Le messin Gabriel Pierné (1863 – 1937) serait-il ce génie oublié, égal comme Roussel d’un Ravel (son cadet) ou d’un Debussy dont il fut à un an près, l’exact contemporain ?
De toute évidence c’est le constat qui se précise à l’écoute, ne serait-ce que d’un seul cd de ce coffret de 10 galettes, des plus opportuns : le CD5, comprenant les 2 Suites du ballet « Cydalise et le Chèvre-pied » (1923) dévoile des joyaux d’une orchestration aussi lumineuse, libre que raffinée. L’élève de Massenet et de Franck se dévoile dans toute sa superbe imagination, une sensibilité exceptionnellement plastique, permettant ici un orchestre miroitant, transparent, … solaire.
Même enthousiasme pour les deux pièces orchestrales qui complètent le menu de ce somptueux volet : l’ouverture sur des thèmes populaires « Ramuntcho », manifeste d’une ivresse sonore flamboyante qui fusionne les effluves colorées, lyriques d’un Korsakov avec la ciselure d’une sensualité… ravélienne (celle de Daphnis et Chloé).
Warner classics / Erato fête les 160 ans de Gabriel Pierné
Génie retrouvé de Pierné
divin orchestrateur,
symphoniste hors norme
C’est dire. Même opulence et déferlant voluptueuse, dans le Divertissement pastorale qui semble faire imploser la forme orchestrale, grâce à un souffle libéré, rhapsodique d’essence chorégraphique là encore ; Pierné réussissant comme peu dans le genre du grand ballet symphonique.
Prix de Rome 1882, « l’ange Gabriel » ainsi qu’il est appelé à la Villa Medicis se nourrit de toutes les influences permises au hasard des rencontres et des situations ; Pierné rencontre Liszt et Grieg et est nommé successeur de Franck à l’orgue Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde (1890). La rigueur et la fantaisie de ses impros séduisent bon nombre de paroissiens. Le coffret rappelle l’envergure du pianiste compositeur (intégrale des pièces pour piano par Diane Andersen, somme incontournable occupant les 4 premiers cd) ; l’activité du chef cultivé, généreux, charismatique dont la carrière est passé par l’Orchestre Colonne à partir de 1910… s’affirme évidemment l’orchestrateur hors pair, d’une liberté irrésistible qui cultive l’élégance et l’humour. Ainsi le programme symphonique du cd 6 comprenant le Concerto pour harpe qui semble synthétiser et Saint-Saëns et Liszt ; surtout le triptyque « paysages franciscains » opus 43 ; « Images », fresque passionnante d’une sensibilité ravélienne et d’essence chorégraphique dont le classicisme et le raffinement évoque Dukas ; la séduisante « Viennoise », suite de valses symphoniques ; enfin « Les Cathédrale » (prélude pour le poème d’Eugène Morand) ; il y faut idéalement toute l’intelligence détaillée et dramatique des chefs André Cluytens et Pierre Dervaux (comme l’excellence entre poésie et narrativité de Jean Martinon dans le Divertissement du CD5 précité) pour exprimer le jeu dramatique dont est capable Pierné, génie de la verve volubile et de la suggestivité facétieuse.
Appréciation identique pour le CD7 (« Les enfants à Bethleem », mystère en 2 parties). Le coffret éclaire aussi la musique de chambre, les très séduisants Quintette pour piano et Sonate pour violon et piano (Quatuor Viotti : Olivier Charlier, violon / Jean Hubeau, piano, au programme du cd 8). En somme, une quasi intégrale Pierné absolument indispensable.
On félicite Erato / Warner de rééditer ce corpus absolument incontournable, d’autant plus indiqué qu’il est le premier projet discographique à marquer en 2023 ainsi le 160ème anniversaire de la naissance de Pierné (ce 16 août 2023).