dimanche 9 février 2025

CRITIQUE, concert. CHANTILLY, le 2 avril 2023. Galerie des peintures, 11h. GRIEG, BARTOK, ENESCO, FRANCK (Sonate pour violon et piano) – Teo Georghiu, Samuel Bach, Augustin Dumay (Festival Coups de coeur à Chantilly 2023, Week-end 1)

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Depuis 3 éditions déjà, le Château des Princes de Condé, légué par le Duc d’Aumale à l’État, devient en avril, l’écrin de concerts mémorables à plus d’un titre ; leur adéquation avec les lieux accrédite encore la pertinence de l’offre artistique, d’autant que les solistes invités y excellent, dans le partage et l’exigence la plus élevée. Chantilly demeure un site chargé d’histoire, foyer des arts et dont l’activité spécifique découle de la présence des chevaux dans ses Grandes Écuries, les plus grandes jamais construites au XVIIIè (grâce au 7è Prince de Condé), terminées en 1735.

En cette matinée du dimanche 2 avril 2023, à 11h, le premier des deux concerts programmés se déroule dans la galerie des peintures dont l’agencement reste celui voulu par le Duc d’Aumale. C’est donc chez un collectionneur que nous assistons au programme de musique de chambre. La matinée musicale est riche et dense. Mais elle se déroule sans baisse de tension ni de rupture de qualité. Malgré l’absence de la pianiste vedette qui était annoncée – Maria João Pires, malheureusement excusée (pour cause de covid), tous les concerts sont maintenus ; défendus par les jeunes pianistes programmés et les amis, complices de Maria João Pires.

 

 

 

 

3ème édition des COUPS DE COEUR A CHANTILLY

Sublime Sonate de Franck dans la galerie des peintures

 

 

 

 

 

 

GRIEG à 4 MAINS
Tout d’abord, deux jeunes pianistes ouvrent le « bal » musical : Samuel Bach et Teo Gheorghiu, qui défendent à quatre mains et sur le même clavier la Suite Peer Gynt de Grieg – résumé contrasté du drame conçu par le compositeur romantique norvégien.
Immédiatement l’excellente acoustique de la salle interpelle ; elle projette au delà des habitudes tous les accents produits par les interprètes, dévoilant la force et l’intensité d’une écriture taillée pour le théâtre, riche en atmosphères variées : de l’évocation pastorale, légère, et même aérienne du « matin » ; à la mort d’Âase, recueillie, plus mystérieuse que le jeu des quatre mains porte vers une ampleur présente, un souffle qui respecte l’indication doloroso. Les deux pianistes expriment syncopes et crépitements sonores de la danse d’Anitra ; avant de frémir et exulter, marcato et stringendo, à l’évocation du roi de la montagne, soulignant en complicité, la verve narrative et dramatique du conteur Grieg. Le cycle dialogue avec justesse avec les toiles qui surplombent la tête des spectateurs : évocations poétiques, elles aussi, mais picturales, de rares et exceptionnels paysagistes :  Nicolas Poussin, Gaspard Dughet ou Salvator Rosa… autant de tempéraments des plus évocateurs.

Ensuite, Teo Georghiu se confronte seul, aux 6 Danses populaires de Bartok, inspirées des motifs de Transylvanie, laquelle est devenue Roumanie en 1918. Le pianiste sait atteindre une bel équilibre entre expressivité et repli nostalgique, finesse et rusticité.
Son éloquence mélancolique et son tempérament intérieur, tout en subtilité et retenue s’affirme dans « Pe loc » puis surtout « Bucsum » / Danse de Bucsum dont l’intonation orientalisante aux reflets déjà lointains, captive. Pour contraster avec cette série de miniatures, Teo Georghiu joue proche de l’improvisation, la flamboyante Rhapsodie roumaine n°1 opus 11 d’Enescu dont le souffle et la transe hypnotisent littéralement ; le pianiste insufflant à ce kaléidoscope de rythmes mêlés, enchaînés, une verve impétueuse, remarquablement canalisée qui sait aussi souligner la cohérence du déroulement dans le jeu des réitérations motiviques. Initialement écrite pour l’orchestre, la partition s’impose ainsi dans cette version au piano de 1949 ; le pianiste exprime tout ce que l’opus déploie de liberté et de geste symphonique, dans une forme rhapsodique, elle aussi proche de la transe.

 

 

CÉSAR FRANCK CHEZ LE DUC D’AUMALE…
Le joyau de la matinée est la Sonate de César Franck, dont l’époque de composition est contemporaine de l’agencement de la salle : on ne saurait trouver adéquation plus féconde. Dont les correspondances agissent allusivement pour la magie de la séquence…
D’emblée l’acoustique, excellentissime pour la musique de chambre, permet de capter et mesurer le jeu riche et en phase entre les deux complices : le même Téo Gheorghiu et le violoniste vedette, Augustin Dumay.  Le premier déroule un tapis d’une exquise sonorité, subtile et mélancolique, toujours admirablement articulée ; le second, fait chanter son instrument prodigieux (un Guarnerius del Gesu de 1743, au son effectivement « divin »), détaillant chaque nuance de chaque mesure, dont la ligne subjugue par sa finesse allusive, ses phrasés comme filigranés. Le jeu des deux complices réalise alors une somptueuse réalisation du chef d’œuvre de la musique de chambre française – sommet qui est aux origines de la fameuse Sonate de Vinteuil élaborée par Proust dans sa « Recherche ».
A Chantilly, les deux instrumentistes cultivent avec délices une quête parfaitement maîtrisée, soulignant parfois, avec une grâce volontaire infinie, le mystère et l’énigmatique pour mieux troubler et captiver l’audience. Car c’est avant tout la perfection de la suggestion, et la magie de l’équilibre entre les deux musiciens, qui captivent d’un bout à l’autre des quatre mouvements enchaînés.
Dès le premier mouvement, le violon du Dumay s’inscrit dans un rêve qui ressuscite, en une ligne à la fois voluptueuse et diaphane comme un souvenir que la musique rematérialise; on y décèle la force d’un songe encore à peine perceptible et aussi la vitalité d’un désir qui ne s’est peut-être jamais réalisé. Tout aussi allusif et d’une grande finesse, le pianiste joue « allegretto », en un allant qui coule comme une source naturelle et régulière, enveloppant le violon d’une douceur complice idéale. Les interprètes nous rappellent combien la richesse et la subtilité absolue de Franck, est aussi en 1886 une miraculeuse synthèse qui intègre la Sonate de Lalo (1855) ; celle de Saint-Saëns [1885] et avant elles, celle du premier Fauré [1877] ; Franck les surclasse toutes. La puissance et la clarté du motif conducteur, la force lumineuse de l’évocation : onirique et franche, l’ineffable caresse du violon, le mordant emperlé du piano, le jeu dialogué des deux thèmes, jamais opposés mais entrelacés, … sont irrésistibles. Les deux acteurs se révélant dans une torpeur encore irréelle ; c’est justement le jaillissement de cette irréalité millimétrée qui nous paraît captivante.
Contrasté, et comme improvisé, le discours s’exacerbe alors dans l’Allegro qui suit ; où le violon se convulse en un discours nettement plus syncopé, presque agressif, et instinctif (con fantasia), avant l’étreinte fusionnelle, énoncée finalement pianissimo, dans le mystère. A la fois volubile et passionné, distancié et éperdu, Dumay exprime tous les doutes et toutes les aspirations de la partition écrite pour Ysaÿe, dédicataire ; ce violon hypersensible matérialise et cristallise toutes les émotions viscéralement éprouvées, jusque là contenues. Et l’oreille s’amuse alors de la pendule de la galerie qui sonne midi, au moment même de la reprise du motif.
Enfin , la complicité des deux interprètes révèle peu à peu dans l’Allegro final, ce retour à l’insouciance… après le poison d’une emprise qui sévissait dans le mouvement précédent. Pianiste et violoniste s’affranchissent de toute réminiscence, dans plusieurs réitérations du motif principal, désormais apaisé, dans un geste plus lumineux, plus droit, objectif, libérateur. Le spectateur demeure saisi par la conjonction superlative des deux tempéraments artistiques ; mai aussi de l’adéquation enyre l’œuvre jouée et l’écrin qui l’abrite ; la galerie des peintures et ses fabuleuses toiles de maîtres anciens (de Palma le Vieux à Raphaël, de Poussin à Delacroix…) se sont idéalement accordés aux programme musical de cette matinée plus qu’enthousiasmante. Le goût du Duc d’Aumale a subtilement rencontré le chef d’œuvre de la musique de chambre romantique française : on peut rêver que le Collectionneur, au goût si sûr, eut apprécié telle partition de César Franck, aussi raffinée et aussi troublante.

 

 

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. Festival Les Coups de cœur à CHANTILLY, le 2 avril 2023. Galerie des peinture, 11h. GRIEG, BARTOK, ENESCO, FRANCK (Sonate pour violon et piano) – Teo Georghiu, Samuel Bach, pianos / Augustin Dumay, violon. Photos © CLASSIQUENEWS DTON.23

 

 

 

 

 

PROCHAIN WEEK END :

Prochain week end COUPS DE COEUR A CHANTILLY 2023, les samedi 15 et dimanche 16 avril 2023 – Week-end spécial / invité : Leonardo Garcia Alarcon et La Capella Mediterranea (au programme : Il Diluvio Universale de Falvetti, Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, …) – LIRE ici notre présentation des Coups de coeur à Chantilly 2023 :

 

CHANTILLY, Château, Festival Les Coups de cœur : les 1er et 2 (Maria João Pires), puis 15 et 16 avril 2023 (Leonardo Garcia Alarcon)

 

 

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