Suite du Ring de Richard Wagner au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles – annoncé jusqu’en 2025. Après L’or du Rhin à l’automne dernier, voici la même équipe artistique – formée par Romeo Castellucci et Alain Altinoglu – sur le volet suivant : La Walkyrie (1876).
Côté mise en scène, on retrouve cette épure progressive, visuellement aussi forte que particulièrement esthétique – qui culmine en particulier dans chaque fin d’acte. Le spectacle est ici total, porté par cette équation réussie entre dramaturgie et beauté visuelle, impact émotionnel et clarification scénique. La palette du célèbre metteur en scène italien s’avère classique et claire, entre blanc, rouge et noir, soulignant ce romantisme médiéval propre au Wagner de Lohengrin. Les Walkyries sont casquées et portent bouclier, par exemple, rétablissant la poétique des légendes nordiques et germaniques. En revanche, d’autres éléments restent mystérieux et même hermétiques, tel que la présence d’un frigo dans lequel se trouve l’épée, au I, lui-même placé au beau milieu de vieux meubles massifs entassés les uns sur les autres… et qui finissent par se déplacer tout seuls ! Et à contrario du Prologue, cette première journée est assez statique, Castellucci ne réitérant pas ici sa splendide direction d’acteurs qui avait éblouie dans L’Or du Rhin. A la fin du spectacle, nul rocher, mais un grand écran lumineux sous lequel Brünnhilde sera comme avalée, avant qu’un anneau ne s’embrase sur les dernières notes…
Le couple incestueux est formé par le Siegmund de Peter Wedd, vocalement encore perfectible mais dramatiquement très juste, entre fragilité et combativité, et la Siegliende de Nadja Stepanoff qui, toute combative qu’elle se montre, n’a pas exactement les moyens d’une soprano wagnérienne digne de ce nom. Le pilier de la production reste ainsi sans conteste la soprano suédoise Ingela Brimberg, Brünnhilde ardente et puissante, aux aigus irréprochables. De toute évidence un argument pour ce Ring en cours car les chanteurs seront les mêmes tout du long de l’aventure, cohérence du cycle oblige. L’enthousiasme reste intact face au Wotan du baryton-basse hongrois Gábor Bretz. L’acteur enrichit le métier du chanteur et vice versa : son souci du verbe, ses éclairages intimes, sa sincérité fondent la réussite de son approche. La prise de rôle est très convaincante : il montre la fragilité et l’humanité du dieu, piégé par ses propres lois, qui doit se soumettre à la vindicte de son épouse moralisatrice, une Fricka ici incarnée par la mezzo québécoise Marie-Nicole Lemieux, timbre profond et riche lui aussi, d’une remarquable épaisseur psychologique. Face à une telle force impérieuse, Wotan vaincu doit abandonner le parti de sa fille, la Walkyrie, bientôt déclassée en Brünnhilde, vierge désormais accessible pour celui qui parviendra à franchir le fameux mur de flammes. Autre personnage mémorable de cette fresque à la fois épique et humaine, le Hunding idéalement noir et démoniaque d’Ante Jerkunica. Le plateau vocal nous a également régalé avec les huit Walkyries qui sont vocalement à la hauteur de cette production qui convainc par sa grande cohérence (Karen Vermeiren, Tineke Van Ingelgem, Polly Leech, Lotte Verstaen, Katie Lowe, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Iris Van Wijnen et Christel Loetzsch).
Mais le plus grand bonheur de la soirée réside dans la fosse où Alain Altinoglu fait des miracles à la tête de son Orchestre Symphonique de La Monnaie. Après sa direction de L’Or du Rhin, le chef français confirme ses affinités avec le répertoire wagnérien : sa lecture de la partition est un modèle de lyrisme et d’équilibre, sa baguette laissant éclater un véritable maelström sonore qui, plus encore qu’une manifestation de la nature, fait montre d’un incroyable pouvoir d’émotion.
Encore une grande soirée lyrique et symphonique à La Monnaie, et l’on trépigne d’impatience de découvrir, la saison prochaine, les deux dernières journées de la saga wagnérienne !
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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 21 janvier au 11 février 2024). WAGNER : Die Walküre. I. Brimberg, P. Wedd, N. Stefanoff, G. Bretz… Romeo Castellucci / Alain Altinoglu.
VIDEO : “Inside the music”, Alain Altinoglu raconte “La Walkyrie” aux spectateurs du Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles