C’est à une soirée presque 100 % russe – tant dans le choix des oeuvres que des interprètes – que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg conviait son fidèle public (la salle Erasme était de fait quasi pleine). Une soirée qui débute avec le 3ème Concerto pour piano de Sergueï Rachmaninov interprété par la pianiste russe Anna Vinnitskaya (né en 1983), connue pour avoir remporté le fameux Concours Reine Elisabeth à l’âge de 24 ans, et qui est accompagnée ici par son compatriote Andrey Boreyko à la baguette.
Rachmaninov, comme bien de ses contemporains encore enlisé dans le romantisme, regarde toujours vers l’opéra, avec une ligne mélodique soutenue qui prend le temps de s’épanouir. Mais avec ces deux-là, la pulsation est bousculée, les mouvements alternent à un rythme échevelé, la grande cavalerie est lâchée. Orchestralement les sonorités restent belles, grâce à un OPS irréprochable, mais le piano de Mme Vinnitskaya fait plus que suivre le mouvement, le précipitant parfois et même martelant son modération son instrument et avec une virtuosité pour le moins ostentatoire. Cela reste quelque peu de la poudre aux yeux de pyrotechnie musicale, et très rares sont les moments où les interprètes ne prennent le temps de respirer pour faire chanter cette musique, si ce n’est dans les mouvements lents. Par bonheur, elle “se rattrappe” dans deux bis qui permettent à l’artiste de montrer qu’elle possède aussi de la sensibilité, notamment avec un très beau Chopin.
En seconde partie de soirée, la musique reprend sa place avec d’abord une exécution du rare Scherzo fantastique de Josef Suk, composée en 1903, et dont les grandes envolées expressives et les excès d’emphase, collent bien au tempérament du chef, de même qu’ils sont parfaitement rendus par la phalange alsacienne. Et c’est avec l’un des grands ballets, le premier de la trilogie russe, L’Oiseau de Feu d’Igor Stravinsky – présenté ici dans la suite de 1945 -, que s’achève la soirée. Supérieure à celle de 1919 – car plus longue et mieux construite -, la Suite de 1945 bénéficie déjà de l’orchestration plus chambriste de la précédente par rapport au ballet initial et à la Suite de 1910. Elle s’adapte alors parfaitement à l’OPS, et se voit traitée par le chef russe d’un geste toujours précis en même temps que très attentif. L’Introduction tout en gravité se déploie vers la Danse, où l’on profite d’un superbe pupitre de bois, comme encore au Pas de Deux, langoureux à l’instar du Rondo ensuite, tandis que le Scherzo entre les deux apporte plus de dynamique, encore accrue avec une Danse infernale renversante par la franchise des attaques de la formation alsacienne. La Berceuse (Lullaby) apaise le climat et recrée l’atmosphère contemplative et évanescente déjà superbement traitée préalablement, portée de manière toujours concentrée par Boreybo jusqu’à l’arrivée du somptueux Finale.
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CRITIQUE, concert. STRASBOURG, Salle Erasme, le 19 janvier 2023. RACHMANINOV / SUK / STRAVINSKY. A. Vinnitskaya (piano) / Andrey Boreyko (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Anna Vinnitskaya interprète le Concerto pour piano N°3 de Sergueï Rachmaninov à la Philharmonie de Dresde (2018)