CD. Sabine Devieilhe : Rameau (Erato, 2013) … Le Grand théâtre de l’Amour. Les Ambasadeurs. Alexis Kossenko, direction. Le sentiment de notre rédacteur Benjamin Ballif suscite l’unanimité de la rédaction de classiquenews : le nouvel album des Ambassadeurs, complices du premier récital lyrique de la jeune diva française Sabine Devieilhe émerveille. La chanteuse était sacrée » révélation lyrique » aux dernières Victoires de la musique 2013. Voici un Rameau inventif et audacieux, expressif et intelligent qui convainc absolument. Il est d’autant plus pertinent qu’il met en avant cette sensualité raffinée propre au XVIIIè français et qui fait aussi de Rameau, à côté du scientifique et du savant, un poète du coeur et du sentiment d’une irrésistible sensibilité.
Rameau au sommet
Rousseau avait bien raison de prendre en grippe le divin Dijonais : son art dépasse tout ce qui a été écrit et composé avant lui sur la scène lyrique et à l’appui de ce récital enchanteur, le compositeur n’est-il pas finalement très proche lui aussi de la nature humaine ? … A la vocalité orfévrée de la cantatrice répond l’investissement passionnant des instrumentistes de l’ensemble fondé par le flûtiste Alexis Kossenko.
En avant première du cd qui paraît le 28 octobre prochain, voici un extrait de la critique développée de notre rédacteur :
» Voici un programme audacieux crânement défendu, qui révèle ou plutôt confirme un immense talent en devenir, à l’aube nous lui souhaitons, d’une prodigieuse carrière.
Nous l’avions découvert dans Lucia (La Somnambula de Bellini à Tourcoing sous la baguette de Jean-Claude Malgloire, octobre 2011), puis retrouvée sur la même nordique, dans le rôle de la Folie de Platée de Rameau (février 2013), personnage à l’affiche du présent cd : et déjà, une gestion de la ligne vocale étonnante et si musicale, doublée par une technique remarquable, avec un don évident pour la caractérisation expressive ; pour son premier récital lyrique discographique, la jeune soprano Sabine Devieilhe, coloratoure sémillante et d’un diamant clair et agile chante langueur, désespoir, extase des grandes amoureuses.
Ses galanteries vocales sont charmeuses et très subtilement ciselées : un format vocal qui sied idéalement à la balance originale des opéras et ballets de Rameau. Elle éblouit par l’intelligence de son timbre naturellement perché. Diction perlée et intelligible ( » Pour voltiger dans les bocages » des Paladins (plage 10), flexibilité vocale, surtout justesse des intentions dramatiques, voici un Rameau ambitieux, osé, risqué… parfaitement tenu, qui montre outre le sens du pari et du défi porté par la diva, sa sensibilité rayonnante et juvénile … qui lui permet demain de chanter deux rôles parmi les plus exposés et redoutable du répertoire, Lakmé (à l’Opéra-Comique, du 10 au 20 janvier 2014), puis La Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée de Mozart à l’Opéra de Paris, du 11 mars au 15 avril 2014.
Sabine Devieilhe, diva ramélienne
La Folie amorce le délire avec un raffinement naturel que rehaussent encore la vivacité et les nuances dynamiques de l’orchestre. Tandis que, plus justement accordés à la thématique du cd, Tristes apprêts, pâles flambeaux (Castor et Pollux) étourdit par sa grâce simple et transparente (superbes bassons tout aussi enivrés et funèbres), celle d’un Télaïre pure et digne, touchée par le désespoir le plus noir : que sa phrase et sa ligne sont animées par une intelligence pudique sans apprêt réellement ; auparavant son Alphise des Borréades, même amoureuse éprouvée, succombe tout autant face à l’épreuve des éléments (omniprésents dans Les Borréades, ultime opéra de Rameau, qui meurt en 1764 avant de l’avoir créé) … son soprano coloratoure, fin et diamantin réussit le passage des vocalises qui attestent de sa détermination conquérante. Car outre la perfection de la technicienne, Sabine Devieilhe sait aussi incarner et imposer un tempérament dramatique d’une élégance superlative. Une sensibilité blessée au timbre limpide et la diction rigoureuse, entre Sandrine Piau et Véronique Gens.
De leur côté, sublimes complices d’un parcours sans fautes, les instrumentistes des Ambassadeurs séduisent par la même souple expressivité, mordants et ductiles à souhait ; voici un Rameau qui n’est pas seulement articulé, rythmiquement pétillant et insolent, sensuellement exquis (remarquable ouverture de Pygmalion) et dramatiquement construit : les interprètes visiblement en complicité, habitent Rameau d’une profondeur et d’une élégance racée totalement convaincante. Avant les célébrations Rameau 2014, pour le 250ème anniversaire de la mort, voici un disque éblouissant par son intelligence musicale, sa perfection sensible, ses prises de risques (instrumentales autant que vocales : écoutez la liberté interprétative de l’orchestre, son éloquence dans le ballet figuré de Zoroastre, ou dans le sommeil d’un pur onirisme – appel au rêve- de Dardanus…), pas feutrés et puissance rythmique de la contredanse des Borréades (plage 9), cors somptueux des mêmes Borréades dans l’air d’Iphise qui précède ; Voilà bien longtemps, depuis William Christie et ses Arts Florissants si magiciens, que nous n’avions pas écouté une approche aussi aboutie, au relief si remarquablement ouvragé …
Ambassadeurs charmeurs enivrés
Le chef des Ambassadeurs y paraît avoir plus d’audace, de feu, d’invention qu’un certain Raphaël Pichon, ailleurs présenté à Beaune comme » champion chez Rameau « , mais en comparaison d’une …. désolante pâleur. La comparaison s’imposait d’elle même car les nouveaux disques Rameau sont plutôt rares, et parce que Sabine Devieilhe a paru également dans le cd Dardanus dirigé par Raphaël Pichon (où moins inspirée, la soprano n’y brille pas d’un même éclat…).
Courrez acheter ce disque jubilatoire, c’est un réjouissant hommage à Rameau et son » grand théâtre de l’amour « . Prestance, élégance, imagination interprétative approche la perfection d’un autre Ramiste récent, Bruno Procopio qui lui aussi n’est pas à un défi près : faire jouer les musiciens vénézuéliens sur instruments modernes mais dans le style du XVIIIè français ; c’est là encore Rameau qui en sort transfiguré (lire notre critique du cd exceptionnel de Bruno Procopio : Rameau in Caracas, 1 cd Paraty). Vous pourrez comparer d’un orchestre à l’autre, des instruments anciens à ceux modernes, la Chaconne des Indes Galantes (plage 22), avec Les Ambassadeurs d’Alexis Kossenko ou à Caracas sous la houlette de Bruno Procopio : même tempérament, même audace, même réinvention du geste, même ivresse palpitante des instruments et des timbres en fusion … Que Rameau peut être heureux de disposer, aux côtés de l’inégalable William Christie, de nouveaux interprètes parmi la nouvelle génération, capables comme lui de comprendre, vivre, partager le génie du Dijonais.
Seule réserve, les limites du choeur qui ne partage pas cette précision et cette implication de la solistes et des instrumentistes …
Le label Erato qui renaît miraculeusement au détour d’un changement de propriétaire semble recouvrer ses grandes heures baroques, à l’époque des réalisations les plus convaincantes de l’histoire du disque. Voilà qui augure de passionnantes prochaines nouveautés à venir « . Critique complète au moment de la parution du disque de Sabine Devieilhe : le 28 octobre 2013.
Rameau : le grand théâtre de l’amour. Les Ambassadeurs. Alexis Kossenko, direction. 1 cd Erato. 1h20 mn.
concert
Sabine Devieilhe et Les Ambassadeurs proposent le programme de leur disque au concert à l’Opéra royal de Versailles, superbe hommage à Rameau dans le lieu qui lui est si naturel, le 5 novembre 2013, 20h.