dimanche 8 décembre 2024

COMPTE-RENDU, critique, opéra. TURIN, le 15 juin 2019. CASELLA : La Giara / MASCAGNI : Cavalleria rusticana. Orchestre du Teatro Regio, Andrea Battistoni

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

COMPTE-RENDU, critique, opéra. TURIN, le 15 juin 2019. CASELLA : La Giara / MASCAGNI : Cavalleria rusticana. Orchestre du Teatro Regio, Andrea Battistoni. C’est une excellente idée du Regio de Turin d’avoir associée la sur-représentée Cavalleria rusticana à la rare Giara de Casella, compositeur turinois, dont on a pu voir, il y a deux ans, la magnifique Donna serpente. Si les différences – de genre, d’esthétique – sont nombreuses, la thématique littéraire, populaire sicilienne, les rapproche avec pertinence. Au final, la « comédie chorégraphique » de Casella en ressort vainqueur.

Sacre du printemps sicilien

 

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Inspirée d’une nouvelle de Pirandello, la « comédie chorégraphique » La Giara fut représentée au Théâtre des Champs-Élysées en novembre 1924, avec des décors et des costumes de Giorgio De Chirico (dont Turin présente en ce moment-même une très belle rétrospective). Si Cavalleria est un opéra, la Giara est un ballet dramatique non chanté (à part un air de ténor chanté derrière les coulisses). La thématique sicilienne populaire sert de fil conducteur aux deux œuvres, mais l’esthétique est radicalement différente, alors que les deux compositeurs voulaient forger, en musique, une nouvelle identité nationale, et que trente-quatre ans séparent les deux chefs-d’œuvre.
Casella s’inscrit dans l’esthétique moderne de l’avant-garde européenne et son ballet rappelle plus d’une fois le Sacre stravinskien (créé, rappelons-le, dans le même théâtre parisien) et plus globalement l’esthétique des Ballets russes de Diaguilev. La Sicile volcanique sert de toile de fond aux deux œuvres, mais là où Mascagni exacerbe les passions, fait couler un magma de pathos, Casella mise sur la pulsation tellurique, ouvrant d’infinies perspectives. Son ballet, relativement court (à peine quarante minutes), est admirable dans sa manière de varier les effets, d’insérer une mélodie populaire (dans le prélude), de la déployer dans toute son infinie douceur, puis d’y adjoindre une danse sicilienne entraînante, avant de changer radicalement de rythme, donnant ainsi le signal à une succession de séquences qui égrènent le déroulement dramatique de l’intrigue (le chaudronnier Zi’ Dima est chargé de réparer une grande jarre appartenant au colérique Don Lollò, mais finit par se retrouver coincé à l’intérieur, avant que les paysans, opposés à l’irascible propriétaire, ne finissent par le délivrer en brisant la jarre en mille morceaux).

Sur scène, un vaste cercle légèrement incliné suggérant le contour de la jarre sert de cadre dans lequel se déploie le ballet. Les onze danseurs de la compagnie Zappalà sont extraordinaires de précision ; leurs mouvements, tour à tour voluptueux et d’une mécanique virtuosité, dessinent avec grâce la trame narrative de la nouvelle pirandellienne transposée. Les costumes bariolés de Veronica Cornacchini et de Roberto Zappalà évoquent à la fois le folklore sicilien des charrettes typiques de l’île et l’esthétique des masques de la Commedia dell’Arte que bon nombre de compositeurs néo-classiques reprenaient à leur compte dans le premier tiers du XXe siècle. L’intermède chanté, en sicilien, par le ténor Francesco Anile, dans la coulisse, crée une soudaine impression d’irréalité, accentué par le contraste entre le discours chorégraphié et la non-présence visible de l’interprète sur scène, alors même que cet air populaire est censé nous ramener à la réalité « vériste » de l’intrigue. Une mention particulière doit être faite à la direction électrisante du jeune chef Andrea Battistoni qui dirige la phalange turinoise en soignant les contrastes et en valorisant la puissance sourde de l’orchestration de Casella.

La réalité « vériste » est en revanche au cœur du célèbre melodramma de Mascagni, premier succès d’un jeune compositeur de vingt-sept ans qui fit immédiatement sa gloire aux quatre coins du globe. Sur scène, un décor de pierres volcaniques encadré de deux bandes lumineuses rouges au premier plan et en fond de scène, reprend la même symbolique sicilienne qui fonctionne parfaitement : tout y est, décors et costumes réalistes, la charrette et le cheval vivant, même si ce réalisme est tempéré par le mélange d’une pointe d’Arcadie, de mélodrame et de folklore artificiel, y compris dans le domaine religieux (voir la procession qui obéit aux codes les plus convenus du mysticisme dix-neuviémiste. On peut même s’interroger sur la prétendue modernité de l’œuvre – mis à part le sujet qui met en avant des personnages populaires (mais Carmen était déjà passé par là), notamment sur le plan formel où des récitatifs très brefs s’intercalent entre deux pezzi chiusi. L’interprétation ne souffre pourtant aucune faille, malgré des chanteurs qui, pour les trois rôles principaux, appartiennent à la seconde distribution. Dans celui de Santuzza, Cristina Melis déploie une belle voix de mezzo sonore et bien projetée, une diction impeccable et une présence scénique du plus bel effet. Turriddu est incarné par Francesco Anile, dont le timbre n’évite pas toujours les excès pathétiques du rôle. De ce point de vue, l’Alfio du baryton albanais Gëzim Myshketa mérite toutes les louanges, par son phrasé, la beauté du timbre, la projection sans failles. Ces mêmes qualités sont observables chez les deux autres interprètes féminines, la Lucia de Michela Bregantin et la Lola de Clarissa Leonardi, deux beaux mezzos de conviction et d’engagement scéniques. Les chœurs sont également remarquables, excellemment préparés par Andrea Secchi, et la direction de Battistoni, moins subtile que dans la Giara (au point de parfois couvrir les voix), rend justice à une partition célébrissime, mais de notre point de vue, moins originale que le ballet de Casella.

 

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Compte-rendu. Turin, Teatro Regio, Casella, La Giara / Mascagni, Cavalleria rusticana, 15 juin 2019. La Giara : Francesco Anile (ténor), Compagnia Zappalà Danza, Nello Calabrò (dramaturgie), Veronica Cornacchini et Roberto Zappalà (costumes), Ilenia Romano et Fernando Roldán Ferrer (assistants à la chorégraphie), Sammy Torrisi (directeur technique), Orchestre du Teatro Regio, Andrea Battistoni (direction), Cavalleria rusticana : Cristina Melis (Santuzza), Francesco Anile (Turiddu), Gëzim Myshketa (Alfio), Michela Bregantin (Lucia), Clarissa Leonardi (Lola), Gabriele Lavia (Mise en scène), Paolo Venturi (Décors et costumes), Andrea Anfossi (Lumières), Anna Maria Bruzzese (Mouvements chorégraphiques et assistant à la mise en scène), Andrea Secchi (Chef des chœurs), Orchestre du Teatro Regio, Andrea Battistoni (direction). Illustrations : Andrea Macchia / Teatro Regio 2019

 

 

 

 

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