Compte rendu, opéra. L’année Rameau est fêtée au Théâtre des Champs-Élysées avec un événement devenu rare : un opéra baroque mise en scène ! Voici donc la tragédie lyrique en 5 actes du maître de Dijon, Castor et Pollux, dont le livret de Gentil-Bernard est inspiré des Gémeaux légendaires de la mythologie grecque. C’est également l’occasion de retrouver Hervé Niquet et son orchestre Le Concert Spirituel, avec une jeune distribution des chanteurs beaux à entendre et à regarder. La mise en scène épurée est signée Christian Schiaretti.
Quel marbre si beau
Castor et Pollux voit le jour en 1737 dans une version plus longue avec un prologue allégorique sur le traité de Vienne. Les Lullystes acharnés sont alors très critiques et méprisants, ironie de l’histoire : en 1754 l’opéra repris et remanié sera l’ exemple illustre de l’école française de musique effectivement créée par Lully et dont Rameau sera le dernier véritable représentant d’envergure, voire le sommet, avec ce mélange de science et d’émotion qui lui sont propres. La version mise en scène pour cette nouvelle production et celle de 1754 dont peut-être seul l’aspect dramaturgique est amélioré. Comme dans toute tragédie lyrique, chœurs et danses abondent. Les pages les plus impressionnantes de la partition leur sont dédiées. Ainsi le chœur du Concert Spirituel régale l’audience au cours des 5 actes, avec des passages fugués impressionnants, une complicité et une synchronie époustouflante avec l’orchestre, souvent vocalisants (remarquons que les fioritures et la base mélodique rappellent parfois l’Ecole napolitaine par le rythme et l’Ecole romaine par la gravité), que ce soit dans la joie révérencieuse du « Chantons l’éclatante victoire » au 1er acte, dans la solennité larmoyante du « Que tout gémisse », ou encore dans l’entrain innovateur et endiablé du chœur des démons au même acte : « Brisons tous nos fers », un véritable tour de force. Ce dernier chœur est précédé d’un trio « Rentrez, rentrez dans l’esclavage » d’une virtuosité et d’une vivacité, représentatives du génie cosmopolite de Rameau. Ici, sous un fond des cordes faisant penser aux procédés typiques du baroque tardif romain, Rameau ajoute les plus impressionnantes harmonies au chant des trois solistes, créant en effet un édifice musical dont la structure en elle-même charme l’ouïe et stimule l’intellect. Hervé Niquet dirige un orchestre à la réactivité et au brio évidents mais parfois galants. Même si nous trouvons qu’il aurait pu gagner en audace, l’orchestre suit la partition à la lettre et sert l’œuvre, qui, malgré les passages novateurs et de grande beauté (pensons toujours aux vents incroyables, en particulier les bassons si bien aimés de Rameau) donne parfois une sensation de … monotonie.
La jeune distribution offre une prestation vocale réussie. Les faux gémeaux sont interprétés par John Tessier en Castor et Edwin Crossley-Mercer en Pollux. Si le Castor de Tessier a un certain charme, il ne dépasse pas les limites du personnage moins développé que son frère divin. Son ariette virtuose « Quel bonheur règne dans mon âme » est interprété avec une certaine réserve, ce qui fait du morceau un moment de beauté certes mais qui manque d’éclat. Edwin Crossley-Mercer a des pages plus riches et plus intéressantes. Sa performance est alléchante par la singularité de son timbre et une technique solide. Sa beauté plastique ne distrait donc pas, au contraire, elle paraît être en l’occurrence l’expression visuelle et naturelle de ses talents musicaux. Omo Bello dans le rôle de Télaïre, même si elle pouvait valoriser ses atouts avec un coach pour raffiner encore son articulation de la langue française, offre incontestablement une prestation d’une grande dignité. Sa fausse lamentation au 2e acte « Tristes apprêts, pâles flambeaux » est l’ un des plus beaux moments de la soirée, un grand moment au sein du catalogue Rameau en vérité. Nous ne pouvons pas rester insensibles à la riche couleur vocale de la soprano d’origine Nigérienne; elle remplit la salle facilement par l’ampleur du chant et captive l’auditoire par une prestance indéniable. Remarquons également la prestation de Hasnaa Bennani et Michèle Losier en Cléone et Phoebé, toutes deux charmantes et touchantes, avec une belle présence sur le plateau. La dernière chante le fabuleux trio de l’acte 4 « Rentrez, rentrez dans l’esclavage » avec une vivacité et un entrain confondants ! Finalement remarquons la superbe performance de Reinoud van Mechelen en Mercure (un spartiate et un athlète), il participe aussi à ce trio étonnant et fait preuve d’un grand talent. Nous avons été tout particulièrement saisis par son interprétation de l’ariette virtuose de l’athlète à la fin du 2e acte « Eclatez, fières trompettes », où il se distingue par ses vocalises héroïques, par l’attaque franche et précise, la candeur toute fraîche de son timbre.
La mise en scène de Christian Schiaretti, qui dit dans le programme que son métier est un art mineur (!), n’arrive pas à surprendre. Rudy Sabounghi signe des décors très élégants… du théâtre. En fait, sauf exceptions, la plus remarquable celle aux Enfers du 4e acte, le plateau realise une imitation du Théâtre des Champs Elysées, avec les peintures de Bourdelle et même la coupole de Maurice Denis. Le tout très beau, très élégant, même si l’idée n’est pas originale (pensons, entre autres, au Capriccio de Robert Carsen avec les décors du Palais Garnier). L’équipe artistique a souhaité insister sur l’idée d’abstraction, sans vraiment transposer, ni recréer non plus. Un sorte d’arte povera superbement maquillée, certes, mais … pauvre. Les acteurs-chanteurs sont souvent statiques malgré la multitude des rythmes de la pièce ; ils n’arrivent pas non plus à évoquer l’esprit altier de la tragédie. Que dire du chorégraphe Andonis Foniadakis qui met en mouvement 10 danseurs aux talents confirmés ? Les danses sont aussi belles et abstraites que hasardeuses ; elles n’éclairent la narration que très rarement. Or, quand elles le font, l’effet est frappant (nous pensons surtout au 4e acte aux Enfers, avec le dédoublement de Castor et de Pollux, le premier devant la scène, le dernier, dont on ne voit que l’ombre, derrière ; ou encore à un pas de deux représentant l’amour des gémeaux plein d’émotion).
Nonobstant nos réserves, il faut courrir découvrir cette production: les opéras baroques mis en scène au Théâtre des Champs-Elysées, restent rares : une exception d’autant plus opportune pour l’année Rameau. Attendez-vous à une musique et des chœurs époustouflants ; un orchestre, des chanteurs et danseurs très investis! A voir au TCE, Paris : les 13, 15, 17, 19 et 21 octobre 2014. VOIR aussi notre CLIP vidéo exclusif