COMPTE-RENDU, critique, concert. PARIS, TCE, le 18 janv 2020. BEETHOVEN / FF GUY : les 5 Concertos pour piano. François-Frédéric GUY, piano et direction. Orchestre de Chambre de Paris, THÉÂTRE DES CHAMPS ÉLYSÉES, Paris, 18 janvier 2020. Les 5 concertos pour piano de Beethoven. La célébration des 250 ans de la naissance de Beethoven a commencé en ce début d’année dans la monumentalité, avec l’intégralité de ses concertos pour piano donnés en une soirée, une folie que le compositeur n’aurait pas condamnée – rappelons-nous ce soir du 22 décembre 1808 à Vienne: création du quatrième concerto, mais aussi des symphonies 5 et 6, que « complétaient » l’aria « Ah, perfido! », la Fantaisie pour piano opus 77 et la Fantaisie chorale opus 80! Un véritable défi relevé par ses interprètes, l’Orchestre de Chambre de Paris et le pianiste François-Frédéric Guy, tous en grande forme, devant le public enthousiaste du Théâtre des Champs-Élysées plein à craquer.
LA QUINTESSENCE DES CONCERTOS DE BEETHOVEN
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Cinq chefs-d’œuvre, trois heures de musique, un musicien qui cumule les fonctions – pianiste soliste et chef – suffisamment de quoi être piqué de curiosité. On pousse la porte du Théâtre en se demandant si l’endurance des musiciens va tenir, si notre propre écoute restera dans son acuité, si ce concert XXL ne ressemblera pas plutôt à un grand show, au détriment du sens musical. Certains craignent déjà l’indigestion Beethoven avant même le début du festin attendu cette année. C’est sans compter sur l’énergie, l’expérience et l’engagement artistique de François-Frédéric Guy, la connivence du musicien et de la formation orchestrale qui n’a rien de conjoncturel, s’inscrivant dans la continuité d’une collaboration de plusieurs années (ils jouèrent cette intégrale au festival Berlioz à la Côte-Saint-André en 2015). Photo ci dessus : FF Guy / © C Doutre.
La soirée se déroule en trois parties, et commence avec le premier puis le troisième concerto (opus 15 et opus 37), enchaînant les tonalités d’ut majeur puis ut mineur. L’introduction orchestrale du premier mouvement (concerto n°1) annonce une belle vitalité musicale, insufflée par la direction de F.F. Guy, mais serait-il sous l’effet d’un accès soudain de conscience devant le pic à gravir? Lorsque le pianiste fait son entrée, une légère indétermination se fait sentir au tout début, et le bon équilibre entre l’orchestre et son instrument met quelques mesures à s’instaurer. Le propos se clarifie cependant, et les marques se prennent rapidement de part et d’autre. A partir de la seconde partie du mouvement, le concerto irradie de toute sa lumière, le piano chante dans un phrasé ample, déroule des avalanches de traits dans une fluidité parfaite, jusqu’à la cadence, théâtrale et facétieuse. Après le Largo, de grande hauteur de ton, joué avec une sobriété de bon aloi, le rondo caracole avec vigueur dans un do majeur triomphant. Le rythme de croisière est pris, et le troisième concerto expose ses thèmes dans une netteté de traits et des couleurs orchestrales caractérisées. Le piano joue des oppositions entre fermeté de ton et lyrisme puissant. Le largo est renversant d’émotion: F-F. Guy donne à son thème, lent et recueilli, des contours expressifs bouleversants, qu’il relaie à l’orchestre donnant ampleur et profondeur au chant, soutenu dans le grave des cordes. Ce n’est pas pour notre déplaisir qu’il force par moments le trait de l’humour dans le rondo final, plein d’enthousiasme, vigoureux et spirituel, entrainant l’orchestre dans l’euphorie contagieuse de la coda.
Une heure après, c’est une autre paire de concertos, avec le deuxième opus 19 en si bémol majeur, puis le quatrième opus 58 en sol majeur. Côtoiement intéressant du second, encore dans l’esprit mozartien, brillant de ses cascades de gammes et d’une pudique tendresse dans son adagio, et du quatrième à l’envergure orchestrale des grandes symphonies beethoveniennes. Deux mondes, deux approches musicales et pianistiques dont François-Frédéric Guy distingue la virtuosité avec justesse: le toucher, l’articulation et le phrasé, le poids, la pédale, tout y est parfaitement à sa place. Quel somptueux legato dans l’adagio du deuxième concerto, qui s’achève dans l’évanescence! Dans le quatrième concerto, il sait densifier, donner la gravité, comme il sait aussi effiler le son, l’élever, lui enlever de la matière tout en lui donnant sa longueur, cela au piano comme à l’orchestre. Son rondo final propage sa belle humeur, son invulnérable optimisme, dans les vertus de ses timbres (haute tenue des trompettes et timbales) et de ses rythmes, d’une netteté impeccable chez les cordes.
La soirée culmine avec le cinquième concerto « l’Empereur » opus 73 en mi bémol majeur. Dans une énergie décuplée, François-Frédéric Guy et l’OCP lui donnent fière allure: l’œuvre mythique resplendit dans toute sa grandeur. Le premier mouvement, à l’inébranlable et puissante architecture, a une classe formidable. Le pianiste-chef incarne devant nous un Beethoven à la vitalité solaire, qui avec une aisance et un naturel confondants passe de la direction à l’instrument, précis dans les gestes qu’il adresse à l’orchestre comme dans ses prises de parole au clavier. L’adagio, dans sa simplicité, nous tient hors sol, admirablement servi par la majesté des cors, et le finale jubilatoire et triomphant couronne de son ultime effet anticyclonique cette soirée revigorante et si incroyable.
Devant cet impressionnant hommage, rendu par un beethovénien émérite et un orchestre d’une qualité et d’une homogénéité remarquables, réunissant autant d’excellents solistes, les rappels se succèdent jusqu’à l’ovation debout du public, libérant des bravos des quatre coins du théâtre. L’année Beethoven s’ouvre magistralement avec ses concertos. Elle promet encore de grands rendez-vous… A suivre.
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