COMPTE RENDU, critique, opéra. TOURS, Opéra, le 4 oct 2019. MOZART : Cosi fan tutte. Boudeville, Feix… Benjamin Pionnier, direction / Gilles Bouillon, mise en scène. Pour lancer sa nouvelle saison lyrique 2019 2020, l’Opéra de Tours réaffiche COSI FAN TUTTE du divin MOZART, dernier opus de la trilogie conçue avec Da ponte (Vienne, 1790). Ce dernier avait déjà traité le sujet de l’infidélité et de l’inconstance du désir dans un précédent livret pour l’opéra de Salieri, La Scuola degli Gelosi (l’école des jaloux) de 1783. Pour Wolfgang, le propos devient « la scuola degli amanti / l’école des amants, avec pour devise générique « Cosi fan tutte » : elles font toutes pareil (autrement dit, toutes les femmes sont infidèles). La production a déjà été créée in loco en 2014, sa justesse mérite absolument d’être reprise. Et puis rien de tel qu’un bon Mozart pour amorcer un nouveau cycle d’opéras.
Aucune référence à cette Naples XVIIIème qui souvent continue de marquer les mises en scènes les plus récentes. L’homme de théâtre (ex directeur du CDN de Tours), Gilles Bouillon, a résolument inscrit ce Cosi comme une fable contemporaine dans une espace moderne où brille surtout la vivacité des femmes, grâce à un excellent trio féminin réuni pour cette reprise sur les planches de l’opéra de Tours. Car la devise qui sert de titre offre en réalité un miroir à une société machiste : au nom de l’inconstance des femmes, Mozart et Da Ponte dénoncent surtout les hommes qui non seulement sont infidèles et volages, mais fustigent et condamnent celles qui osent faire de même, outrageusement libres, maîtresses de leur corps et de leur plaisir.
Au sortir des deux actes de ce dramma giocoso, c’est l’incohérence et l’hypocrisie des hommes qui sortent ridiculisées. Avant de juger, certains feraient bien de s’analyser et faire amende honorable.
Reprise du Cosi de Gilles Bouillon à l’Opéra de Tours
Angélique Boudeville,
mozartienne de grande classe
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A Tours, les voix de femmes sont à la fête, soulignant tout ce que l’ouvrage, son texte, sa divine musique doivent au génie mozartien, premier féministe avant l’heure.
Petite voix mais volubile et habile en travestissements (en faux médecin, adepte du mesmerisme, au I ; puis au II, faux notaire à la vois éraillée, aigrelette), la Despina de DIMA BAWAB souligne la saveur comique de l’action : comédienne astucieuse et interprète sincère, elle respire l’esprit, la facétie, le goût du jeu et une bonne dose de militantisme fémininiste : c’est elle qui rééduque les deux jeunes oies trop crédules. N’hésitant pas à rudoyer ces jeunes patronnes en les traitant de bouffonnes, et d’épingler les hommes qui ne valent rien et qui « se valent tous ».
En Fiordiligi et Dorabella, les spectateurs tourangeaux bénéficient de deux tempéraments aussi caractérisés que subtils, aussi puissants que racés qui relèvent les défis multiples de leurs duos et solos. Les deux françaises choisies pour ce duo féminin parmi les plus passionnants du répertoire, éblouissent littéralement chacune dans leurs parties. Dorabella d’abord de marbre puis qui succombe au charme du bel albanais (Ferrando déguisé), ALIÉNOR FEIX déploie de solides attraits ; voix ample et franche, sculptée en une volupté de plus en plus manifeste ; un cran au dessus est atteint avec l’impeccable Fiordilgi d’ANGÉLIQUE BOUDEVILLE ; la finesse et la beauté de son diamant clair soutenu par une coloratoure fluide et naturelle et des aigus rayonnants par leur douceur d’attaque, semblent raviver les grandes mozartiennes d’hier, tenantes du rôle : Della casa, Caballé, Te Kanawa… Il y a du miel et une lumineuse candeur qui foudroient, dans cette voix mozartienne naturelle. Si elle soigne encore davantage le sens et la pureté de son legato, les riches nuances de chaque syllabe, son intelligibilité et la subtilité des phrases, la jeune diva pourrait prétendre demain aux plus redoutables emplois belcantistes et aux autres rôles mozartiens remarquables (Suzanna, la Comtesse, Pamina…) ; dans Cosi, ses deux airs solos (Come scoglio au I, puis son Rondo « Per pietà » au II)… véritables airs de concerts exigeants des moyens phénoménaux, imposent une classe exceptionnelle, solidité des moyens, intelligence de l’intonation et conception du rôle dans la situation…, à l’avenant. Belle révélation d’un talent à suivre évidemment.
Les hommes ne déméritent pas mais sont d’un niveau en dessous : moins de souplesse comme de nuances, quoique Leonardo Galeazzi campe un Don Alfonso sûr, moqueur, très au faîte de la connaissance humaine, un vrai mentor pour édifier les deux jeunes fiancés prétentieux. Ceux ci sont défendus avec conviction par le baryton Marc Scoffoni (Guglielmo) et Sébastien Droy (Ferrando) mais comme il leur manque la finesse d’un chant mieux ciselé, c’est à dire mozartien.
Dans la fosse, Benjamin pionnier diffuse l’équilibre idéal d’un Mozart à la fois chambriste et d’une infinie tendresse fraternelle pour ses personnages. La souplesse chantante des cordes fait ici les délices du trio « soave il vento » (Alfonso / Dorabella / Fiordiligi au I), temps suspendu d’une exceptionnelle sensualité caressante ; les solos instrumentaux sont impeccablement calibrés dans ce labyrinthe des cœurs, où la passion se frotte à l’illusion ; l’amour, aux caprices du désir ; les dernières espérances, à la barbarie de l’amour volage …
Jamais les voix ne sont couvertes mais elles rayonnent toutes distinctement dans les ensembles… (dans les sextuors du II). Du reste, le maestro redoublent de précision et de transparence soulignant tout ce que Cosi doit aux deux précédents opéras de la trilogie Da ponte, Don Giovanni et les Nozze di Figaro ; sans omettre d’autres traits si proches qui annoncent La Flûte Enchantée (1791) à maints endroits… : le duo Ferrando / Dorabella du II, préfigurant dans les jeux de mots et l’esprit scherzando, l’étreinte facétieuse du duo à venir, Papageno / Papagena. Tout cela s’entend à Tours dans cette reprise de haute volée auquel participe aussi la précision du chœur maison, préparé avec le soin que l’on sait par la cheffe Sandrine Abello. Production incontournable.Encore deux dates, demain, dim 6 oct (15h), puis mardi 8 oct 2019 (20h) : Réservez ici
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COMPTE RENDU, critique, opéra. TOURS, Opéra, le 4 oct 2019. MOZART : Cosi fan tutte. Boudeville, Feix… Benjamin Pionnier, direction / Gilles Bouillon, mise en scène.
COSI FAN TUTTE de Mozart
Opéra buffa en deux actes
Livret de Lorenzo da Ponte
Créé le 26 janvier 1790 au Burgtheater de Vienne
Production de l’Opéra de Tours
Durée : environ 3h30 avec entracte
Direction musicale: Benjamin Pionnier
Mise en scène: Gilles Bouillon
Fiordiligi : Angélique Boudeville
Dorabella : Alienor Feix
Despina : Dima Bawab
Ferrando : Sébastien Droy
Guglielmo : Marc Scoffoni
Don Alfonso : Leonardo Galeazzi
Choeur de l’Opéra de Tours
Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours
Décors: Nathalie Holt
Costumes: Marc Anselmi
Lumières: Marc Delamézière
Photos : © Sandra Daveau 2019 pour l’Opéra de TOURS
Prochaines productions à l’Opéra de Tours : Le DOCTEUR MIRACLE de Charles Lecocq, les 12, 13 et 14 décembre 2019 – version pour piano et pour les juniors (et toutes leurs familles) – pour NoËL 2019 : LES P’TITES MICHU d’André Messager : Ch Grapperon / Rémy Barché – les 27, 28, 29 et 31 décembre 2019 – informations ici
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LIRE aussi notre présentation de COSI FAN TUTTE, reprise à l’Opéra de TOURS
http://www.classiquenews.com/nouveau-cosi-fan-tutte-de-mozart-a-lopera-de-tours/