CRITIQUE, Théâtre (musical). PARIS, Théâtre de Montparnasse, le 23 décembre 2023. « Le Pianiste aux 50 doigts » de / avec PASCAL AMOYEL (piano)

Pour fêter les 30 ans de la disparition du grand pianiste hongrois György Cziffra, Pascal Amoyel reprend avec grand succès le spectacle qu’il avait créé il y a dix ans. Le pianiste français, qui a rencontré le maître à l’âge de 12 ans – et avec qui il a travaillé durant huit années -, retrace la vie de ce musicien hors pair, parsemée de misère, de temps de guerre, et de péripéties inimaginables, mais aussi de gloire.

Pascal Amoyel arrive dans sa loge. Il vérifie quelques points techniques, se réchauffe les doigts. Une annonce interne fait savoir qu’il a un récital à donner dans un peu plus d’une heure. En prenant une partition, un papier tombe. C’était une note de la concierge de son ancien immeuble, rue Ampère. Ce petit billet le plonge dans un souvenir lointain mais qui l’a marqué à jamais : « Un jour, alors que je faisais mes gammes, la gardienne de mon immeuble vint frapper à la porte pour m’annoncer fièrement que le grand pianiste Georges Cziffra avait habité le même appartement quelques mois auparavant » s’exprime t’il… « Tu vois, c’est peut-être ton destin » lui dit-elle !

C’est ainsi que commence son histoire avec György Cziffra. Amoyel joue son propre rôle mais aussi celui de son professeur illustre, avec un accent de l’Europe centrale. La Rhapsodie hongroise n° 2 de Liszt est le fil conducteur du récit. Entre deux extraits de celui-ci, on entend entre autres les œuvres de Bartók, de Bach, du Jazz et du ragtime. Parmi elles, La Danse du sabre d’Aram Khatchatourian, dans un arrangement extrêmement virtuose, fait office d’un des clous pianistiques du spectacle, dont une exécution spectaculaire dans le noir évoque l’ « audition » de Cziffra pour devenir un pianiste de bar au temps de la Deuxième guerre mondiale. Et pour montrer le talent d’improvisateur du Hongrois, des « variations » se succèdent sur le thème de Joyeux anniversaire, à la manière de Johann Strauss (valse viennoise), de Mozart, de Beethoven (Bagatelle), de Debussy (gamme par ton), de Rachmaninov, ou encore de Schœnberg. Amoyel est impressionnant dans l’art de passer immédiatement d’un style à un autre, et ce, tout en jouant plusieurs personnages, Cziffra et lui-même, mais aussi la gardienne de l’immeuble, des officiers allemands ou russes, un directeur de café… sans oublier le récit.

Tout au long du spectacle, Pascal Amoyel transforme le piano en objet de bruitage, à l’aide de baguettes, de balais (de batteries), de marteau à tête de caoutchouc, de différents objets insérés entre les cordes, et ce, en pinçant directement celles-ci, en tapant sur la caisse de résonance ou sur le cadre… Respectueux de l’instrument, il se vêtit de gants lorsqu’il doit manipuler les cordes. Ainsi, on entend des sons semblables à ceux de psaltérion. Une fois, il joue même de la scie musicale, le seul instrument en dehors du piano ! Autant dire qu’on ne s’ennuie jamais musicalement, tout s’enchaîne sans aucun temps mort, dans un équilibre parfait entre les moments d’agitation et de calme.

À quelques reprises, une voix d’homme, celle du début, annonce le temps restant de la répétition et l’entrée sur scène. Des va-et-vient comme dans un film, entre le souvenir du passé et l’action du présent. À la fin du spectacle, cette voix invite l’artiste à se présenter sur scène. Pascal Amoyel salut le public, joue en entier la Rhapsodie hongroise n° 2 de Liszt sur un piano qui sonne de manière particulièrement ample… et c’est un véritable triomphe ! Pour lui-même – mais aussi et surtout pour Georges Cziffra.