samedi 26 avril 2025

CRITIQUE CD événement. BÉLA BARTÓK : Concerto pour orchestre, Concerto pour alto (Amihai Grosz, alto) – Orchestre National de Lille – Alexandre Bloch, direction (1 cd Alpha)

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Alors que le XXè se remet de la barbarie nazie, et dans une ultime séquence pacificatrice, Bartok hongrois expatrié aux USA, livre ses dernières partitions, les plus personnelles et les plus déchirantes. Les 2 Concertos joués ici appartiennent au corpus des œuvres créées après sa mort, propre à l’année 1945, où le témoin des atrocités commises en Europe, alors condamné, chante l’humanité et la beauté de sa Hongrie natale…

 

Le Concerto pour orchestre est ainsi une œuvre ambitieuse pour grand orchestre, d’autant plus représentative du dernier Bartok qu’il s’agit de sa dernière pièce totalement achevée.
D’abord, l’Introduzione en est sur les 5, la plage la plus longue qui déroule un tapis sourd et grave… que les musiciens lillois éclairent de teintes mordorées, aux rares nuances instrumentales. Climats denses voire inquiétants propres à un cycle en réalité kaléidoscopique et qui plonge très profondément dans les cultures métissées du compositeur ; s’y précisent cependant des tensions et une intranquillité très emblématiques de la période qui est celle de l’Exilé aux USA ; ainsi ce nocturne « danubien » préliminaire, auquel répond un vivace aux rythmes « bulgares » ; puis le tranquillo « arabisant », énoncé avec suavité par le hautbois (des plus enjoués).
Le « Giucco delle coppie » / jeu de couples est une fantaisie d’un mordant quasi stravinskien dans la distribution des timbres successifs (bassons, hautbois, clarinettes, flûtes puis trompettes avec sourdine…) tous comme enivrés en badinages « serbo-croates », dont l’orchestre saisit la pulsion chorégraphique : série de pas à deux voire à trois…

 

Homogènes, détaillés,
l’Orchestre National de Lille et Alexandre Bloch
éclairent et font vibrer le dernier Bartók crépusculaire…

 

L’Elégie (Elegia) creuse encore le mystère sonore tout en raffinant le chant comme décalé, scintillant des timbres choisis (ainsi, claire voire perçante, la flûte semble voler au dessus de la nappe orageuse et homogène des cordes) ; en ré exposant l’amorce grave et sourde de l’introduction primordiale, le mouvement axial, semble rebattre les cartes d’un jeu énigmatique qui réitère pour questionner…

Comme une libération, l’Intermezzo (IV) semble déchirer tout à fait le voile d’ambiguïté antérieure grâce à l’évidence du motif hongrois célèbre, véritable déclaration d’amour pour la terre natale tant aimée (et perdue) : précisément, en citant l’air connu, populaire : « Hongrie, tu es belle, tu es magnifique » [szép vagy, gyönyörű vagy Magyarország], extraite de la Mariée de Hambourg (1926) de Zsigsmond Vincze (1874-1935). Bartok se libère enfin dans un acte de volupté sonore alors inédite, dans lequel le collectionneur de mélodies et d’airs traditionnels, recycle, avec à propos, l’élégance (et la suavité) de motifs préexistants.

Le Finale fait imploser touts les tensions contenues jusque là dans une ronde ascendante qui concentre plusieurs danses traditionnelles dont Bartok fait l’expression d’une « affirmation de la vie », radicale et définitive. Mais tout n’est jamais clairement développé et comme Chostakovitch, Bartok aime l’ambivalence ; il glisse constamment entre ultra réalisme (avec pointes cyniques et parodiques) et vertiges oniriques affleurant jusqu’au mystère le plus trouble… L’orchestre, son chef font vibrer cette grande lyre énigmatique, à la fois éperdue et expressionniste qui porte l’imaginaire et la sensibilité du dernier Bartók. Emporté par la maladie en 1945, le compositeur ne pourra jamais écouter la partition ; le Concerto aux accents fauves, fantasques, étranges, ne sera créé qu’en 1946.

 

Assez proche en terme de caractères enchainés et dans une orchestration toute aussi personnelle, le Concerto pour alto est un chant du cygne laissé inachevé à cause d’un Bartok exténué bien qu’optimiste, finalement vaincu par la leucémie (sept 1945). Sur les traces de William Primrose, le commanditaire, l’altiste Amihai Grosz aborde ici l’intensité des 3 seuls mouvements (ré assemblés et orchestrés à titre posthume) ; d’abord l’ample portique d’ouverture où dès le début, l’alto – funambule semble sur le fil, en proie à d’inexprimables vertiges ; puis l’Adagio religioso, d’une tristesse pudique et inquiète, surtout les éclairs du dernier Allegro, dont les stridences assumées explicitent le cheminement incertain, versatile de la partie soliste, créant continument ce paysage sonore crépitant, halluciné ; un parcours qui semble ivre, semé d’accents fulgurants à la fois poétiques et désespérés. La course finale éblouit par son caractère d’émerveillement et d’acuité intrépide. Dans ce bouillonnement exacerbé, le chef garde la clarté de la structure et le soliste sait alléger constamment sa ligne, produisant une sonorité d’une remarquable plasticité, ce malgré l’intensité et la grande virtuosité du chant requis.
La fabuleuse homogénéité de l’orchestre, la direction détaillée du chef, ce chant à la fois cristallin et somptueusement amoureux voire passionnel du soliste, signent une lecture de première valeur. Avec leurs précédents Mahler et plus récemment encore un Poulenc superlatif, les musiciens lillois, pilotés subtilement par leur chef Alexandre Bloch, signent avec ce Bartók, un nouvel accomplissement décisif.

 

 

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CRITIQUE CD événement. BÉLA BARTÓK : Concerto pour orchestre, Concerto pour alto (Amihai Grosz, alto) – Orchestre National de LilleAlexandre Bloch, direction (1 cd Alpha – enregistré en juillet 2022 à l’Auditorium du Nouveau Siècle, Lille) – CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023

 

 

 

Béla BARTÓK (1881-1945)

 

Concerto pour orchestre, sz.116
1  I. Introduzione 10’24
2  II. Giucco delle coppie 6’24
3  III. Elegia 7’14
4  IV. Intermezzo interrotto 4’27
5  V. Finale 9’43

 


Concerto pour alto, sz.120
6  I. Moderato 14’04
7  II. Adagio religioso 4’42
8  III. Allegro vivace

 

en concert

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L’Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch et Amihai Grosz jouent le Concerto pour alto de Bartók, ce jeudi 19 octobre 2023, 20h au Nouveau Siècle à Lille:https://www.classiquenews.com/lille-orchestre-national-sibelius-symphonie-n2-alexandre-bloch-direction-jeudi-19-octobre-2023-20h/

 

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CRITIQUE, CD événement. POULENC : La Voix Humaine (Véronique Gens), ON LILLE, Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch (1 cd Alpha)

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