samedi 20 avril 2024

CRITIQUE, opéra. GENÈVE, Victoria Hall, le 20 mai 2023. MONTEVERDI : L’Incoronazione di Poppea. M. Eriksmoen, D. Hansen, A. Le Saux, K. Szelazek… M. Etienne / E. Gonzalez Toro.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

 

Un an après avoir présenté, dans ces mêmes lieu du magnifique Victoria Hall de Genève, “L’Orfeo” et “Il Ritorno d’Ulisse in Patria”, le duo (à la scène comme à la ville) Mathilde Etienne (soprano et metteuse en scène) et Emiliano Gonzalez Toro (ténor et chef d’orchestre) clôture leur “Trilogie” montéverdienne avec “L’Incoronazione di Poppea”, ici plus laconiquement titré “Poppea” (de même qu’on aura relevé quelques coupures, pour un spectacle d’une durée de trois heures avec un entracte). Et ils sont bien évidemment accompagnés par l’ensemble “I Gemelli”, fondé par les deux artistes en 2018, et spécialisé dans la musique du XVIIe siècle, avec pour mission de “défendre les pièces majeures de cette époque comme des partitions inconnues, voire inédites”, comme l’indique le programme de salle.

Comme pour les premiers volets, Mathilde Etienne se charge de la “mise en espace” du concert (mais interprète également les personnages de Fortuna et Damigella), tandis que son conjoint dirige ou plutôt donne les départs – depuis les côtés, à droite puis à gauche d’un des instrumentistes, par de discrets mouvements de tête, à part dans les toutes dernières interventions en tutti qui précèdent le somptueux duo final “Io pur ti miro”, où ses bras s’agitent d’autant plus frénétiquement qu’il est resté “sage” en tant que chef pendant tout le spectacle, hors ses nombreuses interventions vocales en rien moins que cinq personnages différents (Lucano, Liberto, Tribuno, Soldato et Famigliare) !

 

 

Dernier volet de la Trilogie Monteverdi
par I Gemelli à Genève

Chanteurs, instruments, mise en scène,…
Une « Poppea » très réussie

 

 

 

 

 

Et comme pour les précédent opus, Mathilde Etienne signe un travail aussi sobre qu’intelligent, qui fait place à l’émotion brute des rapports entre les différents protagonistes, dont les affects passent par le truchement des regards et des gestes, sans nul autre artifice scénographique hors un trône de velours noir, ici objet de toutes les convoitises, et des costumes choisis avec soin (Amour tout de blanc vêtu, Poppea dans une robe aussi dorée que sa longue chevelure blonde, Arnalta accoutrée d’une improbable robe bleue surmontée d’une écharpe violette, etc.). On aime la façon dont le chœur que constitue la réunion des solistes, se forme ou se désagrège de manière signifiante en fonction de l’action, et d’une manière si naturelle que tous les déplacements coulent de source ; ils s’inscrivent dans les circonvolutions de la musique savante de Monteverdi (ils évoluent ainsi régulièrement au milieu des instrumentistes…) : tout semble aller de soi.

Dans le rôle-titre, le contre-ténor australien David Hansen constitue une révélation, car c’est la première fois que nous l’entendons en “live”, précédée par une réputation flatteuse, notamment à travers les (déjà) nombreux disques qu’il a gravés. Il impressionne d’emblée par sa superbe ligne de chant et son raffinement dans les vocalises, même si certains aigus s’avèrent un peu tendus voire criés. Mais vu le personnage hystérique qu’il incarne ce soir, ce qui aurait pu être dommageable ailleurs tombe ici à propos ! Son incroyable jeu scénique, tout autant que son regard d’un bleu couleur “glace arctique”, apporte à l’empereur un dramatisme et une conviction farouches, le caractère névrotique et inquiétant du personnage se traduisant par des gestes nerveux, voire violents qui captent l’attention et même fascine.

Difficile pour son collègue polonais Kacper Szelazek d’exister face à un tel chanteur/acteur, et pourtant il apporte à Ottone apporte beaucoup de relief, en même temps qu’une projection vocale assez inhabituelle pour sa tessiture. La basse française Nicolas Brooymans, déjà présente en Caronte dans l’Orfeo précité, donne toute la mesure qui sied au rôle de Seneca, grâce à la puissance et la profondeur de son timbre abyssal.
Dans les deux rôles de Nourrice, on ne sait lequel applaudir le plus, entre Matthias Vidal (Arnalta) et Anders Dahlin (Nutrice) tellement ils provoquent l’hilarité générale dans la salle, avec des timbres et des jeux très différents, mais peut-être avec un avantage pour le second qui se livre à un impayable numéro de séduction physique auprès du public, quand il chante son dernier air dans lequel il affirme avoir encore des atouts pour conquérir de jeunes hommes, surtout maintenant qu’elle va atteindre le faîte de la gloire et de la richesse avec l’accession de sa protégée (Poppée) au titre d’Impératrice ! Saluons également les nombreuses interventions dans de multiples personnages d’Emiliano Gonzalez Toro qui sait donner à chacun une identité propre par son art du chant et ses qualités de comédien, tandis que la basse italienne Eugenio Di Lieto convainc également dans ses trois parties (Littore, Famigliare et Tribun) avec sa voix de basse aux beaux reflets moirés.

Côté féminin, Alix Le Saux incarne une Ottavia torturée, qui atteint dans son adieu à Rome un rare pathétisme, et son beau timbre cuivré trouve dans cette partie un de ses meilleurs emplois. La soprano norvégienne campe une Poppea d’une belle et lascive féminité, enjôleuse et déterminée, tant dans ses gestes que dans ses inflexions de voix, qu’elle sait plier jusqu’au murmure pour mieux séduire Nerone. Toute de délicatesse, la Drusilla (également Vertu) de la jeune soprano franco-catalane Lauranne Oliva enchante par la suavité de son timbre comme par la conduite de son chant. Grand plaisir aussi que de retrouver la française Natalie Pérez, Messagera et Speranza dans Orfeo, et qui offre cette fois aux rôles d’Amore et Valetto son magnifique timbre et sa pétillante présence scénique. Enfin, Pauline Sabatier – dans sa superbe robe de dentelles rouges qui sied à merveille au personnage de Venere (Vénus) – remporte elle aussi une belle acclamation au moment des saluts.

A tout seigneur tout honneur, toute discrète (en apparence) que soit sa direction, Emiliano Gonzalez-Toro impulse un maximum de relief dramatique à son ensemble baroque, parfaitement secondée par la fidèle Violaine Cochard au clavecin et à l’orgue, tout en leur demandant de réagir spontanément au jeu des formidables chanteurs / acteurs qu’il a su réunir ce soir. Les tempi sont vifs, mais sans précipitation, avec une instrumentation qui se veut modeste dans sa recherche d’effets sonores (interventions “mesurées” des cuivres par exemple), par rapport à d’autres productions que nous avons pu entendre de cet ouvrage, comme tout récemment à l’Opéra National du Rhin (avec Emiliano Gonzalez Toro dans le rôle d’Arnalta) !

 

AGENDA… Le spectacle sera (re)donné ce soir au Théâtre des Champs-Elysées (mer 24 mai 2023) ; puis toute l’équipe redonnera “Il Ritorno d’Ulisse in Patria” à Genève le 20 octobre prochain, mais cette fois au non moins extraordinaire Bâtiment des Forces Motrices en bordure du Rhône. RV incontournable.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. GENÈVE, Victoria Hall, le 20 mai 2023. MONTEVERDI : L’Incoronazione di Poppea. M. Eriksmoen, D. Hansen, A. Le Saux, K. Szelazek… M. Etienne / E. Gonzalez Toro. Photos : © Emmanuel Andrieu

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