Les Puritains (1835), dernière œuvre de Vincenzo Bellini (1801-1835) sont présentés à l’Opéra National de Paris (Bastille) dans une nouvelle production signée Laurent Pelly. Ecrite pour Paris, il y a presque deux siècles et pour un quatuor des solistes extraordinaires, l’ultime partition de Bellini suscite toujours les plus vifs sentiments chez le public parisien. Pour cette première, la distribution est plutôt jeune et le quatuor d’antan, évoqué par l’investissement redoutable des chanteurs.
Le cas Bellini
L’intrigue est très librement et décorativement inspiré du conflit entre Puritains et Royalistes dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Elvira, fille d’un gouverneur puritain à été promise en mariage à Riccardo, mais elle est finalement donnée à Arturo, secret partisan des Stuart dont elle est éprise. Cela grâce à l’intervention de son oncle Giorgio auprès du père. Peu avant leur cérémonie de mariage, Arturo retrouve la veuve du roi Enrichetta, reine d’Angleterre : il décide de fuir avec elle. Elvira sombre dans la folie, atteinte et détruite pendant deux actes, jusqu’au retour d’Arturo et sa mort imminente. Les sympathisants des Stuart sont au final pardonnés et le couple retrouve le bonheur. Très peu de drame alors, mais presque 3 heures de belle musique. Il paraît que Laurent Pelly a souhaité laisser la musique s’exprimer, choix compréhensible vu … la mince intrigue. Les décors fantastiques de Chantal Thomas s’inscrivent dans la même idée. Il s’agît d’une structure métallique vide représentant un château anglais du XVIIe, où Elvira existe comme s’il s’agissait d’une cage. La sobriété se voie également dans les costumes d’inspiration historique, beaux et stylisées. Le travail avec les acteurs-chanteurs se démarque par le souci d’épure ; si le quatuor des solistes est de surcroît investi au niveau théâtral, reconnaissons qu’Elvira, comme les chœurs d’ailleurs, aurait pu courir de droite à gauche un peu moins souvent.
Puritains ou pas ?
Pour la nouvelle production, la maison nationale parisienne donne aux jeunes les rôles principaux. Le public est complètement charmé par leur performance dont l’effort est évident. Le baryton Mariusz Kwiecien dans le rôle de Riccardo ouvre l’œuvre avec un air démonstratif du génie bellinien, « Ah per sempre io ti perdei » d’une mélancolie ravissante ! Il chante son rôle avec force et sentiment, et agrémente sa ligne des modulations délicates. Giorgio, l’oncle d’Elvira est interprété magistralement par Michele Pertusi. Sa voix noble et profonde est émouvante en solo, édifiante dans les ensembles. Si au niveau scénique le duo entre Riccardo et Giorgio à la fin du deuxième acte « Suoni la tromba » n’impressionne pas (chanteurs immobiles dans le plateau vide), au niveau musical les deux voix à l’unisson dans une cabalette d’une grande simplicité préfigurent déjà tous les hymnes à la liberté du siècle. Si le public n’explose pas de fanatisme patriotique comme ce fut le cas à la première en 1835, il est néanmoins touché.
Le couple amoureux de Maria Agresta et Dmitri Korchak est attendrissant par la fraîcheur de leur jeunesse. C’est la première fois qu’elle se présente à l’Opéra National de Paris. Choix audacieux qu’on accepte puisque nous croyons à l’idée qu’il faut donner de la visibilité et des opportunités aux jeunes chanteurs, les futures vedettes de l’horizon lyrique.
La soprano a un timbre d’une beauté particulière, une voix puissante et ronde, plus impressionnante dans les registres grave et central que dans l’aigu. Elle est davantage touchante et bouleversante dans sa prestation d’une grande sensibilité. Lors de sa scène de folie au début du deuxième acte « Qui la voce sua soave… Vien diletto », elle frappe l’auditoire avec un mélange de douceur dans la déclamation intiale et d’entrain dans les attaques brillantes de la cabalette finale. Le public la récompense très chaleureusement, mais elle doit encore mûrir dans ce répertoire, car elle peine souvent avec les aigus et sa colorature n’est pas très propre. Le bel canto difficile doit paraître facile, et ce ne fut malheureusement pas le cas ce soir.
Cependant nous trouvons que c’est un bel et bon effort. De même pour l’Arturo de Dmitri Korchak, complètement investi et rayonnant dans une prestation à la fois héroïque et sentimentale. Pourtant sa ligne de chant est souvent surmenée… Si son piano comme son timbre sont d’une indéniable beauté, il n’arrive pas à chanter les notes suraiguës et n’est pas du tout souple dans l’émission. Néanmoins, leur duo au troisième acte « Vieni, vieni fra queste braccia » ravit les cœurs. Nous adhérons complètement à l’expression bien jouée et bien chantée d’un couple si éprouvé.
Remarquons également le chœur de l’Opéra National de Paris, sans doute l’un des personnages principaux. Il déborde de brio et impressionne en permanence dans les nombreux affects qu’il doit représenter. Excellent travail du chef de chœur Patrick Marie Aubert. Le jeune chef Michele Mariotti fait ses débuts à l’Opéra de Paris ce soir. Il dirige l’orchestre de l’opéra avec finesse et s’accorde bien au chant pour la plupart. Il arrive parfois que l’orchestre couvre les chanteurs par trop de brillance, mais plus souvent le concertato est efficace. Outre le choix des tempi plutôt ralentis (peut-être pour aider les chanteurs?), la prestation est sensible et élégante.
Paris. Opéra National de Paris (Bastille), le 25 novembre 2013. Bellini : I Puritani. Maria Agresta, Dmitri Korchak, Mariusz Kwiecien, Michele Pertusi… Orchestre et choeur de l’Opéra National de Paris. Michele Mariotti, direction musicale. Laurent Pelly, mise en scène. I Puritani de Bellini sont encore à l’affiche à l’Opéra Bastille les 3, 6, 9, 12, 14, 17 et 19 décembre 2013.