vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, concert. DEAUVILLE, 37ème Festival de Pâques de Deauville, le 7 mai 2023. Récital « Mon amant de Saint-Jean ». Stéphanie d’Oustrac, Le Poème Harmonique / Vincent Dumestre.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

 

 

Après avoir tourné un peu partout (à l’Opéra de Rouen ou à celui de Toulon, entre autres…), c’est en clôture du 37ème Festival de Pâques de Deauville que le spectacle lyrique (« spectacle » car mis en espace) « Mon Amant de Saint-Jean » avec Stéphanie d’Oustrac – accompagnée par le fidèle Vincent Dumestre à la tête de son ensemble Le Poème harmonique (une semaine après les avoir entendus, ensemble, dans « Armide » de Lully à l’Opéra de Dijon / notre critique du 29 avril 2023) – posait ses valises.

Plutôt dévolu à la musique de chambre (nous y reviendrons plus loin), la voix a néanmoins toujours droit de cité dans la ville balnéaire normande, et ce 8ème et dernier concert du Festival (qui s’est tenu du 22 avril au 7 mai 2023) en est la preuve. Quoi de plus naturel pour l’ensemble rouennais (fondé en 1998 par Vincent Dumestre), Le Poème Harmonique, que de se produire dans la ville voisine de Deauville, d’autant qu’il est en résidence en tant qu’artiste associé à la fondation Singer-Polignac qui est partenaire du festival normand, tandis que la mezzo française est originaire de la non éloignée Bretagne.

 

Présentant le concert, comme à son habitude, l’infatigable directeur artistique, Yves Petit de Voize, annonce avec sa faconde habituelle également un « spectacle donné sans entracte » avec des « airs et chansons de Marin Marais à Edith Piaf », tandis que Vincent Dumestre, en propos d’après concert, explicitera que ce spectacle mêlant airs de l’époque baroque (Marais, Cavalli, Monteverdi, etc.) et refrains du Paris de la première moitié du XXème siècle (Marinier, Cachan, Carrara) se veut un hommage à l’Ethnomusicologie apparu au début du XXe siècle, époque où l’on a redécouvert aussi la musique baroque (et donc bien avant les années 60/70, comme il se plaît à le souligner…).

Connue pour ses talents de tragédiennes, Stéphanie d’Oustrac ne pouvait se contenter de délivrer tous ces airs et chansons si diverses sans les unifier par son jeu de scène et une histoire qui permet de les relier ; ici celle de la vie amoureuse d’une femme qui en connaît les joies puis les désillusions, et c’est un portait intense et passionné de femme en proie aux affres du sentiment amoureux qu’elle offre, troquant à un moment les oripeaux XVIIème d’une superbe robe cousue de fils d’or à une élégante salopette rouge (très « titi-parisien »).
Débutée par ses « petits canards » (c’est comme ça qu’elle appelle ses camarades musiciens, une dizaine d’instrumentistes issus du Poème Harmonique, auxquels s’ajoute ici l’accordéoniste Vincent Lhermet), la soirée s’ouvre sur le Prélude et Passacaille en mi mineur » (1701) de Marin Marais, pour déboucher sans heurts et sans rupture de ton, sur la chanson de George Martine et Ted Grouya « J’ai perdu ma jeunesse ». Deux chansons populaires plus tard, c’est le sublime « Lamento d’Arianna » de Claudio Monteverdi puis une aria extraite de L’Egisto de Francesco Cavalli dont elle délivre chaque couplet par une agilité introductive, puis une expression alanguie et enfin douloureuse avec des ornementations de plus en plus affirmées, avec une expression dramatique et humaine à fleur de peau.

L’accordéon remplace ensuite la basse continue, jetant un pont entre les époques et les genres, pour accompagner la mezzo dans diverses chansons du début de siècle dernier (« D’Elle et Lui », « Les petits pavés », « Où sont tous mes amants » etc…) pour aboutir à la très irrévérencieuse et coquine « Les Nuits d’une demoiselle » immortalisée par Colette Renard, et dans laquelle la chanteuse bretonne imite la gouaille toute parisienne de sa célèbre devancière.

 

 

 

 

On sourit tout autant avec les nombreux yodels dont est émaillé les drolatiques « Canards tyroliens », que précède la chanson qui donne son titre au spectacle de ce soir, les fameux « Amants de Saint-Jean », immortalisés cette fois par Lucienne Delyle et Fréhel, auxquelles d’Oustrac rend hommage, avec comme accompagnement l’étourdissant accordéon de Vincent Lhemret, secondé par le théorbe de Vincent Dumestre, utilisé ici comme une guitare ! Et c’est avec un bis d’une chanson de Marie Dubas (l’inénarrable « Tango stupéfiant ») que se clôt la soirée, au milieu d’un public clairsemé mais particulièrement enthousiaste !

 

Un mot sur le concert de musique de chambre entendu la veille (6 mai 2023), qui réunissait 8 instrumentistes de grand talent (dont Pierre Fouchenneret au premier violon et Lise Berthaud à l’alto) pour une exécution (notamment) de l’ample et lumineux « Octuor pour cordes et vents » D. 803 de Franz Schubert – chef d’œuvre absolu à mi-chemin entre la musique de chambre et la grande forme symphonique. Le résultat a enthousiasmé à la fois par la cohésion de l’ensemble et par la qualité des interventions individuelles, et ce fut particulièrement frappant dans le merveilleux Andante à variations, un 4ème mouvement qui met alternativement en valeur les différents timbres de la formation chambriste. D’autres moments de grâce retinrent l’attention, comme la géniale introduction Andante du finale, aux sonorités pré-wébériennes, où se détacha le cor soliste. Un régal d’un bout à l’autre !

La salle Elie de Brignac, dont l’usage et l’utilité n’est pas d’y exécuter des concerts, va maintenant retrouver sa vocation première, qui est la vente de chevaux de courses (elle se trouve en plein milieu d’un haras, lui-même situé en bordure du célèbre Hippodrome de Deauville) : mais dès le 1er août (et jusqu’au 12), la musique y résonnera à nouveau avec l’ouverture du 22ème Août musical de Deauville dont le programme est déjà en ligne – et consultable ici : https://www.indeauville.fr/22eme-aout-musical.

 

 

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CRITIQUE, concert. DEAUVILLE, 37ème Festival de Pâques de Deauville (salle Elie de Brignac), le 7 mai 2023. Récital « Mon amant de Saint-Jean » par Stéphanie d’Oustrac. Le Poème Harmonique / Vincent Dumestre (théorbe). Photos © Claude Doaré.

 

VIDEO : Stéphanie d’Oustrac chante « Mon amant de Saint-Jean »

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