Dix ans déjà ! Dix années que le Festival de Pâques d’Aix‑en‑Provence enchante un public toujours plus nombreux, à la fois local et international, en accueillant phalanges prestigieuses et solistes d’envergure mondiale, mais tout en donnant aussi sa chance à la jeune relève d’artistes à l’orée de carrières prometteuses. Cette 10ème édition ne déroge bien évidemment pas à cette règle que se sont donné Dominique Bluzet et Renaud Capuçon, les deux directeurs artistiques de la manifestation provençale, et c’est ainsi des artistes de la trempe de Martha Argerich, David Fray, Alexandre Kantorow ou Yuja Wang, et des phalanges comme le Budapest Festival Orchestra, l’Orchestre Symphonique National de la RAI, l’Orchestre du Gürzenich de Cologne ou encore l’Orchestre de Paris qui s’illustrent dans la ville du bon Roy René, entre le 31 mars et le 16 avril 2023.
Et en ce mardi 4 avril, c’est une autre des grandes phalanges européennes que le festival met à l’affiche pour cet anniversaire prestigieusement fêté : l’Orchestre Philharmonique Tchèque (Czech Philarmonic), dirigé par Semyon Bychkov (dont il est le directeur musical depuis 2018) – pour une exécution de la monumentale Symphonie N°6 (dite « Tragique ») de Gustav Mahler. Et c’est une lecture équilibrée, puissante et contrastée qu’en offre le chef russo-américain, laissant entrevoir lentement mais sûrement l’émergence de l’ordre à partir du chaos initial, dans un difficile cheminement qui s’avère une constante dans tout l’œuvre symphonique de Gustav Mahler.
Le premier mouvement, Allegro, débute par une inexorable marche, glaçante, rythmée par les cordes graves d’où émergent des fulgurances de bois. Le phrasé est souple et tendu en même temps, d’une clarté qui donne corps à tous les détails d’une orchestration singulièrement riche où se distingue déjà l’exceptionnel cor solo. La direction engagée et précise de Bychkov transcende musique et musiciens, qui semblent comme subjugués par lui. L’Andante en deuxième position est porté par une poésie poignante exaltée par le hautbois solo, tandis que le Scherzo, cauchemardesque, se déploie suivant un rythme d’une implacable rigueur. Le Finale – à l’aspect d’un titanesque combat entre Dionysos et Apollon -, est superbement conduit : il débute dans un climat d’expectative et de mystère avant que le chaos ne soit remplacé par un ordre nouveau, tout inondé de joie, dans une progression douloureuse que les coups de marteau du destin (par deux fois) ne parviendront pas à stopper, avant que la musique ne s’exhale dans une sérénité toute apollinienne. Du grand art auquel le public adresse un vibrant hommage en multipliant les rappels, pour l’un de ces concerts mémorables qui hantent encore longtemps après les avoir entendus !
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CRITIQUE, concert. AIX-EN-PROVENCE, 10ème Festival de Pâques, le 4 avril 2023. MAHLER : Symphonie N°6 (dite « Tragique »). Czech Philharmonic, S. Bychkov (direction). Photo © Caroline Doutre
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Extrait vidéo : Semyon Bychkov dirige le Czech Philarmonic dans la 2ème Symphonie de Mahler :