L’Orchestre philharmonique de Vienne est de retour au Théâtre des Champs-Élysées dans un programme romantique qui réunit le Second Concerto pour piano de Johannes Brahms et la Huitième Symphonie d’Antonin Dvorak, avec le pianiste virtuose Igor Levit et le fabuleux Jakub Hrusa à la direction musicale. Un magnifique concert au candeur singulier, qui est aussi une célébration des trente ans de résidence de l’orchestre au Théâtre des Champs-Élysées !
Singularités romantiques
Le concert s’ouvre avec le Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur de Brahms, composé 20 ans après son premier et qui fut, à la différence de celui-là, très bien reçu dès sa création. Il est moins exubérant que le premier, plus équilibré, avec une plus grande réserve émotionnelle et une plus grande maîtrise de l’orchestration, impressionnant par le dialogue entre l’orchestre et le piano solo. L’opus en quatre mouvements commence par un Allegro non troppo avec un solo du cor à la beauté édifiante auquel le pianiste répond de façon confiante et virtuose, sans être pompier. Au contraire, Igor Levit propose une interprétation d’une grande propreté, presque timide au début du mouvement, avec une expressivité musicale et même corporelle progressivement grandissantes. Un contraste tout à fait saisissant face au son brillant de l’orchestre, avec ses cordes à l’attaque pleine de brio.
L’Allegro Appassionato qui suit est un scherzo agité où l’on peut apprécier davantage le dialogue tout à fait intense mais équilibré entre le piano et les groupes d’instruments, dirigés avec élégance et précision par le superbe maestro. Ici le formidable pianiste est tout simplement prodigieux, apportant une touche dansante à la robustesse presque néo-baroque de la partition, notamment dans le trio central du mouvement. Le troisième est un Andante très intérieur, où le violoncelle a un rôle important, voire prépondérant. Il chante une sorte de cantilène d’une beauté paisible qui apaise et qui inspire. De façon tout à fait surprenante, inattendue même, Igor Levit participe au dialogue musical non par l’effacement comme certains pianistes peuvent le faire parfois, mais avec des arpèges et des trilles sublimes, tout simplement ; une sensibilité, une musicalité et une tendresse non pas timides mais affirmées. L’œuvre se termine par un Allegretto grazioso aux rythmes hongrois : une apothéose ardente dansante et gaie. Igor Levit y propose une conclusion ravissante et délicieusement espiègle, ce qui s’accorde merveilleusement à la forme du mouvement. Le formidable pianiste, baigné d’applaudissements et de bravos entièrement mérités, offre en bis l’Adagio cantabile de la Sonate Pathétique de Beethoven : un cadeau d’un lyrisme merveilleux, dont la candeur et l’émotion suscitent des frissons.
Après l’entracte l’Orchestre philharmonique de Vienne clôt le concert avec la très originale et joyeuse 8e Symphonie de Dvorak, en sol. Un opus d’une richesse mélodique habitée d’un esprit tout à fait tchèque d’allégresse dansante et légère, avec une orchestration innovante notamment dans l’usage des vents. À l’Allegro con brio initial, vaillamment interprété par l’ensemble, suit un Adagio surprenant, avec des timbales, des cuivres et des vents appelant à la danse plus qu’à la guerre, sans être pourtant dépourvus d’une certaine gravité. Ensuite, un Allegretto grazioso en forme de valse charmante qui se métamorphose progressivement en une sorte de danse bohémienne enchanteresse. Le dynamisme de la direction de Jakub Hrusa est tout à fait splendide ; la bonne entente et la cohésion entre le chef et l’orchestre sont évidentes, et cela s’exprime, entre autres, par l’exécution virtuose et magistrale de la partition redoutable. L’Allegro ma non troppo final, de facture quelque peu beethovenienne est une série de variations turbulentes, au parfum tchèque indéniable d’une gaîté joviale, solaire, populaire.
Toutes nos félicitations à tous les artistes pour ce concert fantastique, heureux mélange de fougue et d’élégance, de virtuosité et de panache !
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Critique, concert. Paris. Théâtre des Champs-Élysées, le 14 septembre 2023. Igor Levit, piano. Orchestre philharmonique de Vienne. Jakub Hrusa, direction. Photos (c) Cyprien Tollet / TCE
La sortie du nouvel album d’Igor Levit chez Sony Classical, « Fantasia », est prévue le 29 septembre 2023. Il sera de retour au Théâtre des Champs-Élysées pour un récital unique le 29 février 2024.
VIDEO : Igor Levit interprète le Premier Concerto pour piano de Johannes Brahms