C’est dans la petite salle numéro 3 du hangar qui abrite l’Opéra de Cologne (en attendant la ré-ouverture de sa salle historique en septembre…), qu’a lieu la Première du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi, dans la mise en scène maintenant bien connue du new-yorkais Ted Huffman – qui choisit de focaliser l’attention sur les interprètes et l’action, en réduisant les accessoires et en suivant au plus près le sublime livret de Francesco Busenello. Grande idée par les temps qui courent, où chaque élément de la scénographie y gagne en importance.
Un grand tube – noir comme les vêtements de Néron et blanc comme ceux de Poppée, tel l’aiguille d’une boussole ou d’une horloge, ou encore comme un tunnel, rappelant que rien ne dérangera l’exécution du vœu de Néron – est suspendu au-dessus de la scène. Quelques tables, quelques chaises, installées au besoin par les acteurs, une porte mentale dans le fond à gauche, pour que John Heuzenroeder (photo ci-dessus) se change en Nourrice. Le fameux Gürzenich Orchester, dirigé ici par le chef grec George Petrou, est lui-même à la limite de l’effacement – jusque dans son exécution.
Les vêtements soulignent la transposition à l’époque moderne, mais sans jamais choquer. Ceux de Néron et d’Octavie soulignent leur jeunesse, ceux d’Octavie sa maturité, et ceux d’Otton sa juvénilité. Si les habits du couple Néron–Poppée sont noir et blanc, ceux de leurs entourages, rose, violet, jaune et vert, montrent la vitalité autour d’eux. La mise en scène et le jeu d’acteurs reposent sur quelques idées aussi fortes que justes, ce qui n’empêche en rien la drôlerie à l’occasion, comme les scène cocasses avec les deux rôles de Nourrices joués par un ténor en travesti. On retiendra la scène où Amour met en mouvement le tuyau au-dessus des têtes des protagonistes, ou l’idée de faire interpréter Fortune et Vertu par les mêmes cantatrices jouant Octavie et Drusilla, le « ménage sexuel » à trois entre Néron, Octavie et un garde, pour montrer les prémisses de la décadence romaine, ou encore les colères de Néron, lorsque quelque chose ne va pas à sa convenance.
Les opéras de Monteverdi reposent pour beaucoup sur les voix, et aucune ne faillit. Du ferme contre-ténor de Nicolò Balducci en Néron, à son jumeau inverse, geignard et quasi infantile, de Paul-Antoine Bénos-Djian (Otton), de la maturité du mezzo d’Adriana Bastidas-Gamboa en Octavie, à la suavité sensuelle de Elsa Benoît en Poppée , en passant par le ténor de John Heuzenroeder en Nourrice et Arnalta, à la voix cependant légèrement étouffée, ou la fermeté de Lucas Singer en Sénèque, déjà remarqué en conjuré dans Un bal masqué la veille, le charme était là. Quant aux duos de Néron et de Poppée, ils resteront parmi les plus sensuels et torrides jamais entendus à l’opéra.
Cette production prouve, à une époque où les exubérances onéreuses peuvent atteindre des sommets, que revenir à un dépouillement épousant l’œuvre peut donner de biens belles satisfactions.
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CRITIQUE, opéra. COLOGNE, Oper der stadt Köln (du 5 mai au 2 juin 2024). MONTEVERDI : L’Incoronazione di Poppea. E. Benoît, N. Balducci, P. A. Bénos-Djian… Ted Huffmann / George Petrou.
VIDEO : Elsa Benoît et Jake Arditti interprètent l’air final du Couronnement de Poppée « Pur ti miro » dans la production de Ted Huffmann