C’est à un concert 100% russe que la 6ème soirée du 76ème édition du Festival International de Musique Besançon (couplée avec la 58ème édition du fameux Concours International de jeunes chefs d’orchestre) offre à un public venu en masse entendre diriger l’un des plus grands talents féminins de la direction d’orchestre, la cheffe française Ariane Matiakh, venue en compagnie de l’orchestre allemand dont elle est la directrice musicale depuis la saison dernière : le Württembergische Philharmonie Reutlingen.
Nous avions découvert cette artiste il y a une dizaine d’années à Montpellier où elle avait magistralement dirigé la pourtant redoutable 7ème Symphonie (dite “Leningrad”) de Chostakovitch, et c’est merveille de constater comme le répertoire russe lui sied bien, en même temps que la moindre phalange symphonique – que toute ville allemande de plus de 100.000 habitants possède (Reutligen, au sud de Stuttgart, en possède 125.000) – sonne formidablement.
Comme tour de chauffe, c’est la courte pièce symphonique “Karaminskaja” issue de la main de Mikhaïl Glinka qui est donnée et qui permet de constater la fière santé et le bon état de marche de la phalange germanique. Ce sont les magnifiques “Chants et Danses de la mort” de Modeste Moussorgski qui lui font suite, défendus ici par le baryton ukrainien Yuriy Yurchuk, que nous avons pu applaudir plusieurs fois déjà au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles. Le talent de coloriste d’Ariane Matiakh se retrouve dans cet ouvrage, notamment lors de la terrible bataille de la dernière chanson du Commandant où l’Orchestre expose avec brio les élans guerriers tout en privilégiant la voix du chanteur. La cheffe paraît pleinement en osmose avec lui, qui s’avère un soliste aussi constant dans sa sensibilité singulière que dans une cruauté implacable, tirant le meilleur de cette orchestration due à la main de Chostakovitch (en 1962), qui se se révèle un modèle de sobriété et de pleine adéquation avec la version originale piano/voix. Yurchuk enchaîne avec la Cavatine d’Aleko, extrait du court opéra homonyme de Rachmaninov, dans lequel le chanteur ukrainien réalise une performance superbe d’intensité, dans la souffrance et le désespoir comme dans la violence, d’une voix richement timbrée et bien projetée. Le public lui fait une fête amplement méritée.
En seconde partie, place aux fameuses “Danses Symphoniques” du même Sergueï Rachmaninov, dont Matiakh restitue avec une conviction communicative toute la richesse orchestrale : pas un seul temps mort ici, les excellents musiciens de l’orchestre – notamment des bois rutilants et des cordes tour à tour tranchantes et moelleuses – prenant manifestement plaisir à mettre en valeur cette orchestration brillante. La valse acquiert une couleur ironique qui évoque Mahler, tandis que la sauvagerie de la danse finale, avec ses citations du Dies irae, renvoie au Sacre du printemps de Stravinski, et ce n’est que justice rendue à cette partition initialement conçue pour le ballet.
Une grande soirée de musique russe au Festival de Besançon !
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CRITIQUE, concert. BESANCON (76ème Festival International de Musique de Besançon), Théâtre Ledoux, le 13 septembre 2023. GLINKA, MOUSSORGSKI, RACHMANINOV. Württembergische Philharmonie Reutlingen, Ariane Matiakh (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Dmitri Hvorostovsky chante la Cavatine d’Aleko (de Rachmaninov).