Elena de Francesco Cavalli, ressuscité l’année dernière à Aix après 350 ans, reparaît en avril 2014 à l’Opéra de Lille pour ravir le cœur et l’intellect d’un public davantage curieux. Le chef et claveciniste argentin Leonardo Garcia Alarcon dirige son ensemble baroque Cappella Mediterranea et une pétillante distribution des jeunes chanteurs. Jean-Yves Ruf signe la mise-en-scène, efficace et astucieuse.
Elena ressuscitée
Francesco Cavalli (1602-1676), élève de Monteverdi, est sans doute un personnage emblématique de l’univers musical du XVIIe siècle. A ses débuts, il suit encore la leçon de son maître mais au cours de sa carrière il arrive à se distinguer stylistiquement, défendant sa voix propre, pionnière dans l’école vénitienne. Son style a un caractère populaire et, comme Monteverdi, il a le don de la puissance expressive. Avec lui, l’ouverture et surtout l’aria prendront plus de pertinence. De même, il annonce l’école napolitaine, non seulement par l’utilisation des instruments libérés du continuo, mais aussi par les livrets qu’il met en musique, souvent très comiques, particulièrement riches en péripéties. C’est le cas d’Elena, crée en 1659, donc après La Calisto mais avant L’Ercole amante parisien. Le livret de Nicolo Minato s’inspire, avec une grande liberté, de l’histoire de Thésée épris de la belle Hélène.
Dans cette unique production, il y a des dieux, des princes, des amazones, des héros, un bouffon, des animaux… Peu importe, puisque le but n’est autre qu’un théâtre lyrique bondissant et drôle, pourtant non dépourvu de mélancolie. Dans ce sens, le décor unique de Laure Pichat est très efficace, une sorte de palestre avec des murs mobiles qui fonctionnent parfois comme des portes.
Après l’entracte, le décor enrichi de lianes n’est pas sans rappeler les suspensions ou sculptures kinétiques (« Penetrables ») du sculpteur vénézuélien Jesus Soto, le tout doucement accentué par les belles lumières de Christian Dubet. Les costumes de Claudia Jenatsch sont beaux et protéiformes, mélangeant kimonos pour les déesses aux habits légèrement inspirés du XVIIe des humains, nous remarquons les belles couleurs et l’apparente qualité des matériaux en particulier. Jean-Yves Ruf, quant à lui, se distingue par un travail dramaturgique de qualité. La jeune distribution paraît très engagée et tous leurs gestes et mouvements ont un sens théâtral évident. Ainsi, pas de temps mort pendant les plus de 3 heures de représentation.
« Les erreurs de l’amour sont des fautes légères »
Les 13 chanteurs sur le plateau ont offert une performance plutôt convaincante. Certains d’entre eux se distinguent par leurs voix et leurs personnalités. Le Thésée de David Szigetvari, a un héroïsme élégant, une si belle présence sur scène. Un Thésée baroque par excellence, affecté ma non troppo, mais surtout un Thésée qui ne tombe pas dans le piège du héros macho abruti et rustique, si loin de la nature du personnage mythique qui fut le roi fondateur d’Athènes. Justin Kim en Ménélas étonne par l’agilité de son instrument et attise la curiosité avec son physique ambigu ; si nous pensons qu’il peut encore gagner en sensibilité, il arrive quand même à émouvoir lors de sa lamentation au troisième acte. Giuseppina Bridelli en Hippolyte a un beau chant nourri d’une puissante expressivité. Mariana Flores en Astianassa, suivante d’Hélène, captive aussi avec sa voix, au point de faire de l’ombre à la belle Hélène de Giulia Semenzato. Cette dernière captive surtout par son excellent jeu d’actrice, aspect indispensable pour tout opéra de l’époque. Que dire du Pirithoüs de Rodrigo Ferreira, à la belle présence mais avec un timbre peut-être trop immaculé ? Ou encore du beau chant d’un Brendan Tuohy ou d’un Jake Arditti (Diomède et Euripyle respectivement) ? Sans oublier la prestation fantastique de Zachary Wilder dans le rôle d’Iro le bouffon, un véritable tour de force comique ! (NDLR: Zachary Wilder a été lauréat du très select et très exigeant Jardin des Voix 2013, l’Académie des jeunes chanteurs fondée par William Christie).
Et l’orchestre de Cavalli ? S’il n’avait pas accès à l’orchestre somptueux de Monteverdi à Mantoue, le travail d’édition de Leonardo Garcia Alarcon traduit et transcrit la partition avec science et vivacité. L’ensemble Cappella Mediterranea l’interprète donc avec brio et sensibilité, stimulant en permanence l’ouïe grâce à une palette de sentiments superbement représentés. A ne pas rater à l’Opéra de Lille encore les 9 et 10 avril 2014. Prochaine retransmission sur France Musique le 3 mai 2014.