Compte rendu, opéra. Nantes, Cité des Congrès, le 18 septembre 2016. Wagner : Lohengrin, version de concert. Daniel Kirch, Catherine Hunold,… Orch. nat. des Pays de la Loire. Pascal Rophé, direction. Plateau solide et efficace, surtout orchestre dans la puissance et la nuance. … ce Lohengrin made in Nantes, de surcroît en version de concert …. vaut bien des Bayreuth; inutile de bouder votre plaisir, Jean-Paul Davois, directeur bien inspiré d’Angers Nantes Opéra, confirme une belle intuition : en programmant sur la scène de la Cité des Congrès de Nantes, ce Wagner sans décors ni costumes, le directeur général nous offre une immersion dans la grande forge wagnérienne ; car c’est bien le chef et l’orchestre qui en sont les vedettes; instruments acteurs, au verbe foisonnant et aux accents millimétrés, tant la direction du chef Pascal Rophé nous satisfait, et même nous comble par une sobriété soucieuse de couleurs ; habile et ductile dans l’enchaînement des épisodes dramatiques ; très convaincante dans l’équilibre des pupitres, jouant sur le relief des cuivres omniprésents (l’enjeu ici à travers de nombreux passages militaires est bien là préservation de l’Empire allemand); jouant tout autant de la rutilante harmonie des bois… d’un magicien angélisme quand paraît à chaque fois la trop candide Elsa (flûtes aériennes, évanescentes).
Pascal Rophé se saisit du drame wagnérien où triomphe supérieur, souverain, le venin haineux d’Ortrud, seule capable de chasser l’unique chevalier venu de Montsalvat pour sauver la jeune ( et si démunie) duchesse de Brabant, et surtout le succès des armées impériales. Malgré la lumière que convoque chaque apparition du chevalier au cygne, Lohengrin, Wagner conçoit un opéra viscéralement noir, et sans issue, soulignant combien aimer en confiance est impossible, combien les hommes ne méritent pas la chance de salut qui leur est, une fois dans leur vie, accordé. La féerie médiévale est conduite par une vision désespérée d’un compositeur qui est lui-même, à l’époque de la conception de son opéra, inquiété, pourchassé, rendu fugitif en Europe. Photo ci contre : Jean-Paul Davois et le maestro Pascal Rophé (DR), nouvelle coopération prometteuse, déjà riche en arguments convaincants grâce à ce Lohengrin de début de saison 2016-2017…
Angers Nantes Opéra réussit à réunir chanteurs, chœurs, orchestre et chef en une production convaincante
Une offre wagnérienne à Nantes et à Angers qui ne se refuse pas…
Dès l’ouverture, la direction de Pascal Rophé affirme une conception volontaire et très précise du drame ; la clarté du geste saisit ; la construction réalise ce prodigieux rêve d’Elsa dont l’éclat (premier coup des timbales) marque l’implosion prodigieuse qui se transmet jusqu’au chevalier qui ayant entendu sa prière, descendra du ciel, pour la sauver… Directeur musical de l’Orchestre national des Pays de la Loire depuis 2014, Pascal Rophé tout au long de la soirée se montre un wagnérien captivant ; on suit le chef sans sourciller, le laissant nous conduire d’un acte à l’autre avec une subtilité sobre réellement habile et très juste. La coopération entre le chef, son orchestre et Angers Nantes Opéra se révèle en ce sens positive, et … prometteuse.
Vocalement, c’est l’Ortrud magnétique de Catherine Hunold qui vole la vedette : l’acte II – acte où la sirène manipulatrice sème dans l’esprit d’Elsa le poison du doute, est son acte; port de magicienne implacable et majestueuse dans la lignée des Médée et des Armide, des opéras baroques et préclassiques, la mezzo voluptueuse sait injecter sa suffisance impériale quitte dans un rapport sadique à dominer voire humilier ses proies trop complaisantes : évidemment Telramund le prince accusateur d’Elsa dont elle fait le bras armé de sa vengeance (très convaincant Robert Hayward qui façonne et nuance lui aussi son personnage : sa grande aisance scénique ajoute à sa crédibilité); et quand la sorcière noire invoque l’esprit de Wotan et de Freia – claire préfiguration du Ring à venir, Catherine Hunold fait valoir la souplesse jamais forcée de ses graves vénéneux en somptueuse déité wagnérienne; on lui doit cet aplomb convaincant qui avait fait la réussite de sa Bérénice de Magnard à l’Opéra de Tours (avril 2014) comme la valeur de sa flamboyante Sémélé, cantate de Dukas Prix de Rome, qui lui doit d’avoir été ainsi remarquée au disque (CLIC de classiquenews, octobre 2015).
Chez les hommes, le roi Henri l’oiseleur de Jean Teitgen, impose une belle ardeur de juge médiateur malgré la raideur de son jeu d’acteur : c’est bien le seul qui ne regarde jamais ses partenaires pendant le spectacle ni ne se retourne vers le choeur qui assure pourtant nombre de ses entrées. Le Lohengrin de Daniel Kirch (photo ci contre) fait valoir les mêmes qualités que son Paul dans La Ville Morte de Korngold, somptueuse production présentée par Angers Nantes Opéra, et pour nous fleuron de sa saison 2015 – 2016 (mars 2015) : le ténor allemand qui chante depuis longtemps et Lohengrin et Parsifal, possède l’exacte couleur du caractère, même si parfois quand se déploient les tutti de l’orchestre, la voix couverte devient inaudible. Mais son « In fernem Land« , quand le Chevalier dévoile son identité divine et miraculeuse, le ténor sur un tapis orchestral murmuré, se fait diseur, d’une sincérité qui touche (saluons dans ce sens, l’intelligence nuancée du chef). Familier des productions baroques et préromantiques, de Rameau à Salieri et jusqu’à Méhul, le baryton Philippe-Nicolas Martin réussit toutes ses déclarations déclamées en Héraut bien chantant et naturellement puissant. D’abord un peu terne voire trop lisse, l’Elsa de Juliane Banse dont le mérite est justement de s’être économiser depuis le début, réussit incontestablement sa dernière scène (de jeune épousée) dans laquelle celle qui doit tout au Chevalier se dévoile agitée, en panique, insistant lourdement auprès de Lohengrin, exigeant que son sauveur lui révèle enfin son nom et d’où il vient. Elle avait pourtant juré de ne jamais poser la question. En se parjurant ainsi, la pauvre oie blanche perd tout et permet à celle qui l’a manipulée, de vaincre définitivement.
La vivacité dramatique du chef s’avère une grande réussite ; l’implication des instrumentistes et des choeurs (engagés, nerveux, dans l’action), la prestation globalement convaincante des solistes font toute la valeur de ce Wagner à voir absolument à Angers le 20 septembre prochain au Centre de Congrès (19h), ultime représentation. Quand Bayreuth continue de décevoir soit par l’absence des grands chanteurs, soit par l’indigence ou l’outrance de mises en scènes trop décalées, Angers Nantes Opera vous propose un Wagner de grande classe qui à juste titre place chanteurs et instrumentistes sur le plateau et au devant de la scène… une invitation en ouverture de sa nouvelle saison 2016 – 2017 qui ne se refuse pas.
Compte rendu, opéra. Nantes, Cité des Congrès, le 18 septembre 2016. Wagner : Lohengrin, version de concert. Daniel Kirch, Catherine Hunold, Robert Hayward, Juliane Banse, Jean Teitgen, Philippe Nicolas Martin.., choeurs d’Angers Nantes Opéra, de l’Opéra de Montpellier, Orchestre national des Pays de la Loire. Pascal Rophé, direction.
Illustrations : Catherine Hunold (Ortrud) et Pascal Rophé (DR)