lundi 10 février 2025

AVIGNON, Opéra Grand Avignon. RUSALKA : les 13 et 15 octobre 2023 (Clarac & Deloeuil / Benjamin Pionnier)

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Voici un portrait de femme attachante et profonde, loyale, jusqu’au sacrifice ultime : Rusalka. Sommet de l’opéra tchèque, – à ce titre manifeste le plus éclatant d’une conscience nationale et culturelle tchèque, la fable féerique de Dvorak, Russalka est bien connue grâce entre autres à l’un de ses tableaux d’une irrésistible magie : l’invocation à la lune (acte I, où l’héroïne, – une nymphe animale avoue son dessein mortel à l’astre ami). L’avant dernier opéra de Dvorak, composé en 1900, créé en 1901, est quasi contemporain de Jenufa (1903), d’un Janacek, davantage inscrit dans une modernité qui ne cache plus son visage.

L’amour se réalise dans les eaux de mort
… Rusalka qui baigne dans le folklore traditionnel (alors qu’au départ Dvorak adapte une légende venue de l’Europe occidentale, empruntée à La petite sirène, à l’Ondine de La Motte-Fouqué et la Cloche engloutie de Hauptmann-, réinventant aussi le fonds des légendes nationales), serait-il le dernier opéra romantique signé Dvorak ? Wagnérien, le compositeur sait aussi s’inspirer de la vibration délicate impressionniste qui confère à son orchestration un parfum et des allures … debussystes. La liquidité de la partition s’approche de la fine texture océane de Pelléas. De son ambiguité aussi : à la fois miroitante et fascinante jusqu’à l’hypnose, mais aussi absorbante et mystérieuse, celle qui engloutit pour anéantir.

Sans écarter l’onirisme ni le mystère du mythe primordial, la mise en scène de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil déplace la tragédie de la jeune ondine « dans un bassin de nage plus contemporain, celui des piscines olympiques ». Belle occurrence dans la perspective des JO 2024. Mais à travers le parcours de l’ondine, sont dévoilés et le regard du jeune homme vis à vis d’une nouvel érotisme qui d’abord l’inquiète et le fascine ; et la part sacrificielle qui oblige toute jeune femme à renoncer si elle « vivre » selon sa volonté. La beauté de l’action, qui la rend supportable, est restituée dans la fin, où Dvorak imagine les deux âmes contraintes, enfin réunis dans un dernier vertige aquatique et sombre. Nouvelle production.

 

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DVORAK : RUSALKA, nouvelle production
AVIGNON, Opéra Grand Avignon
Vendredi 13 octobre 2023 à 20h
Dimanche 15 octobre 2023 à 14h30
Durée : 3h

Réservez vos places directement sur le site d’Opéra Grand Avignon :
https://www.operagrandavignon.fr/rusalka

Conte lyrique en trois actes. Livret de Jaroslav Kvapil d’après Friedrich de la Motte-Fouqué et Hans Christian Andersen. Créé le 31 mars 1901 au Théâtre national de Prague. Chanté en tchèque et surtitré en français

 

Distribution

Direction musicale : Benjamin Pionnier
Mise en scène, costumes et scénographie :
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil

Le Prince : Misha Didyk
La Princesse étrangère : Irina Stopina
Rusalka : Ani Yorentz Sargsyan
L’Esprit du lac : Wojtek Smilek
Ježibaba : Cornelia Oncioiu
Le garçon de cuisine : Clémence Poussin
Première nymphe : Mathilde Lemaire
Deuxième nymphe : Marie Kalinine
Troisième nymphe : Marie Karall
Le garde forestier / La voix d’un chasseur : Fabrice Alibert

Choeur et Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre national Avignon-Provence

 

 

RUSALKA de DVORAK – quelques clés pour comprendre

Le monde létal des eaux fatales… Dvorak le cartésien solide s’immerge dans le surnaturel fantastique et glissant de Rusalka, légende des eaux inquiétantes. Avec l’échec de Rusalka, âme amoureuse qui n’empêche pas la catastrophe malgré sa sincérité désarmante, s’écroule aussi tout un monde. L’onde est une épreuve, un miroir qui force l’âme à contempler sa propre vérité : pas toujours digne d’être comprise. Les eaux de Rusalka portent en elle la mort d’un cycle à l’agonie (comme le monde de Pelléas, déjà malade et rongée). Cette couleur mortifère est l’une des rares explorations de Dvorak dans le monde létal des eaux fatales.
Le librettiste parnassien Jaroslav Kvapil fournit à Dvorak la matière littéraire du mythe. Aux côtés de l’ondine trahie, se précise surtout l’esprit du lac, être habitant des eaux, qui aime collectionner les âmes des noyés qu’il précipite dans l’abime liquide : à la fin de l’action, les deux amants s’enfonceront dans l’encre de son royaume souverain.
Une manière de renouveler l’imagerie du mythe des amants unis dans la mort : Tristan et Yseult, que Wagner avait idéalement inscrit dans la royaume de la nuit (acte II).

LE GÉNIE DES EAUX, esprit de la musique de Dvorak. Dvorak a précédemment traité musicalement la figure de cet être à la fois maléfique et fraternel (poème symphonique intitulé : Vodnik, c’est à dire l’ondin). Dans Rusalka, l’ondin est une sorte de père affectueux et réconfortant pour la pauvre nymphe des eaux. Face à celle qui veut être mortelle pour aimer, être aimée (et surtout être trahie), le vieux philosophe ne peut rien empêcher. Vivre comme les hommes, c’est souffrir.
Voilà donc notre ondine prête à prendre corps et âme mortels, mais pour réussir pleinement sa mutation, elle doit se faire aimer d’un mortel, d’un amour total. Or avant de gagner cet amour, la créature transitoire ne peut parler qu’après l’énoncé du serment définitif : celui par lequel l’homme séduit déclare sa flamme totale. Mais quand les amants se retrouvent, le prince bien qu’attiré trouve étrange ce corps froid et liquide qui ne parle pas. Il prend peur face à cette célébration du lac dont les eaux noires et profondes le menacent d’engloutissement. Il ne prononce pas l’aveu libératoire. Et enchaîne la pauvre nymphe а son destin maudit.
Ainsi l’acte III brosse le portrait d’une Rusalka abandonnée perdue, au plus sombre des sentiments : une immersion dans les eaux de la mort qui égale le Wagner de Tristan (magie vaporeuse et irréelle de l’acte II avec le duo fameux de Tristan et Isolde). Et quand le prince se détourne d’elle pour une belle étrangère, Rusalka semble perdue entre le monde terrestre et aquatique. C’est alors que le prince se baigne à nouveau dans les eaux de leur rencontre et l’embrasse malgré sa peur primordiale : les deux êtres qui s’étaient condamnés sans le savoir, se retrouvent enfin : ils s’abоment dans les profondeurs d’un espace inconnu. Et leur amour fusionnel s’inscrit dans l’éternité de la mort.

 

 

 

Rusalka est la première production lyrique de la nouvelle saison 2023 2024 de l’Opéra Grand Avignon – LIRE ici notre présentation de la nouvelle saison 2023 2024 de l’Opéra Grand Avignon : https://www.classiquenews.com/opera-grand-avignon-nouvelle-saison-2023-2024-presentation-et-temps-forts/

 

OPÉRA GRAND AVIGNON, nouvelle saison 2023 – 2024 – Présentation et temps forts

 

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