Avec son heure et quart de musique, son action théâtrale quasi inexistante et des dialogues laissant peu de place à une évolution psychologique, Béatrice et Bénédict de Hector Berlioz n’est pas facile à monter. Pierre-Emmanuel Rousseau, à qui Alain Surrans et Matthieu Rietzler ont confié cette coproduction entre Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, a eu la bonne idée de réécrire les textes parlés, retrouvant une verdeur dans la langue que Berlioz avait édulcoré (à partir de la pièce Much ado about nothing de Shakespeare dont est tiré le livret écrit par Berlioz lui-même), redonnant ainsi un peu de chair à des personnages comme esquissés par le compositeur.
Transposée par Pierre-Emmanuel Rousseau (qui signe également décors et costumes) dans la Sicile (mafieuse) des Années 80, l’action y gagne en vie et mouvements, avec des scènes dansées (type Madison), emplies d’une bonne humeur colorée- et nous avouerons nous être laissés emporter par la liberté du propos et la fantaisie d’une mise en scène qui, toujours intelligente et attentive, précise dans sa direction d’acteurs, ne se prend pour autant jamais au sérieux (avec des clins d’oeil aux “soap operas” et autre « telenovelas » brésiliens de la fin du XXe siècle).
Légère d’esprit, cette œuvre requiert paradoxalement des trois rôles principaux des qualités vocales quasi héroïques : le trio réunit ici ne démérite pas malgré des bémols à apporter aux prestations des uns et des autres. Si Marie-Adeline Henry campe un Béatrice rageuse et vindicative à souhait, avec sa voix large et opulente qui lui permet de faire un sort à son second air qui requiert une ampleur à la Didon, l’aigu continue d’être strident, à la limite du cri. Dans le rôle de Bénédict, Philippe Talbot possède la diction et la légèreté qui conviennent à son personnage, mais le format reste confidentiel, surtout face à la voix éruptive de sa collègue. Rien à redire, en revanche, sur la Hero de la jeune Olivia Doray, qui livre son grand air avec des vocalises qui possèdent l’éclat et l’ampleur requis. Elle détaille par ailleurs finement le sublime “duo nocturne” avec sa consoeur Marie Lenormand (Ursule), dont les superbes couleurs mordorées du timbre se marient idéalement à la voix de sa partenaire. De leur côté, Marc Scoffoni (Claudio) et Frédéric Caton (Don Pedro) font preuve de toute l’autorité nécessaire dans leurs épisodiques interventions, tandis que Lionel Lhote prête ses glorieux moyens au personnage de Somarone, révélant des dons comiques qu’on ne lui connaissait pas ! Enfin, le Chœur d’Angers Nantes Opéra (très bien préparé par Xavier Ribes) semble apprécier l’originalité d’une écriture trapue, mettant en valeur leur virtuosité autant que la solidité de chacun des registres.
En fosse, sous la baguette de leur directeur musical Sascha Goetzel, l’Orchestre National des Pays de la Loire trace avec beaucoup de finesse le profil musical de ce divertissement écrit avec la pointe d’une aiguille. Et l’excellent chef autrichien a loisir de prendre sa revanche dans les moments plus extatiques où sa direction excelle dans l’art de ménager les équilibres sonores.
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CRITIQUE, opéra. Nantes, Théâtre Graslin, le 11 octobre 2023. BERLIOZ : Béatrice et Bénédict. M. A. Henry, P. Talbot, M. Lenormand, O. Doray… Pierre-Emmanuel Rousseau / Sascha Goetzel. Photos (c) Bastien Capela.
A l’affiche au Théâtre Graslin de Nantes jusqu’au 17 octobre, puis à l’Opéra de Rennes les 12, 14, 16 et 18 novembre, et enfin au Grand-Théâtre d’Angers le 3 décembre 2023.
VIDÉO : Teaser de “Béatrice et Bénédict” dans la production de Pierre-Emmanuel Rousseau pour Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes