Paru en avril 2023 chez PARATY, le programme (coffret de 2 CD) associe les deux sonates pour violoncelles et piano de Brahms (n°1 et 2) et deux autres, transcriptions des Sonates pour violon et piano (n°1 et 3). C’est peu dire que la réalisation touche au plus près le mystère Brahms : sa pudeur enchantée, ses urgences intérieures, son aptitude à tisser la matière du souvenir, entre tendresse infinie, âpreté mordante, désillusion et espoir… Le jeu des interprètes apporte leur éclairage personnel dans un cycle superlatif, restituant à la partition, sa richesse trouble, son éloquence intime, amoureuse, sentimentale… dans une sonorité à deux, d’une rare subtilité complice… CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023.
Le violoncelle de Marie-Claude Bantigny captive et ensorcèle…
Pudeur enchantée, passion hallucinée de Brahms
CD1 – Dès le premier mouvement de la Sonate initiale (n°1 opus 38, 1865), l’écoute et l’entente de Marie-Claude Bantigny (violoncelle) et de Karolos Zouganelis (piano) frappe et convainc ; les deux interprètes captivent même par leur sens de la profondeur et de la finesse… Langueur ineffable, mystère qui naît d’un secret indicible et d’une tension tenace ; le jeu, d’une sobriété toujours canalisée tend à la suprême suggestion, entre clairvoyance implacable et rêverie enivrée ; Marie-Claude Bantigny cherche et trouve les champs intérieurs, l’activité des sentiments enfouis ; et les dévoile clairement sans appui ni effet. Sobriété et chant intérieur affleurant parfois avec une lumineuse profondeur. Sa compréhension dès l’Allegro de la Sonate 1 opus 38 – le plus long des mouvements de tout le cycle, souligne ce scintillement superbement contrasté, qui s’appuie dans ses respirations larges et affinées, sonnent avec justesse schubertiennes. Chez Brahms, prime le secret et aussi la fluidité de son expression inscrite ici dans la subtilité et l’épreuve introspective.
Les deux autres mouvements sont plus enjoués, diserts et volubiles comme une discussion naturelle ; dansant et polissé (Allegretto quasi Menuetto) ; vif, d’une superbe plasticité agogique dans le dernier Allegro où dans une construction contrapuntique citant directement Bach, le violoncelle fait valoir son éloquence proche de la parole et du chant. Précision, nuances, contrechamps et aussi tempérament et feu, remarquablement architecturé. MC Bantigny à l‘écoute de son partenaire et vice versa, cultive un dialogue précis, articulé, souple, riches en nuances dont le souci expressif ne gâche jamais la continuité du geste.
Transcription enchantée…
Même profondeur filigranée et sonorité inscrite dans la nuance la plus mystérieuse, comme suspendu dans le début « vivace » de la transcription de la Sonate pour violon opus 78. A laquelle le timbre et la respiration du violoncelle semblent apporter une résonance plus humaine encore. Brahms a transcrit lui-même sa Sonate du violon au violoncelle (1879). Le souffle, la largeur de la vision – encore une fois nettoyée de tout pathos, s’avèrent très justes ; le violoncelle exprime tout dans la pudeur et la sensibilité, éclairant chaque séquence d’une richesse intérieure exceptionnelle. Cette faculté à tout suggérer, à ne rien appuyer est la marque des grands interprètes.
La forge émotionnelle de Johannes paraît ainsi dans toute sa vitalité à la fois juvénile et tendue, dans la combinaison singulière de la tendresse infinie et de la mélancolie insatisfaite voire hallucinée ; cet infini du souvenir se dévoile avec une puissance suggestive peu commune : ivresse et retenue, imaginaire flamboyant, agilité flexible et élocution subtile… le violoncelle affirme une maîtrise superlative (d’autant mieux audible dans ses moindres accents et nuances, que la prise de son est elle aussi remarquable, dans un espace à la réverbération idéale).
L’Adagio qui suit, comme la sonate de Franck, exprime l’autre facette de Brahms : la quête d’un souvenir perdu que l’invocation musicale a la faculté de ressusciter ; son émergence jaillissante, comme improvisée, incontrôlée… le flux musical invoque et suscite en vagues successives de plus en plus présentes, la force de ce que l’on pensait perdu : l’acuité expressive des deux interprètes devenus maître du temps, fait naître alors une séquence enivrée dont la vibration répare ; là encore, l’intelligence expressive, la construction sonore, le choix des tempi,… captivent totalement… Le chant du violoncelle approchant mieux que la parole, le miracle du dévoilement voire l’accomplissement de la révélation. La réussite de Marie-Claude Bantigny tient à ce don pour l’éloquence dans le secret et l’allusion la plus intime (pudeur filigranée et d’une volubilité captivante dans l’Allegro molto moderato conclusif). Magistral.
CD2 : Dès le premier mouvement de la Sonate 2 opus 99 (Allegro vivace), s’affirme avec une clarté continue, la volupté amoureuse du timbre à la fois rayonnant et superbement articulé du violoncelle ; ses nuances, ses phrasés proches du chant, captivent; son mordant ductile, sa vocalité si subtile renforcent le caractère à la fois dramatique et suspendu de la séquence ; s’y épanouit ce sentiment d’opulence tranquille mais vive propre aux pièces majeures composé au Lac de Thun à l’été 1886 : en plus de la Sonate opus 99, le Trio opus 101 (sans omettre les lieder parmi les plus enivrants et passionnés). D’où certainement dans la ligne même du violoncelle, cette parole instrumentale et ce geste chantant, la vibration secrète qui colore l’instrument d’ineffables aspirations vocales.
L’ambivalence et ce flottement entre deux eaux (cf. fluctuation harmonique, « surprenante oscillation entre fa dièse mineur et majeur »…précise la violoncelliste dans la notice d’une rare finesse d’analyse) se déploient avec une liberté superlative, grâce à la complicité remarquable des deux musiciens, Marie-Claude Bantigny et le pianiste Karolos Zouganelis.
D’autant que le piano étant plus « participatif » ici, renégocie constamment l’équilibre dialogué entre les deux instruments. L’Adagio exprime l’infinie tendresse qui répare et pardonne au delà des mots et des accents ; MC Bantigny et K Zouganelis trouvent l’intonation juste, entre surgissement trouble de souvenirs anciens et épanouissement suprême, investissant le présent de l’instant dans la pudeur la plus douce (réexposition du thème). Le Scherzo a cette fougue fantastique qui exprime et la juvénilité et l’ardeur du Johannes adolescent (quand il rencontre le couple Schumann à Dusseldorf).
Plus assuré encore, le très riche dialogue en complicité et lyrisme éperdu de la Sonate opus 108, ici transposé du violon vers le violoncelle : l’évidence du transfert, porté par des phrasés exquis, constamment délectables, justifie l’opération (si courante au XIXè) ; d’autant que le timbre même du violoncelle, chantant, d’une éloquence tendre et raffinée, exprime tous les chants et contre-chants que s’autorise un Brahms d’une rare volubilité dont les nuances scintillent comme les reflets mouvant d’une eau marine. Brahms ajoute à son aspiration pour l’ivresse, un caractère nouveau, celui de la conquête, une exaltation qui semble se nourrir d’un sentimentalisme souverain ; ce en quoi, le sens des respirations, le souffle qui enchâsse chacune des phrases / mesures incarnés par la formidable violoncelliste, sonnent d’une même justesse. Et ce n’est ni l’Adagio, souple, secret, extatique d’une gravité souple et amoureuse ; ni les deux derniers mouvements (notés « presto »), qui contrediront la réussite totale de ce parcours en terres brahmsiennes. Révérence devant tant d’intelligence et de sensibilité musicales. Du Brahms abouti, poli, fini dans chaque note de chaque portée. Du grand art.
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CD événement annonce. BRAHMS : Sonates pour violoncelle et piano – Marie-Claude Bantigny / Karolos Zouganelis, piano (coffret 2 CD PARATY – enregistré en fév 2020 -Parution : début avril 2023) – A VENIR : notre critique complète (CD2 : Sonate n°2 opus 99 – transcription de la Sonate opus 108 : Violon, piano). CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023
VIDÉO – teaser Sonates pour violoncelle et piano de Brahms : extraits et entretiens avec Marie-Claude Bantigny et Karolos Zouganelis : le mystère et l’éternité chez Brahms – durée : 3h44 :
AGENDA / CONCERTS
Prochains concerts de MARIE-CLAUDE BANTIGNY, violoncelle
27 mai 2023
Prayssas, auditorium
Marie-Claude BANTIGNY, violoncelle
Laurent Cabasso, piano
Sonates de Schubert et Schumann
Infos : https://www.institutmarcderanse.com/auditorium-de-prayssas/
28 mai 2023
Prayssas, auditorium
Marie-Claude Bantigny violoncelle
Laurent Cabasso piano
Ariane Granjon violon
Trios de Schubert et Mendelsohn
Infos : https://www.institutmarcderanse.com/auditorium-de-prayssas/
24 juillet 2023
Abbaye de Fontevraud
Récital violoncelle seul
Infos : https://www.fontevraud.fr/saison-culturelle/agenda/
17 sept 2023
Rosny-sous- bois
Récital violoncelle seul oeuvres de J S Bach
26 novembre 2023
Salle Gaveau
Création mondiale : concerto
Infos : https://www.sallegaveau.com/
VISITEZ aussi le site de MARIE-CLAUDE BANTIGNY
https://marieclaude-bantigny.fr/