Cette année, le 19ème Festival de Musique Sacrée de ROCAMADOUR et son directeur Emmeran Rollin ont choisi pour devise le thème générique de « L’Espérance » – et affiche plusieurs concerts-événements, dont le concert d’ouverture du jeudi 15 août qui, grâce au généreux soutien de l’indispensable mécène qu’est Madame Aline Foriel-Destezet, mettait à l’affiche rien moins que le plus célèbre des ténors français, Roberto Alagna, accompagné ici par l’Orchestre Consuelo (fondé en 2021 et dirigé par son chef-fondateur, le violoncelliste Victor Julien-Laferrière).
Et il fallait bien monter une scène dans la Vallée de l’Alzou, juste en contrebas de la fameuse Basilique Saint-Sauveur (qui ne peut contenir que 450 personnes), pour accueillir les 2000 fans de la star lyrique ayant répondu présent à l’appel (un record absolu de spectateurs pour le festival occitan) !
Roberto Alagna – qui a soufflé ses 61 printemps quelques semaines plus tôt – est apparu dans une forme éblouissante, enchaînant pas moins de 12 airs d’opéras et de musique sacrée (6 de chaque, entrecoupés de seulement deux moments symphoniques), suivis de trois bis, pour une soirée excédant de ¾ d’heure la durée prévue (finissant à 23h au lieu des 22h15 annoncés…). Bref, une générosité qu’on lui connaît – du moins quand il est / se sent en forme, comme c’est le cas ce soir où le tenorissimo semble avoir mangé du lion ! Timbre solaire, legato velouté, grave solide, aigus toujours aussi puissants et élégants… et sans la moindre tension, comme c’est parfois le cas. Toutes les qualités du ténor apparaissent intactes dès le premier air qu’il entonne, un morceau qui lui tient à cœur car composé par son frère David Alagna, “Non, je ne suis pas un impie” tiré de son opéra Le Dernier jour d’un condamné.
Parmi les chevaux de bataille d’Alagna, il y a les trois airs qui suivent “Rachel quand du Seigneur”, “Ô Souverain, ô juge, ô père”, “Seigneur, vois ma misère” – tirés de “La Juive” de Halévy, du “Cid” de Massenet et de “Samson et Dalila” de Saint-Saëns), dans lesquels on goûte avec extase la parfaite et confondante diction car il y a toujours eu, chez lui, au-delà du plaisir de chanter, un authentique plaisir de dire. Et à l’issue de ces deux airs sublimes, qu’il travaille note à note avec des sons filés angéliques, des pianissimi de rêve ou des aigus puissamment projetés, ou encore un phrasé parfait, ils déchaînent des applaudissements amplement justifiés. C’est aussi un grand acteur (doublé ce soir d’un éminent pédagogue, car il tient à présenter lui-même tous les morceaux qu’il a retenus (avec autant de sérieux que d’humour mêlés).
Roberto Alagna, porté par la sainteté des lieux (les Rois les plus pieux sont passés à Rocamadour honorer Saint Amadour !), lui-même croyant, sait vivre tout ce qu’il chante de l’intérieur, comme dans son premier air “Je ne suis pas un impie”, délivré comme en extase, les yeux levés au ciel, complètement habité…). C’est ainsi armé de sa foi qu’il s’adonne, en deuxième partie de soirée aux plus célèbres airs de musique sacrée, tels le “Panis Angelicus” de César Franck, « L’Agnus Dei” de George Bizet ou encore le célébrissime “Ave Maria” de Franz Schubert, qu’il susurre plus qu’il ne chante, terminant son chant extatique par un piano du plus bel effet, qui noue les gorges et bouleverse. Mais la fête n’est pas finie pour autant, et ce sont trois bis qui se succède, plus “joyeux”, avec l’air “Sognare” écrit par Roberto Alagna lui-même, avant le chant “révolutionnaire” “Bella ciao”, repris par les quelques 2000 spectateurs en frappant des mains, avant d’achever la soirée dans un registre très “chrétien”, en se contentant de déclamer un “Pater Noster”, dans une intense communion avec son public.
Un mot, pour conclure, sur la (jeune) phalange de ce soir, un Orchestre Consuelo lui aussi visiblement porté autant par les lieux que par les enjeux de la soirée, et qui se surpasse ici, sous la baguette précise et sensible au possible au possible du jeune Victor Julien-Laferrière (malgré une inévitable sonorisation qui peut parfois mettre à l’avantage certains pupitres plutôt que d’autres…), ce que l’on peut notamment goûter dans leurs deux moments “solo”, d’une superbe qualité d’émotion : le Prélude de La Traviata, la Barcarolle issue des Contes d’Hoffmann et le non moins célèbre Adagio de Samuel Barber…
Une soirée dans les 2000 happy few réunis à Rocamadour se souviendront sans nul doute longtemps !
____________________________________________________
CRITIQUE, festival. 19ème FESTIVAL DE ROCAMADOUR, Vallée de l’Alzou, le 15 août 2024. Airs d’opéras et de musique sacrée. ROBERTO ALAGNA / Orchestre Consuelo / Victor Julien-Laferrière (direction). Photos (c) François Le Guen.
VIDEO : Roberto Algana chante l’air « Ô Souverain,ô juge, ô père » extrait du « Cid » de Massenet