samedi 26 avril 2025

Compte-rendu critique. Opéra. BEAUNE, LULLY, Isis, 12 juillet 2019. Les Talens lyriques, Chœur de Chambre de Namur, C Rousset.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Compte-rendu critique. Opéra. BEAUNE, LULLY, Isis, 12 juillet 2019. Orchestre Les Talens lyriques et chœur de Chambre de Namur, Christophe Rousset. Christophe Rousset poursuit, à Beaune, son cycle Lully, avec l’une des partitions les moins jouées et les plus riches musicalement du compositeur. Une distribution qui frise l’idéal et un orchestre à son meilleur. On se frotte les mains, l’opéra est déjà en boîte.

Isis brillamment ressuscité

lully_portrait_mignard_lebrunOn pouvait entendre le célèbre chœur des trembleurs dans la belle anthologie qu’Hugo Reyne avait consacré à La Fontaine, avant que le chef ne l’enregistre pour son propre cycle dédié à Jean-Baptiste Lully. Nul doute que la lecture de Christophe Rousset, à en juger par le magnifique concert bourguignon, se hissera au sommet de la bien maigre discographie de ce chef-d’œuvre. La cinquième tragédie lyrique du Florentin passa à la postérité sous le nom d’« opéra des musiciens », précisément en raison de l’opulence et du raffinement de la partition. Outre le chœur des Peuples des climats glacés, dont on connaît la fortune, l’œuvre compte moult merveilles, de la plainte de Pan, dans le métathéâtre du 3e acte, la superbe descente d’Apollon au Prologue, la scène onomatopéique des forges des Chalybes, ou encore le trio des Parques dans la scène conclusive de l’opéra. On rêve toujours à une version scénique de cette œuvre moins riche en péripéties que les autres tragédies lyriques : le merveilleux baroque se nourrit aussi des effets visuels des machines et des costumes qui participent à la stupeur quasi constante du spectateur.
La distribution réunie dans la chaleur moite de la Collégiale Notre-Dame est proche de l’idéal. On pourrait regretter qu’étant donné le nombre élevé de personnages, les interprètes, qui endossent plusieurs rôles, ne parviennent pas toujours à les bien différencier, mais la plupart sont relativement secondaires. Le rôle-titre est magnifiquement incarné par Ève-Maud Hubeaux qui, par la présence, l’engagement dramatique et la couleur de la voix, a la grâce touchante d’une Véronique Gens : élocution idoine et projection solidement charpentée sont des qualités également distribuées ; on les retrouve chez Cyril Auvity, merveilleux Apollon à la voix cristalline, d’une fluidité et d’une pureté qui forcent le respect, capable de pousser la voix dans les moments de dépit, sans perdre une once de son éloquence maîtrisée. En Jupiter et Pan, Edwin Crossley-Mercier dispense toujours la même élégance vocale ; si la voix semble parfois un peu étouffée, la diction est en revanche impeccable ; il est un Jupiter très crédible dans sa duplicité avec Junon, et la déploration de Pan au 3e acte est l’un des moments bouleversants de la soirée. Philippe Estèphe, entre autres en Neptune et Argus, est une très magnifique révélation : un timbre superbement ciselé, un art de la déclamation trop rare : dans l’acoustique par trop réverbérée de la Basilique, pas une syllabe ne s’est perdue dans les volutes romanes du bâtiment. Mêmes qualités chez le ténor Fabien Hyon, Mercure espiègle et décidé : les quelques duos avec Cyril Auvity ont provoqué une rare jouissance vocale qu’on aurait souhaité voir se prolonger. Chez les hommes, le seul point noir est le Hiérax d’Aimery Lefèvre : la voix est là, le timbre n’est pas désagréable, loin s’en faut, mais ces belles compétences sont gâchées par une diction engorgée : on a peiné à suivre sa déclamation, si essentielle dans le théâtre du XVIIe siècle. Aucun faux-pas chez les autres interprètes féminines : la Junon de Bénédicte Tauran, d’une faconde elle aussi impeccable et qui ne tombe pas dans le piège de la colère excessive : la tragédie lyrique doit, à tout instant, rester une école de rhétorique, et les interprètes l’ont bien compris : la mezzo moirée d’Ambroisine Bré s’y soumet avec élégance, dans ses deux rôles (principaux) d’Iris et de Syrinx, tandis que les deux nymphes de Julie Calbete et Julie Vercauteren (superbe duo), complètement avec réussite cette très belle distribution.
On saluera une nouvelle fois les nombreuses et excellentes interventions du Chœur de Chambre de Namur ; à la direction, Christophe Rousset anime les forces alliciantes et roboratives des Talens lyriques, avec une passion raisonnée : la précision des tempi est toujours au service de l’éloquence du geste et de la parole, et dans ce répertoire, il est désormais passé maître.

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Compte-rendu. Beaune, Festival d’Opéra Baroque et Romantique, Lully, Isis, 12 juillet 2019. Ève-Maud Hubeaux (Thalie, Io, Isis), Cyril Auvity (Apollon, 1er Triton, Pirante, Erinnis, 2e Parque, 1er Berger, La Famine, L’Inondation), Edwin Crossley-Mercier (Jupiter, Pan), Philippe Estèphe (Neptune, Argus, 3e Parque, La Guerre, L’Incendie, Les Maladies violentes), Aimery Lefèvre (Hierax, 2e Conducteur de Chalybes), Ambroisine Bré (Iris, Syrinx, Hébé, Calliope, 1ère Parque), Bénédicte Tauran (Junon, La Renommée, Mycène, Melpomène), Fabien Hyon (2e Triton, Mercure, 2e Berger, 1er Conducteur de Chalybes, Les Maladies languissantes), Julie Calbete et Julie Vercauteren (Deux Nymphes), Orchestre Les Talens lyriques, Chœur de chambre de Namur, Christophe Rousset (direction).

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