Le génie lyrique de Gossec enfin révélé
Autour d’elle, les personnages inféodés et aveuglés un temps à ses odieuses machinations, dont un choeur fabuleux de mordante vivacité (Choeur de chambre de Namur, dans entre autres, le choeur des enfers du III martyrisant la pauvre Eglé), se distinguent par leur caractérisation juste.
Virginie Pochon sait tisser une couleur à la fois angélique et déterminée pour le rôle d’Eglé dont l’importance et la présence dramatique (ses duos et confrontations avec Médée aux II et III) en fait un caractère au haut relief théâtral (comme Ilia dans Idoménée de Mozart, opéra un peu près contemporain de ce Thésée de Gossec). Les hommes affirment un très nette assurance, jouant aussi la finesse émotionnelle de leur profil : rien à dire au chant élégiaque et tendre mais aussi héroïque de Frédéric Antoun (dommage qu’il s’agisse du rôle le plus statique de la partition) ; plus intéressant encore le Roi d’Athènes Egée auquel l’excellent baryton Tassis Christoyannis apporte cette vérité humaine qui structure et rend passionnant tout le rôle : il ne s’agit pas d’un père de façade agissant dans les scènes collectives mais réellement d’une autorité réactive, d’abord conquis et manipulé par Médée puis lui opposant une vive résistance (après qu’il ait au III, grâce à Eglé, identifier son fils …) ; à Jennifer Borghi revient naturellement les palmes d’une véritable prise de rôle : la voix est parfois serrée et l’articulation du français pas toujours indiscutable mais le timbre spécifique éclaire les blessures de la femme amoureuse (Ah faut-il me venger en perdant ce que j’aime … au IV) malgré l’horreur de la magicienne rien que terrible et déchaînée (Dépit mortel, transport jaloux, fin du II). En cela, grâce à la fine expressivité réalisée par le chef (excellent Guy Van Waas, artisan et défenseur d’une esthétique multiple, à la fois postbaroque, classique et déjà romantique, assimilant et Gluck, Mozart et les accents frénétiques nerveux de Mannheim car Gossec connaissait Stamitz…), sa Médée sait rugir de façon inhumaine, aux imprécations infernales très assurées, mais aussi s’attendrir soudain pour mieux manipuler. Le profil féminin conçu par Gossec, aux couleurs chtoniennes inédites et vraiment passionnantes, annonce et nourrit ce sillon terrible et tragique qu’illustrent bientôt Vogel (La Toison d’or, 1786) et aussi Cherubini (Médée, 1797).
Outre l’intelligence des situations, la finesse d’une écriture idéalement sentimentale, parfois Sturm und Drang donc préromantique, Gossec se libère (et se révèle véritablement) dans le traitement orchestral de chaque acte : une puissance immédiate qui ne s’épargne pas des choeurs simultanés souvent impressionnants d’audace, de force voire de sauvagerie. La découverte est de taille : elle revient au mérite des institutions initiatrices, particulièrement bien inspirées à la défendre : le Centre de musique baroque de Versailles, le Centre de musique romantique française à Venise (Palazzetto Bru Zane). Créé en 1782, Thésée de Gossec était déjà prêt pour être produit sur la scène dès 1778… s’il n’était Gluck ; probablement conscient du génie de Gossec, le Chevalier favori de Marie-Antoinette faisait obstacle à la reconnaissance de son rival. La présente résurrection discographique accrédite ses soupçons : nous voici bien en présence d’une oeuvre composite, esthétiquement aboutie, vraie synthèse à son époque des tendances lyriques les plus convaincantes. Le génie de Gossec, père de la symphonie mais aussi compositeur d’opéras, nous est désormais totalement dévoilé. Réalisation exemplaire.
François-Joseph Gossec (1734-1829) : Thésée, 1782. Jennifer Borghi, Médée. Virginie Pochon, Eglé. Frédéric Antoun, Thésée. Tassis Christoyannis, Egé. Katia Velletaz, la grande Prêtresse, Minerve … Les Agrémens. Choeur de chambre de Namur. Guy Van Waas, direction. 2 cd Ricercar RIC 337. Enregistré à Liège en novembre 2012. Voir le reportage vidéo de Thésée de Gossec.