Qui était Callas ? Météore vocale, diva assoluta, surtout femme complexée dont le feu intérieur devait nourrir une volonté de se prouver à elle-même qu’elle pouvait réaliser la perfection : sa voix d’abord, son jeu en déduction comme chanteuse-actrice ; son corps enfin : être aussi fine et élancée que sa sœur (Jackie), toujours admirée, toujours valorisée par leur mère plus que partiale (Evangelia). De fait, Maria devient une icône glamour à la taille élancée après avoir perdu 35 kg… en 1954. C’est alors au zénith de sa carrière, la période scaligère où son soprano dramatique et belcantiste éblouit La Scala, enchaînant les rôles phares à jamais marqués par sa formidable expressivité juste : Norma, Léonore (La Force du destin), puis la Vestale (dans la mise en scène de Lucchino Visconti) ; Amina (de La Sonnambula), Traviata et Lucia chantées au Met de New York ; autant d’héroïnes qu’elle fait jaillir avec une sincérité hallucinée et dont le tempérament vocal, doué d’un réalisme plus que nuancé, est fixé alors par EMI (Madama Butterfly avec Karajan, 1955 ; puis Aïda moins convaincante car fatiguée ; enfin Gilda de Rigoletto, splendide… ) et dans une prise de son trop mate qui sur-tend artificiellement ses aigus et durcit des notes jusqu’à les rendre agressives (reproches de l’auteur).
Le mythe est ici humanisé car le texte s’intéresse en filigrane au parcours émotionnel et psychique de la Diva ; ses craintes et ses angoisses ; sa soif inextinguible de perfection, approchée souvent au prix d’une discipline exemplaire. Le mythe Callas ne laisse pas indifférent tant le génie d’une voix exceptionnelle exprime aussi les limites physiques d’une artiste hypersensible qui demeure toujours en quête : intensité et fragilité. C’est ce que révèle l’acte II de Tosca filmé en 1964 à Londres, dernier témoignage des années où la voix répondait encore aux exigences de l’interprète esthète. Car déjà sa Norma enregistrée en 1960 par Emi trahissait une fatigue vocale prématurée. A peine âgé de 40 ans, la voix de Callas ne peut plus suivre et répondre aux dictats de l’immense actrice.
Tout chez Maria née à New York en 1923 synthétise le sens d’une vie terrestre : la recherche de l’absolu semble ne jamais satisfaire celle qui la porte et l’incarne. Parcours à la fois magnifique voire sublime et si triste. Humain. Le texte restitue cette grandeur et cette insatisfaction profonde qui transparaît à travers ses prises de rôles et ses concerts, de Norma à Tosca. Pour son centenaire 2023, la plus grande diva ne cesse d’interroger : chaque enregistrement (dont celui mythique à Paris en 1958) délivre une clé sans en pénétrer l’absolu mystère. La cantatrice a fait de sa vie entière, une œuvre d’art. Le mythe Callas dévore la femme Maria. L’un ne peut prendre son essor sans sacrifier l’autre. Et l’existence finit comme une tragédie opératique. La légende peut naître et croître. 100 ans après sa naissance, Callas est plus vivante que jamais.
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CRITIQUE LIVRE événement. Jean-Jacques Groleau : MARIA CALLAS (Actes Sud). CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023 – Plus d’infos sur le site de l’éditeur :https://www.actes-sud.fr/catalogue/musique/maria-callas