samedi 12 octobre 2024

CRITIQUE, danse. MONACO, Salle des Princes au Grimaldi Forum (du 20 au 23 décembre 2023). Jean-Christophe Maillot / Les Ballets de Monte-Carlo : L’Enfant et les Sortilèges / La Valse (Ravel).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Fidèle à sa haute tradition comme protecteur de la danse, le « Rocher » affiche une méga-production inspirée par des musiques de Maurice Ravel, dont son opéra écrit avec Colette : « L’Enfant et les sortilèges ». Plus engagés que jamais dans l’aventure, les Ballets de Monte-Carlo démontrent une réjouissante vitalité au Grimaldi Forum, avec pas moins de 240 artistes sur scène !

 

Une prouesse qui réussit l’équation délicate de la haute technicité et de l’onirisme et qui s’inscrit dans le cycle événementiel de l’année hommage au Prince Rainier III (dont on célébrait le centenaire de la naissance en 2023), lequel avait une affection particulière pour l’opéra de Ravel. Le choix de l’œuvre est d’autant plus légitime qu’elle fut créée in loco, en 1925, Salle Garnier. Pour sa reprise 2023 sur le « Rocher », mais dans une nouvelle parure chorégraphique, toutes les ressources locales sont impliquées, preuve éloquente d’une belle complémentarité monégasque : les Ballets de Monte-Carlo donc, l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo (ici dirigé par David Molard Soriano), les Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo, les solistes d’une Académie lyrique (créée pour l’occasion par Cecilia Bartoli) et le Chœur d’enfants de l’Académie de Musique.

 

Facétie & esthétisme
de Jean-Christophe Maillot

 

 

Garant de la cohésion générale, le chorégraphe Jean-Christophe Maillot, pilote avisé et scrupuleux qui réserve le plateau aux danseurs de sa compagnie désormais emblématique. Il a déjà abordé l’œuvre en 1992 – dans une première production au terme de laquelle il fut nommé directeur des Ballets de Monte-Carlo : un retour symbolique qui mêle nostalgie et défi. Déjà vues alors, ces grenouilles en papier mâché, affublées de lunettes de soleil et d’un chapeau japonisant, sont un clin d’œil qui souligne aussi cet esthétique volontiers amusée et facétieuse… celle d’un remarquable chorégraphe d’aujourd’hui qui a bien raison de partager ainsi son âme d’enfant, d’autant plus aiguisée, active, toujours féconde. La conception du spectacle est très accessible, pour un public très large ; il prend évidemment en compte les attentes pour la période des fêtes et s’adresse à tous pour un spectacle qui enchante les familles, néophytes tout autant que connaisseurs.

Dramatisme élégant de Balanchine… On notera d’abord, dans l’œuvre première présentée en couplage, une même exigence en termes d’élégance et de pertinence esthétique dans La Valse, chorégraphiée par Balanchine, d’après les Valses nobles et sentimentales du même Ravel ; cocktail détonant, à la fois nerveux et souple, riches en postures de grande classe, qui permet de (re)découvrir le style new-yorkais d’un Balanchine ultra-chic dont l’esprit aigu se pare d’élégance et d’insouciance… pour finir dans une transe habilement collective, un rien tendue voire angoissée ! Les poses travaillées sombrent bientôt dans une vision plus agitée où le déséquilibre menace et la mort s’expose en une conclusion purement fantastique.

 

« L’ENFANT » DE JEAN-CHRISTOPHE MAILLOT
Le clou de la soirée reste cependant ce (nouvel) Enfant et les sortilèges pour lequel tout en restant fidèle au ballet sur pointes, ose toutes les audaces gestuelles ; il nous régale de sa fantaisie en liberté. Une fantaisie claire et lumineuse qui garde toujours la cohérence de son récit. Narrateur hors pair, le chorégraphe dessine un Enfant rebelle et capricieux d’abord (Ashley Krauhaus) ; une énergie débraillée qui se transforme, confrontée alors au monde féerique et impressionnant, langoureux et mystérieux des animaux : chats en fête (déjantés même), libellule, oiseaux, sans omettre les fameuses grenouilles… et les tasses et théière animées… tous figures poétiques et drolatiques, vivifiées par les fabuleux costumes de l’inusable Jérôme Kaplan (d’autant mieux inspiré qu’il était déjà au travail en 1992) !

La tension se mesure aussi outre la jeunesse des danseurs sur le plateau à la présence d’un orchestre réel (et non pas une bande son pré-enregistrée). Comme nous l’avons vécu lors des Saisons de Thierry Malandain la semaine dernière à l’Opéra royal de Versailles (avec le fabuleux Orchestre de l’Opéra royal de Versailles sous la direction du percutant Stefan Plewniak), le Philharmonique de Monte-Carlo scintille de mille feux ce soir dans la fosse du vaste plateau de La Salle des Princes du Grimaldi Forum, tandis que l’Opéra de Monte-Carlo a distribué la troupe de jeunes voix dont notamment, dans le rôle-titre, la jeune soprano Mathilde Le Petit, double vocal de la danseuse Ashley Krauhaus qui lui donne corps et chair, élasticité et caractère, sur les planches.

Toute la chorégraphie est un captivant livre d’images d’une précision délectable qui suit dans la clarté l’action imaginée par Colette dans l’opéra : itinéraire d’un enfant esseulé, démuni, mais espiègle, agent du désordre et qui ne veux pas grandir… avant de rencontrer le regard de l’écureuil – et redevient sage. Miracle de la transformation qui passe certes par les chanteurs placés à cour et les instrumentistes en fosse, mais surtout par la succession des tableaux dansés, tous finement caractérisés par les solistes de la compagnie monégasque. Le regard de Jean-Claude Maillot questionne la verve de l’enfance, sa fantaisie parfois surréaliste et insolente dont chaque épisode réécrit, d’une précision millimétrée, exprime l’énergie presque sauvage, l’appel à la rêverie libératrice.

 

Photo : Grenouilles © Alice Blangero / Photo : chat noir et chat blanc © Hans Gerritsen

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Programme LA VALSE & L’ENFANT ET LES SORTILÈGES

LA VALSE | George BALANCHINE
 I Chorégraphie : George Balanchine | Musique : Maurice Ravel, Valses Nobles et Sentimentales (1911), La Valse (1920) | Costumes : Karinska | Décors : Jean Rosenthal | Lumières : Ronald Bates (production originale), Mark Stanley (production actuelle) | Ballet remonté par Patricia Neary | Première : 20 février 1951, New York City Ballet, City Center of Music and Drama | Durée : 30 mn

L’ENFANT ET LES SORTILÈGES | CRÉATION : Jean-Christophe MAILLOT – nouvelle production, création 2023. Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot | Musique : Maurice Ravel, L’Enfant et les Sortilèges (création à Monte-Carlo, 1925), livret de Colette | Assistant chorégraphe : Bernice Coppieters | Costumes et décors : Jérôme Kaplan | Lumières : Dominique Drillot | Vidéo : Loic Van der Heyden | Dessins originaux : Ines Reddah | Perruquier : Sky Flores | Première création : le 18 avril 1992 – Salle Garnier, Opéra de Monte-Carlo, nouvelle création, Salle des Princes, Grimaldi Forum | Durée : 45 mn

Avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (dir. David Molard Soriano), le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (dir. Stefano Visconti), les Académies lyriques de l’Opéra de Monte-Carlo, le Chœur d’enfants de l’Académie de Musique et Théâtre Rainier III.

Monaco – Grimaldi Forum – Salle des Princes – A l’affiche du 20 au 23 déc 2023 – https://www.balletsdemontecarlo.com/fr/saison-2023-2024/mc/balanchine-maillot

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PLUS D’INFOS directement sur le site des ballets de Monte Carlo :
https://www.balletsdemontecarlo.com/fr/saison-2023-2024/mc/balanchine-maillot

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