Avec l’abandon de sa collaboration avec le Royal Opera House de Londres, les cinĂ©mas CGR de la rĂ©gion-Poitou Charentes en gĂ©nĂ©ral et de Poitiers en particulier n’ont plus de partenariat squ’avec les grandes scènes lyriques italiennes. C’est ainsi que nous avons pu voir hier en direct, l’ouverture de la saison lyrique de la plus prestigieuse d’entre elles : la Scala de Milan. Pour cette saison 2015 / 2016, La Scala prĂ©sente un opĂ©ra très mĂ©connu de Giuseppe Verdi (1813-1901) : Giovanna d’Arco. Pour cette Ĺ“uvre, Verdi et son librettiste, Temistocle Solera, se sont inspirĂ©s du livre de Friedrich von Schiller «La pucelle d’OrlĂ©ans». Absente de la scène milanaise depuis cent cinquante ans, Giovanna d’Arco y revient estampillĂ©e du label «nouvelle production». Dans le rĂ´le-titre, la diva verdienne Anna Netrebko en très grande forme. Quant Ă la mise en scène, elle a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă un duo français : Mosche Leiser et Patrice Caurier.
Anna Netrebko chante Giovanna d’Arco
La Scala ressuscite Giovanna d’Arco des cartons après … 150 ans d’absence Ă Milan
La mise en scène, justement, est quelque peu Ă©trange. Se basant sur la faiblesse, rĂ©elle cependant, du livret les deux metteurs en scène ont placĂ© l’action au XIXe siècle dans ce qui ressemble Ă©trangement Ă un hĂ´pital psychiatrique version bourgeoise. Dans cette optique nous ne quittons jamais vraiment la chambre de la jeune fille qui se prend pour Jeanne d’Arc. De temps en temps, le mur de fond bouge pour permettre au choeur ou aux solistes d’aller et venir sauf dans le premier acte oĂą il est totalement ouvert juste après la victoire de Jeanne et de Charles. Ce qui sauve l’ensemble, ce sont les lumières superbes de Christophe Foret et les chorĂ©graphies de Leah Hausman : la danse des dĂ©mons lors du duo Carlo/Giovanna est une rĂ©ussite malgrĂ© la cruditĂ© de la scène. Les derniers Ă©pisodes de l’opĂ©ra sont hors sujet. Quelle drĂ´le d’idĂ©e de laisser Giovanna sur la scène pendant que son père commente l’ultime bataille dans laquelle elle trouve la mort en sauvant le roi de France. Quant Ă la mort de Giovanna, elle est un peu bizarre, voire totalement hors sujet. Comme on ne sait plus vraiment si on est sur le champs de bataille du XVe siècle ou dans un hĂ´pital psychiatrique du XIXe siècle, les metteurs en scène font mourir Giovanna, en une scène de la folie de la jeune fille qui se prenait pour la pucelle. Quant aux costumes Ă part ceux de Giacomo, qui reste rĂ©solument au XIXe siècle et de Carlo qui est un peu trop dorĂ© dĂ©tonnant ainsi sur la scène de la Scala, ils vont plutĂ´t bien aux personnages. Dans un tel mĂ©lange d’Ă©poques et de styles, seul le choeur est bien servi avec des costumes XVe superbes.
Vocalement en revanche, nous n’avons que des satisfactions. Anna Netrebko qui campe Giovanna est Ă©clatante de santĂ©. La voix est somptueuse et la soprano russe utilise son instrument avec une maĂ®trise quasi parfaite donnant Ă la jeune hĂ©roĂŻne une puissance bienvenue. Si Netrebko a fait de grand progrès comme actrice, elle rĂ©vèle cependant de sĂ©rieux soucis concernant la diction pas toujours très nette. Face Ă elle, Francesco Meli incarne un Carlo VII flamboyant. Si nous regrettons qu’il soit affublĂ© d’un costume et d’un maquillage excessivement dorĂ©s, – trop de dorure tue la dorure-, la voix est chaleureuse, ronde, puissante ; la tessiture correspond parfaitement au rĂ´le. SurvoltĂ© le jeune tĂ©nor donne Ă Carlo un charisme très fort qui manquait cruellement au vĂ©ritable Charles VII dans les premières annĂ©es de son règne. Le cas de Devid Cecconi (Giacomo) est un peu particulier. AppelĂ© par la Scala pour la prĂ©-gĂ©nĂ©rale, la gĂ©nĂ©rale et l’ante-prima (rĂ©servĂ©e au jeune public) pour remplacer Carlos Alvarez souffrant qui se contentait de jouer, il a Ă©tĂ© rappelĂ© en catastrophe pour remplacer son collègue atteint par une bronchite carabinĂ©e et interdit de scène juste avant la première par le mĂ©decin qui l’a auscultĂ©. Dans ces circonstances, si particulières nous passerons rapidement sur une performance scĂ©nique très en-deça de celle de ses deux collègues survoltĂ©s par un public tout acquis Ă leur cause. Il faut quand mĂŞme bien reconnaĂ®tre que ce pauvre Giacomo n’est servi ni par la mise en scène ni par son costume XIXe. Vocalement en revanche, Cecconi n’a rien Ă envier Ă Alvarez, qu’il remplace très avantageusement, ni Ă ses partenaires. Et d’ailleurs le public a si bien compris la situation qu’il a acclamĂ© le jeune baryton autant que les deux autres chanteurs. Saluons rapidement le Talbot très honorable de Dmitry Beloselskiy et la trop brève apparition de Michele Mauro (Delil). Dernier personnage de cette Giovanna d’Arco : le choeur de la Scala. Il a Ă©tĂ© parfaitement prĂ©parĂ© par son chef que ce soit pour ses interventions hors scène, les plus difficiles, ou sur scène.
Dans la fosse c’est Riccardo Chailly qui prend en main l’orchestre de la Scala. Excellent musicien et fin connaisseur des opĂ©ras de Verdi, le chef, dont nous avions d’ailleurs saluĂ© le superbe concert d’ouverture du festival Verdi de Parme en 2013, prend ses musiciens en main avec une belle autoritĂ©. La direction de Chailly, qui inaugure ainsi ses prises de fonction comme nouveau directeur musicale de La Scala, est dynamique, juste, sans dĂ©faillance. Très attentif Ă ce qui se passe sur la scène, il veille Ă ne jamais couvrir ses chanteurs et les accompagne avec un soin tout particulier, ciselant chaque note, chaque phrase tel un magicien soignant ses tours.
Ainsi, nonobstant une mise en scène qui se trouve un peu entre la poire et le dessert, la nouvelle Giovanna d’Arco est musicalement superbe avec un trio complètement survoltĂ©. Le pari est d’autant plus grand que cet opĂ©ra de Verdi ne renait de ses cendres que depuis peu d’annĂ©es. Notons aussi qu’il s’agit d’un retour important et très attendu Ă©tant donnĂ© que Giovanna d’Arco n’avait pas Ă©tĂ© donnĂ©e Ă la Scala de Milan depuis … 1865. Dans de telles conditions, nous aurions apprĂ©ciĂ© de voir une mise en scène plus sobre. Il y a nĂ©anmoins un vrai travail de rĂ©flexion, et nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© qu’elle soit effectivement situĂ©e Ă l’Ă©poque Ă laquelle se dĂ©roule l’histoire et non dans un obscur hĂ´pital psychiatrique du XIXe siècle avec des allers-retours au XVe siècle qui ajoute de la confusion.
Compte rendu, l’opĂ©ra au cinĂ©ma. Poitiers, CGR Castille en direct de Milan. Giuseppe Verdi (1813-1901): Giovanna d’Arco, opĂ©ra en un prologue et trois actes sur un livret de Temistocle Solera d’après le livre de Friedrich von Schiller «La pucelle d’OrlĂ©ans». Anna Netrebko, Anna; Francesco Meli, Carlo VII; Devid Cecconi, Giacomo; Dmitry Beloselskiy, Talbo;, Michele Mauro, Delil. Orchestra e coro alla Scala. Riccardo Chailly, direction. Mosche Leiser et Patrice Caurier, mise en scène; Agostino Cavalca, costume; Christophe Forey, lumières; Christian Fenouillat, dĂ©cors; Leah Hausman, chorĂ©graphies; Etienne Guiol, vidĂ©os.