CD événement, annonce. MOZART : Symphonies n°39, 40 et 41. Les Nations. Jordi Savall (3 cd ALIA VOX, 2017 – 2018). MOZART MON FRERE. L’équation que représente les 3 ultimes symphonies de Mozart s’apparente à un rébus musical que les plus grands chefs abordent avec un sérieux et une humilité, une profondeur et une « sagesse » quasi philosophique. D’aucun en sont particulièrement émus et même saisis, d’autant plus qu’ils sont eux aussi au sommet de leur carrière comme de leur expérience humaine. Mozart permet cela : exprimer le caractère le plus noble de l’âme humaine, dans sa détresse, sa grandeur, ses souffrances. Une rencontre que les interprètes les mieux inspirés savent mesurer et ciseler. En détails comme en profondeur.
Ainsi le dernier Harnoncourt qui en faisait un « oratorio instrumental » d’une portée bouleversante pour tous ceux épris d’humanité ; le cas récent du jeune maestro Mathieu Herzog, chambriste inspiré, est plus rare, révélant une prodigieuse maturité sur le sujet. Le cas de Jordi Savall ici au travail en 2017 et 2018 s’inscrit dans une lignée plutôt convaincante, elle aussi sur instruments anciens ; aucun doute, la révolution instrumentale actuelle concerne bel et bien les orchestres dont les timbres revivifiés selon le format sonore d’époque et l’intensité expressive proche de l’original révèlent de nouvelles avancées artistiques profitables… qui supplantent dans bien des cas, l’épaisseur tonitruante et spectaculaire des orchestres modernes.
Dans un format intimiste proche de l’humain, l’orchestre les Nations de Savall déploie de solides arguments : équilibre des pupitres, clarté structurelle, surtout dans un scintillement millimétré des timbres très caractérisés, étonnante expressivité qui balance entre profondeur voire gravité et ivresse joyeuse… voire jubilation généreuse. Le tact et le style du chef catalan prennent naturellement leur essor sur le sujet conçu par un Mozart qui en 1788 à Vienne connait désespoir, dépression malgré une clairvoyance humaine exceptionnelle. Sa sincérité qui nous parle de fraternité et d’espoir déçus mais vivaces bouleverse et l’on est convaincu de la prodigieuse intelligence qui unifie les 3 symphonies en un retable symphonique parmi les plus modernes du XVIIIè – l’équivalent de ce qu’a réalisé Rameau en France au début des années 1760 : une révolution du langage musical, un goût pour les timbres instrumentaux où percent évidemment chez Mozart, les sons maçonniques (le compositeur réservant à la clarinette un solo anthologique dans le volet central, la Symphonie n°40 en sol mineur (la plus personnelle).
Symphonies 39, 40 et 41 « Jupiter » de Mozart
Jordi Savall éclaire l’humanité fraternelle
d’un Mozart, fils des Lumières
En effet, on distingue la grande ouverture qui ouvre la 39, élément premier absent des deux suivantes ; l’absence d’un réel mouvement de début dans la 40, ce qui la place d’emblée comme un mouvement central ; enfin la fugue dernière de la 41, dont la dimension, le souffle, l’ambition dans la joie et la noblesse lui donnent avec raison, selon le mot de l’impresario et violoniste Johann Peter Salomon à Londres, son titre postmozartien de « Jupiter ». Les 3 opus s’inscrivent ainsi dans cette unité qui les rend complémentaires.
Jordi Savall dans un texte fondamental à notre avis (livret du présent triple coffret), précise les enjeux humains des 3 partitions : tout ce qui prend racine ici dans la vie misérable et déchirante de Wolfgang alors en galère à Vienne. Ecarté de toute commande officielle d’importance, (- le futur Empereur Habsbourg Leopold II ne l’appréciera guère et c’est un doux euphémisme), victime de l’humeur volatile, glissante des Viennois sur son écriture et son style (à la différence des Praguois qui l’adulent), sans ressources dignes, surtout endetté jusqu’à la moelle, Wolfgang à l’été 1788 (32 ans) atteint les gouffres de l’existence terrestre alors qu’il est au sommet de son expérience artistique.
Comme le dit très justement Jordi Savall, Mozart est un artiste créateur libre, indépendant, doué d’une conscience hors normes : il a démontré son idéal de liberté dans L’Enlèvement au sérail ; d’égalité dans Les Noces de Figaro d’après Beaumarchais ; de fraternité bientôt, dans La Flûte enchantée. Ce pur esprit des Lumières, comme le sera Beethoven au début du siècle suivant et lui aussi à Vienne, affirme une profondeur qui est gravité et espoir. La lecture de Jordi Savall éclaire la vérité et la grande sincérité des partitions, réussissant sur le plan formel un modèle de symphonisme classique…. déjà romantique.
C’est donc une lecture fondamentale et magistrale qui révolutionne de facto notre connaissance des Symphonies dernières de Mozart. Le « testament symphonique » de Wolfgang est révélé. La vision est aussi éblouissante que celles antérieures et relativement récentes de Nikolaus Harnoncourt et de Mathieu Herzog. Prochaine grande critique dans le mag cd dvd livres de classiquenews.com / Coffret élu « CLIC de CLASSIQUENEWS » de l’été 2019.
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LIRE notre critique du cd Symphonies n°39, 40 et 41 de MOZART par l’orchestre Appassionato et Mathieu Herzog:
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-mozart-symphonies-n39-40-et-41-jupiter-appassionato-mathieu-herzog-direction-1-cd-naive/
LIRE notre critique des Symphonies 39, 40, 41 de Mozart / « Instrumental Oratorium « par Nikolaus Harnoncourt (déc 2012 2 cd Sony classical)
http://www.classiquenews.com/cd-mozart-3-dernieres-symphonies-n3940-41-nikolaus-harnoncourt-concentus-musicus-wien-decembre-2012-2-cd-sony-classical/