COMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, le 24 juin 2019. OFFENBACH : Barbe-Bleue. Orchestre et chœur de l’opéra de Lyon, Michele Spotti. La collaboration entre Laurent Pelly et Offenbach est désormais une valeur sûre. Cette production qui clôt la saison lyonnaise, s’inscrit avec bonheur dans le sillon qui a vu les succès de la Belle Hélène ou d’Orphée aux enfers et de huit autres merveilles du « Petit Mozart des Champs-Elysées ». Tout est marqué du sceau de l’excellence, de la distribution, aux décors, au jeu d’acteurs, et à la musique virevoltante, qui nous permet de découvrir une partition trop rarement donnée.
BARBE-BLEUE désopoilant !
Illustration : © Stofleth / Opéra de Lyon 2019
La scénographie est d’abord un régal pour les yeux. Malgré une transposition moderne sans outrance, avec des clins d’œil à la presse à scandale et aux émissions de télé-réalité, l’esprit parodique est parfaitement conservé, qui joue sur l’opposition entre une certaine ruralité (la chaumière, le tracteur et le foin, la vie paysanne en général, superbement restituée) et les ors des palais du pouvoir (le faste des festivités du dernier acte, avec un couple royal irrésistible de drôlerie). Le décalage caustique est constamment présent, et pour une fois, les dialogues ont été à peine raccourcis et très peu réécrits. Le conte horrifique de Perrault sert ici de toile de fond pour une lecture d’une drôlerie constante, magnifiée par un rythme endiablé, tant musical que scénique.
Tout y est, du couple de jeunes premiers (le prince Saphir et Fleurette, fille du roi, qui se comptent… fleurette), la jeune paysanne nymphomane, Boulotte, comparée à une « Rubens », qui tapera dans l’œil de Barbe-Bleue et l’emmènera dans sa jaguar noire, avant qu’il ne tombe sous le charme de Fleurette et ne prépare, avec l’aide de son fidèle alchimiste Popolani, un plan diabolique, dans le sous-sol macabre de son château, pour supprimer Boulotte. Mais ce sera sans compter sur les cinq femmes de Barbe-Bleue qui n’étaient qu’endormies et qui interviendront, déguisées en bohémiennes, lors d’un bal mémorable au Palais royal.
Malgré une forme en demi-teintes, Yann Beuron est magistral dans le rôle-titre, au look de Kim le coréen, nuque rasée, blouson en cuir et barbe bleutée. Sa présence scénique, qu’on avait pu déjà observer avec bonheur la saison dernière dans le Roi Carotte, fait toujours merveille. Et s’il peine parfois dans le registre aigu, sa prestation compense toutes les faiblesses dues à son état.
Carl Ghazarossian est un prince Saphir idéal, dont le timbre, bien projeté, a des accents parfois stridents qui lui confèrent un côté niais non dénué de charme ; la Fleurette au timbre fruité de Jennifer Courcier lui donne habilement la réplique. Dans le rôle exigeant de Boulotte, la mezzo très en verve d’Héloïse Mas émerveille par la puissance de son timbre et son jeu de scène sans temps mort ; dès son air d’entrée (« Y’ a des bergèr’s dans le village ») elle donne parfaitement le ton. Le Popolani de Christophe Gay mérite également tous les éloges, et dans la voix, comme dans son jeu, on devine la duplicité de ce serviteur de l’ogre, grâce à qui les femmes de Barbe-Bleue auront la vie sauve. Le couple royal est superbement agencé, le Roi Bobèche a les traits goguenards et ridicules de Christophe Mortagne, couronne de travers et démarche dégingandée, voix flûtée délicieusement surannée, qui trouve en Aline Martin une Reine Clémentine non moins irrésistible, dont l’apparent maintien altier ne trompe personne et fait en revanche rire toute l’assistance. Dans les rôles plus marginaux du comte Oscar et d’Alvarez, Thibault de Damas et Dominique Beneforti tirent parfaitement leur épingle du jeu, de même que les cinq femmes de Barbe-Bleue (superbe apparition dans leur couche lors du dernier tableau du IIe acte).
Il faut enfin rendre hommage à la direction à la fois précise et souple du jeune chef italien Michele Spotti, qui met magnifiquement en valeur les subtilités de la musique d’Offenbach (superbes préludes du 2e acte, avec ses miaulements caractéristiques, ainsi que du 3e acte avec ses leitmotive entêtants). Les forces et les chœurs de l’Opéra de Lyon sont une fois de plus excellents ; on ne pouvait décidément faire un meilleur choix pour fêter le bicentenaire du compositeur.
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COMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra de Lyon, le 24 juin 2019. OFFENBACH : Barbe-Bleue. Yann Beuron (Barbe-Bleue), Carl Ghazarossian (Prince Saphir), Jennifer Courcier (Fleurette), Héloïse Mas (Boulotte), Christophe Gay (Popolani), Thibault de Damas (Comte Oscar), Christophe Mortagne (Roi Bobèche), Aline Martin (Reine Clémentine), Dominique Beneforti (Alvarez), Sharona Aplebaum (Héloïse), Marie-Eve Gouin (Eléonore), Alexandra Guérinot (Isaure), Pascale Obrecht (Rosalinde), Sabine Hwang-chorier (Blanche), Laurent Pelly (Mise en scène et costumes), Agathe Mélinand (Adaptation des dialogues), Chantal Thomas (Décors), Joël Adam (Lumières), Jean-Jacques Delmotte (Collaboration aux costumes), Christian Räth (Collaboration à la mise en scène), Karine Locatelli (Cheffe des chœurs), Orchestre et chœur de l’Opéra de Lyon, Michele Spotti (direction).