C’est par un récital lyrique d’exception que se sont clôturées les 49èmes Nuits du Château de la Moutte, ce havre de paix et petit coin de paradis pourtant à quelques encablures du frénétique centre-ville de Saint-Tropez. Un écrin qui a accueilli, entre autres Liszt et Wagner, et qui nous rappelle l’histoire musicale ancienne qui s’y est développée et maintenue jusqu’à nos jours. Placé désormais sous la houlette artistique de Jean-Philippe Audoli, et grâce au généreux soutien de l’indispensable mécène qu’est Madame Aline Foriel-Destezet (bien évidemment présente), le festival accueillait rien moins que l’immense artiste qu’est le baryton américain Thomas Hampson, accompagnée d’une des plus belles et talentueuses soprano de notre époque, sa compatriote Nadine Sierra.
Sitôt fini leur premier duo, “Rivolgete a lui lo sguardo” extrait de Cosi fan tutte de Mozart, la jeune star du monde lyrique ne peut s’empêcher de prendre la parole (en anglais) pour se lancer dans un long et vibrant hommage à son mentor qui l’a récompensé d’un Premier prix lors d’un concours de chant alors qu’elle n’était qu’une étudiante, et qui l’a ensuite “pris sous son aile”, en lui proposant d’être sa “partenaire de chant”, comme ce soir, pour le plus grand bonheur d’un public de “happy few”, la cour du Château de la Moutte ne pouvant contenir qu’un parterre de 500 personnes. Très ému par les louanges de sa jeune protégée, le baryton s’esquive ensuite pour lui laisser toute la place, et c’est avec Mozart que se poursuit la soirée avec l’aria “Deh vieni non tardar”, détaillé ici avec tant de délicatesse et d’intelligence que le public succombe aisément et adresse à Nadine Sierra un premier triomphe. C’est ensuite pour le duo “Crudel perché finora” qu’Hampson la rejoint, dans lequel la complicité des deux artistes – à renfort de force regards et mimiques – fait plaisir à voir (et entendre).
Puis Nadine Sierra s’élance, seule, dans les voltiges de l’air de Gounod “Ah, je veux vivre”, qui s’avère un véritable instant de fraîcheur, juvénile et radieux, par ailleurs déclamé dans un français absolument parfait ! Une élocution de notre idiome que le baryton étasunien, mais on le sait depuis longtemps (!), maîtrise également à la perfection, comme il nous le prouve dans l’air d’Athanaël “Ô visions fugitives” (extrait de Hérodiade de Massenet), où son timbre reconnaissable entre tous et son pouvoir de séduction sont restés intactes, même si le registre aigu n’a plus l’éclat et la phénoménale puissance d’antan. L’acteur conserve également le même pouvoir de persuasion, cette noblesse et ce port aristocratique qu’il a toujours eus, et qui ne cesse de fasciner les spectateurs qui ont la chance de le voir et de l’écouter en “live”. Las, des deux (sublimes) airs annoncés dans le programme (“Depuis le jour” extrait de Louise pour elle et “C’est mon jour suprême” tiré de Don Carlos pour lui), et c’est donc avec le duo Germont/Violetta Valéry (“Madamigella Valéry”) dans La Traviata que s’achève la première partie de soirée. Nadine Sierra s’y montre impériale, capable vocalement d’évoquer le tragique et le sublime. Sa technique exceptionnelle et son tempérament passionné font d’elle une héroïne verdienne de haute volée, tandis que Thomas Hampson lui donne la réplique avec un legato souverain, bien qu’à court de souffle sur certaines fins de phrases. Mais le personnage est là, tout entier dans sa morgue d’abord, avant que le doute ne s’installe ensuite face à la grandeur d’âme de son interlocutrice.
Après une pause dans la luxueuse palmeraie qui jouxte le château, où l’on peut se délecter (avec modération) des meilleurs rosés de la région dont les vignobles les plus réputés se trouvent dans les villages voisins de Cassin et Cogolin, c’est à un répertoire 100% américain que les deux stars lyriques convient le public très chic et international des Nuits du Château de la Moutte. Et c’est ainsi tous les tubes les plus célèbres des comédies musicales ou “Songs” américaines qui défilent les uns après les autres, entonnés en solo ou duo, tels …”Kiss me Kate” de Cole Porter, “Somewhere over the rainbow” (de Arlen) interprété en solo par l’excellent pianiste et accompagnateur qu’est le roumain Vlad Iftinca, ou encore le célébrissime duo extrait de “West Side Story” (quand bien même Hampson n’est pas ténor…), “Tonight”, les duos étant tout autant dansés que chantés. Et après le fameux “Summertime” de Gershwin, délivrée par une Nadine Sierra comme extatique, c’est avec un bis, le sublime duo « Heure exquise » extrait de La Veuve joyeuse de Franz Lehar, que se conclue la soirée – instant magique qui voit les deux interprètent se lancer dans une valse tourbillonnante (photo ci-dessus) sous un ciel illuminé d’étoiles… dont les yeux des spectateurs étaient à cet instant emplis aussi !
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CRITIQUE, festival. SAINT-TROPEZ, 49ème Festival des Nuits du Château de la Moutte, le 13 août 2024. Airs et Duos d’Opéras. Nadine SIERRA (soprano), Thomas HAMPSON (baryton), Vlad Iftinca (piano). Photos © Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Nadine Sierra chante l’air « E strano » dans La Traviata de Verdi