Compte-rendu critique. Opéra. LYON, HAENDEL, Rodelinda, 17 décembre 2018. Orchestre de l’opéra de Lyon, Stefano Montanari. Jamais donné à Lyon, Rodelinda est présenté dans une superbe production qui vient du Teatro Real de Madrid où elle fut donnée en 2017. Un casting superlatif et une mise en scène d’une rare intelligence et efficacité qui prouve combien l’opéra seria peut être, quand on s’en donne les moyens, un genre magnifiquement incarné.
Rodelinda exceptionnelle
Inspiré d’une pièce peu connue de Corneille, Pertharite, déjà mis en musique par Giacomo Perti (sur un livret d’Antonio Salvi, Florence, 1710), Rodelinda compte parmi les grands chefs-d’œuvre du Caro Sassone. Cette histoire lombarde du VIe siècle – qui alimentait déjà l’intrigue du précédent Flavio – est d’une finesse psychologique rare et il fallait tout le talent de Claus Guth pour rendre vivant un genre extrêmement codifié. Sur scène, un décor unique, une maison blanche transversalement coupée et pivotante dans le style victorien, dont on voit simultanément les deux niveaux (le salon, sur un fond noir où se détachent les étoiles, tandis que les lumières de Joachim Klein et les fascinantes projections vidéo d’Andi Müller transforment les lieux avec bonheur pour les scènes d’extérieur, injectant à la mise en scène un parfum fantastique du meilleur effet. La sobriété de la scénographie est l’écrin idéal pour cette histoire d’un roi fantôme qui revient semer le trouble dans les sentiments des personnages et révéler in fine les vertus de courage et d’abnégation associées à la figure du héros.
Une excellente idée a été de mettre au cœur de la dramaturgie le rôle muet de Flavio (joué par un acteur plus vrai que nature, l’excellent Fabián Augusto Gómez Bohórquez), l’enfant du couple royal objet de toutes les convoitises. Ses dessins, parfois inquiétants, témoins des péripéties du drame, sont efficacement projetés sur les murs blancs de la maison. Surtout, les nombreuses et splendides arias sont enfin illustrées de façon très convaincante grâce à une mobilité constante des personnages ; parfois, ils s’arrêtent brusquement ou évoluent au ralenti en fonction du texte chanté, l’air étant, dans ce type de répertoire difficile à mettre en scène, la quintessence rhétorique du récitatif précédent.
Dans le rôle de la reine éplorée, la soprano espagnole Sabina Puértolas, déjà présente à Madrid, est bouleversante de vérité, comme le révèle son air pathétique d’entrée (« Ho perduto il caro sposo »). Sa longueur de souffle exceptionnelle, son ambitus vocal hors normes et sa diction impeccable (à peine entachée dans le registre suraigu) en font une Rodelinda idéale, doublée d’une excellente actrice à l’aise dans toute la gamme des affects. Le contre-ténor anglais Laurence Zazzo est un impressionnant Bertarido, à la voix puissante (superbe « Confusa si miri ») et d’une finesse rare (il faut entendre sa messa di voce dans « Dove sei, amato ben ») et les deux protagonistes forment un couple vocal magnifique en particulier lors du célèbre duo qui achève le second acte (« Io t’abbraccio »). Grimoaldo trouve avec le ténor polonais Krystian Adam une belle incarnation : voix d’une grande séduction et d’un engagement dramatique sans faille. Qualités que l’on retrouve également chez le baryton Jean-Sébastien Bou ; si son style trahit parfois une relative inexpérience dans ce répertoire, la beauté du timbre, la clarté de la diction et son jeu d’acteur stupéfiant en font un magnifique personnage, d’une noirceur terrifiante, notamment dans les tortures qu’il inflige à Unulfo, très bien défendu par le contre-ténor Christopher Ainslie, timbre moins puissant que celui de Zazzo, mais d’une belle musicalité. Enfin, le rôle de la rivale Edvige échoit à la superbe mezzo Avery Amereau, voix élégante et solidement charpentée, fabuleuse actrice à l’élocution admirable (son duel tournoyant de jeux d’éventails avec Rodelinda, l’une habillée en robe blanche, l’autre en robe noire, constitue l’un des grands moments dramatiques de la production). Hélas victime d’un malaise à l’entracte, elle n’a pu assurer la deuxième partie du spectacle, nous privant de beaux moments qui ne pouvaient inspirer que d’infinis regrets.
À la tête de l’orchestre de Lyon, Stefano Montanari fait oublier les cordes modernes : sa direction électrisante, ses tempi parfois rapides sans jamais bousculer la partition, son sens aigu de la nuance, sont un modèle d’élégance, de justesse, d’intelligence dramatique. Une production qui sans nul doute fera date.
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Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Haendel, Rodelinda, 17 décembre 2018. Sabina Puértolas (Rodelinda), Krystian Adam (Grimoaldo), Avery Amereau (Edwige), Christopher Ainslie (Unulfo), Laurence Zazzo (Bertarido), Jean-Sébastien Bou (Garibaldo) Andi Müller (vidéo), Claus Guth (mise en scène), Christian Schmidt (décors et costumes), Joachim Klein (lumières), Ramses Sigl (Chorégraphie) Konrad Kuhn (Dramaturgie) Orchestre de l’opéra de Lyon, Stefano Montanari (direction) / Illustration : © Javier del Real