vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Lille. Opéra de Lille, le 29 janvier 2015. Mozart : Idomeneo. Kresimir Spicer, Rachel Frenkel, Rosa Feola… Lee Concert d’Astrée. Emmanuelle Haïm, direction. Jean-Yves Ruf, mise en scène.

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Pour cette nouvelle production d’Idomeneo à l’Opéra de Lille, le metteur en scène Jean-Yves Ruf s’associe à Emmanuelle Haïm et Le Concert d’Astrée pour la création du premier véritable opéra de maturité de Mozart. Un opéra seria à part, racontant l’histoire du Roi de Crète amené à tuer son fils Idamante, par les caprices de la superstition religieuse, écartant l’état de raisonnement pour la raison d’Etat ; Idomeneo prétend sauver le royaume de la furie d’un Neptune tricheur. Pendant ce temps Elettra se trouve en Crète, ainsi qu’Ilia, princesse des Troyens vaincus, qui est aussi éprise d’Idamante. Une distribution plutôt jeune et pétillante habite les personnages, avec des prises de rôles remarquables. Un spectacle visiblement très riche et une musique dans laquelle se délecter !

Chef-d’oeuvre incontestable

Beaucoup d’ancre a coulé et coule encore au sujet d’Idomeneo. Pendant sa composition à Munich en 1780 Mozart avait une correspondance très active avec son père, sa sœur, et amitiés par rapport aux nombreuses péripéties de la production, les caprices des chanteurs, l’exigence du commanditaire, etc… Immédiatement après sa création on parlait d’un certain aspect « gluckiste » de la partition, des nombreux chœurs, de l’influence de Haendel, etc… Aujourd’hui encore nous lisons avec curiosité tout ce qu’on dit sur la difficulté technique des rôles, sur la richesse et la complexité de la partition, sur la peur que l’œuvre inspire à certains metteurs en scène, etc., etc., etc. Si nous sommes de l’avis qu’on se sert souvent de ces stéréotypes sur le monument qu’est Mozart pour excuser la médiocrité, ces clichés ont néanmoins un fond de vérité.

idomeneo patricia ciofi elettra opera de lille 4Le Mozart d’Idomeneo (mais pas que) est comme le soleil, il illumine sans discrétion, il éclaire et révèle tout, il montre la petitesse et la grandeur sans discrimination. Emmanuelle Haïm et son fabuleux ensemble Le Concert d’Astrée font preuve d’une sagesse étonnante, mais fort heureusement non exclusive. Ils ouvrent l’œuvre avec beaucoup de brio, notamment les cordes si réactives, mais aussi un brio quelque peu désaccordé des cors. Pendant les 3 actes nous pensons au célèbre orchestre de Munich pour qui Mozart a écrit ces pages si riches, et nous trouvons la prestation de l’orchestre, si réservée soit-elle, pleine de qualités, notamment en ce qui concerne les tempi, la vivacité des cordes, le charme et la candeur si particulière des bois bellissimes du Concert d’Astrée. Idem pour les chœurs très sollicités. Le premier et le dernier nous laissent abasourdis de bonheur, mais ils n’ont pas été tous interprétés avec le même panache ni la même vigueur. Un déséquilibre qui peut s’interpréter comme inné à l’œuvre, peut-être. Or, en dépit du livret métastasien d’Antoine Danchet édité par Giambattista Varesco (avec qui Mozart avait déjà eu affaire pour Il Re Pastore, son opus lyrique précédent), si beau et si stylé soit-il ; par les cadeaux que Fortune a généreusement offert au génie salzbourgeois, il n’existe pas un moment ennuyeux ni de vrai temps mort dans la partition. Aux interprètes donc d’habiter leurs rôles, musicale et théâtralement. Les chanteurs-acteurs de la distribution on relevé le défi, notamment avec l’intense travail d’acteur qu’achève Jean-Yves Ruf, metteur en scène. Mais parlons de la musique d’abord.

Ilia et Idamante : deux perles vocales

idomeneo7-1Le titre de l’oeuvre est Idomeneo, re di Creta ossia Ilia e Idamante. Pour cette nouvelle production lilloise le titre Ilia et Idamante paraît beaucoup plus pertinent qu’Idoménée. Kasimir Spicer dans le rôle titre est un ténor qu’on aime bien par la qualité de son style et son investissement toujours impressionnant. S’il brille par la lumière propre à son talent, avec le pianissimo le plus beau de toute la performance, et que nous aurons du mal à oublier lors de son « Fuor del mar » au premier acte, nous avons aussi remarqué la difficulté du chanteur par rapport aux arabesques, au souffle et à la projection. Certes, il s’agît d’un air de bravoure virtuose que Mozart a dû adapter pour le ténor vieillissant créateur de l’œuvre : Anton Raaff. De même pour la soprano Patrizia Ciofi dans le rôle d’Elettra, Princesse argonaute répudiée. Une Princesse très chic mais pas aussi choc. Tant de belles choses dans sa prestation, le style, les récitatifs pleins d’intention, une agilité vocale confirmé… Mais aussi de la difficulté à chanter son premier air de bravoure « Tutto nel cor vi sento », un souffle manquant, une voix souvent inaudible, pétillante mais sans épaisseur. Un début un peu décevant, malgré son incroyable talent d’actrice qui, au moins, captivait les yeux de l’auditoire. Heureusement pour elle, sa performance est progressive. Lors de son deuxième air elle fait preuve d’un beau legato et des beaux piani, et elle impressionne surtout par son appropriation de la cadence, à laquelle elle ajoute un je ne sais quoi du belcanto du XIXe, ravissant. Son air de clôture « D’Oreste, d’Aiace » est à l’opposé de son premier au niveau de l’assurance, de l’interprétation, du volume, de la projection. Elle est très expressive et elle le chante avec vigueur, mais l’instrument reste le même, à notre avis beaucoup plus agile que dramatique donc peu propice au rôle. Même remarque pour le ténor Edgaras Montvidas (autrement un Alfredo touchant à Nantes, pour cette Traviata mise en scène par Emmanuelle Bastet) dans le rôle d’Arbace, confident d’Idomeneo. S’il est un excellent acteur et plutôt beau à regarder, son air virtuose au premier acte « Se il tuo duol » (fréquemment supprimé tellement il est difficile, nous l’avouons), laisse à désirer.

En l’occurrence les véritables chefs de file sont Ilia et Idamante, prises de rôles pour les deux jeunes chanteuses, en vérité. La soprano Rosa Feola dans le rôle d’Ilia fait ses débuts en France dans cette production. Dès son premier air « Padre, germani, addio », les maintes qualités de sa performance saisissent. Un timbre riche, une diction impeccable, une sensibilité dramaturgique complexe dont elle fait preuve par son chant et par son jeu. Une prestation qui augmente en beauté au cours des actes. Son « Se il padre perdei » au deuxième un bijou d’expression, d’intention, de sincérité, les bois délicieux du Concert d’Astrée s’accordant majestueusement à l’instrument de la soprano. Que dire enfin de son dernier air au 3e acte « Zeffiretti lusinghieri » si ce n’est-ce qu’elle y exprime la douceur de son amour avec un sublime legato et un chant débordant d’émotion ? Une artiste à suivre absolument. Pareil pour l’objet de son amour, Idamante, inteprété par la mezzo-soprano Rachel Frenkel, qui nous impressionne dès son entrée au premier acte « Non ho colpa » par le timbre et l’émotion juvénile délicieusement nuancée, même si la cadence n’a pas été le moment le plus réussi. Sa participation au quatuor du dernier acte « Andro ramingo e solo » est un sommet d’expression. Remarquons également la prestation rapide mais solide d’Emiliano Gonzales Toro, en Grand prêtre et notamment de la basse Bogdan Talos (La Voix) que nous aurions aimé écouter davantage.

Et la pierre d’achoppement de la production ? La mise en scène du talentueux et pragmatique Jean-Yves Ruf a des qualités et des défauts. Félicitons d’abord sa scénographe Laure Pichat pour des décors d’une beauté plastique tout à fait frappante ! Un décor par acte, un plateau toujours circulaire avec un rideau de fins fils qui permettent la transparence mais reflètent les belles lumières de Christian Dubet. Ni approche historique ni véritable transposition par contre. Des beaux tableaux visuels ravissants, un travail d’acteurs souvent poussé et souvent brillant… Mais des coutures par trop visibles d’un discours créatif incertain, voire incohérent.

Dès la levée du rideau nous avons un flashback de l’extraordinaire mise en scène de l’Elena de Cavalli (une production de grande valeur! – Opéra de Lille, janvier 2015), dans le sens où la structure circulaire domine le plateau. Très beau. Les troyens prisonniers à l’intérieur du faux rideau circulaire, couverts de draps blanchâtres comme Ilia… Nous sommes quelque part, à un moment précis de l’histoire, on dirait, mais on ne sait pas vraiment. Sauf qu’après arrive une procession des croyants… Hindous !? Mais pas que !!! Nous sommes décidément dans le méli-mélo d’époques, de styles, un peu de tout et beaucoup de n’importe quoi. Expliquons : Dans cette procession, des « prêtres » habillés en derviche (mystiques du soufisme, aux longues robes noires et des chapeaux longs plus ou moins coniques) rentrent sur scène avec de l’encens à la myrrhe et au copal (typiquement catholique, ajoutons). Un ascète de facture indienne a une expérience mystique devant le faux sacrifice dont il est le protagoniste, l’expérience est comme une espèce de possession, mais, démoniaque ou angélique ? En tout cas épileptique. Au même temps Idomeneo, Roi de Crète (où d’un royaume indien avec une minorité des musulmans mystiques qui ne brûlent pas du benjoin d’Arabie ni du santal mais de la myrrhe, et qui, par hasard, sont les prêtres du dit Roi au patronyme grec…), est habillé en occidental avec une couronne dorée qui paraît une bague contemporaine. Passons au troisième et dernier acte avec un bel arbre impressionnant qui n’est pas sans rappeler le bois sacré du château de Winterfell dans le Nord de la série télévisuelle Game of Thrones / Le Trône de Fer, à son tour inspiré du Moyen Age écossais… Heureusement toutes ces banalités sophistiquées et incohérentes acquièrent un sens, plus ou moins, uniquement grâce au travail d’acteurs des chanteurs : leur performance fait illusion de cohésion. Voici donc un show spectaculaire, de belles ombres et lumières, références à l’Inde, au mysticisme islamique, même à la Grèce (un petit peu quand même). Un défilé des modes du monde riche en prétextes, avec comme principale qualité rédemptrice, d’un point de vue dramaturgique, nous insistons, le jeu d’acteur qui est tellement fort et intéressant, que nous excusons, mais pas sans réserves, le manque d’égard face à l’intellect et à la culture des spectateurs dans cette mise en scène à la beauté confondante et conflictuelle, mais certaine.

Une production à voir et surtout à écouter à l’Opéra de Lille le 29 janvier ainsi que les 1er, 3 et 6 février 2015 !

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