CD coffret Ă©vĂ©nement : BEETHOVEN revolution (vol1), Jordi SAVALL (Symphonies 1 Ă 5 – Le Concert des Nations, AcadĂ©mie Beethoven 250 – 3 cd Alia Vox juin sept 2019). Câest un feu de joie dont lâallant percute et avance sans lourdeur ni Ă©paisseur ; Jordi Savall dĂ©voile un Beethoven dĂ©poussiĂ©rĂ©, vif argent, grĂące aux tempos enfin rĂ©tablis. LâĂ©quilibre des pupitres (cordes en boyau, bois, vents et cuivres), la puissance des unissons, la violence des tutti, fouettĂ©s et onctueux, lâintelligence des nuances, la fermetĂ© virile du geste⊠indiquent une lecture dâune rare cohĂ©rence.
Les premiĂšres symphonies sont relues avec une vitalitĂ© rĂ©gĂ©nĂ©ratrice, un sens du dĂ©tail et aussi une clartĂ© structurelle de premier plan. La n°1 (1800) impose un souffle, des respirations amoureuses, une hauteur de vue, un sens irrĂ©sistible des Ă©quilibres ; lâorchestre est conçu comme une assemblĂ©e dâindividualitĂ©s pourtant unifiĂ©es en une direction commune. LâemblĂšme mĂȘme de la sociĂ©tĂ© active rĂ©conciliĂ©e, fraternelle : soit lâaccomplissement de lâidĂ©al beethovĂ©nien. Sur le plan musical, lâauditeur se dĂ©lecte tout autant de la ciselure, de lâĂ©nergie, de lâesprit rĂ©formateur comme de lâactivitĂ© franche dâun orchestre impĂ©rial. Savall nous fait entendre le bruit du chaos primordial, la forge armĂ©e et conquĂ©rante, le relief des armes belliqueuses, les gouffres vertigineux ouverts et le pur esprit crĂ©ateur, celui qui organise la matiĂšre pour que surgisse la lumiĂšre (pulsion dyonisiaque furieuse et dansante du dernier Allegro). Les temps de suspension plus mĂ©ditative et de plĂ©nitude tendre, dâeffusion fraternelle façonnent la superbe articulation du Larghetto de la Symphonie n°2 (1802) oĂč scintillent frottements harmoniques et saveur des timbres caractĂ©risĂ©s.
DĂšs le dĂ©but de la 3Ăš EroĂŻca (1804), en son Allegro con brio se dĂ©ploie le vol de lâaigle, ses hauteurs olympiennes oĂč les secousses militaires et les dĂ©flagrations semblent comme absorbĂ©es, distanciĂ©es / intĂ©grĂ©es dans un panorama Ă lâĂ©chelle du cosmos : dĂ©jĂ le destin frappe Ă la porte (6 coups assĂ©nĂ©s), expression dâune dĂ©termination Ăąpre, inextinguible, Ă laquelle trait du gĂ©nie, succĂšde la Marcia funĂšbre : Savall y Ă©largit encore le cortex beethovĂ©nien , irrĂ©pressible dĂ©ploration funĂšbre (le deuil des idĂ©es trahies par Bonaparte devenu NapolĂ©on le tyran) ; le geste est mordant, nerveux (en Ă©cho avec lâaigreur millimĂ©trĂ©e des cuivres) et la palette des nuances aussi Ă©tendue que dĂ©lectable (les bois dâune voluptueuse prĂ©sence, souple, affectueuse). La forge symphonique beethovĂ©nienne palpite Ă chaque mesure. Dans cette fabuleuse descente infernale sâaccomplissent un relief instrumental, une intensitĂ© nimbĂ©e par les couleurs sidĂ©rantes des bois. Le travail est exceptionnel et rĂ©tablit la filiation de Ludwig avec Mozart et Haydn (colonnes maçonniques et gravitas du Requiem du Premier ; vibration fantastique de La CrĂ©ation du Second). Le chef catalan avait dĂ©jĂ abordĂ© la partition en 1994 dans une version pleine de fougue et de contrastes, prĂ©lude nĂ©cessaire semble-t-il Ă l’accomplissement de 2019.
La 4Ăš (1806) pĂ©tille et trĂ©pigne, assĂ©nant avec une motricitĂ© rythmique exaltĂ©e, lâavĂšnement dâune Ăšre nouvelle ; introduit par lâAdagio prĂ©liminaire, lâAllegro II avance, impĂ©rial, impĂ©rieux, ivre de sa force Ă©lectrisĂ©e. MĂȘme jeu dâĂ©quilibre entre percus et cuivres tranchantes, bois onctueux et cordes trĂ©pidantes dans lâAdagio qui conduit Ă une plĂ©nitude nouvelle : le fini instrumental (clarinette olympienne) semble y recueillir la leçon du dernier Mozart. Tout sâaccorde et sâorganise pour la vitalitĂ© Ă©ruptive mais organisĂ©e du dernier Allegro : danse et transe Ă la fois, dramaturgie chorĂ©graphique, feu de joie dâune irrĂ©pressible Ă©nergie.
La 5Ăšme (1808) peut alors ciseler ses accents tranchants, vĂ©ritables appels Ă la sidĂ©ration ultime, pour que naisse en un dĂ©nouement cathartique, lâeuphorie salvatrice finale. LĂ encore le dĂ©tail, la nervositĂ©, une certaine dramaturgie du dĂ©sespoir qui confĂšre la gravitĂ©, soutient une lecture somptueusement pensĂ©e : oĂč lâAllegro serait lâexpression dâun espoir planĂ©taire et cosmique, bientĂŽt déçu et enterrĂ© manu militari dans lâAndante qui suit, selon un diptyque bien connu Ă prĂ©sent et inaugurĂ© dans la 3Ăš « Eroica », elle aussi contrastĂ©e et bipolaire, exaltĂ©e puis mĂ©ditative jusquâau dĂ©nuement le plus total. Savall en comprend lâĂ©chelle des registres, lâĂ©cart vertigineux des deux versants. La jubilation olympienne, exaltation et extase fraternelle, du dernier Allegro affirme ce galop Ă©tincelant (Ă©clairs et saillies des bois et des vents, clarinette, flĂ»teâŠĂ©perdues / « sempre piĂč allegro »).
Dans les faits, Jordi Savall dĂ©montre une comprĂ©hension profonde du massif beethovĂ©nien ; il en rĂ©vĂšle les Ă©quilibres singuliers, dâautant mieux mesurĂ©s depuis son interprĂ©tation prĂ©cĂ©dente des 3 derniĂšres symphonies de Mozart (2017-2018). Lâauditeur y dĂ©tecte une filiation avec lâharmonie des bois et des vents, particuliĂšrement ciselĂ©s et privilĂ©giĂ©s, dialoguant avec les cordes, jamais trop puissantes. La martialitĂ© de Ludwig sâen trouve allĂ©gĂ©e, plus percutante, et câest tout le bĂ©nĂ©fice des instruments dâĂ©poque qui jaillit, renforçant les contrastes beethovĂ©niens. La sonoritĂ© est lâautre superbe offrande de Savall grĂące Ă lâeffectif : autour de 60 instrumentistes dont 32 cordes ; la fidĂ©litĂ© aux souhaits de Beethoven est Ă©loquente dans cette clarification entre les pupitres. VoilĂ comment le chef catalan Ă©claire de lâintĂ©rieur lâexpressivitĂ© beethovĂ©nienne oĂč lâorchestre nâexprime pas la pensĂ©e musicale : il est cette pensĂ©e elle-mĂȘme. Pas de masques ni dâenveloppe formelle : franc et direct, les musiciens fusionnent avec le sens : il porte lâesprit du gĂ©nie crĂ©ateur. Ce premier coffret des Symphonies 1 Ă 5 (un second est annoncĂ© comprenant les 6 Ă 9) dĂ©montre aussi la pertinence des moyens mis en Ćuvre : Savall a organisĂ© plusieurs acadĂ©mies musicales oĂč instrumentistes aguerris de Concert des Nations encadrent et pilotent de plus jeunes ; de sorte quâaux cĂŽtĂ©s de la pertinence artistique, la transmission et le partage sâinvitent Ă cette fĂȘte collective de la transe et de lâĂ©lĂ©gance. Lecture majeure. Vite le 2Ăš volume de cette intĂ©grale Beethoven de premier plan. Pour lâannĂ©e BEETHOVEN 2020, on ne pouvait rĂȘver geste plus saisissant. CLIC de CLASSIQUENEWS.COM
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CD coffret Ă©vĂ©nement : « BEETHOVEN rĂ©volution » Jordi SAVALL (Symphonies 1 Ă 5 – Le Concert des Nations, AcadĂ©mie Beethoven 250, chĂąteau de Cardona, Catalogne, juin / sept 2019 – 3 cd Alia Vox)
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LIRE aussi notre critique du coffret des 3 derniÚres Symphonies de MOZART par Jordi Savall / CLIC de classiquenews (été 2019) :
http://www.classiquenews.com/cd-coffret-evenement-mozart-les-3-dernieres-symphonies-39-40-41-jupiter-jordi-savall-3-cd-alia-vox/
LIRE aussi notre dossier spĂ©cial LUDWIG BEETHOVEN 2020 : dossier pour les 250 ans de la naissance de Beethoven (cd, livres, dvd, biographie, etcâŠ):
http://www.classiquenews.com/dossier-beethoven-2020-les-250-ans-de-la-naissance-1770-2020/