COMPTE-RENDU, concert. La Roque d’Anthéron 2019, le 13 août 2019.. récital Benjamin GROSVENOR, piano. SCHUMANN. CHOPIN. JANACEK

COMPTE-RENDU, concert. La Roque d’Anthéron, Parc du château de Florans, le 13 Août 2019. R. SCHUMANN. F. CHOPIN. L. JANACEK.  S. PROKOFIEV. V. BELLINI/F. LISZT. B. GROSVENOR. Le monde du piano classique ne cesse de pouvoir compter sur cette nouvelle génération très prometteuse de pianistes hyper doués techniquement, venant de tous pays. C’est ainsi que la programmation des plus grands festivals est toujours renouvelée. La Roque d’Anthéron l’an dernier nous avait présenté l’immense Daniil Trifonov (lire notre chronique d’alors : été 2018), l’incroyable Alexandre Kantorov cette année … sans omettre, la découverte du prodigieux Benjamin Grosvenor. Prodige qui à 11 ans jouait déjà avec les plus grands orchestres et a signé depuis chez Decca 4 disques remarquables d’intelligence.

 

 

 

piano-concert-critique-classiquenews-grosvenor-Grosvenor_©-Christophe-GREMIOT_13082019-6

 

 

L’anglais Grosvenor impressionne parce qu’il a déjà fait à tout juste 26 ans. Mais ce n’est pas un prestidigitateur digital, une mécanique bien huilée que rien n’arrête jamais. Rien d’histrionique dans son jeu, pas de gestes déplacés, un maintien digne, une aisance princière et un sang froid tout British. Il joue d’abord Blumenstück comme le plus beau bouquet offert à sa bien-aimée. Une sorte d’innocence, de pureté due à un jeu d’une totale évidence, sans pédale, juste comme ça. Le son est naturellement beau, tout est souple, nuancé et coloré avec art. Une sorte de don simple et sans complication.
Il aborde  ensuite les Kreisleriana (R. Schumann)en musicien suprême mettant en valeur le génie de Schumann comme renouvelé. En l’écoutant je me suis souvent dit que jamais je n’avais entendu cela ainsi, c’est vraiment très beau. Un Schumann rempli d’élégance et de délicates images musicales diffusant sans violence, sans peine, sans efforts sa riche imagination. La première partie du récital s’achève avec le sentiment d’un pianiste simplement musicien, osant un Schumann d’une grande bonté dans ses emportements romantiques. Le pianiste anglais a une sorte d’élégance aristocratique que rien ne peut perturber.

Pour la deuxième partie du programme, Benjamin Grosvenor nous propose sa somptueuse version de la barcarolle de Chopin. Dans son « CD Hohomages benjamin grosvenor cd homages decca review classiquenews clic de classiquenews septembre 2016 573757_383e801f550a4543a1523b9e4ec3a169~mv2_d_1984_1984_s_2mages », nous l’avons pour l’éternité. Souplesse totale dans des nuances subtiles ; cela balance doucement, mais surtout c’est le chant qui se développe avec un sentiment d’infini. Un piano enchanteur comme il en est peu, sur un rythme envoûtant, constamment entretenu. Cette pièce dans la nuit de Provence prend une dimension poétique nocturne apaisante.

 

 

Benjamin Grosvenor à La Roque
PIANO MAGICIEN D’UNE SUPREME MUSICALITÉ…

 

 

Les deux mouvements de la première sonate de Janacek ont une histoire particulière. Touché par la mort d’un ouvrier lors d’une manifestation de soutien de l’ Université de Brno, Janacek avait composé une sonate en trois mouvements. Il la détruisit insatisfait après une unique audition. La créatrice, Ludmila Toutchkova, avait réussi à copier les deux premiers mouvements. Cette musique sauvée et en quelque sorte non autorisée, est fort belle. Benjamin Grosvenor aborde en toute simplicité la partition, ce qui met en lumière la beauté des thèmes comme leurs dérivations. Les nuances généralement piano, la beauté du son plein et la rigueur du jeu emportent l’adhésion du public.

PIANO grosvenor benjamin critique concert piano classiquenews la roque anthéron août 2019 Grosvenor_© Christophe GREMIOT_13082019-9

 

Dans les visions fugitives de Prokofiev, le jeune homme arrive à en réordonner 12 pour proposer une grande cohérence dans l’écoute. Certes la modernité de Prokofiev est présente mais surtout une sorte d’harmonie naît de ce jeu si parfait. Les vers qui inspirèrent le compositeur sont en toute simplicité et même évidence, rendus par la musique sous les doigts magiques du pianiste britannique. «  Dans chaque vision fugitive , je vois des mondes. Plein de jeux changeants et irisés » : le poème est de Constantin Balmont. L’interprète avec un grand sérieux et un calme olympien, organise les pièces pour créer ces mondes variés ; les couleurs, les nuances, tout participe à cette création. Voici de la poésie par la musique en forme d’idéal.
Il nous restait pour découvrir le talent de virtuose de l’absolu sans rien lâcher de la suprême musicalité qui l’habite à vivre l’expérience de ces réminiscences de Norma (LISZT). De l’ouverture aux dernières notes du final, l’opéra de Bellini se déroule. Avec un sens du drame, un équilibre du son orchestral, Benjamin Grosvenor n’a plus seulement deux mains. D’ailleurs, il ne sera pas possible de voir clairement le mouvement de tous les doigts tant la rapidité d’exécution est fantastique. Les abellimenti, les enluminures, les notes perlées, saccadées ou encore les accords développés, tout cet art Litzien inimitable sert la beauté de la partition de Bellini.

 

 

DANS LISZT,
Le piano de Grosvenor arrive
à chanter comme une diva romantique

 

 

Le piano de Grosvenor arrive à chanter comme une diva romantique. Il est sidérant d’assister à un moment si incroyablement musical alors que tant de pianistes virtuoses ne font que belles notes rapides dans ce genre d’œuvres de Liszt. Ce soir le sublime a été entrevu dans ces Réminiscences de Norma. Benjamin Grosvenor a eu un succès considérable pour ce final mais aussi pour cette rare qualité de composition d’un programme d’une grande intelligence. Le premier bis relance s’il se peut la virtuosité diabolique avec une « Danza del gaucho matrero » de Ginestera à faire danser les montagnes. Là aussi impossible de croire que deux mains peuvent faire tout cela. Et pour refermer la nuit sur plus de paix et une pointe de sensualité, « le poème érotique »  de Grieg extrait de ses pièces lyriques nous a ravi.

grosvenor benjamin piano decca danses photoBenjamin Grosvenor est un grand artiste qui semble gérer sa carrière avec la prudence des sages. Il semble suivre le chemin de Grigory Sokolov; il joue le même concert en une tournée mondiale. Cela apporte une vraie connaissance intime des oeuvres et une perfection de jeu inoubliable qui marque le public. Il ne se précipite pas non plus à enregistrer trop et trop vite. Cette génération des moins de trente ans est fabuleuse de promesses : Ce sont Benjamin Grosvenor, Daniil Trifonov et Alexandre Kantorov dans mon triumvirat personnel de musiciens complets, qui jouent du piano.

 

 

 
 

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Compte- rendu, Concert. Festival de La Roque d’Anthéron 2019. La Roque d’Anthéron. Parc du Château de Florans, le 8 Août 2019. Robert Schumann ( 1810-1856) : Blumenstück Op.19 ; Kreisleriana Op.16 ; Frédéric Chopin  (1810-1849) : barcarolle en fa dièse majeur Op.60  ; Les Janacek (Sonate pour piano n°1, octobre 1905 « From the street » ; Sergei Prokofiev (1891-1953) : Visions fugitives Op.22 ( ext.) Vincezo Bellini (1801-1835)/ Frantz Liszt (1811-1886) Réminiscences de Norma. Benjamin Grosvenor, piano. Illustration / Photo : © Christophe Gremiot

 

 

 

 

CD, critique. SCHUMANN : Jean-Marc Luisada (1 cd RCA Red Seal – 2018)

schumann_luisada_rca-cd review critique cd par classiquenewsCD, critique. SCHUMANN : Jean-Marc Luisada (RCA Red seal). Jean-Marc Luisada revient à Schumann, non sans arguments. On distingue surtout dans ce programme monographique, les contrastes (presque parfois percussifs) toujours pleins de facétie revendiquée et naturellement énoncée, comme la brillante volubilité des « Davidsbündlertänze », dont la 15 par exemple, a des accents d’une noblesse éperdue admirablement articulée, émise dans le clavier avec une franchise à la fois sincère et saine. Le rubato est habilement mené avec des ralentis et des précipitations à la façon d’une marche ébranlée comme prise dans le tapis (la 16), précédant une pause d’une absolue rêverie enchantée (17) : « Wie aus der Ferne », étirée, alanguie, d’une extension extatique et la plus longue des séquences : plus de 4mn.

Soulignons de même, la rêverie plus développée encore, non pas tant sur le plan de la durée que de l’itinéraire et du développement musical dans « Träumerei » opus 15 n°7… d’une pudeur toute évanescente.
L’esprit du songe suspendu reprend dans « Frölicher Landamann », retenu, caressant, intérieur qui appelle à l’abandon suave. Tout Robert est présent, dans cette immersion profonde dans les replis de la psyché tenue cachée, secrète.

Enfin viennent les 16 épisodes tout en contraste eux aussi de « Humoreske » opus 20, un autre accomplissement dans l’art pianistique si exalté et raffiné du maître Schumann. Son amour en filigrane se lit évidemment dans le jeu incessant, son activité – liquide, aérienne des mains requises ; elles citent la complicité et la passion de Robert pour son épouse Clara, elle-même compositrice et immense pianiste. Jusqu’au dernier, «  Zum Beschluß » (le plus long en guise de conclusion, de plus de 6 mn), c’est un cycle surepressif, étincelant, formant une ronde enjouée, juvénile en séquences très rythmées et versatiles qui fanfaronnent et qui enchaînent tension et détente, exaltation, et songe… ivresse parfois ;

Sûr, direct, sans emphase mais habité par le rêve intérieur de Schumann, JM Luisada s’affirme comme un prince lyrique au clavier ; sa technique digitale prend en compte les ressources expressives et dynamiques de l’instrument. La clarté de l’architecture, l’éloquence très caractérisée du jeu l’imposent en indiscutable schumanien. Excellent programme.

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CD, critique. Robert Schumann (1810-1856) : Davidsbündlertänze op. 6 ; Mélodie op. 68 n° 1 ; Träumerei op. 15 n° 7 ; Frölicher Landmann op. 68 n° 10 ; Humoreske op. 20. Jean-Marc Luisada, piano Steinway et sons. 1 CD RCA red seal. Enregistrement réalisé à Berlin (Jesus-Christus-kirche) en janvier 2018. Notice : français, anglais, allemand. Durée : 1h10mn.

Compte rendu, concert ; Paris ; Philharmonie de Paris, le 16 septembre 2016 ; Robert Schumann (1810-1856) : Scènes du Faust de Goethe ; ChÅ“ur d’enfants et ChÅ“ur de l’Orchestre de Paris ; Orchestre de Paris ; Daniel Harding, direction.

daniel_harding_nomme_a_la_tete_orchestre_de_paris_meaL’Orchestre de Paris a donné ce soir son premier concert sous la direction de son neuvième chef attitré. Daniel Harding a choisi une œuvre aussi rare que belle et difficile : Les Scènes du Faust de Goethe de Robert Schumann. Vaste partition en forme d’oratorio, elle requiert outre un orchestre fourni, un grand chœur et un chœur d’enfants ainsi que de nombreux solistes dont trois voix d’enfants. Daniel Harding a donc tenu dans sa main de velours, ferme et vivifiante près de 300 musiciens et chanteurs. Le résultat est enthousiasmant. La partition de Schumann est la seule, et je pèse mes mots, à rendre compte de la dimension philosophique de l’immense ouvrage de Goethe : Gounod a écrit d’avantage une Margarethe qu’un Faust et Berlioz a manqué de profondeur même si il a su rendre compte de la dimension fantastique comme nul autre. Daniel Harding a pris à bras-le-corps la partition schumanienne et a su la mener à bon port c’est à dire vers l’au-delà. Une direction ferme, nuancée, dramatique mais également pleine de délicatesse et de finesse. Une attention permanente aux équilibres parfois complexes nous a permis d’entendre chaque mot de Goethe y compris avec les enfants solistes remarquables de présence fragile et émouvante.

Un Faust magistral

05_Daniel Harding Filarmonica foto Silvia Lelli 2-k2mE--1200x900@Quotidiano_Inside_Italy-WebLes solistes ont tous été choisis avec soin. Les deux sopranos Hanna-Elisabeth Müller et Mari Eriksmoen ont été remarquables de beauté de timbre, de lumière et d’implication dramatique. Deux très belles voix de sopranos qui sont en plus de très belles femmes élégantes et rayonnantes. Le ténor d’Andrew Staples est une voix de miel et de texte limpide avec une  grande noblesse. Les deux basses Franz-Josef Selig et Tareq Nazmi sont parfaits de présence, surtout le premier en malin. Bernarda Fink de son beau timbre noble et velouté a, dans chaque intervention, et parfois très modeste, marqué une belle présence d’artiste. Le grand triomphateur de la soirée est Christian Gerhaher dans une implication dramatique totale que ce soit dans Faust amoureux ou vieillissant et encore d’avantage en Pater Seraphicus et en Dr. Marianus. La voix est belle, jeune et moelleuse. Les mots sont ceux d’un liedersänger avec une projection parfaite de chanteur d‘opéra. Ces qualités associées en font l’interprète rêvé de ces rôles si particuliers.
L’Orchestre de Paris a joué magnifiquement, timbres merveilleux, nuance subtiles et phrasés amples. L’orchestration si complexe de Schumann a été mise en valeur par des interprètes si engagés. Les chœurs très sollicités ont été à la hauteur des attentes et tout particulièrement les enfants. Ils ont été admirablement préparés par Lionel Sow, plus d’un a été saisi par la puissance dramatique des interventions.
Une très belle soirée qui est a été donnée deux fois (reprise le 18 septembre) une grande œuvre qui n’a et de loin, pas assez de présence dans nos salles. Sa complexité et le nombre des interprètes ne sont pas étrangers à cette rareté. En tout cas la salle bondée a été enthousiasmé. Le public est là pour cette œuvre pourtant réputée difficile quand des interprètes de cette trempe nous l’offre ainsi. Le soir de la première toutes les places de la vaste salle de la Philharmonie ont été occupées. Daniel Harding a ainsi amorcé avec panache sa complicité avec l’Orchestre de Paris et avec le public.

Compte rendu concert ; Paris ; Philharmonie de Paris, le 16 septembre 2016 ;  Robert Schumann (1810-1856) : Scènes du Faust de Goethe ; Hanna-Elisabeth Müller, Mari Eriksmoen, sopranos ; Bernarda Fink, mezzo-soprano ; Andrew Staples, ténor ; Christian Gerhaher, baryton ; Franz-Josef Selig, Tareq Nazmi, basses ; ChÅ“ur d’enfants et ChÅ“ur de l’Orchestre de Paris : Lionel Sow, Chef de chÅ“ur ; Orchestre de Paris ; Direction, Daniel Harding.
Photo : Silvia Lelli

CD, compte rendu critique. SCHUMANN : letzter gedanke / dernière pensée. Soo Park, pianoforte (1 cd Hérisson, 2015)

HOME-250-schumann-pianoforte-dernier-schumann-soo-park-piano-gebauhr-1850-critique-review-cd-CLIC-de-classiquenews-review-critique-cd-annonce-CD-robert-schumann-1810-1856-derniere-pensee-soo-park-pianoCD événement. Soo Park joue le dernier Schumann… Capté / réalisé sur le (grand) piano Gebauhr (fabrication prussienne à Königsberg, 1850) de la collection du musée de la Musique à Paris – en octobre 2015 (juste après la restauration de l’instrument), cet excellent récital dévoile l’intimisme secret, allusif du dernier Schumann. Au programme les 6 Etudes opus 56 (1845), les 9 nouvelles pièces pour clavier opus 82 de 1849 et les derniers cycles du début des années 1850, avant l’hospitalisation du compositeur foudroyé par ses dérèglements suicidaires et intérieurs. Au sommet d’une inspiration touchée par la grâce rayonnante, pourtant celle d’un cerveau atteint, le cycle “Gesänge der Frühe opus 133 de 1853 et surtout le Thème et Variations Geistervariationen anh F39 de 1854, soit un programme pour clavier ciselé, fragile, fébrile, au spectre sonore ténu où percent la tension et le poids d’une mécanique parfois instable, de 1h20. En dépit d’une prise live et du caractère souvent imprévisible d’un instrument historique, la pianofortiste coréenne Soo Park s’entend à merveille dans ce cheminement entre ombre et pénombre, lugubre et abysse, jusqu’au tréfonds de la conscience dont le génie est demeuré intact et d’une rare force créatrice malgré la prégnance de la folie, en dépit des attaques d’un désordre mental.
Soo Park affirme sans déclamation, sa propre pensée poétique au service d’un Schumann funambule et diseur. L’approche est fine, subtile, maîtrisée en ce qu’elle sait exploiter sans effets gratuits les possibilités sonores et expressive d’un clavier typique de l’esthétique allemande et viennoise du plein XIXè, avec ses marteaux recouverts d’une fine pellicule de cuir, son riche medium, ses graves souterrains, ses notes aigues cristallines, sa résonance naturelle, la perception du bois, les craquements… tout ce qui fonde l’intérêt d’un récital sur un clavier historique d’un tel pedigree (le Gebauhr correspond au type instrumental salué par le seul prix pour un facteur d’instruments, remis lors de l’Expo universelle de Londres en 1851).

Ici les dernières pensées de Schumann révèlent le génie tardif d’un compositeur touché par la grâce absolue, dès 1845, profondément transformé par la découverte et l’usage maîtrisé du contrepoint, puis sur la fin, soucieux de la lenteur, porte vers l’introspection la plus subtile. La notice souligne avec justesse combien Schumann a souffert de cette approche biaisée qui interprète tout l’oeuvre à travers le prisme réducteur de la folie.

Schumann ultime : un diseur touché par la grâce

 

Soo Park : le dernier Schumann au pianoforteOr ce qui saisit ici ce n’est en rien les velléités obscures d’une âme tourmentée, mais définitivement la claire pensée d’un bâtisseur hors normes, infiniment raisonné et cohérent, solaire par la sûreté de son écriture, l’une des mieux conçues, des plus éloquentes. Pensée volubile, d’une évanescence géniale aux éclairs fulgurants (irrisations enchanteresses de “Vogel als Prophet”, d’une déchirante sincérité), de plus en plus simple et sobre, et aussi capable de force et de fureur presque de dureté péremptoire (Première des 3 Fantasiestücke opus 111) ; entre ses caractères parfaitement élaborés comme les faces contraires et complémentaires d’un même visage : Eusébius, Florestan, et le médian Maître Raro, Schumann hyperconscient et tout à fait clairvoyant sur la multiplicité humaine, a toujours su canaliser l’immense flux imaginatif de son génie compositeur. Et comment ne pas comprendre le Thème final et ses 5 Variations, tels l’énoncé maîtrisé d’une prière parmi les plus intimes et les plus pudiques de l’auteur, totalement construites dans un élan d’espoir, de certitude, d’apaisement qui montre deux ans avant sa mort, l’intelligence et la maturité d’une pensée intacte. Lumineuse approche, tissée dans l’intériorité la plus suggestive. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2016.

 

CLIC_macaron_2014CD, compte rendu critique. SCHUMANN : letzter gedanke / dernière pensée. Soo Park, pianoforte : Gebauhr, 1850 (1 cd Hérisson, octobre 2015). CLIC de CLASSIQUENEWS — Durée : 1h20 mn.

CD, compte rendu critique. Schumann : Manfred (Ventura, 1 cd ARS Produktion 2015)

schumann manfred ars produktion fabrizio ventura munster syphonique orchester review presentation classiquenews janvier 2016CD, compte rendu critique. Schumann : Manfred (Ventura, 1 cd ARS Produktion 2015). Avant d’être ce chef d’oeuvre symphonique et lyrique de Schumann, Manfred est d’abord un mythe littéraire, aboutissement de l’expérience de son auteur, George Gordon dit Lord Byron (1788-1824), écrivain au souffle épique et hautement romantique comme sa vie fut scandaleuse : il était non seulement bisexuel mais entretint une liaison scandaleuse, passionnée et fusionnelle avec sa belle sÅ“ur, Augusta à partir de 1813. Excentrique, fantasque mais audacieux et engagé (premier défenseur des Grecs contre les turcs), Lord Byron inspire de nombreux compositeurs : Nietsche, Berlioz (Hérold en Italie) et surtout Schumann dont le goût de la littérature et ses propres affinités avec la poésie, rendent passionnante sa propre adaptation de Manfred, en mythe musical. Le héros inclassable, socialement décalé, mais spécifiquement engagé, incarne ici un modèle autant pour les écrivains que les compositeurs.
Composées à Dresde dans la suite de son opéra Genoveva, en 1848-1849, Manfred est vraiment complété et achevé en 1851, quand Schumann ajoute la formidable ouverture (numéro de concert toujours particulièrment apprécié) : Manfred, opéra symphonique, est créé le 14 mars 1852 à Leipzig, sous la direction de l’auteur, puis reprise dans la foulée par l’ami et le soutien de toujours, le généreux Franz Liszt, à Weimar le 13 juin suivant. C’est évidemment l’une des pièces maîtresse du Schumann, génie symphoniste romantique dont les 4 Symphonies sont écrites à la même période, au début des années 1850 : au moment où Wagner élabore sa propre réponse lyrique avec Tannhaüser (strictement contemporain de Genoveva) puis Lohengrin, Schumann propose non pas un drame historique et médiéval, mais une légende romantique où l’expérience personnelle (celle de Byron et la sienne propre) se confonde idéalement : l’amour et la folie, la solitude et l’impuissance, la fatalité mais la tendresse et cette quête d’un idéal inaccessible structurent profondément une écriture musicale qui tend à l’abstraction et l’effusion, plutôt qu’à l’anecdote et la narration descriptive. L’expression des vertiges de l’âme plutôt que la description d’une action narrative intéresse principalement la plume et la pensée de Robert. C’est pourquoi parallèlement à Wagner, Schumann élabore un drame personnel, puissant, orginal, totalement méconnu aujourd’hui qui pourtant cible la vérité de l’âme humaine en paysages mentaux et psychologiques d’une irrésistible justesse poétique.

Manfred, héros et modèle schumanniens

D’emblée servie par une excellente prise de son, détaillée et idéalement résonnante (de surcoît SACD), le geste millimétré et limpide du chef Fabrizio Ventura, tendre, palpitant, nerveux, fouille toutes les directions tumultueuses, les émotions contradictoires et apparemment rivales, subtilement mêlées dans la partition ; pourtant dans l’activité même de la texture sonore, il trouve un équilibre ciselée et détaillé qui dévoile la justesse de son analyse. Le chef exprime la lyre schumanienne dans son étendue expressive, soulignant le poids du fatum, l’espérance à tout craint malgré le gouffre des souffrances éprouvées : l’amertume dépressive et l’éclat d’une aube faite de nouvelle promesses ; les tutti sont abordés sans réserve, avec un ivresse échevelée qui sonne idéale : les vertiges de Schumann sont bien présents dans cette approche plus que convaincante, exaltante, ce dès le superbe allant de l’ouverture, à la fois, impétueuse et mystérieuse, emportée avec un sens du détail et une sonorité claire et flexible. C’est qu’y paraissent sans atténuation corruptrice et avec finesse articulée, le désir ardent, cette espérance coûte que coûte, et la conscience du vide et la tentation de l’anéantissement. Les grands schumanniens se révèlent effectivement à l’aulne de cette double orientation : non pas contradictoire mais ambivalence dialectique qui structure toute l’écriture d’un Schumann pulsionnel, viscéralement double (Florestan, Eusebius) voire triple, d’une vitalité éminemment romantique.
Saluons derechef l’excellence de la prise de son qui sait opportunément vivifier et sublimer une prise live. La vitalité qui se dégage de la prise intensifie la haute valeur interprétative de l’orchestre (Sinfonieorchester Münster) et du chef, Fabrizio Ventura. Jamais démonstrative ni déclamatoire, la direction sert surtout l’intensité enivrée des séquences dramatiques, mais aussi la fluidité de la dramaturgie dans sa continuité.

Récits en allemand restitués, bénéficiant de tous les interludes, des scènes parlées et chantés, le récit musical Manfred version Schumann témoigne d’une puissante construction poétique, cohérente, à mettre en relation directe avec les oratorios de la maturité (Le Paradis et la Péri entre autres, sommet de la légende / oratorio romantique) : la conception dramatique que défend par l’orchestre et les séquences chantées, un Schumann très inspiré, s’impose ainsi à nous dans cette première intégrale : l’engagement et l’implication de chaque soliste ajoute à la très haute tenue interprétative de la lecture enregistré au Théâtre Münster en avril et mai 2015.

schumann_2441248bLa présente intégrale en première mondiale est d’autant plus enthousiasmante que Manfred commencé en août 1849, ne fut jamais représenté dans son intégralité du vivant de Schumann. Fabrizio Ventura semble faire sien le projet schumannien : non pas représenter les enjeux dramatiques de la scène, mais exprimer par l’orchestre et le chant des solistes, tout ce qui est ailleurs, inscrit dans la psyché profonde et secrète des protagonistes : une ardente espérance portée par l’insatisfaction d’en éprouver les bénéfices sur cette terre. Ainsi s’écoule d’une scène lyrique à l’autre, cet épanchement intérieur singulier, ce chant de l’indicible qui singularise l’esthétique musicale (donc dramatique) schumannienne. Schumann ne rend pas visible le drame : il en exprime toutes les tensions implicites souterraines qui fourmillent à l’orchestre comme un tapis d’une richesse instrumentale inouïe. Dans sa continuité, et parallèlement aux tentatives de Berlioz pour réformer le genre lyrique (cf La Damnation de Faust qui est ni opéra ni oratorio mais légende dramatique), Schumann présente ainsi une sorte de drame parlé chanté, telle une pièce de théâtre musicale et lyrique. Tout repose sur la caractérisation nuancée des tableaux grâce à la tenue d’un orchestre millimétré. De ce point de vue, Fabrizio Ventura et le Symphonique de Münster (première phalange orchestrale en Westphalie) déploient sans faillir ni faiblir, un souci constant dans l’expressivité mesurée et suggestive de chaque séquence de la vie du Manfred endeuillé. Dans sa version intégrale, avec tous les dialogues restituant son ambition théâtrale totale, entre déclamation et musique, la présente lecture rétablit la légende orchestrale de Schumann dans ses justes proportions.

Partie 1. A travers l’épopée de Manfred, se lit aussi la tragédie de Lord Byron : Manfred doit assumer la mort de son épouse, Astarte que leur liaison de nature incestueuse a fait mourir lentement mais surement. Coupable, Manfred tente de renouer avec sa défunte en suscitant les esprits qui produisent de fait l’apparition d’une jeune femme assimilée à Astarte. Mais ces tentatives surnaturelles épuisent le héros qui fait retraite dans la montagne ;
la première partie est conçue comme le songe de Manfred, mêlant indistinctement vie réelle et vie rêvée, désir du veuf et réalité des esprits fantômes. Fidèle à l’esthétique schumannienne, Manfred ici réalise sa hantise de la culpabilité, la conscience de l’anéantissement immuable, l’impuissance solitaire du héros confronté à un mystère qui le dépasse (non pas sa propre mort, mais inconcevable, insurmontable, la mort de sa bien aimée…).

Partie 2. Manfred inconsolable et déjà délirant, en proie à une secrète folie intérieure, convoque la sorcière des Alpes. Elle voudrait l’aider mais disparaît quand le héros refuse de lui porter allégeance. Les 3 Esprits, et Nemesis font appel à Arimane, génie puissant : ce dernier fait apparaître face à Manfred, le fantôme d’Astarté. Manfred peut lui exprimer son amour et lui adresser un dernier adieu.

Partie 3. Enfant d’une nature désormais accueillante et réconfortante, Manfred rasséréné, aspire à la paix intérieure et au renoncement. mais son salut doit aussi passer par la bénédiction de l’Abbé de Saint-Maurice qui l’exhorte à expier son ancienne vie dissolue liée à l’inceste. A l’aurore, Manfred lutte contre ses propres démons et meurt au moment où un requiem se fait entendre dans les lointains. Le pardon sera-t-il donné au veuf inconsolable (à la façon du pêcheur Tannhaüser chez Wagner ?). L’ardente et claire direction du chef, entouré d’une distribution mi comédiens mi chanteurs expriment toutes les fines tensions d’un drame surtout orchestral. Interprétation convaincante. A connaître indiscutablement.

trakclisting :
Robert Schumann : Manfred — 
Drame musical en 2 parties op. 115
 / Texte: George Gordon Noël Lord Byron

1 Ouvertüre
2 „Die Nacht kam wiederum“ –
Monolog Manfred
3 Nr. 1 Gesang der Geister
4 „Vergessenheit. Ich will vergessen!“ –
Dialog Manfred und die Geister
5 Nr. 2 Erscheinung eines Zauberbildes
6 Nr. 3 Geisterbannfluch
7 „Die Geister, die ich rief“ –
Monolog Manfred
8 Nr. 4 Alpenkuhreigen
9 Nr. 5 Zwischenaktmusik
10 „Nein – noch bleib‘, du darfst jetzt noch nicht geh’n!“ –
Dialog Manfred und der Gemsjäger
11 Nr. 6 Rufung der Alpenfee
12 „Du Erdensohn, ich kenne dich“ – 
Dialog Manfred und die Alpenfee
13 Nr. 7 Hymnus der Geister des Arimans
14 Nr. 8 Chorsatz, dann Dialog Manfred und die Parzen
15 Nr. 9 Chorsatz, dann Dialog Manfred und Nemesis
16 Nr. 10 Beschwörung der Astarte
17 Nr. 11 Manfreds Ansprache an Astarte
18 Nr. 12 Melodram
19 Nr. 13 Abschied von der Sonne
20 „Noch einmal fleh ich, Herr“ –
Dialog Manfred und der Abt, dann Nr. 14 Melodram
21 Nr. 15 Klostergesang

CD, compte rendu critique. Schumann : Manfred (Ventura, 1 cd ARS Produktion 2015) - Avec Eva Bauchmüller (Sopran), Lisa Wedekind (Mezzosopran), Soon Yeong Shim (Tenor), Lukas Schmid (Bass), Dennis Laubenthal (Manfred), Regine Andratschke (Nemesis), Julia Stefanie Möller (Astarte), Claudia Hübschmann (Alpenfee, Aurel Bereuter (Gemsjäger), Konzertchor, Philharmonischer Chor und Sinfonieorchester Münster, Fabrizio Ventura. Date d’enregistrement : 28.–29 avril 2015 et 3 mai 2015 / DSD / SACD. EAN: 4260052381922 – 1 CD ARS 38 192

Cd, compte rendu critique. Schumann : Lederkreis opus 39. Frauenliebe und leben. Berg : 7 lieder de jeunesse. Dorothea Röschmann, soprano. Mitsuka Uchida, piano. 1 cd Decca

Cd, compte rendu critique. Schumann : Lederkreis opus 39. Frauenliebe und leben. Berg : 7 lieder de jeunesse. Dorothea Röschmann, soprano. Mitsuka Uchida, piano. 1 cd Decca. Le sens du verbe, l’élocution ardente et précise de Dorothea Röschmann rétablit les climats proches malgré leur disparité esthétique, des lieder de Schumann et de Berg. Schumann vit de l’intérieur le drame sentimental ; Berg en exprime avec distanciation tous les questionnements. En apparence étrangers l’un à l’autre, les deux écritures pourtant s’abandonnent à une intensité lyrique, des épanchements irrépressibles, clairement inspirés par l’univers profond voire mystérieux de la nuit, que le timbre mûr de la soprano allemande sert avec un tact remarquable. L’exquise interprète écoute tous les vertiges intérieurs des mots. C’est une diseuse soucieuse de l’intelligibilité vivante de chaque poème. L’engagement vocal exprime chez Schumann comme Berg, le haut degré d’une conscience marquée, éprouvée qui néanmoins est en quête de reconstruction permanente.

CLIC_macaron_2014schumann-cd-review-critique-CLASSIQUENEWS-dorothea-roschmann-mitsuko-uchida-lieder-decca-&-cd-critique-review-CLASSIQUENEWSComposés en 1840, pour célébrer son union enfin réalisée avec la jeune pianiste Clara Wieck, les Frauenliebe und leben lieder affirme l’exaltation du jeune époux Schumann qui écrit dans un jaillissement presque exclusif (après n’avoir écrit que des pièce pour piano seul), une série de lieder inspirés par son amour pour Clara. Les poèmes d’Adelbert von Chamisso, d’origine française, dépeint la vie d’une femme mariée. “J’ai aimé et vécuâ€, chante-t-elle dans le dernier des huit lieder, et le cycle retrace son voyage de son premier amour, en passant par les fiançailles, le mariage, la maternité, jusqu’au deuil. L’hommage d’un amant admiratif au delà de tout mot se lit ici dans une joie indicible que l’articulation sans prétention ni affectation de la soprano, éclaire d’une intensité, naturelle, flexible. D’une rare cohérence, puisque certain passage du dernier rappelle l’énoncé du premier, le cycle suit pas à pas chaque sentiment féminin avec un tact subtil, mettant en avant l’impact du verbe. De ce point de vue, Ich kann’s nicht fassen, nicht glauben, très proche du parlé, fusionne admirablement les vertiges musicaux et le sens du poème. D’une infinie finesse de projection, gérant un souffle qui se fait oublier tellement la prononciation est exemplaire, Dorothea Röschmann éclaire chaque séquence d’une sensibilité naturelle qui porte entre autres, l’exultation à peine mesurée mais d’un abattage linguistique parfait des 5è et 6è mélodies (Helft mir, ihr Schwestern… et Süßer Freund, du blackest…). Sans décors ni prolongement visuel, ce live restitue l’impact dramatique de chaque épisode, la force de la situation ; l’essence du théâtre ans le chant. Le cycle s’achève sur l’abîme de douleur de la veuve éplorée au chant tragique et lugubre (Nun hast du mir den ersten Schmerz getan…) : l’attention de la soprano à chaque couleur du poème réalise un sommet de justesse sincère par sa diversité nuancée, son élocution là aussi millimétrée en pianissimi ténus d’une indicible langueur doloriste. D’autant que Schumann y cite les premiers élans des premiers lieder : une réitération d’une pudeur allusive bouleversante sous les doigts à l’écoute, divins de l’autre magicienne de ce récital exceptionnel: Mitsuko Uchida. Cette dernière phrase essentiellement pianistique est la meilleure fin offerte au chant irradié, embrasé de l’immense soprano qui a tout donné auparavant. La complicité est rayonnante; la compréhension et l’entente indiscutable. Le résultat : un récital d’une force suggestive et musicale mémorable.

Mélodies de Schumann et de Berg à Londres

Röschmann et Uchida : l’écoute et le partage

 

Datés de mai 1840 mais publiés en 1842, les Liederkreis, opus 39 sont eux-aussi portés par un jaillissement radical des forces du désir, et du bonheur conjugal enfin vécu. Die Stille (5) est un chant embrasé par une nuit d’extase infinie où la tendresse et l’innocence étendent leur ombre carressante. Le piano file un intimisme qui se fait repli d’une pudeur préservée : toute la délicatesse et l’implicite dont est capable la magicienne de la suggestion Mitsuko Uchida, sont là, synthétisés dans un Schumann serviteur d’une effusion première, idéale, comme virginale.
En fin de cycle , trois mélodies retiennent plus précisément notre attention : Wehmut, (9), plus apaisé, est appel au pardon, tissé dans un sentiment de réconciliation tendre ; puis Zwielicht (10) souligne les ressources de la diseuse embrasée, diseuse perfectionniste surtout, et d’une précision archanéenne, quant à la coloration et l’intention de chaque mot, n’hésitant pas à déclamer une imprécation habitée qui convoque les références fantastiques du texte (de fait la poésie d’Eichendorff est constellé de détails parfois terrifiants comme ces arbres frissonnants sous l’effet d’une puissance occulte et inconnue). Enfin, l’ultime : Frühlingsnacht (retour à la nuit, 12) s’affirme en son élan printanier, palpitant, celui d’une ardeur souveraine et conquérante, porteur d’un irrépressible sentiment d’extase, avec cette coloration régulière crépusculaire, référence à la nuit du rêve et de l’onirisme.

 

 

Dorothea-Roeschmann--Mitsuko-Uchida

 

 

Au centre du cycle se trouvent deux lieder liés : “Auf einer Burg†et “In der Fremdeâ€. Le premier, avec sa subtile tapisserie contrapuntique, est écrit dans un style ancien, et son atmosphère austère préfigure le célèbre mouvement évoquant la “Cathédrale de Cologne†dans la Symphonie “Rhénane†de Schumann. La tonalité réelle du lied n’est pas le mi mineur dans lequel il commence, mais un la mineur suggestif. La musique aboutit à une demi-cadence sur l’accord de mi majeur, formant une transition avec le lied suivant, dont la ligne mélodique est clairement issue de la même graine.
Les autres lieder du Liederkreis op. 39 sont parmi les plus célèbres de Schumann : “Intermezzoâ€, (“Dein Bildnis wunderseligâ€), avec son accompagnement de piano syncopé d’une excitation à peine contenue ; l’évocation magique d’une nuit au clair de lune dans “Mondnachtâ€, avec la ligne vocale répétée hypnotiquement est lui aussi paysage nocturne, du moins jusqu’au retour chez lui du poète mais enivré et exalté dans le “Frühlingsnacht†final, où il voit son amour comblé au retour du printemps.
Les paysages nocturnes des Sept Lieder de jeunesse d’Alban Berg, remontent à ses études quand il était élève de composition en 1904 dans la classe de Schoenberg, et furent regroupés et minutieusement édités avec accompagnement orchestral en 1928. Dorothea Röschmann chante leur transcription pour piano. Le plus éperdu (plage 15) demeure Die Nachtigall (le Rossignol) lequel marqué par le romantisme d’un Strauss semble récapituler par son souffle et son intensité, toute la littérature romantique tardive, synthétisant et Schumann et Brahms. Pianiste et chanteuse abordent avec un soin quasi clinique chaque changement de climat et de caractère, offrant une ciselure du mot d’une intensité sidérante : impressionnisme de Nacht, traumgekrönt plus wagnérien, ou Sommertage (jours d’été) clairement influencé par son maître d’alors Schoenberg : fondé sur une déconstruction et un style à rebours caractéristique éléments dont le piano à la fois mesuré, incandescent de Uchida souligne l’embrasement harmonique, jusqu’à l’ultime résonance de la dernière note du dernier lied. D’après Nikolaus Lenau, Theodor Storm et Rainer Maria Rilke —, Berg cultive ses goûts littéraires avec une exigence digne des grands maîtres qui l’ont précédé. Dorothea Röschmann semble en connaître les moindres recoins sémantiques, les plus infimes allusions poétiques qui fait de son chant un geste vocal qui retrouve l’essence théâtrale et l’enivrement lyrique les plus justes.

schumann-cd-review-critique-CLASSIQUENEWS-dorothea-roschmann-mitsuko-uchida-lieder-decca-&-cd-critique-review-CLASSIQUENEWSCd, compte rendu critique. Schumann : Lederkreis opus 39. Frauenliebe und leben. Berg : 7 lieder de jeunesse. Dorothea Röschmann, soprano. Mitsuka Uchida, piano. 1 cd Decca 00289 478 8439. Enregistrement live réalisé au Wigmore Hall, London, 2 & 5 Mai 2015.

ROBERT SCHUMANN (1810–1856)
Liederkreis, op.39

1 I In der Fremde 1.45
2 II Intermezzo 1.53
3 III Waldesgespräch 2.38
4 IV Die Stille 1.49
5 V Mondnacht 3.52
6 VI Schöne Fremde 1.22
7 VII Auf einer Burg 3.19
8 VIII In der Fremde 1.25
9 IX Wehmut 2.40
10 X Zwielicht 3.29
11 XI Im Walde 1.35
12 XII Frühlingsnacht 1.28

ALBAN BERG (1885–1935)
Sieben frühe Lieder
Seven Early Songs · Sept Lieder de jeunesse

13 I Nacht 4.14
14 II Schilflied 2.18
15 III Die Nachtigall 2.14
16 IV Traumgekrönt 2.41
17 V Im Zimmer 1.21
18 VI Liebesode 1.57
19 VII Sommertage 2.00

ROBERT SCHUMANN
Frauenliebe und -leben, op.42

20 I Seit ich ihn gesehen 2.39
21 II Er, der Herrlichste von allen 3.41
22 III Ich kann’s nicht fassen, nicht glauben 1.58
23 IV Du Ring an meinem Finger 3.01
24 V Helft mir, ihr Schwestern 2.15
25 VI Süßer Freund, du blickest 4.43
26 VII An meinem Herzen, an meiner Brust 1.33
27 VIII Nun hast du mir den ersten Schmerz getan 4.39

DOROTHEA RÖSCHMANN soprano
MITSUKO UCHIDA piano

CD/Download 00289 478 8439
Recording Location: Wigmore Hall, London, 2 & 5 mai 2015 (enregistrement live ).

 

 

 

CD, compte rendu critique. Schumann: Das Paradies und die Peri (Rattle, LSO live, 2015).

CD, compte rendu critique. Schumann: Das Paradies und die Peri (Rattle, LSO live, 2015). Miroir d’un concert donné au Barbican à Londres en janvier 2015, voici le cas édifiant d’une prise qui aurait du s’abstenir tant la tenue des interprètes déçoit de bout en bout, confinant à l’exécution scrupuleuse et sans risques.Perdant malgré son sursaut final, le fil avec ce Schumann rêveur et languissant définitivement absent.

 

 

schumann peri paradis un der peri rattle lso cd live critique review classiquenewsComme exténué avant même de débuter l’ouvrage, le chef vedette, aujourd’hui ex primus du Berliner, Sir Simon Rattle dirige le LSO London Symphony Orchestra avec une attention qui confine souvent à l’exténuation de toute expressivité ; un Schumann plus que dépressif : exsangue. Direction molle, qui réussit certains passages pianissimi et murmurés, comme la langueur indicible du CD1, plage 14 : Im Waldesgrün am stillen See, révélant aussi chez les solistes des timbres fatigués, au grain usé qui glisse sur le texte sans en restituer l’âpreté linguistique ni les vertiges poétiques (l’alto Bernarda Finck dont le timbre et le chant sont l’ombre de ce qu’ils ont été) : le cas de Mark Padmore (le narrateur) et de Sally Matthews (Péri) se confirme en cours de soirée : ligne heurtée et aléatoire, texte articulé du bout des lèvres (en style shamalow pour le chanteur), et vibrato envahissant pour compenser un manque manifeste d’éclat comme de précision avec évidemment pour la chanteuse britannique, une justesse parfois limite (son Verstossen! Verschlossen aufs neu dans la IIIème partie, confine même à la minauderie : le texte est gâché par un style contourné et voilé trop fortement vibré. Et même le choeur dans le dernier morceau de la Partie II (Schalf nun und ruhe in Träumen voll Duft) dialoguant avec la Péri manque de nerf, de vivacité : problème évident de projection et d’articulation du texte. Faille absente chez la basse autrichienne Florian Boesch, mais à nouveau c’est la tenue globale, ralentie qui finit par se diluer à l’orchestre même si le chanteur, fin diseur, garde le fil linguistique. Les passages les plus forts de cette fresque lyrique inclassable entre opéra et oratorio, selon le voeu de Schumann, restent les deux dernières séquences : où l’éprouvée connaît la rémission et le salut tant recherchés, accomplissement d’une quête harassante mais conduite coûte que coûte au delà de la souffrance et du sacrifice. Aux couleurs onctueuses de l’orchestre, répond la voix éreintée des deux voix défraîchies et sans nerf de Matthews et Padmore, de toute évidence les maillons faibles de cette lecture bancale. Et curieusement, Rattle semble se réveiller dans les dernières mesures, pilotant avec nervosité choeur, soprano, orchestre. C’est un peu tard.

Triste Péri

Au début de la partie III, avec les voix plus caractérisées et nerveuses du Quatuor de la Guildhall School, soudain la tension reprend de la vigueur. Mais retombe vite par la direction étrangement désincarnée du chef.

Hors des exigences de la pratique historiquement informée, souvent imprécise et donc molle, la lecture peine à conserver un semblant de tension. C’est essentiellement un problème avec l’allemand qui pénalise l’expressivité globale, et aussi une vision continument molle dans la direction. On a connu l’Orchestre londonien plus mordant et a contrario définitivement expressif et clair… (avec Gergiev par exemple : Elektra de Strauss. Goerne, Gergiev LOS Live, 2012). Casting perfectible, protagonistes en difficultés et dépassés, orchestre grisâtre… Quel dommage. Enegistré avec les dernières avancées de la technologie (en DSD 128fs), le présent enregistrement, artistiquement, reste faible et bien peu représentatif des capacités de l’illustre phalange londonienne. Annoncé et présenté comme un événement, le coffret est source de déception. A éviter.

 

 

CD, compte rendu critique. Schumann: Das Paradies und die Peri. Sally Matthews, Mark Padmore, Kate Royal, Bernarda Fink, Andrew Staples, Florian Boesch. London Symphony Orchestra, London Symphony Chorus, Quatuor vocal Guildhall School. Sir Simon Rattle. 1 cd LSO Live LSO0782. Enregistrement live au Barbican Center de Londre en janvier 2015.

 

Maroussia Gentet joue Schumann

gentet-maroussia-piano-schumann-450Paris. Récital Maroussia Gentet, piano. Schumann, mardi 6 janvier 2015, 20h, Goethe Institut. Créée en 1992, la fondation Blüthner-Reinhold veille à perpétuer la pratique des pianos de la firme allemande tout en favorisant la carrière des nouveaux pianistes. Ainsi la saison musicale nouvelle proposée au Goethe Institut de Paris met-elle en avant les tempéraments artistiques les plus prometteurs, ceux déjà captivants et dont le programme proposé à Paris est laissé à leur libre-arbitre. C’est évidemment le cas de la jeune Maroussia Gentet (seule française parmi les 6 artistes sélectionnés par la fondation cette saison).  Ancien élève de Géry Moutier au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, la jeune instrumentiste enrichit encore son jeu et sa technicité grâce à sa rencontre avec la pianiste russe Rena Shereshevskaya dont elle suit l’enseignement à Paris, à l’Ecole Normale de Musique (diplôme en 2010). Depuis 2012, Maroussia Gentet poursuit ses études au CNSMD de Paris en Diplôme d’Artiste Interprète, ce qui lui a donné l’occasion de jouer le Concerto de Schumann en 2012 et d’enregistrer le 2ème Concerto de Prokofiev avec l’orchestre des Lauréats du Conservatoire sous la direction de Philippe Aïche, premier violon solo de l’Orchestre de Paris.

LIVRES. Nouvel essai biographique sur Robert SchumannCelle qui se destine aujourd’hui à la pédagogie, n’en oublie pas pour autant la transmission et la pédagogie, tout en offrant à Paris en ce début d’année 2015, un récital attendu entièrement dédié à son compositeur de prédilection, Robert Schumann. Temps fort de l’agenda pianistique parisien de janvier 2015, sa lecture des Davidsbündlertänze opus 6  dont aucune autre Å“uvre de Schumann et du romantisme pianistique en général n’atteint la fièvre passionnée, la transe syncopée, entre tendresse nostalgique et fureur énergique. Tout Schumann (Eusébius et Florestan) est concentré dans ce formidable corpus de partitions parmi les justes poétiquement, profondes et échevelées, exigeant de l’interprète une versatilité technicienne continue. Composé en 1837, le cycle fascine par sa suractivité, l’éclatement de la ferveur narcissique où Schumann hégélien, réalise ce “lointain intime”, résonance multiple et pluriel d’une conscience aiguë, d’une identité qui tourne autour d’elle-même, se reconstruit et se projette à la fois : passé, présent, futur y fusionnent. Difficile pour le pianiste de préserver la cohérence organique des parties malgré ce tourbillon continu d’affects et de climats… Depuis les années 1830, Schumann écrit pour le piano, son instrument : les Å“uvres éblouissent littéralement par la pulsion permanente, le feu qui dévore et porte toujours plus loin. Digitalité fluide et mordante, énergie active et mesurée, souffle, murmure, exaltation : l’interprète doit maîtriser son métier pour exprimer la sensibilité panique d’un auteur génial, désespéré / exalté par l’éloignement qui le sépare de son aimée. Clara… Mais l’amour étant le plus fort, il épousera bientôt sa chère et tendre Clara, double dans la vie et dans la musique, après bien des vicissitudes.

 

 

 

boutonreservationRécital Maroussia Gentet
Mardi 6 janvier 2015, 20h
Paris, Goethe Institut
Robert Schumann (1810-1856)

 

 

Davidsbündlertänze op 6
Fantaisie op 17

A l’issue du concert, le public est invité à un moment d’échange avec l’artiste.

Tarif plein : 10 €
Tarif réduit : 5 €
Réservation conseillée au 01.44.43.92.30

Goethe Institut
17 Avenue d’Iéna  75116 Paris
Tel. : 01.44.43.92.30
info@paris.goethe.org
www.goethe.de/paris

Infos et réservations :
Visitez le site de l’Institut Goethe à Paris

Marc Coppey joue le Concerto pour violoncelle de Schumann au TAP Poitiers

schumann_2441248bPoitiers, TAP. Concert symphonique : Mendelssohn, Beethoven. Mardi 25 novembre 2014, 19h30.  Après l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine (programme Rachmaninov du 16 novembre 2014), voici un nouveau jalon symphonique lui aussi de la saison musicale 2014-2015 au TAP de Poitiers : place à l’orchestre en résidence in Loco : Orchestre Poitou-Charentes sous la direction de son chef et directeur musical, Jean-François Heisser. Programme romantique s’il en est comptant Mendelssohn, Schumann et Beethoven dont l’admirable Concerto pour violoncelle de Schumann opus 129. Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare a suscité au moins trois chefs-d’œuvre de nature différente. La Fairy Queen de Purcell et l’opéra de Benjamin Britten, écrits des siècles plus tard, durent s’adapter aux conventions dramatiques de leurs époques respectives. Mendelssohn écrivit, lui, une musique de scène pour émailler la pièce de moments absolument féériques. Composé à peine plus tard, le Concerto pour violoncelle de Schumann est une œuvre tourmentée, passionnée, dont Marc Coppey a souvent défendu les sombres méandres. Avec la 7e Symphonie, voici un Beethoven rayonnant et optimiste. L’énergie qui déborde de cette pièce ne se laisse jamais freiner, pas même par le célébrissime Allegretto du deuxième mouvement. Pour la création en 1813, Beethoven était à la baguette et parmi les musiciens de l’orchestre figuraient les compositeurs Meyerbeer, Salieri, Hummel et Spohr !

 

 

Concerto pour violoncelle de Schumann

LIVRES. Nouvel essai biographique sur Robert SchumannA l’invitation de l’Orchestre Poitou Charentes et du TAP, le soliste Marc Coppey joue le Concerto pour violoncelle de Schumann. Le Concerto en la mineur est composé en octobre 1850, juste avant la Symphonie n°3 Rhénane, dans une séquence d’exaltation et de pleine conscience dont le destin gratifia cependant Schumann (alors âgé de 40 ans) pourtant très affecté par des crises psychiques à répétition. Les 3 parties du Concerto se succèdent sans pause aucune, en une continuité organique exaltante : l’ivresse qui porte le développement du premier mouvement Allegro alterne sérénité et énergie syncopée ; puis c’est la pleine introspection distanciée mais tendre et sincère de l’adagio indiqué langsam, construit comme un lied (cantabile ample du violoncelle). Le Finale, Vivace synthétise la construction globale du doute et de l’ombre vers l’éblouissante lumière, du ré mineur au la mineur. Jamais Schumann ne fut aussi franc dans cette oeuvre irrésistible qui porte en elle la clé de sa nature double, frappé par l’humoresque spécifiquement germanique et la tragédie lentement destructrice car il est rongé de l’intérieur par un mal qui l’emportera en 1856 : optimisme à tout craint mais aussi sa face ténébreuse, aspiration à la mort et anéantissement irréversible.

 

 

 

CONCERT au TAP de Poitiers

Mendelssohn, Schumann, Beethoven
Orchestre Poitou-Charentes
Jean-François Heisser, direction
Marc Coppey, violoncelle

> Felix Mendelssohn : Le Songe d’une nuit d’été (Extraits)

> Robert Schumann : Concerto pour violoncelle en la mineur op. 129

> Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 7 en la majeur op. 92

CD. Schumann: Symphonies n°2 et n°3 (2012, Holliger, Audite)

Schumann audite complete symphonic works volume II Heinz Holliger WDR sonfonieorchester kölnCréée en 1846, la Symphonie n°2 opus 61 de Schumann témoigne de la lutte intérieure d’un homme conscient de ses dérèglements intérieurs et pourtant déterminé dans l’affirmation de sa volonté coûte que coûte ; a contrario comme un défi personnel, l’écriture porte vers une volonté de régénération constructive comme la réalisation d’une activité restructurante. De fait, la nervosité déterminée inscrite dans cette volonté conquérante du premier Allegro place toute la Symphonie dans la lumière tel un acte hautement viscéral et volontaire. Le chef  Heinz Holliger soigne la lisibilité globale et aussi le relief mordant des instruments parfaitement caractérisés. La direction ne manque pas de nerf : beau galbe entraînant du I; chambrisme plus élégiaque du II (Scherzo d’esprit et de légèreté mendelssohnienne). L’Adagio quant à lui, le mouvement certainement le plus bouleversant composé par le Schumann symphoniste, énoncé très simplement trop peut être, manque parfois de profondeur – on a peine à saisir les enjeux viscéraux d’une partition pourtant très autobiographique…. mais la clarté et la sobriété sont louables particulièrement dans le chant très lisible des instruments concertants.

 

Un Schumann clair et un peu sage…

Même lisibilité idéale dans le finale instrumentalement équilibré et clair mais là aussi manquant singulièrement de …fièvre et d’affirmation. Pour Schumann, il s’agit pourtant du combat décisif des forces de la raison et de l’esprit contre la menace d’un anéantissement psychique (lequel malheureusement se réalisera inéluctablement).

La Symphonie n°3 « Rhénane » ne change pas notre appréciation: la direction très claire et sereine, manifestement très claire et équilibrée, manque de vertige comme de passion: elle est comme lissée, mise à distance, ses séquences emboîtées parfois sans relation de causalité entre elle, et donc assez décevante car déficiente quant à leur continuum organique. Les paysages du bord rhénan ici évoqués bénéficient d’un souci de précision qui atténue la tension globale. Trop timoré, Heinz Holliger semble se retenir sans chercher à aller jusqu’au bout de son geste. Ou alors cette atténuation très classique, très mendelssohinienne du massif schumanien demeure sa seule conception esthétique. Les classiques apprécieront ; les amateurs d’un Schumann plus échevelé et passionnel regretteront ce manque d’engagement expressif. Question de sensibilité.

Pour nous schumanniens qui avons encore en tête l’éblouissante intégrale signée récemment par Yannick Nézet Séguin, autrement plus fouillée et vertigineuse, la direction de Holliger si elle ne manque pas de précision et de caractérisation instrumentale, ne possède pas la passion et l’élan ravageur qui porte toute la volonté d’un Schumann éperdu, enivré, exalté jusqu’à l’extase (aveuglement) optimiste.

Nos réserves n’entament en rien le haut intérêt de cette lecture musicalement respectueuse et rigoureuse.

Robert Schumann : Complete Symphonic Works, vol.II : Symphonies N°2, N°3 «  Rhénane ». WDR Sinfonieorchester Köln. Heinz Holliger, direction. 1 cd Audite 97.678. Enregistrement réalisé à la Philharmonie de Cologne en janvier et mars 2012.

Saintes 2014. Récital Chopin, Schumann par Beatrice Rana, piano

Rana Beatrice Rana pianoSaintes. Récital Beatrice Rana, piano. Chopin, Schumann, le 17 juillet 2014, 22h. Schumann démiurge. Chopin était roi de l’intime suscitant une nouvelle approche dans l’écoute et la réceptivité du concert, Schumann fut celui de l’introspection libre, d’une versatilité protéiforme fascinante. Celui qui souhaitait être le Paganini du piano explore et trouve les nouvelles expressions d’un clavier libéré, prolongement de sa pensée musicale si riche et bouillonnante. Car ici, l’éclatement de la forme selon les tentations de l’humeur n’empêche pas un développement précis, cohérent d’une irrépressible logique interne. Schizophrène impuissant, incapable de développement comme d’accomplissement abouti, rien de tel pour Schumann. Son caractère double, Janus fécond-, Robert revendique une double, voire une triple sensibilité aux facettes plus complémentaires que contradictoires. Schumann prend et relève le défi de chanter ce qui ne peut être dit. Une claque à la démence. Un élan irrépressible que l‘on retrouve, vivace, lumineux dans ses Symphonies à venir.  Qu’il soit Eusébius (instrospectif et sombre) ou Florestan (vif, solaire, conquérant), saturnien ou appolonien, Schumann exprime par le piano un jaillissement unique de la pensée et de l’esprit d’une fraîcheur et d’une vitalité exceptionnelle.

 

 

schumann_robertEclairs et murmures du piano romantique. Les études symphoniques (1834-1852) réalisées sous la forme de 12 variations à partir d’un thème originel de 16 mesures reflètent cet équilibre souverainement romantique où le feu de l’inspiration remodèle à mesure qu’il se déploie, les canevas formels les plus classiques. A mesure qu’il exprime, se dévoile, Schumann réinvente, expérimente. Le motif lui aurait été fourni par le père de sa fiancée d’alors, Ernestine von Fricken (l’Estrella du Carnaval à laquelle il était fiancé – avant Clara, en 1834), une marche funèbre dépouillée d’une beauté franche, immédiate. Relisant, affinant encore ses chères Etudes, miroir musical de ses intimes aspirations- éditées finalement en 1852, Schumann nous laisse l’une des ses partitions les plus personnelles.
Le doucereux Chopin se révèle aussi dans l’écriture musicale : ses Scherzos sont d’une âpreté imprévue, la révélation d’un tempérament plus passionnés et révolté qu’on l’a dit souvent. Le déséquilibre, les forces dépressives, l’attraction du lugubre et de l’anéantissement sont aussi inscrits dans le terreau de la fertile pensée chopinienne. Ce récital romantique en fait foi. Même la forme plus classique de la Sonate a séduit le Chopin ténébreux et rageur : la 2ème Sonate fait souffler un vent de liberté où l’émotion sait plier les contraintes d’un canevas strict. C’est le génie des grands compositeurs que de réinventer toujours… N’écoutez que le contraste qui naît de la chevauchée haletante du Scherzo auquel succède le gouffre lugubre de la célèbre marche funèbre : des visions fulgurantes, pourtant d’une simplicité et d’une économie de moyens, saisissantes. Grand récital romantique sous la voûte de l’église abbatiale de Saintes.

Illustrations : B Rana © Ralph Lauer/The Cliburn

 

 

Jeudi 17 juillet, 22h
Abbaye aux Dames
Beatrice Rana, piano
concert n°26

Frédéric Chopin
(1810-1849)
Scherzo n°3 opus 39
Sonate n°2 opus 35 en si bémol mineur
grave – doppio movimento scherzo
marche funèbre : lento finale : presto

Robert  Schumann
(1810-1856)
Études symphoniques opus 13

 

 

Laurent Korcia joue Chausson et Schumann avec l’Orchestre de Chambre de Paris

L. Korcia®Elodie CrebassaParis, TCE, le 19 mars, 20h. L’Orchestre de chambre de Paris et Laurent Korcia jouent Chausson. Et poursuivent aussi avec la 2ème Symphonie de Robert Schumann, le fil rouge de la saison 2013-2014 de l’Orchestre de chambre de Paris. Le disciple de Massenet et de Franck, ami de Fauré et de Duparc, Ernest Chausson reçoit durablement et profondément l’influence de Wagner. Toute son oeuvre, d’un affinement extrême sur le plan de l’écriture et de l’orchestration, porte la marque de ce poison et de cet envoûtement qui s’exprime en accents passionnés et denses, entre amertume, ivresse anéantissement.
Chef-d’oeuvre du genre, le Poème de l’amour et de la mer, une « mélodie-cantate », pourrait être la réponse en musique à L’Amour et la Vie d’une femme de Schumann. Schumann, précisément, dont la Seconde Symphonie referme le concert : « Elle m’a causé bien des peines ; j’ai passé bien des nuits inquiètes à méditer sur elle », confiera le compositeur.
Le Poème pour violon opus 25 (achevée dès 1893) est aussi original que l’atypique et puissante Symphonie écrite peu avant (1892). Au départ, il s’agissait d’un prolongement ou d’une émanation de la nouvelle de son ami l’écrivain Tourgueniev (le chant de l’amour triomphant), mais la force de sublimation du compositeur détache le Poème de sa filiation littéraire ; c’est une oeuvre absolue, développement personnel de musique pure dont l’immense sensation de vapeur là encore indique dans la carrière de son auteur une maturité captivante. L’œuvre est finalement créée par Eugène Ysaÿe en 1896. D’un caractère wagnérien et proche de ce wagnérisme assimilé de façon si originale à la manière de Franck, le Poème ne laisse pas de frapper chaque auditeur par sa morsure enivrée, l’action du poison wagnérien, distillé tel un baume magique.

Symphonie n°2 de Robert Schumann
Esquissée en 1845, créée à Leipzig en 1846, la Symphonie n°2 approfondit encore l’acte novateur chez Schumann qui porte toute l’architecture par le seul fait de l’écoulement mélodique. L’unité organique naît des multiples cellules thématiques qui se répondent en dialogue, c’est un jaillissement irrésistible et malgré la versatilité psychique de l’auteur, un désir d’organisation et de cohérence par l’acte musical, un formidable hymne à la vie, gorgé d’espérance qui s’oriente dans la lumière. Il est vrai que la Symphonie n°2 de Schumann porte aussi l’empreinte de son mariage tant espéré avec Clara, pianiste et virtuose et véritable muse sur le plan personnel et artistique. Chronologiquement il s’agit en fait de la 3ème Symphonie, composée dans la suite du Concerto pour piano (écrit pour sa chère et tendre épouse).

 

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Programme

Chausson :
Poème de l’amour et de la mer
Poème pour violon

Paganini :
I Palpiti pour violon et orchestre

Schumann : Symphonie n°2 en ut majeur

Jean-Jacques Kantorow, direction*
Laurent Korcia, violon*
Ann Hallenberg, mezzo-soprano

*Changement d’artistes : le chef et violoniste Joseph Swensen est remplacé par Jean-Jacques Kantorow à la baguette et Laurent Korcia au violon.

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Compte rendu, concert. Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 12 février 2014. Orchestre de chambre de Paris. Fazil Say, piano. Roger Norrington, direction.

L’Orchestre de Chambre de Paris et son premier chef invité Roger Norrington sont de retour au Théâtre des Champs Elysées, complices du compositeur et pianiste virtuose Fazil Say. Le programme orbite autour du romantisme franco-allemand et, par sa diversité et son envergure, il invite l’auditoire à explorer tout un éventail de sentiments. Le concert débute avec l’ouverture de Genoveva, seul opéra de Robert Schumann crée en 1850. D’une dizaine de minutes, le morceaux est d’une force expressive indéniable, marquant les esprits par son ambiance dramatico-héroïque. Le chef exploite l’orchestre avec aisance, le staccato et le sostenuto des cordes sont étonnants. Tension et brio, rien ne manque à un orchestre de belle allure déployant de délicieuses modulations, avec quelques petits effets expressionnistes qui surprennent.

Concert de sensations, concert sensationnel 

Puis, l’orchestre et le pianiste invité aborde le Concerto pour piano et orchestre n°2 en sol mineur de Camille Saint-Saëns créé en 1868. L’oeuvre commence par une cadence initiale à l’air improvisé et dans le style d’une fantaisie de Bach. La lecture de Fazil Say est très expressive, d’une suavité presque sublime. Portée par une belle complicité entre les musiciens, l’interprétation, loin de tout académisme prétentieux, est très virtuose. Sous des doigts aussi agiles, on comprend combien Saint-Saëns a signé là un Concerto d’originalité formelle : l’allegro scherzando qui suit l’andante initial est tout à fait giocoso. L’Orchestre de chambre de Paris joue superbement la partition représentative de tout le charme et la brillance de la musique de Saint-Saëns. Fazil Say l’interprète avec une légèreté pourtant non dépourvue de sensualité. Le Presto final est emblématique de la science du compositeur : coloris orchestral, mélange de feux d’artifices mondains et profondeur presque spirituelle… Les cordes s’y distinguent par leur caractère maestoso, par leur tonus et leur brillance. Fazil Say dévoile une dextérité spectaculaire, con moto. Le soliste suscite légitimement  les bravos de la salle et les nombreux rappels.

 

SAY_fazil_pianoAprès l’entracte, la Chaconne en ré mineur de Busoni /Bach. Il s’agît d’une transcription pour piano d’un mouvement de la Partita pour violon en ré mineur de Johann Sebastian Bach BWV 1004, datant de 1897. L’oeuvre d’une intensité expressive particulière est aussi extrêmement virtuose. A la fois Mercure et Titan, Fazil Say, seul, offre une prestation presque religieuse surtout profondément humaine. Il délecte  son auditoire par un art du rubato surprenant. A cela s’ajoute une facilité digitale tout à fait abasourdissante malgré l’immense difficulté de l’oeuvre. Il est évident que Fazil Say prend beaucoup de plaisir (et quelques libertés! mais avec quelle intelligence musicale) dans ce qu’il interprète et cela fait plaisir au public fortement stimulé.

Le concert se termine avec la Symphonie n° 4 en ré mineur (décidément la tonalité,et donc le mode, de la soirée) de Robert Schumann, dont la version révisée par le compositeur date de 1851. Sans doute la symphonie la plus réussie de Schumann, notamment dans l’aspect formel, hautement innovant. Schumann s’y aventure au-delà des canons classiques, réalisant l’intégration d’un développement thématique cyclique qui offre à l’oeuvre une grande cohérence et sa profonde unité. L’OCP exécute l’opus avec brio. Pendant une trentaine de minutes Roger Norrington explore les contrastes de la partition, exploite le talents des musiciens, que ce soit l’incroyable hautbois au deuxième mouvement ou encore les cuivres puissants au dernier. La symphonie très originelle dans la forme est aussi riche en émotions, nous passons d’une méditation à une romance, puis d’un scherzo rustique à un finale solennel et mélancolique qui se termine de façon héroïque. Grande soirée, concertante, chambriste, symphonique.

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 12 février 2014. Orchestre de chambre de Paris. Fazil Say, piano. Roger Norrington, direction.