Après le succès du Voyage dans la lune d’Offenbach la saison dernière, l’Opéra Comique va encore plus loin dans l’action de valoriser sa Maîtrise populaire. Le théâtre national a commandé une œuvre à Isabelle Aboulker pour la première création des jeunes chanteurs de la Maîtrise.
C’est un voyage initiatique en un prologue et trois actes. Pendant une heure du spectacle, des questions se posent sans arrêt : partir ou rester ? Que se passe-t-il si on part ? Grandir, mais pour quoi faire ? Pourquoi changer de peau ? Suis-je seul au monde ? Le livret a été élaboré par le romancier et journaliste Adrien Borne, à partir de discussions avec les membres de la Maîtrise. Ce sont donc leurs propres mots qui sont prononcés sur scène, des reflets de « leurs préoccupations avec les mots de la jeunesse d’aujourd’hui », comme le mentionne le programme de la salle.
La musique d’Isabelle Aboulker est mélodieuse et respectueuse des voix d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes – qui n’ont ni la même puissance, ni la même expressivité qu celles de chanteurs « aguerris ». La partition prend en compte l’évolution de leurs voix, et les rôles de solistes semblent être créés sur mesure en fonction des chanteurs qui les incarnent. Ainsi, la trinité du premier acte — Nina, Pinta et Santa-Maria (rôles tenus par Rachel Masclet, Malvina Missio et Airelle Groleau) — est conçue pour des jeunes adultes qui ont déjà une voix lyrique. L’écriture en est plus opératique, offrant le moment le plus « consistant » de l’œuvre. Quant aux parties parlées, propres à un opéra-comique, elle prend une place important dans ce conte et les répliques sont récitées de manière étonnement claire. Côté jeu d’acteur, là aussi, les maîtrisiennes et maîtrisiens montrent avec évidence leur goût pour le théâtre à travers leurs gestes et expressions naturels guidés par James Bonas (à la mise en scène) et Ewan Jones (pour les chorégraphies), dans la scénographie poétique de Thibault Vancraenenbroeck et les lumières enchanteresses (notamment la scène finale des lucioles) de Laïs Foulc. Le spectateur peut y voir le condensé de l’enseignement prodigué par cette institution unique en son genre !
Les paroles ont une part importante, disions-nous. Par moments, elles s’imposent tellement que la musique se tait totalement, cassant quelque peu l’équilibre entre les deux parties, parlée et chantée. La partition pour l’ensemble instrumental est dépouillée, avec une mise à nue quasi permanente d’un instrument ou d’un autre. Tout cela peut laisser sur sa faim, si on s’attendait à assister à un spectacle comme celui de l’année passée (Le voyage dans la lune). Peut-être faudra-t-il le considérer, non pas comme un opéra-comique, tel que l’œuvre est sous-titrée, mais plutôt comme un conte mise en musique ?
Mathieu Romano, qui connaît tous les secrets de l’art choral, donne une véritable direction musicale à l’ensemble du plateau et de la fosse (avec Les Frivolités parisiennes). Ses indications précises et adéquates permettent aux musiciens et aux chanteurs de révéler leurs subtilités. Au moment des saluts, leur convivialité montre à quel point ils ont été complices dans cette belle création.
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CRITIQUE, opéra. Paris, Opéra Comique, le 3 mai 2024. I. ABOULKER : Archipel(s). Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique / Les Frivolités Parisiennes /James Bonas / Mathieu ROMANO.