CD, Ă©vĂ©nement, annonce. RACHMANINOFF : Symph n°1 – Dances symphoniques (NĂ©zet-SĂ©guin, Phladelphia Orch – 1 cd DG Deutsche Grammophon). Suite de la collaboration du canadien Yannick NĂ©zet-SĂ©guin avec l’Orchestre de Philadelphia (et inspirĂ©s par la lyre flamboyante amère de Rachma, dĂ©jĂ abordĂ© avec la complicitĂ© du pianiste non moins convaincant Daniil Trifonov : Concertos pour piano 1 & 3 dans un programme intitulĂ© « Destination », distinguĂ© par le CLIC de CLASSIQUENEWS). Voici un autre programme passionnant car l’intervalle entre la symphonie n°1 et les Danses Symphoniques est rĂ©vĂ©lateur de l’évolution d’un tempĂ©rament symphonique de premier valeur. La n°1 opus 13 (créée en mars 1897 sous la direction d’un trop faible Glazounov) est un superbe coup d’essai, riche en Ă©pisodes quasi lyriques et dramatiques, d’une fiĂ©vreuse tension, entre âpretĂ© dĂ©pressive et formidables Ă©lans Ă©perdus qui se retrouvent en Ă©chos familiers dans les Dances de janvier … 1941 – soit 40 annĂ©es qui tout en marquant la maturation d’un gĂ©nie post romantiques, douĂ© d’une fougue irrĂ©pressible, soulignent aussi les caractères d’un gĂ©nie constant : tension perpĂ©tuelle, impuissance mĂ©lancolique, violence voire chant dĂ©pressif et gravitĂ© (en particulier dans la rĂ©solution du dernier mouvement de la n°1, dont le finale rĂ©sonne comme un dĂ©chirement amer, l’aveu d’un coeur dĂ©muni face Ă l’adversitĂ© : l’hĂ©ritage du dernier Tchaikovsky ? Certainement). Les 3 mouvements des Dances Symphoniques expriment l’ivresse intacte d’un Rachmaninov exaltĂ©, Ă©ruptif, hypersensible et par accents, tendu voire dĂ©pressif. De la lumière Ă l’ombre la plus inquiète voire angoissante, la direction de Yannick NĂ©zet-SĂ©guin se montre très soucieuse des Ă©quilibres sonores (la valse centrale et ses Ă©clairs crĂ©pusculaires
et enivrants), du relief de chaque pupitre, fusionnant couleurs et acuité. La prise de son est en outre valorisante, permettant de suivre le travail du chef dans le contraste des séquences et leur souffle unitaire. Passionnant. Chef lyrique déjà applaudi au Met, Nézet-Séguin déploie sa fougue symphonique, sa sensibilité détaillée, sa puissance dramatique dans un Rachma ainsi revivifié et même repoétisé. Grande critique à venir dans le mag cd de classiquenews.com.
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CD Ă©vĂ©nement, critique. DANIIL TRIFONOV, piano – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. PHILADELPHIA orchestra, Yannick SĂ©guet-NĂ©zin, direction (2 cd DG Deutsche Grammophon)
CD Ă©vĂ©nement, critique. DANIIL TRIFONOV, piano – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. PHILADELPHIA orchestra, Yannick SĂ©guet-NĂ©zin, direction (2 cd DG Deutsche Grammophon). Voici donc un excellent double cd qui tĂ©moigne de la maturitĂ© et de l’étonnante musicalitĂ© du jeune pianiste russe Daniil Trifonov. En achevant son pĂ©riple Rachmaninov, relayĂ© par un abondant dispositif vidĂ©o, quasi cinĂ©matographique (DESTINATION RACHMANINOV), le pianiste captive littĂ©ralement par une digitalitĂ© facĂ©tieuse et virtuose, pour nous supĂ©rieure Ă la mĂ©canique Ă©lectrique des asiatiques (Wang ou Lang Lang) : le Russe est douĂ© surtout d’une profondeur intĂ©rieure, – absent chez ses confrères/soeurs, ce chant nostalgique qui fonde la valeur actuelle de ses Liszt (publiĂ©s aussi chez DG).
CD1 – Le Concerto n°1 (Moscou, 1892) nous fait plonger dans l’intensitĂ© du drame ; un fracas lyrique immĂ©diatement actif et rugissant, bientĂ´t rassĂ©rĂ©nĂ© dans une texture lyrique et langoureuse dont seul Rachmaninov a le secret ; qui peut effacer de sa mĂ©moire le motif central (cantilène Ă la fois grave mais douce) de ce premier mouvement Vivace, qui a fait les belles heures de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot ? D’autant que le jeu perlĂ© de Daniil Trifonov fait merveille entre sagacitĂ©, activitĂ©, intĂ©rioritĂ© ; entre allant et tendre nostalgie ; il tisse des vagues d’ivresse Ă©perdue comme au diapason d’un orchestre nerveux voire brutal (excellente prĂ©cision de NĂ©zet-SĂ©guin pour restituer la dĂ©flagration sonore d’une orchestration qui peut sonner monstrueuse), sĂ©ries de rĂ©ponses Ă©lectriques et tout autant percutantes et vives, au bord de la folie (grâce Ă une digitalitĂ© fabuleusement libre, frĂ©nĂ©tique ou en panique). Ce jeu Ă©lastique entre Ă coups et secousses, puis Ă©largissement de la conscience, trouve un Ă©quilibre parfait entre le piano et l’orchestre.
L’Andante caresse, respire, plonge dans des eaux plus ambivalentes encore où règne comme une soie nocturne, l’onde sonore onctueuse de l’orchestre plus bienveillant. Daniil Trifonov chante toute la nostalgie en osmose avec les pupitres de l’orchestre aux couleurs complices.
A travers une forme de monologue enchanté, sourd l’inquiétude d’une gravité jamais éloignée. La lecture approche davantage une veille attendrie plutôt qu’une libération insouciante. Là encore on goûte la subtilité des nuances et des couleurs.
La partie la plus passionnante reste l’ultime épisode Allegro vivace dont le chef fait crépiter les rythmes (déjà ) américains, le swing qui semble quasi improvisé, d’autant que le cheminement du jeune pianiste se joue des rythmes, de l’enchaînement des séquences avec une précision frénétique, une acuité vive et engagée d’une indiscutable énergie ; un tel déhanchement heureux regarde directement vers le bonheur comme la liberté du Concerto n°3, lui créé à New York par l’auteur le 28 nov 1909.
Brillant autant que créatif, Trifonov nous livre son propre arrangement du premier volet des Cloches, soit un morceau de 6mn (allegro ma non tanto) qui montre toute la sensibilité active et l’imagination en couleurs et timbres qui l’inspirent.
Périple réussi pour Daniil Trifonov
Rachmaninov intérieur et virtuose
CD2 – Cerise sur le gâteau et approfondissement de cette utlime escale en terres Rachmaninoviennes, le Concerto pour piano n°3 affirme une Ă©gale musicalitĂ© : immersion naturelle et progressive sans heurts, en un flot Ă la fois ductile et crĂ©pitant oĂą l’orchestre sait s’adoucir, rechercher une sonoritĂ© mĂ©diane qui flatte surtout le relief scintillant du piano. Le jeu de Trifonov est d’une prĂ©cision caressante, onctueuse et frappante par sa souplesse, comme une vision architecturĂ©e globale très claire et puissante. L’écoulement du dĂ©but est presque hors respiration, d’une tenue de ligne parfaite, Ă la fois irrĂ©sistible, allante, de plus en plus souterraine, recherchant le repli et l’intĂ©riorisation ; ce que cherche Ă compenser l’orchestre de plus en plus dĂ©claratif, mĂ©nageant de superbe vagues lyriques comme pour mettre Ă l’aise le soliste ; aucun effet artificiel, mais l’accomplissement d’une lecture d’abord polie dans l’esprit ; D’une imagination construite foisonnante, Trifonov soigne l’articulation au service de sa sonoritĂ©, Ă©coute l’intĂ©rioritĂ© de la partition et cisèle son chant pudique avec une tendresse magicienne. Chaque point d’extase et de plĂ©nitude sonore rebondit avec un galbe superbement articulĂ© ; peu Ă peu le pianiste fait surgir une sincĂ©ritĂ© de plus en plus lumineuse que l’orchestre fait danser dans un crĂ©pitement de timbres bienheureux. La rĂ©exposition Ă©claire davantage la sensibilitĂ© intĂ©rieure du pianiste qui ralentit, Ă©coute, cisèle, distille avec finesse l’élan lyrique, souvent Ă©perdu de son texte. Jusqu’à l’ivresse presque en panique Ă 8’ du premier mouvement, avant que ne cisaillent les trompettes cinglantes plus amères, rĂ©vĂ©lant alors des cordes plus nostalgiques ; mais c’est Ă nouveau le piano somptueusement enchantĂ© qui recouvre l’équilibre dans ce mitemps.
La seconde partie dans ses vertiges ascensionnels est hallucinée et crépitante ; le pianiste semble tout comprendre des mondes poétiques de Rachmaninov : ses éclairs fantastiques, ses doutes abyssaux, ses élans éperdus… Trifonov sachant à contrario de bien de ses confrères et consœurs, éviter toute démonstration, dans l’affirmation d’un chant irrépressible, viscéral, jamais trop appuyé, triomphe dans une sonorité toujours souple et fluide, solaire et tendre (cf la qualité de ses Liszt précédents déjà cités). Le soliste sait préserver l’ampleur d’une vision intérieure, imaginative, poétique, suspendue, d’une incroyable respiration profonde, en particulier avant la 2è réexposition du thème central (15’40 à 15’53). Tout l’orchestre le suit dans ce chant de l’âme et qui s’achève dans une glissade fugace, subtilement ciselée dans l’ombre.
L’intermezzo est en forme d’Adagio qui affirme la même volupté lointaine, une distanciation poétique écartant tout acoups, mais invite à l’expression la plus intime d’un cœur attendri, extatique. Cette éloquence intérieure est partagée par l’orchestre et le pianiste qui colore et croise de nouvelles visions au bord de l’évanouissement, sait s’appuyer davantage sur l’orchestre : les champs intérieurs y sont remarquablement sculptés, véritables ivresses qui portent au songe et à la rêverie, à l’oubli et au renoncement… en un crépitement qui soigne toujours la clarté et la précision d’un jeu nuancé, détaillé, et d’une grande invention comme d’une grande intelligence sonore.
Le dernier mouvement, « Finale. Alla breve », semble réunir toutes les forces vitales en présence et récapituler les songes passés, en un chant revivifié qui énonce les principes d’une reconstruction désormais partagée par instrumentistes et piano solo ; le chant s’enfle, grandit, ose une carrure nouvelle, galopante ; Trifonov réussit l’expression de cette chevauchée toute de souplesse et de nuances chantantes. Le jeu du pianiste est tout simplement irrésistible comme happé, aspiré par une dimension qui dépasse l’orchestre… facétieux, mystérieux, le clavier vole désormais de sa propre énergie, aérienne : le lutin Trifonov (3’57) cisèle ce chant cosmique, dans les étoiles, comme un jaillissement naturel. D’une caresse infinie qu’il inscrit, suspend au delà de la voûte familière dans la texture même du songe. Un songe éveillé, en chevauché, dans un galop qui mène très très loin et très haut, révélé en partage. Hallucinant et cosmique. Du très grand art.
LIRE notre annonce du cd événement Departure / Destination Rachmaninov (octobre 2018)
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-daniil-trifonov-destination-rachmaninov-departure-1-cd-dg/
LIRE aussi notre annonce du cd événement : ARRIVAL / Destination Rachmaninov (octobre 2019)
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CD Ă©vĂ©nement, critique. DANIIL TRIFONOV, piano – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. PHILADELPHIA orchestra, Yannick SĂ©guet-NĂ©zin, direction 52 cd DG Deutsche Grammophon) – CLIC de CLASSIQUENEWS d’octobre 2019. Parution le 11 octobre 2019.
CD Ă©vĂ©nement, annonce. DANIIL TRIFONOV – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3
CD Ă©vĂ©nement, annonce. DANIIL TRIFONOV – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. Et s’il Ă©tait avec notre favori britannique, Benjamin Grosvenor, le jeune pianiste actuel le plus convaincant de l’heure ? Le lutin russe, Daniil TRIFONOV, douĂ© d’une Ă©loquence souple et intĂ©rieure capable de faire jaillir des crĂ©pitements intimes, en particulier chez Rachmaninov, achève ainsi son pĂ©riple dĂ©diĂ© au grand Serge Rachmaninov, lui-mĂŞme pianiste virtuose. Rachmaninov joua lors d’une tournĂ©e amĂ©ricaine avec le Philadephia Orchestra ces deux mĂŞmes Concertos lĂ©gendaires (n°1 et n°3).
Véloce et versatile, pétillant et aérien, son jeu éblouit littéralement dans le volet le plus redoutable de ce double album « arrival », dans le périlleux Concerto n°3 (ce même sommet qui avait conclu le dernier Festival Menuhin à GSTAAD, le 6 sept 2019). Pudique et puissant, surtout son jeu se montre irrésistible dans une partition dont il distingue chaque nuance, en la rétablissant dans le parcours intime du compositeur. Funambule ou galopant à toute bride, poétique ou épique, Daniil Trifonov montre une maturité saisissante dans ce dernier jalon, en complicité avec le chef québécois, Yannick Nézet-Séguin à la tête du Philadelphia Orchestra. Le jeune homme il y a quelques années imberbe (cd LISZT 2015), a gagné une profondeur lumineuse, une tendresse d’une rare subtilité, en témoigne cette barbe nouvelle qu’il arbore à présent. La sortie du double coffret DESTINATION RACHMANINOV : ARRIVAL est annoncée le 11 octobre 2019 chez DG Deutsche Grammophon. Probable CLIC de CLASSIQUENEWS de l’automne 2019.
LIRE aussi notre annonce dĂ©diĂ©e au premier volet DEPARTURE du pĂ©riple “DESTINATION RACHMANINOV”
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COMPTE-RENDU, concert. BESANCON, le 9 sept 2019. Russian National Orchestra, NikolaĂŻ Lugansky, MikhaĂŻl Pletnev
Compte-rendu, concert. Festival de Besançon, Théâtre Ledoux, le 9 septembre 2019. Russian National Orchestra, Nikolaï Lugansky (piano), Mikhaïl Pletnev (direction). C’est à une soirée 100% russe que la 72ème édition du Festival International de Besançon (couplée avec la 56ème édition du fameux Concours International de jeunes chefs d’orchestre) convie un public venu en masse entendre Nikolaï Lugansky dans le célèbre 3ème Concerto pour piano de Sergueï Rachmaninov (illustration ci-contre). De fait, le grand pianiste russe ne déçoit pas les attentes et dialogue avec brio, dès les premiers accord, avec le Russian National Orchestra, phalange fondée et dirigée depuis 1990 par Mikhaïl Pletnev, qui s’était fait connaître en remportant le célèbre Concours Tchaïkovski en 1978.
Le ton est donc donné dès l’attaque du thème initial, et ce sera magistral, avec un tempo maîtrisé et un piano omniprésent. L’ampleur du souffle semble infinie, le discours est d’une brillance et d’une fluidité étonnantes, même dans le legato, et toutes les notes sont très distinctement détachées, ce qui est un régal pour l’oreille.
Après l’entracte, place à la Symphonie n°9 de Dimitri Chostakovitch, une œuvre légère et facétieuse, courte et enjouée. Créée en 1945, elle est la troisième et dernière symphonie composée durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, alors que les Septième et Huitième durent plus d’une heure et nécessitent un effectif imposant, la Neuvième requiert une masse orchestrale classique et dure à peine moitié moins. Mais surtout, elle délaisse l’héroïsme patriotique des deux précédentes pour faire place à des airs enjoués, inspirés de danses rustiques. On sait qu’elle provoqua l’ire de Staline – au point que le compositeur dut craindre pour sa vie – qui s’attendait à une œuvre apothéotique, composée expressément pour sa propre gloire ainsi que pour celle des troupes soviétiques victorieuses du nazisme. Soutenus par les solistes souvent splendides d’un des meilleurs orchestres russes, Pletnev développe une approche emplie d’un humanisme chaleureux, mais sans gommer l’aspect grinçant et sarcastique de cette superbe partition. Il faut souligner l’extraordinaire présence de la petite harmonie, notamment les premiers flûte, clarinette et basson, qui ont prodigué des sonorités prodigieuses. Dans ce trio de solistes, on savoure la spécificité sonore de chaque registre ainsi qu’un remarquable sens du legato. On admire enfin leur remarquable cohérence, qui emmène la symphonie vers sa juste conclusion dans le crescendo final.
La veille (8 sept 2019), nous avons pu assister à une soirée de musique de chambre, au très beau Kursaal de la ville, qui réunissait, pour l’occasion, le Quatuor Arod et le Quatuor Diotima. Le premier interprète le Quatuor N°4 D. 46 en do majeur de Schubert ; il parvient en quelques mesures de pure grâce à nous emporter : il faut dire que le Quatuor Arod est ici dans son répertoire de prédilection, faisant valoir une pulsation rythmique légère et aérienne, en un élan stimulant. L’acoustique très détaillée de la salle bisontine sert cette conception qui manque peut-être parfois de puissance au premier violon, mais qui emporte l’adhésion par son sens des nuances et des couleurs. C’est au célébrissime Quatuor de Ravel que s’est ensuite confronté leurs collègues du Quatuor Diotima :  ils le défendent de manière tout aussi vivante et instinctive, en prêtant attention à la dynamique, parfaitement assurée, et aux tempi, judicieusement choisis.
Les huit artistes se sont Ă©galement retrouvĂ©s dans deux octuors : d’abord dans les Deux Pièces pour octuor Ă cordes, op. 11 de Dimitri Chostakovitch, une Ĺ“uvre qui est un tĂ©moignage Ă©loquent d’un temps Ă la fois marquĂ© par le retour Ă Bach et par un volontĂ© de provocation aussi sain que rĂ©jouissant, puis Ă l’occasion d’une crĂ©ation mondiale, commande expresse du festival au compositeur français Eric Tanguy, en rĂ©sidence pour cette 72ème Ă©dition. Le titre de la pièce est « The desperate man », en rĂ©fĂ©rence au cĂ©lèbre autoportrait (« Le dĂ©sespĂ©ré ») de Gustave Courbet, l’enfant du pays dont on fĂŞte cette annĂ©e le bicentenaire de la naissance. La pièce est très agrĂ©able Ă Ă©couter, très bien Ă©crite, et Ă son Ă©coute, l’on se rend compte qu’au fil des annĂ©es, le propos du compositeur se fait moins âpre et spontanĂ©, plus consonnant et acadĂ©mique, sans que cela ne doive ĂŞtre pris pĂ©jorativement… Illustration : Quatuor Diotima (DR)
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Compte-rendu, concert. Festival de Besançon, Théâtre Ledoux, le 9 septembre 2019. Russian National Orchestra, Nikolaï Lugansky (piano), Mikhaïl Pletnev (direction).
COMPTE-RENDU, concert. Le TOUQUET Paris-plage, Festival des Pianos Folies, le 18 août 2019. Récital Boris Berezovsky, piano.… SCRIABINE, RACHMANINOV
COMPTE-RENDU, concert. Le TOUQUET Paris-plage, Festival des Pianos Folies, le 18 août 2019. Récital Boris Berezovsky, piano.… SCRIABINE, RACHMANINOV. Par notre envoyé spécial MARCEL WEISS
« Je vous appelle à la vie, ô forces mystérieuses » : cette invocation, placée en exergue de la Sonate n°5 de Scriabine, semble défier les interprètes assez imprudents pour partager la quête mystique de son auteur. Dès l’andante cantabile de son premier Poème, Boris Berezovsky en tient la gageure par son jeu tout de suggestion et la délicatesse de son toucher. Les pièces suivantes de Scriabine flirtent avec une vision idéalisée de l’érotisme, symbolisée par l’accord de Tristan énoncé dans la Sonate n°4, une œuvre encore résolument heureuse, débordante d’énergie, que Berezovsky empoigne à bras le corps. Thème amplifié dans l’arachnéenne « Fragilité », la valse évanescente de « Caresse dansée » et le tempétueux « Désir ».
D’un seul jet, la Sonate n°5, contemporaine du « Poème de l’extase », accumule les difficultés et les indications de tempo, dans un sentiment général d’urgence et de fièvre, traduit avec maestria par un interprète halluciné, dominant les pièges techniques. Celui qui se présente parfois comme un chasseur poursuivant ces proies que seraient les notes semble en improviser le cours de manière agogique et non mécanique.
Lyrique passionnément, sa vision de la Sonate n°2 de Rachmaninov restitue le foisonnement d’une œuvre qui rend hommage à la Russie éternelle, des carillons initiaux à l’évocation nostalgique de ses paysages. Envisagées par Rachmaninov comme de véritables compositions et non comme de simples arrangements, ses nombreuses transcriptions embrassent tous les genres musicaux. Du Prélude de la « Partita n°3 pour violon » de Bach, orné avec humilité, à la tendre « Berceuse » de Tchaïkovsky, en passant par un virevoltant Scherzo du « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn, le limpide et tendre « Wohin ? » de la « Belle Meunière » de Schubert et le « Liebeslied » langoureux de Kreisler. Autant de moments musicaux, de prétextes d’admirer une fois de plus la dextérité et la versatilité expressive du pianiste. Sans l’extrême musicalité et la sensibilité à fleur de touche de Berezovsky, les arrangements funambulesques par Godowsky des études de Chopin déjà si exigeantes dans leur virtuosité pourraient sembler de bien mauvais goût. Nos préjugés sont balayés devant la prouesse des trois Etudes de l’opus 10, dont celle dite « Révolutionnaire » jouées de la seule main gauche.
En guise de conclusion, Boris Berezovsky nous proposa de confronter le PrĂ©lude n°2 de Gerschwin et une pièce similaire – toutes deux bâties sur une manière de basse continue – de Scriabine… Jazzman avant l’heure ?
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COMPTE-RENDU, concert. Le TOUQUET Paris-plage, Festival des Pianos Folies, le 18 août 2019. Récital Boris Berezovsky, piano.… SCRIABINE, RACHMANINOV. Par notre envoyé spécial MARCEL WEISS / Illustration : photo © service communication ville du Touquet Paris Plage 2019.
COMPTE-RENDU, concert. La Roque d’Anthéron, le 8 août 2019. RACHMANINOV. L. Geniusas. Varvara. Orch Tatarstan. A. Sladkosky.
COMPTE-RENDU,Concert. Festival de La Roque d’Anthéron 2019. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans, le 8 Août 2019. S. RACHMANINOV. L. GENIUSAS. VARVARA. ORH DU TATARSTAN. A. SLADKOSKY. Les nuits du piano à La Roque sont toujours un événement car deux concerts se suivent. Dans un but de jouer « tout russe », en l’honneur de Rachmaninov, la soirée a été organisée avec un orchestre, un chef et deux pianistes russes. L’ Orchestre national symphonique du Tatarstan et son chef titulaire ont animé toute la soirée avec beaucoup d’énergie comme de puissance. Débutant le concert par le concerto le plus célèbre, le n°2,  le jeune Lukas Geniusas, 29 ans, a d’emblée mis la barre très haut avec une introduction richement timbrée et un crescendo savamment organisé. Las, le chef avait décidé de lâcher toute la puissance de son orchestre, comme pour faire ses preuves. L’effet a été de noyer le soliste, sans pour autant mettre en valeur son orchestre. Il a fallu attendre le deuxième mouvement pour que le soliste et l’orchestre, sans trop d’interventions du chef, organisent un beau dialogue musical. Dommage car les sonorités de l’orchestre sont naturellement belles, il n’est pas besoin de forcer les choses.
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Chef exacerbé, pianistes plus mesurés…
Nuit Rachmaninov solidement russe
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Ce sont les forte trop appuyés qui dénaturent le son trop cuivré, et mettent en difficulté le soliste. Le final grâce à l’intelligence de jeu de Lukas Geniusas a gardé l’équilibre presque intact, trouvé dans le deuxième mouvement plus chambriste. Mais comment Alexander Sladkosky peut-il se laisser aller à hurler les phrases qu’il veut mieux entendre ? S’oublier en tapant du pied ? J’aime mieux les chefs qui savent obtenir autrement ce qu’ils souhaitent…  Le jeu de Lukas Geniusas a dû être athlétique et les moyens pianistiques énormes. Mais sa musicalité se déploie bien d’avantage dans les échanges chambristes subtils, les phrasés amplement développés, les nuances finement amenées. Cela a pu être présent dans un deuxième mouvement qui restera un merveilleux souvenir sous le ciel en train de s’étoiler et dans le bis, un prélude en sol de Desyatnikov, dans lequel sa fine musicalité a pu rayonner.
Le poème symphonique « L’ île des morts » d’après le tableau de Böcklin permet à l’orchestre de briller par des qualités de timbres et d’interventions subtiles. L’orchestre a été vraiment superbe mais dans sa manière de s’adresser à l’orchestre Alexander Sladkosky a surtout adopté de la terreur et du grandiloquent. Toute une part de mystère et de rêverie a été noyée dans les forte et les phrasés appuyés. Ainsi préside  une vision noire et terriblement écrasante de la mort. Ce soir cette île des morts a été île de terreur !
En deuxième partie de nuit la pianiste russe, Varvara, toute de grâce et de délicatesse entre en scène. Après la furie orchestrale de la première partie bien des spectateurs ont pâli pour elle. Mais la frêle apparence est bien trompeuse et la pianiste a imposé son jeu d’emblée, obtenant bien plus de musicalité de la part d’ Alexander Sladkosky. Le concerto n°4 a été totalement réussi avec une précision des attaques orchestrales bien venue et un jeu pianistique d’une rare subtilité. Ce concerto à la virtuosité magnifiquement rendue avec une grande musicalité par le jeu subtil de Varvara a été un beau moment.
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C’est dans la Rhapsodie sur le thème de Paganini que l’entente entre l’orchestre et la soliste a été musicalement parfaite. Impossible d’établir un rapport de force entre l’orchestre et la soliste dans cette subtile musique de Rachmaninov. Les variations sont rythmiquement et harmoniquement inventives et Varvara a pu développer un jeu subtil, nuancé, plein de couleurs. Les instrumentistes ont pu dialoguer librement avec elle car Alexander Sladkosky n’a pas eu d’interventions trop envahissantes. Le succès de Varvara  a été magnifique et le public a obtenu deux très beaux bis de Medtner ; ils nous ont régalés du jeu subtil de cette musicienne virtuose rare.
Il semble bien plus difficile de trouver un chef, qu’un bon orchestre ou d’extraordinaires pianistes à La Roque d’Antheron … En tout cas l’âme russe a soufflé ce soir, un peu contre les cigales, pour mettre en valeur le génie de Rachmaninov; certes il est russe d’origine mais a vécu aux États Unis et su très habilement mêler son tempérament à la musique américaine, en particulier au jazz.  La Russie était à l’honneur cette année à la Roque d’ Anthéron.
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Compte-rendu concert. La Roque d’AnthĂ©ron. Parc du Chateau de Florans, le 8 AoĂ»t 2019. Serge Rachmaninov ( 1873-1943) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur Op.18 ; L’ile des morts Op.29 ; Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol mineur  Op.40 ; Rhapsodie sur un thème de Paganini Op.43 ;  Lukas Geniusas et Varvara, pianos ; Orchestre national du Tatarstan – Alexander Sladoksky, direction – Photos : © Christophe GREMIOT
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Compte-Rendu, CONCERT. Monaco, Salle Garnier, le 26 avril 2019. Récital Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev.
Compte-Rendu, CONCERT. Monaco, Salle Garnier, le 26 avril 2019. Récital Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev. La saison de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, ce n’est pas seulement des concerts assurés par la prestigieuse phalange monégasque, c’est aussi de la musique de chambre ou des récitals assurés par les plus grands solistes instrumentaux, comme Grigori Sokolov en mars, ou encore le grand chef et pianiste russe Mikhaïl Pletnev (cf illustration ci-contre DR). Le vendredi 26 avril, il se livrait à un récital solo entièrement consacré à l’œuvre de Sergueï Rachmaninov, à la Salle Garnier de Monte-Carlo, autrement intime et belle que l’Auditorium Rainier III où se produit majoritairement l’orchestre.
Dernier des grands compositeurs romantiques, encore liĂ© au système tonal et Ă un style pianistique alla Chopin (pour son aspect incandescent et passionnĂ©), Rachmaninov peint des impressions fugitives et passagères avec une grâce et un sens de la plaisanterie assez inĂ©dits. Son Ĺ“uvre fait preuve d’un grand esthĂ©tisme, associĂ© Ă une inspiration profondĂ©ment spirituelle, parfois mĂŞme dramatique. En hommage Ă ce mĂŞme Chopin, et dans un genre oĂą s’illustrèrent bien sĂ»r Jean-SĂ©bastien Bach ou encore Mendelssohn, Rachmaninov Ă©crivit vingt-quatre prĂ©ludes pour piano dont la composition s’étale entre 1892 et 1910, le style d’écriture diffĂ©rant beaucoup selon les pièces, mĂŞme si le climat reste souvent sombre et mĂ©lancolique. Pletnev a retenu huit d’entre eux, en commençant par le cĂ©lèbre opus 3 n°2. On ne peut que louer ici l’aisance technique et le contrĂ´le dans ces PrĂ©ludes – notamment dans ceux particulièrement virtuoses comme ceux de l’opus 23 n°2, 7 ou 8 ou ceux de l’opus 32 n°8 ou 12 – qui ne s’exĂ©cutent jamais au dĂ©triment de la musique. Avec des tempi plutĂ´t amples, un savant dosage dans l’utilisation de la pĂ©dale, et une variĂ©tĂ© de couleurs dans le touchĂ©, le pianiste fait magnifiquement ressortir les mĂ©lodies sans tomber dans la sentimentalitĂ© ou le mauvais goĂ»t. Il entrecoupe les PrĂ©ludes citĂ©s avec d’autres Ĺ“uvres telles que l’Etude-Tableau opus 39 n°7, dont la section centrale se rĂ©vèle ĂŞtre une sorte de marche funèbre lugubre avec effets de pluie (selon les volontĂ©s de l’auteur), et qui progresse du gris le plus morne au son chatoyant d’immatĂ©rielles cloches. On citera Ă©galement la Barcarolle et l’Humoresque extraits de ses Morceaux de Salon opus 10, la première pièce Ă©tant connue pour son dĂ©licat accompagnement arpĂ©gĂ©, et la seconde pour son caractère entraĂ®nant et plein d’allant. Notons que les diffĂ©rents morceaux sont jouĂ©s sans que l’artiste ne fasse la moindre pause entre eux, et qu’après de brefs saluts, il entonne un seul et unique bis : le cĂ©lĂ©brissime RĂŞve d’amour (Liebestraum) de Franz Liszt, dĂ©livrĂ© avec une incroyable sensualité…
La saison de l’OPMC se poursuit, mais avec du répertoire symphonique, et des chefs de la trempe de Kazuki Yamada le 3 mai, Leonard Slatkin le 31 mai ou encore Domingo Hindoyan le 7 juin !
Compte-Rendu, CONCERT. Monaco, Salle Garnier, le 26 avril 2019. Récital Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev.
Rachmaninov : Symphonie n°2
ARTE, dim 10 fév 2019. RACHMANINOV : Symphonie n°2 (à 18h30, Maestro). En mi mineur opus 21, la 2è Symphonie de Rachmaninov est le retour du compositeur à l’écriture, après son échec traumatisant dû aux critiques émises à la création de sa première symphonie. Créée à Saint-Pétersbourg en mars 1897, la Première Symphonie mal dirigée par Glazounov (qu’on a dit fortement alcoolisé) suscite les vives reproches de César Cui : il n’en fallait pas davantage pour marquer le jeune Rachmaninov (24 ans) à qui tout semblait sourire… A Dresde, le jeune musicien, pourtant encouragé par Tchaikovski et qui a à son effectif plusieurs compositions plus que convaincantes (dont l’opéra Aleko, 1893) reprend goût à la création : en découlent après Aleko deux autres ouvrages fantastiques et saisissants (Le Chevalier ladre, 1906 ; Francesca da Rimini, 1904) et aussi cette nouvelle symphonie, emblème d’un équilibre enfin recouvré. En Saxe, Rachmaninov retrouve l’envie d’écrire et d’affirmer son tempérament puissant et original. Il est donc naturel que l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde (dont le directeur musical actuel est Chritian Thielemann) s’intéresse à cette œuvre liée à son histoire. Le chef invité Antonio Pappano dirige les musiciens dans ce concert enregistré en 2018.
Créée en 1908 à Saint-Pétersbourg, la Symphonie n°2 est le produit d’une période féconde qui réalise aussi le poème orchestral l’île des morts et l’éblousisant Concert pour piano n°3. La n°2 est portée par un nouveau souffle, une richesse d’orchestration souvent irrésistible et une architecture qui est la plus ambitieuse des 3 symphonies finalement composées. Rachmaninov assimile et Tchaikovski (dans les couleurs), et Sibelius dans l’exigence d’une construction et d’une certaine efficacité qui inféode le développement formel.
Quatre mouvements : Largo, Allegro moderato / Allegro molto / Adagio (synthèse portée par la beauté de sa cantilène, l’épisode concilie une grande richesse polyphonique et le principe cyclique qui reprend le thème principal du premier mouvement) / Allegro vivace
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ARTE, “Maestro” – dim 10 fĂ©v 2019 Ă 18h30, RACHMANINOV : Symphonie n°2. Dresden Staatskapelle / Staatskapelle de Dresde. Antonio Pappano, direction – film 2018, durĂ©e : 43 mn.
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LIRE notre dossier spécial les opéras de Rachmaninov
http://www.classiquenews.com/les-operas-de-rachmaninov-alenko-le-chevalier-ladre-dossier-special/
LIRE d’autres articles dédiés à Rachmaninov sur classiquenews
http://www.classiquenews.com/tag/rachmaninov/
STAATSKAPELLE DE DRESDE : Symphonie n°2 de Rachmaninov
ARTE, dim 10 fév 2019. RACHMANINOV : Symphonie n°2 (à 18h30, Maestro) En mi mineur opus 21, la 2è Symphonie de Rachmaninov est le retour du compositeur à l’écriture, après son échec traumatisant dû aux critiques émises à la création de sa première symphonie. Créée à Saint-Pétersbourg en mars 1897, la Première Symphonie mal dirigée par Glazounov (qu’on a dit fortement alcoolisé) suscite les vives reproches de César Cui : il n’en fallait pas davantage pour marquer le jeune Rachmaninov (24 ans) à qui tout semblait sourire… A Dresde, le jeune musicien, pourtant encouragé par Tchaikovski et qui a à son effectif plusieurs compositions plus que convaincantes (dont l’opéra Aleko, 1893) reprend goût à la création : en découlent après Aleko deux autres ouvrages fantastiques et saisissants (Le Chevalier ladre, 1906 ; Francesca da Rimini, 1904) et aussi cette nouvelle symphonie, emblème d’un équilibre enfin recouvré. En Saxe, Rachmaninov retrouve l’envie d’écrire et d’affirmer son tempérament puissant et original. Il est donc naturel que l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde (dont le directeur musical actuel est Chritian Thielemann) s’intéresse à cette œuvre liée à son histoire. Le chef invité Antonio Pappano dirige les musiciens dans ce concert enregistré en 2018.
Créée en 1908 à Saint-Pétersbourg, la Symphonie n°2 est le produit d’une période féconde qui réalise aussi le poème orchestral l’île des morts et l’éblousisant Concert pour piano n°3. La n°2 est portée par un nouveau souffle, une richesse d’orchestration souvent irrésistible et une architecture qui est la plus ambitieuse des 3 symphonies finalement composées. Rachmaninov assimile et Tchaikovski (dans les couleurs), et Sibelius dans l’exigence d’une construction et d’une certaine efficacité qui inféode le développement formel.
Quatre mouvements : Largo, Allegro moderato / Allegro molto / Adagio (synthèse portée par la beauté de sa cantilène, l’épisode concilie une grande richesse polyphonique et le principe cyclique qui reprend le thème principal du premier mouvement) / Allegro vivace
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ARTE, “Maestro” – dim 10 fĂ©v 2019 Ă 18h30, RACHMANINOV : Symphonie n°2. Dresden Staatskapelle / Staatskapelle de Dresde. Antonio Pappano, direction – film 2018, durĂ©e : 43 mn.
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PERLES SUR LA TOILE… Alexander MALOFEEV (FEYEV) dĂ©c 2018
SUR LA TOILE … Jeune pianiste Ă suivre. Le russe Alexander Malofeev, que sa blondeur pourrait assimiler aux jeunes hĂ©ros de l’Europe du nord, saisit par sa gravitĂ© juste et pudique, malgrĂ© ses. 17 ans en dĂ©cembre 2018… Son jeu a la puissance et la carrure des grands russes, capables spĂ©cifiquement d’un dĂ©liĂ© serein et calme, pourtant intense et investi ; d’une clartĂ© naturelle et souple qui forcent l’admiration. La technique est somptueuse, lui permettant d’affirmer une belle gymnastique imaginative ; avec des phrasĂ©s intĂ©rieurs d’une sensibilitĂ© très juste, et une souplesse dans les passages les plus contrastĂ©s. Dans le Concerto n°3 de Rachmaninov, le jeune virtuose sait trouver l’équilibre entre vĂ©locitĂ©, intĂ©rioritĂ© et lyrisme Ă©chevelĂ© (Tchaikovsky concert hall du 30 dĂ©c 2018 – presque 70 000 vues en janvier 2019). Sans aucun doute, Alexander Malofeev est aujourd’hui “Le” jeune talent russe Ă suivre, aux cĂ´tĂ©s de ses “aĂ®nĂ©s”, Daniil Trifonov (avec lequel il partage une mĂŞme passion pour les mondes fantastiques et enchantĂ©s de Rachmaninov…), Denis Matsuev… nos prĂ©fĂ©rĂ©s. Sans omettre le rĂ©cemment distinguĂ© Dmitri Masleev
Alexander MALOFEEV / FEYEV
le nouveau prodige russe du piano
Evidemment son jeune âge (17 ans), l’empêche encore de ciseler jusqu’aux moindres nuances de l’architecture d’une oeuvre à la fois colossale et intime dont les vertiges doivent éviter tout pathos et imprécisions. Il manque encore de profondeur et un rubato qui exprime le mystère, mais quelle sincérité, quelle candeur enchantée dans un jeu doué de qualités de sobriété, de finesse… A cet âge cela tient d’une intelligence rare. Sa personnalité retient l’attention. Invité comme le plus jeune pianiste à la Roque d’Anthéron en 2016 (14 ans), Alexander Malofeev (ou Malofeyev) a l’étoffe des plus grands car il sait cultiver une douceur ineffable, une pudeur que peut savent même aguerris, simplement énoncer. Pas de virtuosité déplacée mais l’expression d’une candeur marquée par une riche vie intérieure. C’est l’enseignement de ce concert Rachmaninov… La captation réalisée en Russie dévoile un authentique Jeune talent russe, à suivre désormais. Avec l’orchestre national des jeunes russe, dirigé par Dimitris Botinis.
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https://www.youtube.com/watch?v=SCHg9tup9NA
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S.Rachmaninoff. Piano Concerto No.3 in D minor, Op.30. – 42 mn
Soloist : Alexandеr Malofeev (17 y.o. /17 ans).
Russian National Youth Symphony Orchestra.
Conductor, direction : Dimitris Botinis.
Tchaikovsky Concert Hall.
30/12/2018
С.Đ’.Рахманинов. Концерт â„– 3 для фортепиано Ń ĐľŃ€ĐşĐµŃтром ре минор, Ńоч. 30.
СолиŃŃ‚ ĐлекŃандр Малофеев (17 лет).
Đ ĐľŃŃийŃкий национальный молодежный ŃимфоничеŃкий оркеŃтр.
Дирижер Đ”Đ¸ĐĽĐ¸Ń‚Ń€Đ¸Ń Đ‘ĐľŃ‚Đ¸Đ˝Đ¸Ń.
Концертный зал им.Đź.Đ.ЧайковŃкого.
30/12/2018
https://www.youtube.com/watch?v=SCHg9tup9NA
AUTRE VIDEO avec Alexander MALOFEEV : Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov (Myun-Whun Chung, RAI 2017)
CD, critique. YUJA WANG : The BERLIN RECITAL (1 cd DG Deutsche Grammophon).
CD, critique. YUJA WANG : The BERLIN RECITAL (1 cd DG Deutsche Grammophon). Virtuose, la pianiste chinoise Yuja Wang l’est incontestablement. Dès le martial et très affirmé premier Prélude du programme (Opus 23 n°5), la vitalité et l’ancrage du jeu dans le clavier sont convicancants. Ensuite dans les deux suivants, plus flottants voire évanescents, entre l’ombre et la pénombre, les doigts peinent à suggérer, à exprimer l’inquiétude sourde qui soustend le texte. Le dernier opus 32 n°10, résolument introspectif et mélancolique, osons dire que l’interprète martèle ses forte d’une égale manière, carillonnant certes mais n’atteignant pas à cette matière sonore en incandescence, imaginée par le très inquiet Rachma, russe déraciné et toujours nostalgique de la terre natale. Le jeu perd le fil, les doigts se précipitent manquant réellement de nuances et de construction. On ne sait guère où souhaite nous mener la pianiste. Rachmaninov et son mystère lui échappent.
La matière plus abstraite encore de la Sonate de Scriabine (n°10 opus 70, plus de 11 mn), qui passe et traverse d’un univers mental et spirituel à l’autre, en une instabilité elle aussi permanente, mais plus interrogative que vraiment inquiète, manque de ductilité nuancée, de velours caressant. Tout est joué net, vif, nerveux, précis certes, mais avec linéarité trop manifeste. Pas assez de suggestion.
Evidemment le relief percussif et rythmique des 3 Ligeti (surtout le premier « Touches bloquées »), lui va nettement mieux, car ici il n’y a pas vraiment d’enjeu expressif, mais une scansion répétitive (les glissandi miroitants de « Vertige ») qui menace l’équilibre et la structure temporelle comme le cadre du développement formel. Mais l’expressivité toujours trop clairement démonstrative finit par …fatiguer. Dommage.
Immatérielle et elle aussi abstraite mais sans enjeu spirituel comme celle de Scriabine, la Sonate n°8 de Prokofiev, dès l’Andante dolce, pourtant développée, manque réellement de nuance, d’arrières plans, d’ombres. La pianiste semble y trouver un jeu pour faire briller sa digitalité experte (main gauche), mais… creuse. Déception. Ce récital à Berlin n’a pas répondu à nos attentes. Yuja Wang a-t-elle raison de poursuivre dans le répertoire russe ainsi privilégié ? On préfère nettement ce que réalise en poète et en narrateur habité voire halluciné, son confrère également chez DG Deutsche Grammophon, Daniil Trifonov, autrement plus riche, allusif, subtil.
CD, critique. YUJA WANG : The BERLIN RECITAL (1 cd DG Deutsche Grammophon).
CD, événement. Denis Matsuev, piano : Rachmaninov, Stravinsky, Shchedrin (1 cd Mariinsky)
CD, Ă©vĂ©nement. Denis Matsuev, piano : Rachmaninov, Stravinsky, Shchedrin (1 cd Mariinsky). Versatile mais pas artificiel, le piano de Denis Matsuev impose avec un style irrĂ©sistible sa furia interprĂ©tative : un volcan, un dragon capable d’audace et d’intĂ©rioritĂ©. Ce programme moins Ă©clectique qu’il n’y paraĂ®t, Rachamaninov, Stravinsky, Shchedrin en tĂ©moigne : la puissante magie du sorcier Matsuev s’y dĂ©verse et y cisèle une digitalitĂ© sĂ»re, Ă©lectrique, d’une prodigieuse assurance, combinant, expressivitĂ© et poĂ©sie.
FluiditĂ© et virilitĂ© du Concerto n°1 de Rachmaninov : nervositĂ© scintillante, un feu d’une rare vitalitĂ© grâce Ă un toucher alliant Ă©nergie et ductilitĂ©. La vĂ©locitĂ© digitale dont est capable Denis Matsuev, ne sacrifiant jamais la finesse allusive sur l’autel de la facile virtuositĂ©, s’impose Ă nous dans ce premier volet dont il sait exprimer toutes les nostalgies et les langueurs Ă peine tenus assumĂ©es par l’expatriĂ© Rachma,toujours profondĂ©ment tentĂ© par le dĂ©mon des gouffres lisztĂ©ens (dernière sĂ©quence du I “Vivace”).
Dans sa version tardive de 1949, le Capriccio pour piano et orchestre de Stravinsky prĂ©pare Ă la mĂ©canique apocalytique de Shchedrin, par sa coupe syncopĂ©, ses accents tragico-cyniques auxuquels Matsuev aime Ă ciseler mais sans duretĂ© chaque trait incisif. LĂ encore, la maĂ®trise expressive et suggestive, la mise en place assurĂ©e par le maestro Gergiev, un partenaire fiable assurant la rĂ©ussite de ses deux artistes en pleine complicitĂ©, contribuent Ă la grande sĂ©duction du morceau, formidable mouvement de bascule permanent entre tragique et comique ; s’y insinuent Ă©videmment la morsure du cynisme, de l’angoisse rentrĂ©e, la peur et le visage de toutes les terreurs politiques, proches en cela de Chostakovitch. SĂ©rieux, insouciant, fantaisiste ou profond… tout l’art de l’insaisissable Stravinsky est magistralement exprimĂ©. L’andante Rapsodico et ses dĂ©lires nĂ©obaroques ou nĂ©oclassiques aprofondit encore la portĂ©e d’autodĂ©rision et de satire Ă peine voilĂ©e. Le toucher prĂ©cis, contrĂ´lĂ© du pianiste offre au mouvement, une grandeur tendre, une coloration de sincĂ©ritĂ© (malgrĂ© les masques que le compositeur aime y user jusqu’Ă l’Ă©cĹ“urement), totalement irrĂ©sistible.
Rachmaninov, Stravinsky, Shchdrine, un triptyque de la modernitĂ© russe…
Piano fauve et allusif du félin Matsuev
Le Concerto pour piano n°2 de Rodion Shchedrin (ChĂ©drine, nĂ© en 1932) s’impose plus encore par sa carrure de l’Ă©trange, un cycle d’atmosphères et de climats qui perturbent et dĂ©stabilisent. L’opus composĂ© en 1966 et dĂ©diĂ© comme l’ensemble de ses 6 Concertos Ă son Ă©pouse la danseuse Ă©toile MaĂŻa PlissetskaĂŻa (dĂ©cĂ©dĂ©e en 2015) tĂ©moigne de l’inspiration contrastĂ©e, ardente, efficace de son auteur. Morsures hallucinĂ©es, et inquiĂ©tudes finales quasi murmurĂ©es (entre dĂ©sespoir et renoncement total) de “Dialogues” (I); rythmicitĂ© mĂ©canique d’Improvisations : allegro (très courts scherzo parfois grimaçant et sec) ; l’intĂ©rioritĂ© du compositeur s’affirme vĂ©ritablement dans le dernier et troisième mouvement notĂ© “Contrastes : Andante – allegro” oĂą le cadre lĂ encore resserrĂ©, fait l’inventaire d’un champs de ruines, dĂ©vastĂ©, criant d’effrayante vĂ©ritĂ©. Le piano Ă la fois funambule et comme hagard de Matsuev saisit par sa juste pudeur, introspective, tĂ©nue, mesurĂ©e oĂą des gouffres s’ouvrent sans filet, contrastant avec des sĂ©quences jazzy d’une inconscience / insouciance d’autant plus inquiĂ©tante que la dualitĂ© des deux climats paraĂ®t bien ĂŞtre le miroir de notre Ă©poque : dĂ©ni collectif des sociĂ©tĂ©s consommatrices et violence barbare en plein expansion… tout le mouvement dernier tire sa force hypnotique du contraste nĂ© des deux styles. Shchedrin a ressenti le dĂ©règlement profond de notre sociĂ©tĂ© dans un Concerto dĂ©concertant Ă bien des Ă©gards. DĂ©stabilisant mais terriblement Ă©loquent. La musique nous tend le miroir… ce que nous voyons, grâce au pianiste en transe, relève de l’horreur absolu. Le rĂ©cital, conçu tel le triptyque de la modernitĂ© russe captive du dĂ©but Ă la fin. Le piano fauve et allusif du fĂ©lin Mastuev saisit par sa prĂ©cision, son mordant, sa justesse, sa maturitĂ© et sa musicalitĂ©. CLIC de classiquenews de janvier 2016.
CD, Ă©vĂ©nement. Denis Matsuev, piano : Rachmaninov (Concerto pour piano n°2, version de 1917), Stravinsky (Capriccio pour piano et orchestre, version de 1949), Shchedrin (Concerto pour piano n°2). Mariinsky Orchestra. Valery Gergiev, direction – Enregistrement rĂ©alisĂ© en 2014 (Rachma), avril 2015 Ă Saint-Petersbourg, Mariinsky Theatre Concert Hall – 1 cd SACD Mariinsky MARO 587.
CD, compte rendu critique. Rachmaninov : Symphonie n°3. Valery Gergiev, novembre 2014 (1 cd LSO Live)
CD, compte rendu critique. Rachmaninov : Symphonie n°3. Valery Gergiev, novembre 2014 (1 cd LSO Live). L’opus 44 de Rachmaninov en la mineur accuse et la prĂ©sence occidentale dans l’oeuvre du symphonisme, le plus ardent parmi les crĂ©ateurs russes après Tchaikovski, dĂ©fendant toujours une active Ă©nergie de la nostalgie dans un langage flamboyant qui l’affirme comme un immense crĂ©ateur pour l’orchestre. La Symphonie n°3 combine idĂ©alement tentation panique du repli mĂ©lancolique, voire dĂ©pressif, et esprit de conquĂŞte intĂ©rieur sur des dĂ©mons personnels. Gergiev comprend parfaitement cette ambiguitĂ© inhĂ©rente Ă la sensibilitĂ© d’un Rachmaninov tiraillĂ© : pulsion de vie et effondrement amer… Ecrite en 1936 aux USA, créée en novembre 1936, sous la direction de Leopold Stokowski Ă Philadelphie, la 3ème clame ses humeurs sombres, âpres, toujours suractive. Rachmaninov le dĂ©racinĂ©, fait chanter avec force (particulièrement l’allegro moderato du premier mouvement) son amour pour sa patrie avec une intensitĂ© rare qui renoue avec la partition purement instrumentale antĂ©rieure (L’ĂŽle des morts de 1909), avant la grand Ĺ“uvre des Danses Symphoniques de 1940.
Le raffinement de l’orchestration, incises trĂ©pidantes et toujours très actives des cordes, cors majestueux, flĂ»tes et hautbois dansants et insinueux, scintille avec mesure sous la baguette d’un Gergiev très scrupuleux, toujours parfaitement allant et prĂ©cisĂ©ment dramatique. L’Adagio exprime une douceur attendrie recueillie qui se recentre dans le chant du violon solo, avec des couleurs et accents typiquement amĂ©ricains (sentimentalisme… que Gergiev sait tempĂ©rer en russe qu’il est, Ă©vitant le pathos dĂ©monstratif et appuyĂ© dans lequel trop de chefs s’embourbe).
Dans le dernier mouvement, vif, dont l’Ă©nergie chorĂ©graphique Ă©perdue et conquĂ©rante rappelle Borodine, Gergiev se montre très attentif Ă mille nuances qui Ă©carte Ă qui sait les percevoir, l’Ă©toffe du clinquant Rachmaninov de la pleine maturitĂ© amĂ©ricaine, d’une dĂ©monstration hollywoodienne. La mise en place très prĂ©cise des pupitres (dĂ©jĂ parfaite dans l’intervention du contrebasson et du cĂ©lesta dans le second mouvement, produit les mĂŞmes bĂ©nĂ©fices : Rachmaninov y semble parcourir et fouiller toutes ses Ă©motions les plus tĂ©nues, recomposant sa propre lĂ©gende personnelle avec une finesse instrumentale et une cohĂ©rence dans son dĂ©roulement qui souligne la sincĂ©ritĂ© de la construction. La pâte du LSO London Symphony Orchestra Ă©vite toute lourdeur, rĂ©vĂ©lant une superbe finesse instrumentale, une sensualitĂ© ardente et souple (6’27 du 3ème mouvement) tout en marquant chaque jalon de la formidable Ă©nergie finale. Tout cela va dans le sens d’une caractĂ©risation scintillante de l’Ă©criture instrumentale, moins, et c’est une tendance lĂ©gitime et juste, vers une approche contrastĂ©e par masses. De sorte que malgrĂ© les soubresauts rythmiques, Gergiev fait souffler une langueur noble et simplement chantante, magistralement nostalgique. En dĂ©finitive, ne voudrait-il pas nous confirmer ce qui demeure le caractère le plus emblĂ©matique de Rachmaninov, son romantisme Ă©perdu, viscĂ©ral, jusqu’au boutiste qui en fait le dernier des grands symphonistes russes tendances classiques, aux cĂ´tĂ©s des Stravinsky, Prokofiev, Chostakovitch, eux aussi bien trempĂ©s mais plus permĂ©ables Ă la modernitĂ© musicale.
Le patriote Balakirev exprime une passion explicite pour la Russie historique et Ă©ternelle dont Russia manifeste clairement l’orgueil, une certaine fiertĂ© enivrĂ©e. Le pilier du Groupe des Cinq y Ă©voque l’histoire russe Ă travers les 3 volets reprĂ©sentatifs : paganisme, gouvernements populaires, empire moscovite, chacune correspondant Ă une mĂ©lodie populaire spĂ©cifique. Créée Ă Saint-PĂ©tersbourg en 1864, rĂ©visĂ©e en 1887, la partition offre un vĂ©ritable condensĂ© d’inspiration russe noble, très inspirĂ©e par le folklore populaire. MalgrĂ© la grandeur Ă©pique, le chef sait construire l’ouverture sur l’intĂ©rioritĂ©, la suggestion, le raffinement lĂ encore d’une orchestration fine et qui conclue la pièce dans un murmure. Une Ă©lĂ©gance rare, une subtilitĂ© de ton font toute la saveur de cette approche qui respire et s’enflamme sans contraintes ni effets superfĂ©tatoires. En somme, un chant musical qui sous la baguette du chef s’Ă©coule et se dĂ©ploie comme une seconde langue.
CD, compte rendu critique. Rachmaninov (1873-1943) : Symphonie n°3 opus 44, 1935-1936. Mily Balakirev (1837-1910) : Russia, seconde ouverture d’après 3 thèmes populaires russes, 1864, rĂ©vision de 1907. LSO Londons SYmphony Orchestra. Valery Gergiev, direction. Enregistrement rĂ©alisĂ© au Barbican Center de Londre en novembre 2014. 1 cd LSO Live.
Aleko et Francesca da Rimini de Rachmaninov Ă Nancy
Nancy. Rachmaninov : Aleko, F. Da Rimini. 6-15 fĂ©vrier 2015. Superbe et heureuse surprise lyrique proposĂ©e par l’OpĂ©ra de Nancy : les opĂ©ras de Rachmaninov sont trop peu jouĂ©s et pourtant d’un raffinement symphonique et crĂ©pusculaire, souvent saisissant. Aleko – opĂ©ra virtuose du jeune Ă©lève talentueux au Conservatoire de Moscou de 1893) et surtout le flamboyant Francesca da Rimini- composĂ© en 1905, d’après le Vème chant de l’Enfer de Dante, dĂ©voilent une facette mĂ©connue de compositeur russe, son gĂ©nie théâtral.
Nancy, Opéra de Lorraine
Les 6,8,10,12,15 février 2015
Calderon, Purcarete
Vinogradov, Maksutov, Sebesteyen, Gaskarova, Lifar – Gnidi, Maksutov, Vinogradov, Gaskarova, Liberman
Aleko, 1893
Aboutissement de son apprentissage au Conservatoire de Moscou, le jeune Rachmaninov doit composer un opĂ©ra d’après Pouchkine. Illivre la partition scintillante d’Aleko, d’un raffinement orchestral dĂ©jĂ sĂ»r, Ă©gal des opĂ©ras les plus rĂ©ussis de Tchaikovski, avec une science des transitions mĂ©lodiques et des climats, entre Ă©lĂ©gie poĂ©tique, ivresse sensuelle et vertiges amers rarement aussi bien enchaĂ®nĂ©s. En seulement 17 jours et suivant l’encouragement admiratif d’Arensky son professeur, Rachmaninov achève Alenko qui lui permet de remporter la grande mĂ©daille d’or, rĂ©compense prestigieuse qu’il rĂ©colte avec un an d’avance : c’est dire la prĂ©cocitĂ© de son gĂ©nie lyrique. MalgrĂ© l’enthousiasme immĂ©diat de Tchaikovski dès la première Ă Moscou, Alenko sera ensuite rejetĂ© par son auteur qui le trouvait trop italianisant.
Proche de son sujet, immersion dans le monde tziganes oĂą la libertĂ© fait loi, Rachmaninov inspirĂ© par un milieu d’une sensualitĂ© farouche, Ă la fois sauvage et brutale mais Ă©tincelante par ses accents orientalisants, favorise tout au long des 13 numĂ©ros de l’ouvrage, une succession de danses caractĂ©risĂ©es, Ă©nergiquement associĂ©es, de choeurs très recueillis et prĂ©sents, un orchestre dĂ©jĂ flamboyant qui annonce celui du Chevalier Ladre de 1906. Fidèle Ă son sens des contrastes, le jeune auteur fait succĂ©der amples pages symphoniques et chorales Ă l’atmosphĂ©risme envoĂ»tant et duos d’amour entre les Ă©poux, d’un abandon extatique. Parmi les pages les plus abouties qui dĂ©passe un simple exercice scolaire, citons la Cavatine pour voix de basse (que rendit cĂ©lèbre Chaliapine, d’un feu irrĂ©sistible plein d’espĂ©rance et de dĂ©sir inassouvi) ou la scène du berceau. e souvenant de Boris de Moussorsgki, la scène tragique s’achève sur un sublime chĹ“ur de compassion et de recueillement salvateur auquel rĂ©pond les remords du jeune homme sur un rythme de marche grimaçante et languissante, avant que les bois ne marque la fin, Ă peine martelĂ©e, furtivement. La maturitĂ© dont fait preuve alors Rachmaninov est saisissante.
Synopsis
Carmen russe ? La passion rend fou… D’après Les Tziganes de Pouchkine, Alenko est un jeune homme que la vie de Bohème sĂ©duit irrĂ©sistiblement au point qu’il dĂ©cide de vivre parmi les Tziganes. Surtout auprès de la belle Zemfira dont les infidĂ©litĂ©s le mène Ă la folie : possĂ©dĂ©, Aleko tue la jeune femme, sirène fascinante et inaccessible, avant d’ĂŞtre rejetĂ© par le clan qui l’avait accueilli. Le trame de l’action et la caractĂ©risation des protagonistes rappelle Ă©videmment Carmen de Bizet (1875), mais alors que le français se concentre sur le duo mezzo-soprano/tĂ©nor (Carmen, JosĂ©), Rachmaninov choisit le timbre de baryton pour son hĂ©ros tiraillĂ© et bientĂ´t meurtrier.
La figure de Francesca s’impose dans l’histoire des amants maudits magnifiques. Bien que mariée à Lanceotto, la jeune femme ne peut résister au frère de ce dernier : Paolo. La princesse de Rimini a inspiré de nombreux artistes surtout romantiques : les peintres (célèbre tableau de monsieur Ingres et de William Dyce en une claire nuit enchantée…) et les compositeurs tels Liszt (Dante Symphonie), Tchaikovski ou Ambroise Thomas sans omettre Riccardo Zandonai… La lecture qu’en offre Rachmaninov s’inscrit dans l’illustration tragique, ténébreuse, crépusculaire.
L’exceptionnel Francesca da Rimini opus 25 (1905) sur le livret de Modeste Tchaikovski, aux Ă©clats crĂ©pusculaires … souligne combien Rachmaninov est un auteur taillĂ© pour les atmosphères somptueusement fantastiques voire lugubres : pas d’Ă©chappĂ©e possible pour Francesca. La partition met en avant le gĂ©nie symphonique de l’orchestrateur, sa capacitĂ© Ă saisir des ambiances sombres et mĂ©lancoliques que sous-tend cependant une rĂ©elle Ă©nergie tendre (ample et prophĂ©tique prĂ©lude, très dĂ©veloppĂ©). Les profils psychologiques sont remarqualement caractĂ©risĂ©s par un orchestre ocĂ©anique qui fait souffler une houle flamboyante et introspective : difficile de rĂ©sister au chant de Lanceotto Malatesta (baryton) chez qui s’embrase littĂ©ralement le feu dĂ©vorant du soupçon et de la jalousie.
En dĂ©pit d’un livret assez sommaire et très schĂ©matique de Modeste Tchaikovsky, la musique comble les vides criants du texte, dĂ©veloppe de superbes variations symphoniques sur chaque situations en conflits opposant les deux amants ivres et impuissants face au venin de plus en plus menaçant de Lanceotto. StructurĂ© en flasback, le livret mĂŞle prĂ©sent de l’action tragique et dramatique, et passĂ©.
Le prologue Ă©voque le premier et le second cercle des enfers que traverse Dante conduit par Virgile (comme dans le tableau de Delacroix oĂą les deux sont sur la barque sur un ocĂ©an inquiĂ©tant…). Dante aperçoit l’âme et les fantĂ´mes errants de Paolo et Francesca…
Au premier tableau, ans la palais Malatesta, le très grand monologue de Lanceotto Malatesta, solitaire, douloureux tĂ©moin d’un amour qu’il ne peut attĂ©nuer sans le dĂ©truire, se glisse l’amertume de Rachmaninov lui-mĂŞme qui compose cette partie (1900) alors qu’il vit une profonde dĂ©pression après l’Ă©chec de sa première symphonie. Conflit entre rage et impuissance tenace face au destin qui renforce sa totale frustration : Francesca qu’il aime en aime un autre : son propre frère, Paolo. Toute la thĂ©matique de la malĂ©diction se dĂ©ploie ici avec des couleurs inouĂŻes. Contraint de partir Ă la guerre, Lanceotto exprime nĂ©anmoins ses soupçons et sa colère dĂ©munie. Le meurtre est Ă©vacuĂ© en quelques mesures comme si l’opĂ©ra Ă©tait plutĂ´t centrĂ© sur le ressentiment du frère trahi et Ă©cartĂ© : Lanceotto est le vrai protagoniste de ce drame Ă la fois Ă©conome et fulgurant.
Dans le tableau II, en l’absence de son frère, le beau Paolo fait sa cour Ă Francesca en lui narrant subtilement l’histoire de Lancelot et de Guenièvre : adultère et trahison d’une force irrĂ©pressible au son de la harpe enchantĂ©e… Rachmaninov peint alors un superbe lieu d’amour enchantĂ© : ce lieu mĂŞme qu’Ă©voque insidieusement Paolo, lĂ oĂą Guenièvre s’est donnĂ© au chevalier magnifique. Les deux s’embrassent quand surgit Lanceotto qui les poignarde de fureur.
L’Epilogue (avec son choeur surexpressif bouche fermĂ©e) Ă©voque le retour de Dante conduit par Virgile hors du second cercle des Enfers. L’ouvrage s’achève ainsi dans les brumes du souvenir, de l’Ă©vocation fantomatique, comme un songe surnaturel.
CD. On ne saurait mieux conseiller la version signĂ©e il y a presque 20 ans, en 1996 par Neeme Järvi et le symphonique de Gothenburg (Decca) avec deux monstres sacrĂ©s du chant russe : le baryton ardent et noble Serguei Leiferkus (Lanceotto) et le tĂ©nor non moins hallucinant Serguei Larin dans le rĂ´le Ă©perdu de Paolo. Chacun Ă©blouit dans la première et seconde partie. Il est temps de reconnaĂ®tre le gĂ©nie lyrique de Rachmaninov tel qu’il se dĂ©voile dans ses pages hautement dramatiques. Certes la livret pĂŞche mais la construction et l’intelligence musicale captivent de bout en bout : la fin prĂ©cipite le drame, l’Ă©vocation des enfers de Dante offre une fresque symphonique avec chĹ“ur d’une Ă©vidente puissance poĂ©tique.
Les VĂŞpres de Rachmaninov
France Musique : le 9 janvier, 14h. Rachmaninov : Les Vêpres. Début 1915, il y a un siècle, en pleine guerre, Rachmaninov compose entre janvier et février 2015, les Vêpres opus 36 : 15 Cantiques pour chœur et solistes a cappella (six pages de vêpres et neuf de matines). Il utilise les mélodies du rituel orthodoxe comme il l’avait fait pour la Liturgie. Refus du brio, absence de virtuosité, le cycle exprime une nouvelle intériorité, une profondeur qui est liée aux derniers événements de la vie personnelle et amicale : simplicité et sincérité éblouissent ici, nuançant l’image du Rachmaninov, prodige au piano et concertiste célébré dans les plus grandes salles de concert. L’œuvre est celle d’un homme atteint, hanté par la mort : depuis la déclaration de la première guerre, Rachmaninov a réduit son activité de compositeur ; il perd aussi quelques temps après la création des Vêpres, plusieurs de ses amis et proches : Scriabine, leur ancien professeur Taneïev, puis surtout son père. Rachmaninov confirme à ses proches : « il est impossible de vivre quand on sait que l’on doit de toute manière finir par mourir ».
France Musique. Rachmaninov : Les Vêpres. Vendredi 9 décembre 2014, 14h. Chœur de Radio France. Celso Antunes, direction.
DVD. Rachmaninov. Film de Pavel Lounguine (2006)
DVD. Rachmaninov. Film de Pavel Lounguine (2006). Il y a beaucoup de tendresse dans ce « faux » biopic dédié au pianiste et compositeur Sergei Rachmaninov (1873-1943). Il s’agit plutôt d’une variation autour de sa vie, un résumé subjectif qui parle en terme de séquences, climats, courtes visions, alternant entre sa tournée menée à un rythme d’enfer aux USA (première moitié des années 1920), sa vie d’expatrié à Los Angeles; les souvenirs de son enfance russe (avant la Révolution bolchévique), dans la maison familiale où règne, parfum et présence obsessionnelle tout au long du film, la douce matière olfactive des lilas blancs (tourné en 2006, et sorti l’année suivante, le film s’intitulait « Lilacs »). Le Rachmaninov de Lounguine est un artiste demeuré enfant. Un pianiste virtuose qui électrise les salles, mais un compositeur déraciné, écorché, frustré. Tiraillement intérieur souvent exposé/exprimé de façon bien naïve, clichés à l’appui : le compositeur est à son piano déchirant dans des mines investies, les papiers où s’enchaînent des portées insatisfaisantes.
les lilas blancs de Rachma…
Le cinéaste russe né en 1949, brosse un portrait souvent manichéen du musicien : il en fait un nostalgique absent, au regard lointain, évidemment porté sur l’alcool et la cigarette (ces deux travers ont effectivement causé la mort de Rachmaninov). Dans le rôle principal, l’acteur Evgeniy Tsyganov ne manque pourtant pas de présence à l’écran. A ses côtés papillonnent des femmes amoureuses, admiratives (dont surtout la révolutionnaire Mariana), après sa première muse plutôt froide et distante : Anna, femme sirène qui assiste défaite à la création (catastrophique) de sa Première Symphonie (le chef était ivre). Après cette infamie, ils ne se reverront plus… suit l’errance du pauvre compositeur dans les rues sombres et froides d’une ville glaçante (encore un cliché !). La figure féminine qui l’accompagne et le pousse même dans toutes les nouvelles épreuves de sa vie reste sa cousine Natalya, d’abord complice en tout, puis son épouse qui le suit comme une ombre fidèle dans ses tournées au rythme trépidant.
Malgré un travail iconographique sûr (nombreuses images d’époque de l’Amérique des années 1920), malgré une photographie très raffinée (surtout dans les séquences qui replongent dans la Russie impériale d’avant la Révolution), le film garde un goût d’inachevé dans la construction alternée, surtout dans le traitement du personnage central : évocation plus qu’incarnation, silhouette qui glisse sur la vie et les épreuves plutôt que force créative douée d’un fort tempérament néoclassique et postromantique qui a fait de Serguei Rachmaninov un adolescent adulé, prodige du piano et immédiatement encouragé par Tchaïkovski lui-même: ce dernier est d’ailleurs cité mais absent, lors d’un diner auquel le jeune Rachmaninov retardataire paraît tardivement et plutôt désolé (il s’enivrait dans les bras de sa muse). A en croire le film, ce manque d’égard pour Tchaikovski scelle la rupture avec son professeur et mentor Sverev qui le renvoie de sa pension académie.
Lounguine prend prĂ©texte d’une Ă©vocation esquissĂ©e pour traiter des thèmes habituels dans sa filmographie : nostalgie de la Russie de naguère, choc de la RĂ©volution… pour autant le drame d’une vie, celle de Rachmaninov expatriĂ©, la question de la crĂ©ation, et dans l’activitĂ© artistique, le dilemme entre virtuositĂ© creuse mais rentable du pianiste virtuose, et angoisse du compositeur dĂ©tournĂ© de son Ĺ“uvre… sont bâclĂ©s dans une sĂ©rie d’images jolies … hĂ©las, rien que dĂ©coratives.
On croit difficilement Ă ce personnage un peu creux qui manque de profondeur. Les connaisseurs ou les amateurs, mĂ©lomanes avertis, attirĂ©s par le sujet du film, n’y retrouveront pas l’auteur enflammĂ© des opĂ©ras Aleko, Le chevalier ladre et de Francesca da Rimini (ouvrages lyriques Ă redĂ©couvrir d’urgence, d’un flamboiement fantastique somptueusement articulĂ© Ă l’orchestre !), de l’Ile des morts et du poème symphonique Les cloches, des trois Concertos pour piano, Ĺ“uvres majeures du XXème siècle, si diamĂ©tralement opposĂ©es esthĂ©tiquement des pièces de Stravinsky ou de Prokofiev. Ici Rachmaninov est un doux rĂŞveur, un peu trop doux. Un agneau Ă©garĂ© qui fuyant le pays des Soviets, reste tout autant Ă la marge au pays de l’oncle Sam et se perd dans des tournĂ©es menĂ©es tambour battant mais tragiquement trompeuses…
DVD. Rachmaninov. Film de Pavel Lounguine (2006, sorti dans les salles en 2007). Parution en dvd : début décembre 2014.
approfondir
Dossier. Les opéras de Serge Rachmaninov.  A l’occasion de la parution chez Decca d’un coffret de 32 cd (Rachmaninov : the complete works, l’intégrale, Decca 32 cd, octobre 2014) regroupant tout l’œuvre du compositeur russe, toujours si mésestimé, classiquenews réouvre le débat du génie incompris, porteur d’authentique chefs d’oeuvres dont ses 4 opéras, diversement livrés, certains incomplets dont Monna Vanna (seul subsiste le matériel du premier acte). D’Aleko et du Chevalier ladre à  Francesca da Rimini,les opéras de Rachmaninov n’ont rien de ce post classicisme artificiel et sentimental, mais plutôt souligne le crépitement d’un auteur fasciné par les climats hallucinés et fantastiques, ceux exacerbés qui dans un style millimétré, retenu, pudique – proche de sa nature profonde- éclairent et révèlent la psyché secrète et souterraine des protagonistes… LIRE notre dossier les opéras de Rachmaninov
3ème Concerto de Rachmaninov au TAP de Poitiers
Poitiers, TAP. 3è Concerto pour piano de Rachmaninov. 16 novembre, 15h. Danses et scintillements post romantiques au féminin…Deux Américaines, une pianiste et une chef d’orchestre, sont les maîtresses de cérémonie de ce programme au TAP de Poitiers, largement inspiré par la danse. Les cycles de Danses slaves furent composées par Dvorák suite au succès des Danses hongroises de Brahms, son grand ami rencontré à Vienne, et reprennent des danses populaires telles les dumkas, polkas, scocnas aux rythmes si contrastés. La Pianiste Natasha Paremski, née en Russie est l’une des rares femmes à jouer le 3e Concerto de Rachmaninov, monument de virtuosité qui exige de son interprète une largeur de main inhabituelle. La chef d’orchestre mexicaine Alondra de la Parra dirige en conclusion du concert, le Danzón d’Arturo Márquez, une danse à nouveau mais celle-ci typique de la musique mexicaine du 20e siècle imprégnée de musique cubaine, entraînante et sollicitant tous les feux de l’orchestre.
Rachmaninov : 3ème Concerto pour piano et orchestre
Eté 1909, Rachma vient d’achever son sublime poème symphonique L’île des morts d’après le peintre Böcklin, il prépare en outre une grande tournée outre-Atlantique (USA) comme pianiste et compositeur pour l’automne. Son 3ème Concerto pour piano doit dépasser la réussite du Second, affirmer sa virtuosité de soliste tout en sachant aussi se renouveler. Le 3ème Concerto est donc créé pendant la tournée sur le côte Est américaine, en novembre 1909 à New York, avec la complicité de Gustav Mahler alors directeur du Philharmonique. La sincérité du style, la clarté de développement affirment entre autres la maturité du compositeur. Composé dans sa chère maison familiale d’Ivanovka, le Concerto dès son premier mouvement impose la poésie de thèmes simples, enfantins, immédiatement accessibles comme l’indice d’une confession murmurée à l’oreille d’un ami. La cadence du premier mouvement renoue avec l’insouciance et l’innocence primitive à laquelle aspirent tous les Romantiques. Le second mouvement, Intermezzo, référence au tableau central du Concerto de Schumann, fait se succéder un jaillissement d’émotions diverses et jamais contraintes, d’une volubilité aérienne qui n’écarte pas la profondeur des affects les plus intimes. Enfin, le dernier mouvement est bâti comme un galop, une chevauchée irrépressible qui va son terme sans dévier d’une mesure : l’allant et la détermination du compositeur s’y imposent sans transiger. Versatile sans dilution, inspiré sans artifice, le soliste requis doit nuancer et réaliser ce scintillement de sentiments habilement combinés qui font la valeur du 3ème Concerto de 1909, véritable joyau du postromantisme.
TAP, Poitiers. Dimanche 16 novembre 2014, 15h
Rachmaninov, Dvorak, Marquez... Â
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Rachmaninov / Dvořák / Marquez
Alondra de la Parra, direction
Natasha Paremski, piano
> Sergueï Rachmaninov : Concerto pour piano n°3
> Anton Dvorák : Danses Slaves op.46
> Arturo Márquez : Danzón n°2
Les opĂ©ras de Rachmaninov : Aleko, Le Chevalier Ladre… Dossier spĂ©cial
Dossier. Les opĂ©ras de Serge Rachmaninov. A l’occasion de la parution chez Decca d’un coffret de 32 cd (Rachmaninov : the complete works, l’intĂ©grale, Decca 32 cd, octobre 2014) regroupant tout l’Ĺ“uvre du compositeur russe, toujours si mĂ©sestimĂ©, classiquenews rĂ©ouvre le dĂ©bat du gĂ©nie incompris, porteur d’authentique chefs d’oeuvres dont ses 4 opĂ©ras, diversement livrĂ©s, certains incomplets dont Monna Vanna (seul subsiste le matĂ©riel du premier acte). D’Aleko et du Chevalier ladre Ă Francesca da Rimini, les opĂ©ras de Rachmaninov n’ont rien de ce post classicisme artificiel et sentimental, mais plutĂ´t souligne le crĂ©pitement d’un auteur fascinĂ© par les climats hallucinĂ©s et fantastiques, ceux exacerbĂ©s qui dans un style millimĂ©trĂ©, retenu, pudique – proche de sa nature profonde- Ă©clairent et rĂ©vèlent la psychĂ© secrète et souterraine des protagonistes…
Aleko, 1893
Aboutissement de son apprentissage au Conservatoire de Moscou, le jeune Rachmaninov doit composer un opĂ©ra d’après Pouchkine. Illivre la partition scintillante d’Aleko, d’un raffinement orchestral dĂ©jĂ sĂ»r, Ă©gal des opĂ©ras les plus rĂ©ussis de Tchaikovski, avec une science des transitions mĂ©lodiques et des climats, entre Ă©lĂ©gie poĂ©tique, ivresse sensuelle et vertiges amers rarement aussi bien enchaĂ®nĂ©s. En seulement 17 jours et suivant l’encouragement admiratif d’Arensky son professeur, Rachmaninov achève Alenko qui lui permet de remporter la grande mĂ©daille d’or, rĂ©compense prestigieuse qu’il rĂ©colte avec un an d’avance : c’est dire la prĂ©cocitĂ© de son gĂ©nie lyrique. MalgrĂ© l’enthousiasme immĂ©diat de Tchaikovski dès la première Ă Moscou, Alenko sera ensuite rejetĂ© par son auteur qui le trouvait trop italianisant.
Proche de son sujet, immersion dans le monde tziganes oĂą la libertĂ© fait loi, Rachmaninov inspirĂ© par un milieu d’une sensualitĂ© farouche, Ă la fois sauvage et brutale mais Ă©tincelante par ses accents orientalisants, favorise tout au long des 13 numĂ©ros de l’ouvrage, une succession de danses caractĂ©risĂ©es, Ă©nergiquement associĂ©es, de choeurs très recueillis et prĂ©sents, un orchestre dĂ©jĂ flamboyant qui annonce celui du Chevalier Ladre de 1906. Fidèle Ă son sens des contrastes, le jeune auteur fait succĂ©der amples pages symphoniques et chorales Ă l’atmosphĂ©risme envoĂ»tant et duos d’amour entre les Ă©poux, d’un abandon extatique. Parmi les pages les plus abouties qui dĂ©passe un simple exercice scolaire, citons la Cavatine pour voix de basse (que rendit cĂ©lèbre Chaliapine, d’un feu irrĂ©sistible plein d’espĂ©rance et de dĂ©sir inassouvi) ou la scène du berceau. e souvenant de Boris de Moussorsgki, la scène tragique s’achève sur un sublime chĹ“ur de compassion et de recueillement salvateur auquel rĂ©pond les remords du jeune homme sur un rythme de marche grimaçante et languissante, avant que les bois ne marque la fin, Ă peine martelĂ©e, furtivement. La maturitĂ© dont fait preuve alors Rachmaninov est saisissante.
Synopsis
Carmen russe ? La passion rend fou… D’après Les Tziganes de Pouchkine, Alenko est un jeune homme que la vie de Bohème sĂ©duit irrĂ©sistiblement au point qu’il dĂ©cide de vivre parmi les Tziganes. Surtout auprès de la belle Zemfira dont les infidĂ©litĂ©s le mène Ă la folie : possĂ©dĂ©, Aleko tue la jeune femme, sirène fascinante et inaccessible, avant d’ĂŞtre rejetĂ© par le clan qui l’avait accueilli. Le trame de l’action et la caractĂ©risation des protagonistes rappelle Ă©videmment Carmen de Bizet (1875), mais alors que le français se concentre sur le duo mezzo-soprano/tĂ©nor (Carmen, JosĂ©), Rachmaninov choisit le timbre de baryton pour son hĂ©ros tiraillĂ© et bientĂ´t meurtrier.
Le Chevalier ladre, 1906
Le Chevalier Ladre est créé au Théâtre BolshoĂŻ le 24 janvier 1906 ; l’ouvrage taillĂ© comme un diamant noir, semble exprimer au plus près la tension psychologique imaginĂ©e par Pouchkine dans sa chronique familiale, Ă©vocation noire et sombre, maudite, de la relation tragique d’un baron fortunĂ© mais avare, et de son fils rattrapĂ© par ses crĂ©anciers dont le Duc. L’efficacitĂ© du style lyrique de Rachmaninov s’y rĂ©vèle idĂ©ale : dense, fulgurante, d’une flamboiement orchestral inouĂŻ, aussi noir et sombre voire lugubre, et mĂŞme frappĂ© par ce fantastique hallucinĂ© propre aux meilleures sĂ©quences de Tchaikovski.
Le baron est un Ă©mule d’Harpagon de Molière mais avec des Ă©clairs de rage et de haine viscĂ©rale, Rachmaninov suivant de près le profil qu’en trace Pouchkine : une âme dĂ©chirĂ©, aux abois, en panique, dont l’admirable monologue (grand air Ă l’origine Ă©crit pour Fedor Chaliapine qui dĂ©clina la proposition de crĂ©er ce formidable personnage) Ă©claire les vertiges et la folie souterraine. Pas de femmes dans un univers, – comme La maison des morts de Janacek, et Billy Budd de Britten-, uniquement masculin, Ă©touffant huit clos oĂą la tension psychique et la violence affleurante rĂ©vèle les personnalitĂ©s. C’est ainsi le profil aigu, soupçonneux, un rien corrosif de l’usurier juif d’un hĂ©roĂŻsme sadique trop heureux de contraindre une victime toute dĂ©signĂ©e qu’il soumet par l’argent.
Ayant eu le choc de Bayreuth, Rachmaninov façonne un nouvel orchestre miroitant, d’une richesse instrumentale inĂ©dite dont le raffinement exprime toutes les nuances de la psychĂ© en effervescence : dans le fameux monologue du baron, l’orchestre s’Ă©coule comme un torrent embrasĂ© aux ondulations et scintillements wagĂ©nriens. Jamais trop dense, mais millimĂ©trĂ©e, la partition rĂ©vèle les grands chefs (encore rares comme Neeme Järvi qui se sont frotter au monde fascinant des opĂ©ras de Rachmaninov). Jamais bavard, ou mĂ©canique dans l’usage de formules russes folkloriques, le style de Rachmaninov exprime l’intensitĂ© des passions humaines avec une Ă©lĂ©gance et une pudeur qui n’appartiennent qu’Ă son puissant gĂ©nie dramatique. L’inspiration du compositeur rejoint les grandes rĂ©ussites de son catalogue symphonique : Symphonie n°2, l’ĂŽle des mort, Les cloches… Le Chevalier ladre relève et du poème symphonique avec voix, et de l’Ă©pure psychologique, tant le dĂ©veloppement du tissu orchestral comme chez Wagner suit au plus près les enjeux dramatiques et l’Ă©volution des personnages au cours de l’action. Tout converge vers la confrontation violente, sans issue du père et du fils. La caresse inquiĂ©tante des clarinettes, la morsures plus cyniques des hautbois, le hoquet ou les Ă©clairs tĂ©nus des bassons composent avec le flot inquiĂ©tant des cordes, une houle imprĂ©visible et envoĂ»tante : ils indiquent une connaissance prĂ©cise des possibilitĂ©s de l’orchestre en un flux hallucinĂ© continu, proche du cauchemar Ă©veillĂ© ou de l’accomplissement d’une inĂ©luctable et sourde malĂ©diction. L’introduction du grand monologue du baron dont la folie affleure, est l’une des pages orchestrales les plus rĂ©ussies de Rachmaninov, comme l’air dans sa totalitĂ©, Ă©cho très original du Boris de Moussorgski dont Rachmaninov a compris le schĂ©ma introspectif qui mène le hĂ©ros rongĂ© et tiraillĂ© par ses dĂ©mons invisibles, de l’hallucination Ă la transe : l’Ă©criture âpre, mordante, expressionniste y exprime la destruction mentale et les dĂ©règlements intĂ©rieurs dont est la proie l’avare dĂ©risoire… Le climat qui y est peint est celui d’une tragĂ©die fantastique et dĂ©sespĂ©rĂ©e. D’une Ă©nergie noire, la partition s’achève sur une sĂ©rie de quatre accords qui claquent comme l’interruption providentielle d’un destin foudroyĂ©. L’effet est toujours saisissant.
Synopsis
InspirĂ© du Chevalier Avare de Pouchkine (1830). Le baron, avare refuse de prĂŞter Ă son fils la moindre de ses richesses : Albert dĂ©muni doit emprunter toujours, en particulier au Duc. Quand une confrontation est inĂ©vitable entre le Duc, le baron et son fils, celui est violemment pris Ă partie par son père au bord de la folie qui l’accuse de vouloir l’assassiner… L’argent rend fou, le poison des richesses s’accomplit ici avec une violence terrifiante mais au final c’est le baron fragile psychiquement qui meurt d’une crise cardiaque…
Aleko
OpĂ©ra en un acte, sans numĂ©ro d’opus.
Livret de V. Nemirovich-Dantchenko d’après le poème de Pouchkine, Les Gitans. ComposĂ© en avril 1892 pour l’examen final du conservatoire de Moscou.
Première reprĂ©sentation Ă Moscou le 27 avril 1893 au BolchoĂŻ sous la direction d’Altani.
Le Chevalier ladre
Opus 24, composĂ© en 1903/1905.
OpĂ©ra en trois actes, livret d’après Pouchkine
CommencĂ© en aoĂ»t 1903. TerminĂ© en fĂ©vrier 1904.
Première reprĂ©sentation Ă Moscou en janvier 1906 au BolchoĂŻ sous la direction de Rachmaninov.
Francesca Da Rimini
Opus 25, composĂ© en 1904/1905.
OpĂ©ra en deux actes avec prologue et Ă©pilogue, livret de Modest I. TchaĂŻkovski d’après un Ă©pisode de l’Inferno de Dante (Vème chant). 
Première reprĂ©sentation Ă Moscou en janvier 1906 au BolchoĂŻ, sous la direction de Rachmaninov (en mĂŞme temps que Le chevalier Ladre).
CD, coffret. Rachmaninov : the complete works, integrale (32 cd Decca)
CD, coffret. Rachmaninov : the complete works, integrale (32 cd Decca). Serge Rachmaninov (1873-1943) a longtemps souffert d’un surplus de pathos mièvre et sirupeux que bon nombre de ses interprètes au disque comme au concert semblent vouloir toujours et encore nous assĂ©ner… en toute mĂ©connaissance profonde de sa personnalitĂ© comme de sa sensibilitĂ©. Quand certains aiment souligner avec force effets de poignets au clavier ou Ă la direction, ce romantisme classicisant, sentimental et outrageusement pathĂ©tique, d’autres comme Vladimir Ashkenazy ont cultivĂ©, comme pianiste et comme chef, une voie mĂ©diane, plus dĂ©licate, mais plus juste dĂ©fendant un Rachma, dĂ©finitivement et essentiellement pudique, Ă©lĂ©gant, d’une mesure suggestive, spĂ©cifiquement allusive (en rien dĂ©monstrative).
Tel peut-ĂŞtre l’enseignement de ce coffret somptueux et finalement rĂ©capitulatif qu’Ă©dite Decca, comme un hommage Ă l’affinitĂ© de l’interprète pour un compositeur qu’il a servi avec une indĂ©fectible Ă©nergie, dĂ©fendant avec la mĂŞme ardeur, l’Ă©clat lunaire, voire mĂ©lancolique et mĂŞme saturnien d’un compositeur russe aussi mĂ©connu que peuvent ĂŞtre mieux servis Ă l’inverse, ses contemporains, les modernes Stravinsky et Prokofiev.
Les 32 cd de cette intĂ©grale impressionnante par sa cohĂ©rence artistique et sa grande unitĂ© esthĂ©tique offre une palette complète, le legs d’une recherche interprĂ©tative qui dans le cas de Vladimir Ashkenazy remonte Ă 40 ans, les premiers enregistrements au piano datant du milieu des annĂ©es 1970 (1975 pour le premier cd : les 24 PrĂ©ludes, enregistrĂ©s entre 1974 et 1975) et les plus rĂ©cents remontant Ă 2012 (cd 8 comprenant Morceaux de salon opus 10, 3 Nocturnes, 4 Pièces opus 1). Aux cĂ´tĂ©s d’Ashkenazy, le coffret prĂ©sente Ă©galement des alternatives complĂ©mentaires fameuses : ainsi dans le CD3, les variations sur un thème de Chopin par Jorge Bolet (1986), ou la Sonate n°1 en rĂ© mineur opus 28 par Alexis Weissenberg (1987), … Ă©galement entre autres, la complicitĂ© devenue lĂ©gendaire Ă deux pianos d’Argerich et Freire dans la transcription des Danses Symphoniques opus 45 (2009). SimultanĂ©ment Ă ses enregistrement des Ĺ“uvres pour piano seul (septembre 1974), Ashkenazy enregistre les mĂ©lodies avec Elisabeth Sodeström, soit un cycle de 3 cd Ă©blouissants, d’une profondeur et d’une sincĂ©ritĂ© intactes, rĂ©alisĂ©s jusqu’en 1980.
Mais les premiers enregistrements rĂ©alisĂ©s par Ashkenazy chez Decca concerne les Concertos pour piano mis en boĂ®te dès le dĂ©but des annĂ©es 1970 : ainsi le n°1 (1970) comme soliste avec le London Symphony Orchestra sous la direction d’AndrĂ© PrĂ©vin, puis l’annĂ©e suivante, en 1971, les n°2,3 et 4. Le coffret comprend aussi les versions originales des n°1 et 4 enregistrĂ©es par Ashkenazy chef d’orchestre (soliste : Alexander Ghindin) avec le Philharmonique d’Helsinki en mars 2001.
Les pages symphoniques suivent l’enregistrement des Concertos pour piano ; Ashkenazy enregistrant les Symphonies 1 et 3 dans les annĂ©es 1980. Et aussi la Symphonie Jeunesse de 1891 en 1983 avec le Concertgebouw Orchestra. ComplĂ©tant le volet strictement symphonique, la Symphonie n°2 (opus 27) est ici celle dirigĂ©e par Edo de Waart, enregistrĂ©e dès mai 1973. Parmi les fresques orchestrales, les plus rĂ©ussies citons les Danses Symphoniques opus 45 (1983), surtout les sublimes Cloches – Kolokola opus 35 d’après Edgar Allan Poe (1984) enregistrĂ© avec le mĂŞme Concertgebouw Orchestra.
Les 4 opĂ©ras de Rachmaninov. Les raretĂ©s du coffret concernent surtout les opĂ©ras de Rachmaninov, au symphonisme flamboyant dont on ne comprend pas bien pourquoi ils ne sont pas plus souvent jouĂ©s car leur dramatisme intense y est souvent conjuguĂ© Ă un dĂ©veloppement condensĂ©, très efficace ; ainsi : Aleko (1892, composĂ© par l’Ă©tudiant du Conservatoire de Moscou, dĂ©jĂ admirĂ© par Tchaikovski), Le chevalier ladre opus 24 (1904, inspirĂ© comme Aleko de Pouchkine) dont l’ouverture saisit immĂ©diatement par le sens de la couleur, le climat de malĂ©diction sombre auquel rĂ©pond des Ă©clairs scintillants d’espoir (c’est un huit clos entre un père fortunĂ© mais pingre et son fils)…, surtout l’exceptionnel Francesca da Rimini opus 25 (1905) sur le livret de Modeste Tchaikovski, aux poudroiements crĂ©pusculaires … les 3 ouvrages sont enregistrĂ©s de façon très convaincantes par Neeme Järvi Ă l’Ă©tĂ© 1996. On comprend TchaĂŻkovski dĂ©couvrant Ă Moscou le feu dramatique du jeune Rachma alors Ă©tudiant prĂ©coce de seulemnt 19 ans… S’il n’avait Ă©tĂ© sĂ©duit par d’autres formes, en particulier celles dĂ©rivĂ©es du piano dont il Ă©tait virtuose, Rachmaninov se rĂ©vèle passionnant dramaturge. L’opĂ©ra, plus dĂ©veloppĂ© dans son Ĺ“uvre, aurait probablement atteint le mĂŞme essor que celui de Piotr Illyitch… le compositeur sait en quelques mesures faire surgir le trĂ©fonds des âmes Ă©prouvĂ©es, exprimer tous les enjeux dramatiques de la situation : n’Ă©coutez que le monologue du baron avare, si dur envers son fils Albert (l’introduction orchestrale Ă©gale La Dame de Pique de TchaĂŻkovski), longue tirade tourmentĂ© Ă l’Ă©criture prĂ©cise et souterraine qui au dĂ©part Ă©tait destinĂ© Ă l’immense Chaliapine… Rachmaninov s’y montre parfait assimilateur du Wagner de Bayreuth, un modèle qui lui inspire une orchestration riche et transparente. C’est pourquoi les 4 opĂ©ras ici regroupĂ©s sont de première importance et d’un plaisir inouĂŻ. Le feu très articulĂ© de Järvi toujours soucieux de lisibilitĂ© y compris dans les scènes avec choeur, se rĂ©vèle passionnant d’autant qu’il rĂ©unit une distribution luxueuse comptant entre autres : le lĂ©gendaire et passionnĂ© Sergei Larin dans le rĂ´le d’Albert fils du baron avare, l’incandescent et phĂ©nomĂ©nal Sergei Leiferkus, Maria Gulhina (leur duo dans la dernière partie de Francesca est captivant-) … ; mĂŞme dĂ©couverte fructueuse avec Monna Vanna, scène 1,2 3 de l’acte I (1907 : dans l’enregistrement rĂ©alisĂ© en 1991 par Igor Buketoff, direction qui en proposait alors Ă la demande des descendants, la première restitution du seul premier acte : en anglais, la distribution n’a pas l’assise ni l’unitĂ© dramatique des Järvi ; seul Sherrill Milnes en Guido convainc).
Les fleurons de la musique de chambre ne sont pas Ă©cartĂ©s (intĂ©grale oblige) : les 2 trios Ă©lĂ©giaques par le Beaux Arts Trio (1986) ni les Quatuors Ă cordes n°1 et n°2 (Goldner string Quartet, 2009)… Très complet le coffret complète l’apport d’Ashkenazy par la lecture d’autres interprètes tout autant convaincants, c’est le cas pour les Concertos pour piano de Sviastoslav Richter (n°2, 1959), Argerich / Chailly (n°3, 1982), Zoltan Kocsis (n°4, 1982). Mais rien ne vaut au final, l’Ă©coute du compositeur lui-mĂŞme grand pianiste cĂ©lĂ©brĂ© de son vivant, grâce au cd32 qui rĂ©unit les fameux enregistrements de Rachmaninov conservĂ©s sur rouleaux Ampico et rĂ©alisĂ©s entre 1919 et 1929 : le compositeur y joue ses propres oeuvres (Morceaux de fantaisie opus 3, Etudes tableaux opus 39 n°4 et 6…) mais aussi plusieurs transcriptions de son cru d’après Moussorgksi, Rimsky (le vol du bourdon), Kreisler… le dernier cd comprend un entretien audio avec Vladimir Ashkenazy Ă propors du “vrai Rachamaninov” (en anglais).
CD, coffret. Rachmaninov : the complete works, integrale (32 cd Decca)
CD. Vladimir Ashkenazy : Rachmaninov. Complete works for piano (11 cd Decca)
CD. Vladimir Ashkenazy : Rachmaninov. Complete works for piano (11 cd Decca). Vladimir Ashkenazy a fĂŞtĂ© les 50 ans de sa collaboration exclusive avec Decca en 2013. Ce coffret Rachmaninov vient souligner en 2014 une vocation personnelle Ă exprimer les langueurs et tourments de l’expatriĂ© si lyrique et tendre Ă la fois, – passionnĂ© mais rĂ©solument classique et post romantique – Rachmaninov. Elève de Lev Oborin au Conservatoire Tchaikovsky de Moscou, Vladimir Ashkenazy a remportĂ© le second prix au Concours Chopin de Varsovie en 1955, puis le Premier en 1962 (cofinaliste avec John Ogdon) ; le pianiste se montre souvent puissant mais aussi Ă©loquent, articulĂ©, et d’une carrure plĂ»tot toujours très Ă©quilibrĂ©e; les 10 cd de ce coffret prĂ©sentant l’intĂ©grale des oeuvres pour piano de Serge Rachmaninov (+ 1 cd ” bonus “) concentrent le mĂ©tier très sĂ»r d’un interprète visiblement en affinitĂ© avec son sujet et dont les talents reconnus et engagĂ©s de chef d’orchestre apportent aussi leur sens de la structure et certainement une vision approfondie et synthĂ©tique des oeuvres. De quoi nourrir encore le bĂ©nĂ©fice de lectures jamais neutres ni systĂ©matiques.
Le piano roi de Rachma
A l’aune des romantiques Chopin et Tchaikovski, Rachmaninov Ă©difie une arche flamboyante que le lutin Ashkenazy sait Ă©clairer d’un feu original, pĂ©tillant, douĂ© d’une très belle activitĂ© intĂ©rieure. Comme Chopin, Rachma fait chanter le clavier : un art du bel canto que le pianiste russe sait Ă©videmment porter sans le schĂ©matiser. Du grand art. La clartĂ© et l’Ă©quilibre deux de ses qualitĂ©s majeures savent aussi revĂŞtir de superbes couleurs intĂ©rieures dans les mouvements plus crĂ©pusculaires et rĂŞveurs (Andante, Largo, Adagio sostenuto, Intermezzo) des Concertos dont le souffle sous la direction de Haitink, atteignent vĂ©ritablement un sommet de plĂ©nitude active, souvent irrĂ©sistible (Concertos pour piano 1-4, avec le Concertgebouw Amsterdam, propres aux annĂ©es 1984-1986). MĂŞme enthousiasme pour la fantaisie concertante menĂ©e avec ivresse et embrasements multiples : Rhapsody sur un thème de Paganini opus 43 (crĂ©pitements dansant de Haitink (1987).
Parmi les opus très aboutis, les Danses Symphoniques dans leur versions autographes pour deux pianos (ici avec AndrĂ© PrĂ©vin, enregistrĂ© Ă Londres en 1979); Ă©videmment les PrĂ©ludes (1974-1975), et les Etudes Tableaux opus 39 (l’un des plus anciens enregistrements de 1963… proposĂ© dans le cd ” bonus ” 11). Ici ne paraissent pas les oeuvres chambristes et les mĂ©lodies, le fil conducteur et fĂ©dĂ©rateur restant essentiellement le piano comme instrument soliste. D’un tempĂ©rament sĂ»r, de belle assise comme d’une articulation infiniement moins percussive comme beaucoup de ses successeurs nouveaux champions de l’Ă©cole russe, Vladimir Ashkenazy paraĂ®t bien ici tel un interprète incontournable pour Rachmaninov. Son mĂ©tier de chef lui assure dans les concertos par exemple une entente complice, idĂ©alement calibrĂ©e, Ă©quilibrĂ©e avec l’orchestre. Incontournable.
Vladimir Ashkenazy, piano. Intégrale des œuvres pour piano de Serge Rachmaninov. 11 cd Decca. 478 6348. Parution : mars 2014.
CD. Yuja Wang, piano : Rachmaninov, Prokofiev (Dudamel, 2013).
CD. Yuja Wang, piano : Rachmaninov, Prokofiev (Dudamel, 2013). Le feu acide et rythmique (Prokofiev) et la fluiditĂ© expressive crĂ©pusculaire (Rachmaninov) font le ciment et la rĂ©ussite de ce disque qui ne manque pas … d’audace Ă bien des Ă©gards. Voici donc la relève artistique de l’Ă©curie Deutsche grammophon, nouvelle gĂ©nĂ©ration d’artistes, tous deux d’un vrai tempĂ©rament musicien dont la complicitĂ© dans ce live in Caracas, pour les 38 ans du Sistema, le rĂ©seau de formation de jeunes instrumentistes vĂ©ritable chantier exemplaire Ă la fois humaniste et sociĂ©tal au profit de la jeunesse vĂ©nĂ©zuĂ©lienne Ă l’initiative de JosĂ© Antonio Abreu.
Il y a dĂ©jĂ un an, se rencontrent et fusionnent le tempĂ©rament puissant et Ă©loquent de la jeune pianiste chinoise Yuja Wang, vrai consĹ“ur de Lang Lang et certainement de notre point de vue, sa championne pour le jeu dĂ©liĂ© et Ă©lĂ©gant, une digitalitĂ© jamais heurtĂ©e ni trop percussive (y compris dans les climats versatiles syncopĂ©s du Prokofiev), et l’Ă©clat d’une baguette qui avait immĂ©diatement conquis et Salonen et Abbado : celle du vĂ©nĂ©zuĂ©lien, lui-mĂŞme enfant du Sistema, Gustavo Dudamel.
Le programme est d’autant plus mĂ©ritoire qu’il rĂ©unit deux Concertos parmi les plus difficiles de leur auteur respectif, voire de tout le rĂ©pertoire pour clavier.
La fusion orchestre et piano dans le n°3 de Rachmaninov (1909) est formidable de crĂ©pitement comme de flexibilitĂ© – virtuositĂ© funambule et magicienne de la pianiste dans les variations du I-, mĂŞme l’orchestre dĂ©voile de superbes couleurs, fondantes, prĂ©cises, jamais sirupeuses. Un manifeste furieusement enivrĂ©. Du grand art.
Le n°2 de Prokofiev (1913) de loin le plus difficile Ă©videmment techniquement mais surtout Ă©motionnellement : le premier mouvement est course Ă©chevelĂ©e qui confine Ă l’implosion d’une mĂ©canique fragile, prise de panique, exigeant tout du soliste et de l’orchestre : âpretĂ©, ruptures, cynisme d’une forme contrariĂ©e et contrastĂ©e… l’ample mouvement initial qui dĂ©passe tout juste 10 mn s’achève par l’essoufflement et l’extĂ©nuation totale des forces opposĂ©es. Dans ce combat rĂ©clamant sauvagerie et prĂ©cision, l’Ă©lĂ©gance de Yuja Wang ne faiblit pas, bien au contraire, en particulier dans sa cadence Ă©bouriffante qui dure près de la moitiĂ© de la sĂ©quence. L’agilitĂ© d’une toccata qui cache son nom dans le second mouvement dĂ©concerte et convainc tout autant. Quant au finale, ” tempestoso “, la vitalitĂ© de la jeune pianiste irradie d’une Ă©nergie accrocheuse, idĂ©alement trempĂ©e. La complicitĂ© que suggère ce live, la haute tenue technicienne, l’intelligence musicale de la pianiste que Martha Argerich a saluĂ©, et la direction enflammĂ©e mesurĂ©e du chef qui dĂ©voile ici sa permanente facilitĂ© dans la forme du Concerto (premier enregistrement des jeunes instrumentistes du Bolivar sous sa baguette, avec une soliste), font les dĂ©lices d’un superbe rĂ©cital concertant. Totale rĂ©ussite.
Yuja Wang, piano. Concertos pour piano : Rachmaninov (n° 3 op. 30), Prokofiev (n° 2 op. 16). SimĂłn BolĂvar Symphony Orchestra of Venezuela. Gustavo Dudamel, direction. Enregistrement live rĂ©alisĂ© Ă Caracas (Venezuela) en fĂ©vrier 2013. 1 cd Deutsche Grammophon 0289 479 1304 7.