CD, critique. Verdi : Giovanna D’Arco (Netrebko, Domingo. Salzbourg 2013). Giovanna d’Arco est redevable à la première manière de Verdi, un compositeur alors en plein succès celui de Nabucco, à la manière guerrière, vive, fiévreuse qui cependant ici étonne par la ciselure délicate réservée à l’héroïne : Giovanna. Sur les traces de Schiller, une source chérie à laquelle il puisera encore la trame de Luisa Miller entre autres…, Verdi s’intéresse au profil de la jeune vierge, paysanne de Domrémy devenue chevalier, inféodée au service puis ici, à l’amour du roi Charles VII (Carlo). L’histoire est totalement réécrite à la faveur d’une intrigue amoureuse assez peu vraisemblable mais dont la mise en forme privilégie une succession de tableaux avec choeur, d’une dignité expressive noble et tragique (car la fin produit la mort de Giovanna expirante et sacrifiée), dans le sillon des grands oratorios de Rossini. Surprenante la relation du père (Giacomo) à la fille : c’est à cause de lui que Giovanna est dénoncée de sorcellerie et livrée à la haine populaire. Un comble – conçue dans la jeunesse quand on sait l’importance de la filiation dans les autres opéras, et la tendresse indéfectible des pères pour leur progéniture. A contrario de l’action de Giovanna d’Arco, Verdi soigne ensuite la tendresse du père pour sa fille et vice versa (Rigoletto, Boccanegra et déjà Stiffelio…). Ici, le cadre romanesque impose des règles et un cadre que Verdi prendra soin d’éclater pour mieux affiner le profil psychologique des caractères et colorer avec subtilité, les relations ténues qui les relient.
Une Giovanna trop charnelle, un Domingo saisissant
Objet de 3 soirées prestigieuses au festival de Salzbourg 2013, cette production en version de concert avait attiré les huiles autrichiennes et les visiteurs de marques par son affiche : Anna Netrebko et Placido Domingo séduisent toujours autant. Et reconnaissons que le ténor devenu baryton (hier Carlo, ce soir Giacomo) offre à tous une leçon de style et de justesse émotionnelle. Moins d’enthousiasme en revanche pour celle qui chantera bientôt les grands rôles verdiens : Leonora du Trouvère et surtout Lady Macbeth. Anna Netrebko fascine toujours autant par son timbre charnu et opulent. Mais le problème se précise dès ses premiers airs : le calibre vocal ne cadre pas avec cette ligne bellinienne, légère et agile, qui fit jadis les délices d’une Caballé. Trop puissante et large, la Giovanna de Netrebko ne convainc pas. Le personnage ne correspond en rien à l’étoffe et à l’esprit de la chanteuse… que l’on attend d’autant mieux dans les tourments crépusculaires et obsessionnels de Lady Macbeth, et que sa Leonora, révélée récemment au disque, chez Deutsche Grammophon également, affirmait de bien meilleure manière.
Même Francesco Meli malgré la beauté du timbre lui aussi offre un portrait systématique, trop mécanique et démonstratif du roi Carlo, amoureux de sa guerrière Giovanna. Décidément l’aîné des solistes Domingo s’impose par sa distinction d’intonation, la subtilité de sa diction… qui a contrario de la noirceur première de Giacomo, dévoile l’humanité du père qui enfin mais trop tard, reconnaît la beauté morale de sa fille. Le chef malgré le choeur épais, parvient à insuffler un nerf continu au drame qui souffre cependant d’un raffinement trop souvent concentré lorsque le roi Domingo paraît. Un témoignage en demi teintes donc.
Giuseppe Verdi : Giovanna d’Arco. Anna Netrebko · Plácido Domingo Francesco Meli · Johannes Dunz – Roberto Tagliavini. Philharmonia Chor Wien, Münchner Rundfunkorchester. Paolo Carignani, direction. Enregistrement live réalisé lors du festival de Salzbourg 2013. 2 cd Deutsche Grammophon 0289 479 2712 9 2 CDs DDD GH2.