vendredi 29 mars 2024

ARTE. L’Ariadne enceinte de Katie Mitchell (Aix 2018)

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arte_logo_2013ARTE, dim 19 janv 20, minuit. R. STRAUSS : Ariadne auf Naxos, Aix 2018 (Davidsen, Orch de Paris, Albrecht). En replay sur Arte.tv, jusqu’en déc 2021; accessible aussi sur YOUTUBE en version intégrale. De toute évidence Katie Mitchell évacue ce qui la gêne et dilue l’essentiel dans une mise en scène qui cite visuellement l’art déco, mais s’agite beaucoup, produisant des déplacements confus qui nuisent terriblement à la lisibilité des situations ; le profil du jeune compositeur (uniquement présent dans la comédie du Prologue et rôle travesti), la gravité soudaine de la soprano qui deviendra dans l’opéra proprement dit (Ariadne auf Naxos) Zerbinette est à peine mise en lumière : pourtant quel contraste avec sa légèreté, et insouciance virtuose dans l’ouvrage lyrique qui suit.
L’urgence des préparatifs qui précèdent l’opéra, et donc l’improvisation nécessaire comme le climat des coulisses avant la représentation, sont totalement absents. Tout est convenu et se succède sans surprise (le maître à danser perché sur ses talons de Queen délurée !!!). Pour exprimer la métamorphose qui se produira bientôt dans l’esprit de la pauvre Ariane abandonnée par Thésée, mais sauvée par sa rencontre avec le dieu Bacchus, Mitchell invente ainsi une Ariane enceinte, préoccupée par son bébé à naître… gestation qui évoque un travail souterrain qui impacte évidemment la démarche et le comportement de la « diva »…

 

 

 

Ariadne confuse et prosaïque…

 

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Au mépris du drame originel, conçu par Strauss et son librettiste Hofmannshtal, comme Warlikowski ou Tcherniakov, Mitchell invente des relations qui ne sont pas dans la partition originelle : ainsi l’attirance du compositeur pour Zerbinette, duo manqué qui tombe à plat. C’est gadget mais très à la mode parmi les pseudo metteurs en scène. De même, elle nous afflige en remâchant la thématique du genre, désormais déclinée à toutes les sauces : ici les femmes sont viriles (l’épouse du mécène a des airs de lesbienne assumée, d’autant que son mari s’affiche en robe rouge… Elle participe volontiers au jeu des chanteurs acteurs de la tragédie) ; et les hommes sont naturellement efféminés : les 3 figurants danseurs qui doublent les comédiens italiens sont habillés chacun d’une guépière, marquant leur taille de … lolitas qui s’ignoraient ? Voyez le valet déluré / excité qui monte soudainement sur la table pendant l’air de Zerbinette et se déhanche et se contorsionne pour aguicher le chaland… Quel sens à ces dérives qui n’apportent rien ? Polluée par tant d’incongruité, la mise en scène est un foutoir au royaume du grand n’importe quoi. Et dire que beaucoup de spectateurs risquent de découvrir cette oeuvre si subtile comme on a dit, – produit du livret de Hugo von Hofmannsthal… dans cette foire chaotique et décousue.

Dans l’opéra qui suit, Ariane enceinte donc, n’est que rancoeur, raideur proche de l’hystérie aux aigus lancés en échos d’une tension bien laide… où est le mystère ? où est cette âme meurtrie que les comédiens italiens tentent de dérider. La délaissée tourne en rond, attablée ou debout autour de la table (de noces) où ses partenaires s’agitent eux aussi confusément.

Côté interprétation, orchestralement comme vocalement soit c’est petit et serré ou tendu, soit cela est surligné et surexpressif sans beaucoup de nuances (les 3 nymphes / Dryades manquent de moelleux). Déjà saluée pour son format wagnérien, Lise Davidsen a des moyens qui sonnent ici mal dégrossis, surjouant souvent sans la grâce intérieure, les vertiges émotionnels que savaient incarnés une Jessye Norman entre autres, ou une Schwarzkopf, dans le registre altier, aristocratique. La soprano norvégienne chante trop large et manque de cette finesse proche du texte qui a fait la valeur de ses ainées. Elle est faite davantage pour chanter les Wiesedonck-lieder de Wagner plutôt que les mélodies arachnéennes de Strauss (même si elle chante les Quatre derniers) ; la prière et la langueur de Isolde plutôt que les héroïnes blessée, tendres : il y a du dragon dans cette voix puissante qui ne comprend pas la fragilité essentielle d’Ariane, femme vaincue par le destin et qui aspire pourtant à s’élever.

La Zerbinette de la française Sabine Devielhe apporte une touche de fraîcheur à la fois ingénue et tendre, – même affublée d’un béret de vieille confidente, un rien tassée, cheveux roux, raides, assénant ses leçons de sagesse et de clairvoyance amoureuse, à une Ariane qui fait toujours la gueule ; mais la Française ne semble pas comprendre son texte : peu de consonnes, et un texte qui manque de présence. Et la voix demeure quand même petite. Trop. Il faut revenir à nos fondamentaux pour ce rôle parmi les plus vertigineux destinées aux vraies coloratouras à l’opéra (c’est à dire à Rita Steich qui avait et le texte et la technique, et la couleur et le caractère).
Le pire arrive enfin au mépris de toute lecture de la mythologie et des thématiques si subtiles qui y sont attachées, toutes souhaitées pourtant par les auteurs Straus et Hofmannsthal. Pas de rencontre salvatrice entre Ariane et Bacchus, l’enfant dieu séducteur, d’une impertinence qui régénère : non ici Ariane accouche sur la table… de ce même Bacchus, nouveau né ; la lecture plaquée, dénaturante de Mitchell reste déconcertante pour le moins. Mais alors il aurait fallu plutôt prsenté ce spectacle comme l’Ariadne auf Naxos de Mitchell d’après Strauss et Hofmannshtal.
Eric Cutler chante lui aussi avec ardeur mais parfois court sans guère de finesse. Il est affublé lui aussi d’un accessoire dont on cherche encore la signification : présentant comme un roi mage, une boîte carrée, vitrée et évidemment lumineuse. L’ardeur du désir et la machine de rédemption qui s’opèrent auprès d’Ariane ont du mal à se déployer dans cette vision qui reste terre à terre et incohérente : comment élucider la naissance de ce jeune bambin que Mitchell assimile au dieu salvateur surgissant dans la vie tragique d’Ariane?
Dans la fosse aixoise, Albrecht rate lui aussi sa direction, évitant toute volupté : tout sonne sec et petit, serré. Strauss ne va pas à l’Orchestre de Paris, sans magie, sans nuances mystérieuses. Quel dommage. S’agissant du Festival aixois dont les opéras straussien sont une spécialité (avec ceux de Mozart), la production de Mitchell reste indigeste et gadget ; les interprètes, mal choisis. Frustrante soirée. Beau ratage agaçante et mise en scène totalement incohérente.

 

 

Distribution
Direction musicale : Marc Albrecht
Mise en scène : Katie Mitchell
Décors : Chloe Lamford
Costumes : Sarah Blenkinsop
Lumière : James Farncombe
Dramaturgie : Martin Crimp
Responsable des mouvements : Joseph W. Alford

La Prima Donna / Ariane : Lise Davidsen
Le Ténor / Bacchus : Eric Cutler
Zerbinetta : Sabine Devieilhe
Le Compositeur : Angela Brower
Le Maître de musique : Josef Wagner
Le Maître à danser : Rupert Charlesworth
Arlequin : Huw Montague Rendall
Brighella : Jonathan Abernethy
Scaramuccio : Emilio Pons
Truffaldino : David Shipley
Naïade : Beate Mordal
Dryade : Andrea Hill
Écho : Elena Galitskaya
Un officier : Petter Moen
Un perruquier : Jean-Gabriel Saint Martin
Un laquais : Sava Vemić
Le Majordome : Maik Solbach
L’Homme le plus riche de Vienne : Paul Herwig
Sa Femme : Julia Wieninger

Orchestre Orchestre de Paris

VOIR L’OPERA… En replay sur Arte.tv, jusqu’en déc 2021, et aussi sur youtube, version intégrale : merci au Festival d’Aix en Provence de donner accès à ses réalisations passées. Le show du valet à la guêpière sur la table est à 1h24mn.

 

 

 

 

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