sont des partitions techniquement exigeantes, mais elles demandent également une grande culture musicale de la part de l’interprète, en raison de l’éclectisme de leur écriture. Le 5ème Quatuor illustre bien cette diversité des genres. Tout au long de la partition, on peut entendre une grande synthèse de l’histoire du quatuor occidental, allant de Haydn à Chostakovitch, en passant par Dvorak.
Pour nous, le véritable défi était de se plonger dans une époque que nous n’avons pas vécue, mais que nous connaissons bien à travers les récits de notre père et de notre grand-mère, qui ont vécu en Union Soviétique jusqu’en 1988. A travers cet enregistrement, nous voulons transmettre les souffrances et les combats de cette époque extrêmement dure, où l’art était le seul moyen de résister, d’affirmer sa liberté et son unicité.

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y aura-t-il une suite à ce cd ? Que souhaitez vous à nouveau exprimer de Tishchenko dans ce cas ?

QUATUOR TCHALIK : Cet album est en quelque sorte déjà une suite, puisqu’il fait suite à l’album de 2015 de Gabriel et Dania réunissant l’intégrale de l’œuvre pour violon de Tishchenko. L’enregistrement de 2015 est complémentaire de celui de 2023 puisqu’une œuvre comme la Deuxième Sonate pour violon seul présente des caractéristiques très différentes des quatuors. Tishchenko y déploie quatre amples mouvements très expressifs, entrecoupés de trois intermezzi écrits dans un langage saccadé et haché, proche de la musique sérielle. L’album de 2015 présente dans son livret 12 dessins inédits du grand peintre Oscar Rabine, protagoniste essentiel de la fameuse exposition moscovite dite « des Bulldozers », réprimée en 1974 par le pouvoir soviétique. Un texte de l’écrivain dissident Nicolas Bokov rappelle le contexte de composition et de création de ces œuvres musicales et picturales. L’album Tishchenko de 2023 reprend ce dialogue entre les arts puisqu’il présente trois œuvres du peintre Vladimir Yankilevsky, exact contemporain de Tishchenko, et acteur principal d’une autre exposition réprimée par le pouvoir soviétique, l’exposition du Manège en 1962. Nous avons d’ailleurs filmé le trailer dans l’atelier de ce grand peintre, ce qui renforce et concrétise les correspondances entre musique et peinture, une des spécificités de notre label Alkonost Classic.

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous nous expliquer le choix du visuel de couverture du cd et les photographies du Quatuor Tchalik, illustrant le livret ?

QUATUOR TCHALIK : Pour illustrer nos enregistrements, nous aimons créer un visuel en rapport avec la musique que nous jouons. Nous avons donc voulu nous replonger dans le contexte soviétique et avons demandé à un ami plasticien, Jérôme de Vienne, de réaliser une maquette miniature de ce qu’aurait pu être un appartement communautaire soviétique des années 70-80. Nous nous sommes insérés dans la maquette grâce à un montage photographique, à la manière d’un collage. L’idée de cette pochette était de transmettre quelque chose d’assez chaleureux, et aussi de transmettre le côté familial qui empreint le 5e Quatuor notamment, avec l’âme russe qui habite un petit appartement. Ainsi, Dania tient sur la couverture de l’album une véritable édition de la Pravda datant du discours de Gorbatchev en 1989 que notre père avait ramené d’URSS ! Le jeu d’échec, la théière, les tapis au sol et au mur, sont autant d’éléments qui nous sont très familiers.

 

Propos recueillis en mars 2023

 

 

 

 

 

 

CD événement

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LIRE aussi notre critique complète du cd TISHCHENKO par le Quatuor Tchalik / Dania Tchalik (piano) – 1 cd Alkonost classic / CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023

CRITIQUE CD événement. BORIS TISHCHENKO : Quatuors n°1 et 5, Quintette avec piano – Quatuor Tchalik (1 cd Alkonost classic)

 

Révélation totale. A la frontière de l’audible, comme un lutin facétieux sur le bord d’un volcan, Tishchenko semble absorber toute menace en une distanciation amusée d’une poésie infinie (Quatuors n°1 et 5) ; c’est une grimace heureuse qui finit par apaiser et reconstruire. Surgit une conscience affûtée, comme chauffée а blanc, dévoilant ses failles, brisures, cicatrices, mais portée par une indéfectible volonté de dépassement ; ici se joue une lutte viscérale proche d’un Chostakovitch ou d’un Miaskovsky (dont il partage l’esprit de résistance). Dans les méandres et replis d’un labyrinthe intime, jaillissent des joyaux crépitants, d’une activité saisissante dont les instrumentistes cisèlent chaque accent. La concentration des musiciens éclaire une exigence formelle qui rappelle l’ampleur et l’architecture de Beethoven : ni concession ni complaisance formelle mais l’articulation des gouffres invisibles qui étreignent l’âme jusqu’au craquage. Remarquablement inspirés, les 4 instrumentistes du Quatuor Tchalik signent ici l’un de leurs meilleurs albums ; et c’est en plus de la sidération face à une écriture visionnaire, la musicalité exquise des interprètes qui savent rendre chantantes et raffinées, les arêtes vives de l’angoisse.

 

 

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