CD, critique. SCHUMANN : Jean-Marc Luisada (RCA Red seal). Jean-Marc Luisada revient à Schumann, non sans arguments. On distingue surtout dans ce programme monographique, les contrastes (presque parfois percussifs) toujours pleins de facétie revendiquée et naturellement énoncée, comme la brillante volubilité des « Davidsbündlertänze », dont la 15 par exemple, a des accents d’une noblesse éperdue admirablement articulée, émise dans le clavier avec une franchise à la fois sincère et saine. Le rubato est habilement mené avec des ralentis et des précipitations à la façon d’une marche ébranlée comme prise dans le tapis (la 16), précédant une pause d’une absolue rêverie enchantée (17) : « Wie aus der Ferne », étirée, alanguie, d’une extension extatique et la plus longue des séquences : plus de 4mn.
Soulignons de même, la rêverie plus développée encore, non pas tant sur le plan de la durée que de l’itinéraire et du développement musical dans « Träumerei » opus 15 n°7… d’une pudeur toute évanescente. L’esprit du songe suspendu reprend dans « Frölicher Landamann », retenu, caressant, intérieur qui appelle à l’abandon suave. Tout Robert est présent, dans cette immersion profonde dans les replis de la psyché tenue cachée, secrète.
Enfin viennent les 16 épisodes tout en contraste eux aussi de « Humoreske » opus 20, un autre accomplissement dans l’art pianistique si exalté et raffiné du maître Schumann. Son amour en filigrane se lit évidemment dans le jeu incessant, son activité – liquide, aérienne des mains requises ; elles citent la complicité et la passion de Robert pour son épouse Clara, elle-même compositrice et immense pianiste. Jusqu’au dernier, « Zum Beschluß » (le plus long en guise de conclusion, de plus de 6 mn), c’est un cycle surepressif, étincelant, formant une ronde enjouée, juvénile en séquences très rythmées et versatiles qui fanfaronnent et qui enchaînent tension et détente, exaltation, et songe… ivresse parfois ;
Sûr, direct, sans emphase mais habité par le rêve intérieur de Schumann, JM Luisada s’affirme comme un prince lyrique au clavier ; sa technique digitale prend en compte les ressources expressives et dynamiques de l’instrument. La clarté de l’architecture, l’éloquence très caractérisée du jeu l’imposent en indiscutable schumanien. Excellent programme.
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CD, critique. Robert Schumann (1810-1856) : Davidsbündlertänze op. 6 ; Mélodie op. 68 n° 1 ; Träumerei op. 15 n° 7 ; Frölicher Landmann op. 68 n° 10 ; Humoreske op. 20. Jean-Marc Luisada, piano Steinway et sons. 1 CD RCA red seal. Enregistrement réalisé à Berlin (Jesus-Christus-kirche) en janvier 2018. Notice : français, anglais, allemand. Durée : 1h10mn.