Ouvrir la nouvelle saison 24/25 de l’Opéra de Marseille avec Norma de Vincenzo Bellini est une excellente idée qu’a eu Maurice Xiberras. Salle comble, public subjugué, succès total. Une sainte trilogie que tout directeur de théâtre rêve pour la salle dont il a la charge. Et il en faut du courage pour monter Norma, et trouver deux cantatrices capables de faire honneur à la fois au rôle-titre et à celui d’Adalgise.
Crédit photo © Christian Dresse
Après son nombreux triomphes in loco dans le répertoire belcantiste (Semiramide, Armide etc.), Karine Deshayes ne fait qu’une bouchée de ce rôle de rêve, immortalisé notamment par la Callas. Nous nous délectons à nouveau de la douceur de son timbre, de la délicatesse de ses phrasés, de la longueur de son souffle, autant de qualités qu’appelle le rôle. La rondeur du timbre donne beaucoup de lumière dans le duo final, lorsque la bonté et le sacrifice de Norma trouvent des accents sublimes. Norma, la déesse céleste, trouve dans l’incarnation de La Deshayes une beauté douce et lumineuse, d’une grande émotion, mais parvient également à incarner son personnage dans toutes ses dimensions, c’est à dire dans sa cruauté et sa violence, et aussi sa grande noblesse quand les passages chantés l’exigent. Grande tragédienne, son art scénique est également tout à fait convainquant : sa Norma sait inspirer la terreur, l’amour ou la pitié. Karine Deshayes est une grande Norma, sachant révéler toutes les facettes vocales et scéniques de ce personnage inoubliable.
Grande chanteuse belcantiste aussi, Salomé Jicia prête à Adalgisa une voix d’une beauté à couper le souffle sur toute la tessiture, avec des phrasés belcantistes d’une infinie délicatesse, et des nuances et couleurs en constante évolution. Le chant de la soprano géorgienne est d’une perfection totale, et son jeu d’une vérité très émouvante. Les duos avec Norma offrent les moments de grâce attendus, notamment dans un ”Mira o Norma” à faire pleurer les pierres. En Pollione, le ténor sicilien Enea Scala – presque chez lui à Marseille où il se produit chaque saison depuis de longues années maintenant – s’impose avec la superbe qu’on lui connaît. La voix puissante est celle du héros attendu et le jeu de l’acteur est assez habile dans le final pour donner de l’épaisseur au Consul, ce qui le rend émouvant. Le timbre est toujours aussi splendide (même si sa “nasalité” rebute certains…), et si le chant paraît souvent plus robuste que toujours subtil, l’effet est totalement réussi. En Oroveso, la basse belge Patrick Bolleire fait le “job”, véritable druide autoritaire dont le retournement final fait grand effet, tandis que les comprimari – Laurence Janot en Clotilde et Marc Larcher en Flavio – remplissent avec efficacité leur office.
Il faut dire que la direction du directeur musical “maison”, le jeune chef italien Michele Spotti est absolument remarquable. Il vit cette partition de l’intérieur, et la dirige avec amour. Il en révèle le drame poignant dans des gestes d’une beauté rare, et avec une précision d’orfèvre et une finesse dans le rubato tout à fait féline. Il ose des forte terribles et des pianissimi lunaires. Dans les duos des dames, il atteint au génie en sachant magnifier le chant sublime des deux divas. Le rêve romantique a repris vie ce soir, et Bellini a été magnifié par la symbiose entre les musiciens, le chef et les solistes. Le Chœur de l’Opéra de Marseille est également très présent, avec un chant généreux et engagé.
Enfin, et par bonheur, la tristesse et la « pauvreté » de la mise en scène – dévolue à Anne Delbée – ne sont pas arrivées à gâcher le plaisir des spectateurs. Pourtant quelle indigence scénographique, et surtout quelle ineptie de faire dire un texte « oiseux » (en français) sur la sublime musique de Bellini, avec la voix d’un acteur possédant celle du père Fouras… Pas la moindre poésie dans les décors, du métal froid, des pendillons fragiles, des costumes d’une banalité regrettable. Mais qu’importe également cette scène finale sans grandeur, ces chœurs et ces personnages visibles sans raison – puisque la musique et le chant ont tout rattrapé ce soir…
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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (du 26 septembre au 3 octobre 2024). BELLINI : Norma. K. Deshayes, E. Scala, S. Jicia, P. Bolleire… Anne Delbée / Michele Spotti. Photos © Christian Dresse.
VIDEO : Trailer de « Norma » de Bellini selon Anne Delbée à l’Opéra de Marseille