Après un récital de Roberto Alagna en soirée d’ouverture le 15 août (et un concert 100% Beethoven par l’Orchestre Consuelo et son chef Victor Julien-Laferrière, le lendemain), dans la Vallée de l’Alzou, le Festival de Rocamadour regagnait ses murs historiques de la Basilique Saint-Sauveur, petite merveille architecturale du XIIIe siècle, à mi-chemin du château qui la surplombe et de la ville médiévale en contrebas. Et en cette anniversaire du centenaire de la disparition de Gabriel Fauré, Emmeran Rollin a tenu à lui rendre hommage en faisant venir un des piliers du festival occitan, le violoniste star Renaud Capuçon, accompagné ici du fidèle pianiste Guillaume Bellom (nous les avions entendus en duo quatre jours plus tôt au Festival de Menton), auxquels se sont adjoints la (nouvelle) violoncelliste solo de l’Orchestre de Paris, Stéphanie Huang, et l’altiste Paul Zientera (ils ont enregistré ensemble un e-disque pour le label Deutsche Grammophon).
Nichés entre les deux énormes piliers qui soutiennent tout l’édifice roman (tandis que les quelque 450 spectateurs réunis les entourent à presque 360 degrés – et un second concert était ainsi prévu 2h après le premier pour répondre à la forte demande !…), ce sont Renaud Capuçon et Guillaume Bellom qui débute la soirée par une exécution de la transcription pour violon et piano d’En prière (1889), comme un hommage un lieu fréquenté depuis près de sept siècles par les pèlerins en route pour St Jacques de Compostelle ! Suit le Trio avec piano (1923) qui est l’un des derniers opus du maître ariégeois, mort un an plus tard. Élégance du violon, délicatesse du piano, noblesse du violoncelle, autant de qualités individuelles conjuguées au service d’une lecture forte, généreuse et expressive, d’autant que les trois artistes rendent ici pleinement justice aux subtilités, à la poésie et à l’évanescence dont ce morceau est empli.
Après le court solo que constitue le fameux “Après un rêve” (1878), interprété par la violoncelliste, tout en délicatesse et émotion, les quatre amis se rassemblent sous les majestueuses voûtes de Saint-Sauveur pour la pièce principale du concert: le Quatuor avec piano n°2 op. 45 (1886), beaucoup plus rare que le premier des deux quatuors de Fauré. D’emblée, les quatre musiciens parviennent à créer une véritable tension dramatique, palpable dans les deux premiers mouvements en particulier : Allegro molto moderato et Allegro molto. Les arpèges continus du piano nous installent dans une ambiance quelque peu angoissante, magnifiée cependant par de beaux élans lyriques. L’Adagio voit naître une prière envoûtante, secondée par quelques pizzicati parfaitement feutrés, qui succède au grave et répétitif motif d’un piano pour le moins sombre et menaçant. Les cordes jouent alors parfaitement l’éveil et gagnent progressivement en présence et en intensité. L’Allegro molto final résume la maestria déployée par les interprètes dans les mouvements précédents : un piano qui assume sa place centrale et autour duquel les cordes déroulent leur accords lyrique, quand elles ne se font pas discrètes… pour subitement pour laisser place à un déferlement pianistique. Techniquement très ardu, ce second Quatuor donne lieu à une démonstration de maîtrise et d’intelligence de la part des quatre amis qui fait tout le prix d’une soirée qui finit par un tonnerre d’applaudissements – non couronné d’un bis… le temps de pause étant ce soir restreint avant la seconde exécution du concert !
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CRITIQUE, festival. 19ème Festival de Rocamadour, Basilique Saint-Sauveur, le 17 août 2024. G. FAURE : Musique de chambre. Renaud Capuçon (violon), Paul Zientara (alto), Stéphanie Huang (violoncelle) & Guillaume Bellom (piano). Photos (c) François Le Guen.
VIDEO : Gautier Capuçon interprète « Après un rêve » de Gabriel Fauré