vendredi 4 octobre 2024

CD. Mozart : Cosi fan tutte (Kassian, Currentzis, 2013)

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CLIC D'OR macaron 200CD. Mozart : Cosi fan tutte (Kassian, Currentzis, 2013). Décapant, enivré : le Cosi du chef Teodor Currentzis né grec mais citoyen russe (42 ans). Livré tout chaud des presse Sony en ce 17 novembre 2014, le Currentzis nouveau vient de sortir : la suite après des Noces décapantes, de la trilogie Mozart Da Ponte. Avant Don Giovanni (à paraître automne 2015), voici un Cosi supérieur encore aux Noces de l’an dernier : en énergie mais ciselée, en voix mieux homogènes, en finesse et subtilité (le duo Despina Alfonso fonctionne à merveille), en juvénilité ardente, naïve, celle des fiancés parieurs (Ferrando et Guglielmo) d’un bout à l’autre totalement engagés, et même palpitants. Ces officiers y apprennent l’inconstance et la philosophie d’en accepter le jeu.

mozart cosi fan tutte teodor currentzis cd sony classical kasyan kassian despinaA Perm, capitale culturelle isolée, à l’extrémité orientale de l’Oural, sévit une baguette embrasée, celle du directeur artistique de l’Opéra local, Teodor Currentzis (depuis 2011). Non content d’être reconnus modialement pour leur interprétation de Casse-noisette de Tchaikvoski grâce aux Ballet maison qui rivalise avec le Kirov et le Mariinsky, Perm gagne même une crédibilité mozartienne avec cette odyssée discographique menée à vive allure et qui s’avère totalement passionnante malgré ses options parfois radicales; ni tiède ni complaisante, la direction du chef entend régénérer fondamentalement notre écoute et notre mémorie sonore de la trilogie mozartienne : le travail sur les tempi, les phrasés, la dynamique et toutes les nuances hagogiques servant l’explicitation des climats et des situations comme l’articulation du texte d’une comédie déjantée restent là encore saisissants. La farce, l’ivresse d’un temps de folie collective, tous les possibles d’une situation née d’un quiproquo époustouflant, le plus impressionnant de l’histoire de l’opéra, sont revivifiés ici avec un tempérament de feu.

currentzis teodor cosi fan tutte mozart dirige baltasar neumannLa verve dont est capable le frénétique Currentzis qui a quitté son Athènes native pour étudier auprès d’Illya Musin à Saint-Pétersbourg, dès ses 22 ans, gagne en éloquence et en pétulance : jamais la scène napolitaine ne fut aussi électrisante et électrique tant le chef semble radicaliser son geste, mais à juste titre, celui des instrumentistes et des chanteurs pour chaque mesure. L’art des transitions entre récitatifs accompagnés au pianoforte et airs orchestraux y est particulièrement soigné, offrant une nouvelle continuité souple mais très caractérisée pour chaque séquence. Toute la dernière partie, à partir de la défaite de Fiordiligi dans son duo avec Ferrando déguisé en faux albanais, le faux mariage en présence du faux notaire (Despina hilarante), le finale où tous se démasquent, relève d’une vitalité hallucinée à la morale très juste, … une préfiguration des comédies les plus pétillantes à venir (La Chauve Souris, La vie parisienne…) : Currentzis a un geste percussif et tranchant,  essentiellement et naturellement théâtral, d’une justesse dramatique peu commune : peut-être le fruit de son ancienne collaboration avec l’autre champion du drame incarné, le metteur en scène tout aussi exacerbé par sa manière jusqu’auboutiste, Dmitri Cherniakov, à l’opéra de Novosibirsk dès 2004 ? Currentzis sait capter l’insouciance d’un temps de folie collective, la pulsation qui fait imploser l’ordre apparent de la vie, même si tout redevient à un équilibre final, – comme dans Les Noces de Figaro- la musique ayant superbement dévoilé la psyché trouble et contradictoire de chaque protagoniste et avec quelle finesse, on sent bien que le lendemain tout peut recommencer : Mozart a cette capacité à révéler la fragilité inhérente des situations où tout nouvel ordre peut à nouveau basculer. Currentzis se fonde sur cette motricité du désordre pour établir une approche résolument vertigineuse.

 

 

 

 

Ivresse, palpitations, délires de Cosi

 

Teodor Currentzis : maestro furioso !Au terme de répétitions sans limitation de durée (clause de son contrat à Perm), en cela accompagné par de vrais instrumentistes complices qui partagent son même perfectionnisme radical (les musiciens de l’ensemble qu’il a fondé à Novossibirsk : MusicAeterna), le chef peut être fier d’avoir atteint un nouveau standard de perfection, dans les attaques, dans l’unisson motorique des cordes ; la précision fait loi, toujours au service d’une expressivité justifiée. Jamais Cosi n’a semblé si proche de l’éros et du désir troublant ; la violence des fiancées d’abord réticentes à toute approche infidèle face aux jeunes orientaux venus les éprouver en l’absence supposée de leurs fiancés, paraît suspecte : sous la braise agressive, deux volcans sont prêts à se laisser enflammer… Et le duo Despina qui a tant de froideur enjouée vis à vis de la gens masculine, avec Alfonco, vieux cynique glaçant achève de boucler un tableau passionnant, résolument ironique et mordant, d’autant que les jeunes officiers se font prendre à leur propre jeu : l’infidélité des femmes, la facilité avec laquelle, déguisés, ils les ont retournées, offrent une leçon de réalisme sentimental qui n’a rien à envier ni à Marivaux ni Musset ni au Flaubert de l’Education sentimentale ou de Madame Bovary. Mais ce geste électrique, embrasé rompt définitivement le joug des lectures si nombreuses et si conformes, ternes, tièdes, lisses (celui du Mozart poli et décoratif). En réformant l’approche musicale par le souffle et la vie, Currentzis redéfinit aussi notre propre place d’auditeur, notre expérience musicale et aussi le jeu même des interprètes : certains y souscrivent naturellement, comme aimantés par tant de vivacité communicante, d’autres restent de marbre, souvent hors sujet à notre avis, parfois d’une consternante tiédeur : c’est le cas des deux voix féminines exprimant bien platement l’inconstance des deux soeurs… quant leur servante Despina éblouit par son jeu étourdissant d’intelligence et de finesse. Autre réserve, péché d’orgueil d’un chef qui pense d’abord par son orchestre : le volume sonore de l’orchestre, beaucoup trop élevé par rapport aux voix ; l’orchestre déjà stylistiquement survolté couvre le chant si détaillé par exemple, de la sublime Despinetta  de la jeune soprano Anna Kassian: or le travail naturel, flexible, ciselé de la jeune cantatrice confirme bien son talent, récemment couronné par le Concours Bellini 2013 -, une voix exceptionnelle à suivre désormais.

Globalement, l’enregistrement satisfait notre attente : affirmant une intelligence ivre réellement délectable qui souligne la folie et les délires de cette mascarade née d’un dangereux pari : la nature comique, légère, délirante du sujet y gagne un surcroît de vitalité. Comparée à leur anthologie Rameau publié aussi en novembre 2014 mais réalisé il y a déjà deux ans (Rameau : the sound of light, 2012), le style des musiciens nous paraît plus homogène et moins disparate.  C’est donc un CLIC de classiquenews, confirmant le choix de cette version de Cosi tel un excellent cadeau de Noël.
mozart cosi fan tutte currentzis 3 cd anna kasyanMozart : Cosi fan tutte. Simone Kermes (Fiordiligi), Malena Ernman (Dorabella), Christopher Maltman (Gugielmo), Kenneth Tarver (Ferrando), Anna Kasyan / Kassian (Despina), Kostantin Wolff (Don Alfonso).  MusicAeterna (orchestre et choeur). Teodor Currentzis, direction. 3 cd Sony classical 88765466162. Enregistrement réalisé en janvier 2013 à Perm, Opéra Tchaikovski.

 

 

 

 

 

approfondir


rameau courrentzis musicaeterna tteodor currentzis sound of lightCD. Rameau : the sound of light (Currentzis, 2012)
. Voici un Rameau qui fait réagir : lisez d’abord le titre de cette anthologie, The sound of light, le son de la lumière… Lumineux et même solarisé (serait-ce une référence indirecte à son appartenance à une loge comme à ses nombreux ouvrages pénétrés de symboles et rituels maçonniques : de Zaïs à Zoroastre…?). Frénétique, motorique, surexpressive… la lecture de Teodor Currentzis, jeune chef athénien formé dans la classe d’Illya Musin à Saint-Pétersbourg (à 22 ans) qui est passé par l’Opéra de Novossibirsk puis actuellement Perm, – où il est directeur artistique, ne laisse pas indifférent : sa baguette suractive exaspère comme elle transporte.
Pour le 250ème anniversaire de sa mort, le compositeur vit une année 2014 finalement florissante : aux concerts (Le Temple de la gloire, Zaïs… resteront de grands moments de redécouverte… à l’Opéra de Versailles), ou à l’opéra (Castor et Pollux, Les Indes Galantes, Platée…), s’ajoutent plusieurs réalisations discographiques dont ce programme pourtant enregistrée déjà en juin 2012 à Perm (Maison Diaghilev, Oural).  LIRE notre critique complète du cd RAMEAU : The sound of light (1 cd Sony classical, enregistré en 2012, édité en décembre 2014)
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