Voilà la confirmation d’un immense tempérament de la direction d’orchestre. Marzena Diatkun convainc par sa sûreté, son énergie, la puissance détaillée de sa baguette… Saluons ici outre l’ambition du programme, la somptueuse cohérence sonore, qui se révèle à la fois dense mais claire et transparente, soit un Brahms profond, ductile et lumineux, grâce à une baguette qui détaille et avance simultanément. D’autant que le choeur joue sur le même plan…
La cheffe Marzena Diakun éblouit par sa maîtrise et la hauteur du geste, sachant tout exploitant et obtenir des effectifs madrilènes : choeur et orchestre Comunidad de Madrid (dont elle est directrice principale depuis 2021). En deux années, le résultat est là : densité, expressivité, détails. Dès le premier morceau (Schicksalslied d’après Hölderlin opus 54), on est saisi par la fusion articulée du choeur et de l’orchestre roulements de timbales à l’appui en une scansion majestueuse et comme enivrée, pour une vibration ample et sereine, exprimant la force souterraine d’une partition colossale ; tout s’accomplit dans cette opulence sonore à la fois détaillée et dense, qui se referme comme la page souple d’un conte féerique qui garde tout son mystère…
Les 6 Valses Chants d’amour opus 52 que l’on connait pour voix seules et piano, dans cette version chorale ne perdent ni entrain, ni relief voire piquant émotionnels, ce malgré l’épaisseur et la densité de l’effectif. Le cycle achevé à Lichtental (près de Baden Baden en 1869) concentre la complexité des sentiments de Johannes pour Clara Schumann, et pour la fille de cette dernière, Julie.
La Rhapsodie pour alto, chœur et orchestre (opus 53) marque l’amertume voire la rage de Brahms en apprenant que cette même Julie lui préféra… un comte italien ; la pièce qui passe du désespoir (toujours noble) au renoncement qui vaut acceptation, convainc par sa profondeur et la soie somptueuse de la réalisation avec en soliste le mezzo corsé, cuivré au timbre lui aussi charnel et vibrant d’Agnieszka Rehlis (s’il n’était son vibrato quand même trop systématique).
Marzena Diakun souligne la profonde douceur d’un Brahms surtout fraternel et aimant, dont la noirceur s’exprime avec une noblesse supérieure et s’achève dans un optimisme indéfectible « comme un arc en ciel » (selon les mots de son mentor Robert Schumann, si convaincu comme Ravel, par la musique de son cadet).
Dès l’ample pièce chorale et symphonique opus 54 d’après Hölderlin qui ouvre le programme, l’acuité de l’activité, la sensualité de la pâte sonore, l’équilibre de l’image globale et la recherche constante de transparence s’affirment, révélant dans le tourment du texte choisi, la lumière comme la force de l’espoir : les vertiges angoissés de la condition humaine tels qu’évoqués par Hölderlin s’y consolent des visions célestes, celle des « esprits bénis » qu’aucune incertitude ne vient troubler. La musique (les cordes surtout) parle de cette promesse à venir, faite rémission (la conclusion purement orchestrale est dans ce sens remarquable).
Même plénitude comme aéré dans l’intérieur dans les 4 Chants pour voix de femmes (avec harpe et 2 cors opus 17) que Brahms dédia à l’ensemble féminin qu’il créa et dirigea à Hambourg. Le travail plus épuré, sobre se concentre sur la précision du texte. Ce qui ne dément pas l’éclat à la fois percussif et mélodique de la harpe céleste.
D’une façon générale, la cheffe mesure les enjeux poétiques qui partagent tous une grande force imaginaire : Ruperti, Goethe, Hölderlin, le chant de l’orchestre comme l’implication du choeur, s’inscrivent dans cette puissance qui est aussi ivresse.
La conclusion (Chant des parques opus 89) affirment davantage la haute inspiration de Brahms quand il choisit et met en musique Goethe – déflagration tragique mais lueurs inespérée : la force des images orchestrales là encore semblent illuminer le texte goethéen qui oppose le destin des dieux immortels et la misère humaine. Les hommes sont-ils abandonnés ? Pas vraiment, car le musicien leur tend la main. Malgré les roulements de timbales, la scansion douloureuse de l’orchestre et la marche affligée, l’humanité se relève (dans la fameuse 5è strophe dont le mode majeur dit l’extrême dignité).
Les 6 séquences de ce disque captivant confirment la sensibilité grande classe de la maestra qui réussit cette équation rare de la gravité et de la transparence. Une approche qui se révèle plus que convaincante pour l’imaginaire amoureux et profond d’un Brahms hype romantique, noble et tragique à la fois, classique et passionnel. Autant de nuances que semble parfaitement comprendre et mesurer la cheffe polonaise. Son Brahms a la carrure, l’étoffe, le sentiment surtout : chœur et orchestre s’accordent, fusionnent, dialoguent révélant chez le génie révélé par Robert et Clara Schumann, cette puissance de feu à la fois beethovénienne et wagnérienne. Son travail orchestral avec les instrumentistes madrilènes se révèle affûté, précis, nuancé. Remarquable vision d’une cheffe à suivre désormais. Force et espérance… le combat qui en résulte se réalise avec un sens des nuances supérieur. Le cd dévoile en Marzena Diakun un tempérament brahmsien, passionnant. Sa justesse dévoile cette bonté dont il est question dans le livret et qui rapproche définitivement Brahms le tumultueux passionné, de la fraternité de Beethoven.
_______________________________
CD événement, annonce. BRAHMS : Orchestral & vocal works. Orquesta y Coro Comunidad de Madrid – Marzena Diatkun, direction (1 cd IBS classical – enregistré en juin 2023) – CLIC de CLASSIQUENEWS hiver 2023. Critique complète à venir sur classiquenews.
En savoir plus : consultez le site de la cheffe Marzena Diatkun : https://www.diakun.com/fr/biographie
Lien direct vers le site de l’éditeur IBS classical : https://ibsclassical.es/product/brahms-orcam-diakun/