On attendait beaucoup de ce premier concert illustrant en 2023 l’engagement écologique du premier festival estival en Suisse, le GSTAAD MENUHIN FESTIVAL.
En choisissant comme interprète majeure de sa thématique verte, la violoniste Patricia Kopatchinskaja, Christoph Müller, directeur artistique du Festival, ne s’est pas trompé. D’autant que l’artiste reviendra à nouveau en 2024 puis 2025 pour y présenter 3 nouveaux programmes de son cru (selon le thème générique respectivement de « transformation » et de « migration »).
Pour l’heure, l’été 2023 à Gstaad est celui de « l’humilité ». Face à la Nature, à sa destruction annoncée, – face à la souffrance animale produite par la déforestation, les incendies, les inondations innombrables, partout dans le monde, l’obligation d’agir est au cœur de la soirée. Patricia Kopatchinskaja défend une approche très engagée, voire militante qui redéfinit les modalités et le sens du spectacle. Une refonte d’autant plus surprenante que le lieu et le Festival n’avaient pas jusque là témoigné avec une telle détermination sa prise de conscience écologique.
Music for the Planet
Face au dérèglement climatique
à la Nature et au Vivant martyrisés,
Patricia Kopatchinskaja exorte à agir
Sous la tente de Gstaad, une immense banquise (ou l’évocation d’un glacier) en voile de satin est suspendu au dessus des instrumentistes qui jouent tous debout, certains, comme Patricia, pieds nus. De chaque côté, à cour et à jardin, des écrans crachent des flashs infos,… images terrifiantes de fin du monde : incendies, ouragans, tsunamis, tempêtes, dérèglements et destructions systématiques, … Patricia Kopatchinskaja exhorte l’audience à prendre la mesure de cet apocalypse qui nous concerne.
En intitulant d’ailleurs le cycle inauguré par ce premier concert « Music for the Planet », Christoph Müller souligne combien le GSTAAD MENUHIN FESTIVAL s’inscrit idéalement dans la continuité de sa propre histoire car dès la création, son fondateur Yehudi Menuhin soulignait l’importance à préserver la Nature, l’eau, les paysages… notre bien commun, à tous. Cet ancrage n’a donc rien d’une lubie opportuniste ; elle prend racine dans l’engagement de son fondateur légendaire.
Voilà qui recentre les enjeux d’un festival estival. Qui plus est dans un lieu de villégiature plus réputé pour ses excès bling bling que sa conscience écologique.
Sur scène, dans une interprétation nerveuse et vivace de la Symphonie n°6 dite « Pastorale » (extraits), les musiciens renouvellent une vision exaltée, détaillée d’un Beethoven tout aussi habité que les musiciens ; cordes, cuivres, bois et vents interpellent et dénoncent la souffrance animale.
Au-dessus des musiciens, sur la voile encore suspendue, défilent les espèces déjà mortes ou en voie d’extinction ; c’est un bestiaire déconcertant d’une beauté effrayante qui impose un temps de clairvoyance et de réflexion. Sur la marche funèbre (Marcia funebre) de la Symphonie Eroica n°3, s’exposent ainsi les victimes d’un cataclysme général.
Peu à peu, le geste se fait plus intimiste et recueilli ; après ce Beethoven qui tout en déplorant les animaux morts, évoque une harmonie pastorale, arcadienne à jamais perdue, Patricia Kopatchinskaja troque son violon pour le piano et joue la pièce que Robert Schumann joua avant sa tentative de suicide dans le Rhin (thème des «Geistervariationen» pour piano seul en mi bémol majeur WoO24) ; les instrumentistes se regroupent autour d’elle, formant un cortège de pleureurs silencieux.
Enfin la Passacaglia du Concerto n°1 en la mineur de Chostakovtich récapitule et synthétise toutes les tensions éprouvées depuis le début du programme ; chant de désolation et aussi prière à soi-même dont le principe de répétition obsessionnelle atteint le délire le plus tendu, le violon solo s’emporte dans un monologue panique au bord de la rupture.
On croit alors que tout nous a été dit ; surgit du fond de la salle, la plainte viscérale, ce râle sorti d’outre-tombe qui exprime l’agonie du vivant. C’est une immense trompe qui projette, caverneux, sépulcral, un son déchirant ; la plainte plane au-dessus des spectateurs, seule, prodigieuse ; elle exhorte une dernière fois chacun à s’interroger sur ce qu’il peut faire maintenant et ici, face au cataclysme actuel.
Voilà qui est représenté et assumé : le Gstaad Menuhin Festival amorce un nouveau cycle de son histoire, pourtant fidèle aux déclaration de son fondateur Yehudi Menuhin en 1957.
Un premier bilan carbone a fixé à l’été 2022, la situation actuelle : le Festival ambitionne la durabilité et cible la neutralité carbone au plus vite – au plus tard d’ici la fin de son cycle « Change / Changement », d’ici l’été 2025, privilégiant les transports d’artistes en train plutôt qu’en avion (entre autres choix de fonctionnement). Le cycle « Music for the planet » inaugure ainsi un nouveau type de spectacles engagés et pluridisciplinaires dont la force poétique sait aussi sensibiliser sur l’urgence climatique. Gageons que d’autres soirées aussi stimulantes voient le jour au GSTAAD MENUHIN FESTIVAL.
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CRITIQUE, concert. GSTAAD MENUHIN FESTIVAL, le 5 août 2023. Les Adieux / Patricia Kopatchinskaja : Beethoven, Schumann, Chostakovitch… Music for the Planet I – Photos : © Rafaël faux / Gstaad Menuhin Festival 2023
AGENDA
Autres rendez-vous avec Patricia Kopatchinskaja, le 10 août (mélodrame « Sedna »), puis le 20 août (Les 7 dernières Paroles du Christ en croix de Joseph Haydn)… Plus d’infos et présentation du cycle Music for the Planet ici : https://www.classiquenews.com/gstaad-menuhin-festival-music-for-the-planet-patricia-kopatchinskaya-510-20-aout-2023/
LIRE aussi notre présentation du GSTAAD MENUHIN FESTIVAL 2023, jusqu’au 2 sept 2023 : édition 2023 très engagée / réenchanter pour interpeler :
LIRE aussi notre dépêche GSTAAD MENUHIN FESTIVAL : visionnaire et exemplaire, le 67ème Festival Yehudi Menuhin à GSTAAD : https://www.classiquenews.com/engagement-ecologique-visionnaire-exemplaire-le-67e-gstaad-menuhin-festival-academy-14-juil-2-sept-2023/
LIVE STREAMING sur la plateforme GSTAAD DIGITAL FESTIVAL :
Suivez en direct les instants forts de l’édition 2023 du GSTAAD MENUHIN FESTIVAL, outre les les concerts des « jeunes étoiles » (chaque samedi depuis la chapelle de Gstaad), la salle numérique du Festival propose de nombreuses captations en direct (live streamings) en liaison avec ses activités et événements musiicaux. A VENIR sur la salle numérique GSTAAD DIGITAL FESTIVAL :
Académie de direction d’orchestre
Le Festival est le seul festival européen à proposer une académie de direction d’orchestre chaque été, avec la possibilité pour chacun(e) des jeunes chefs/ffes, de diriger l’orchestre du Festival (Gstaad Festival Orchestra / GFO)…
Le 16 août 2023, 19h30 – session de travail I
Le 17 août 2023, 19h30 – session de travail II
Le 18 août 2023, 19h30 : Concert publique et remise du prix Neeme Järvi distinguant le/la meilleur(e) maestro/a…
https://www.gstaaddigitalfestival.ch/video-category/livestreams/
PLUS D’INFOS :
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