BICENTENAIRE FLAUBERT 1821 – 2021 : Flaubert Ă  l’opĂ©ra

BICENTENAIRE FLAUBERT : 1821 – 2021. Le 12 dĂ©cembre 2021 marquera le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert. Une annĂ©e souhaitons le riche en initiatives, Ă©vĂ©nements et cĂ©lĂ©brations. CLASSIQUENEWS s’interroge sur les Ĺ“uvres de l’écrivain portĂ©es sur la scène lyrique.

FLAUBERT 2021 : l'opĂ©ra, le goĂ»t musical de GustaveLe solitaire de Croisset, Gustave Flaubert (1821 – 1880), dans sa Normandie prĂ©servĂ©e sut se retirer au vert pour ne s’adonner qu’à sa seule passion terrestre : l’écriture. Pour lui seul importe la vĂ©ritĂ© servie par une forme esthĂ©tique qui se rĂ©vèle dans la beautĂ© du style. La haine de la platitude, il la doit Ă  son admiration pour Chateaubriand dont il admire les Ă©lans de l’extravagance et les vertiges lyriques de la pensĂ©e critique. Bien que de contexture fragile – il n’a que 22 ans, en octobre 1843, lorsque la maladie nerveuse le terrasse, Gustave sait nĂ©anmoins se conserver et mĂŞme voyager. Au retour d’un sĂ©jour en Egypte, il se consacre corps et âme pendant 53 mois, Ă  la conception d’un roman rĂ©aliste, Madame Bovary, inspirĂ© d’un fait rĂ©el – comme Berg et son Wozzek ; le texte publiĂ© en 1857, après un procès retentissant dont il sort vainqueur, le rend brusquement cĂ©lèbre. Le bal chez le marquis de la Vaubyessard concentre alors tous les Ă©garements fantasques d’une petite provinciale, Ă©levĂ©e Ă  la ferme, qui se rĂŞve princesse et vit comme une Ă©lue mĂ©connue qui attend son chevalier servant… Le bovarysme est nĂ© : dĂ©nonçant les ravages des illusions inconscientes dans l’esprit des ĂŞtres trop fantasques.

EMMA Ă  l’opĂ©ra… Flaubert aime l’opĂ©ra, du moins en a t-il mesurĂ© tous les enjeux sociaux et littĂ©raires, puisant dans ce spectacle humain, salle et scène, – comme avant lui Balzac, les ressources utiles pour Ă©voquer ce théâtre des passions rĂ©aliste qui l’intĂ©resse. Ainsi, pour approfondir encore le portrait de son hĂ©roĂŻne romantique et fantasque, Flaubert dĂ©crit Emma Bovary Ă  l’OpĂ©ra de Rouen pour une reprĂ©sentation de Lucia di Lammermoor. Deux figures fĂ©minines romantiques et tragiques… qui finissent par mourir : le parallèle est Ă©videmment Ă©loquent et la frontière illusion théâtrale et vie rĂ©elle, tĂ©nue.

Puis le voyage en Tunisie (1858) prépare à la composition de Salammbô, fresque colorée voire saturée, au réalisme archéologique; dédiée à un épisode guerrier et mystique de l’Antiquité carthaginoise. Dans les jardins d’Hamilcar Barca, les mercenaires qui attendent leur solde, voit, sidérés, la belle prêtresse Salammbô, corps érotique pourtant dévolue au culte de Tanit / Astarté, l’Aphrodite orientale… C’est l’un d’entre eux qui séduira la belle vierge dont l’esprit ainsi révélé ne se remettra pas après l’éxécution de son aimé : elle meurt évanouie à la fin du drame. Le roman édité en 1862 n’a pas le succès escompté, certes somptueusement écrit, fouillé dans ses évocations antiques mais trop lourd et statique.
A l’inverse, un autre sommet de la littérature française Trois contes (1877) dont fait partie Un cœur simple et surtout Herodias, nouvelle évocation d’un Orient saturée de couleurs érotiques, marque les esprits et la critique pour la beauté et le travail du style. Dans la lignée d’un Balzac, analyste de la nature humaine, avant Zola et les naturalistes qui le considèrent comme un modèle, Flaubert a cette obsession de l’exactitude documentaire, scintillement de détails saisissants d’acuité poétique, qui émaillent son récit et lui apportent le relief et le mordant de la vie elle-même. Mais nature sceptique voire fataliste sur la nature humaine et sa vanité essentielle, Flaubert aime à décrire les illusions et fantasmes de ses héros pour mieux les railler. Tel est le pessimisme fondamental de l’ermite de Croisset. Pour autant, son écriture a ouvert les portes d’un imaginaire littéraire inédit dont la puissance évocatrice, jusqu’à la musicalité propre, suscite l’admiration.

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Les textes de Flaubert mis en musique à l’opéra. Deux figures orientales traitées par l’écrivain (Hérodias, Salammbô) ont inspiré les compositeurs à l’opéra : Massenet, Reyer, Strauss…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HERODIAS

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salome_titien_tiziano_salome_5-Salome-1512-Tiziano-TitianHérodias : devenue Hérodiade chez Jules Massenet (1881). Le compositeur brosse le portrait d’Hérodiade, épouse ambitieuse du Tétrarque Hérode qu’elle manipule en sacrifiant sa propre fille Salomé ; la danse érotique de la jeune fille envoûte le pervers qui consent à exécuter celui que Salomé a dénoncé : le prophète Jokanaan. Ainsi se venge la mère Hérodiade, furieuse que ce même Jokanaan l’ait critiqué ouvertement, invectivant ses turpitudes et son esprit maléfique… (Jean la traite de « Jezabel » , l’étrangère vicieuse et malfaisante). Contrairement à la Salomé de Strauss / Wilde qui s’intéressent surtout au profil sensuel de la jeune femme, à son corps provoquant, l’ouvrage de Massenet préfère le profil plus mûr et réfléchi d’une amoureuse, éprise de Jean / Jokanaan : pour le prophète, elle donne sa vie, implore sa mère de gracier son aimé ; puis déjouant les manipulations d’Hérodiade, Salomé est prête à tuer sa propre mère. En réalité elle se suicide en fin d’ouvrage, pour rejoindre Jokanaan.

Du même texte de Flaubert, Oscar Wilde fait une pièce de théâtre (1891), intitulée Salomé que Richard Strauss en 1905 adapte pour la scène lyrique avec l’immense réussite que l’on sait. La danse des 7 voiles, point d’orgue symphonique du drame (où se concentre le désir du tétrarque et la lascivité innocente du corps pubère et dansant), de même que la scène finale où Salomé baise la bouche de Jokanaan décapité avant d’être elle-même étouffée par les boucliers des soldats horrifiés… restent deux épisodes parmi les plus marquants de toute expérience lyrique.

Production de l’Opéra de Saint-Etienne, 2018 : Pichon / Ossonce
https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-saint-etienne-le-18-nov-2018-massenet-herodiade-elodie-hache-ossonce-pichon/

Production de l’Opéra de Marseille, mars 2018 : Pichon / Vanoosten
https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-marseille-opera-le-23-mars-2018-massenet-herodiade-1881-v-vanoosten-j-l-pichon/

LIRE aussi Hérodiade de Massenet
https://www.classiquenews.com/confinement-opera-chez-soi-ballets-a-la-maison-concerts-en-direct/

 

 

 

 

 

SALAMMBĂ”

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rosa-caron-salambo-bonnat-1896-dossier-opera-classiquenews-opera-concert-classiquenewsErnest Reyer (marseillais né en 1823) adapte en 1890, Salammbô de Flaubert. L’opéra est un ouvrage riche et spectaculaire, proche de sa Sigurd (1885), autre évocation légendaire, elle néowagnérienne, mais inspirée des légendes scandinaves que vénérera dès sa création le peintre Degas, familier du Palais Garnier à Paris. C’est Camille du Locle, librettiste chevronné de Don carlos puis d’Aida de Verdi, qui adapte Flaubert pour Reyer. Salammbô est ainsi créé à Bruxelles en 1890. Le musicien formé entre autres par sa tante, -l’excellente pianiste et compositrice, Louise Farrenc-, s’illustre d’abord en mettant en musique plusieurs textes de Théophile Gautier (dont la Symphonie Le Sélam ou le ballet Sacountalâ de 1858…). Avec Salammbô, Reyer retrouve et réalise ses aspirations musicales pour le rêve et l’exotisme: un orientalisme de plus en plus prononcé (Sacountala est d’inspiration hindoue, et son premier succès lyrique, La statue de 1861, prend prétexte des Mille et une nuits) qui porte son inspiration la plus réussie. Illustration : Rose Caron dans le rôle de Salammbô de Reyer, portrait de Bonnat, 1896 (DR).

Le chantier
Du reste, tous les commentaires louent la science des mélodies originales, un refus de toute complaisance et lieux communs, des harmonies “fraîches”, l’orchestration à la fois savante et personnelle. A l’origine de Salammbô, auquel Reyer pense dès 1864, Flaubert accepte une mise en musique, mais il songe d’abord à Verdi, dans une adaptation de Théophile Gautier… Ce dernier meurt en 1872,… sans avoir rien écrit. Flaubert se tourne alors vers Catulle Mendès. Heureusement, Reyer reprend la main et suggère à Flaubert, Camille du Locle : l’auteur de Salammbô accepte. Le chantier peut donc commencer. Il sera encore interrompu quand meurt Flaubert en 1880, laissant un temps, Reyer, comme démuni. Mais les éléments du drame lyrique se précisent. Ils modifient par exemple la mort de Salammbô, laquelle se poignarde (alors que dans l’ouvrage originel, la jeune femme meurt évanouie, à la vue du coeur arraché de son amant, Mathô).
Au final la partition laisse toute la place à l’héroïne, offrant à la créatrice du rôle, à Bruxelles, Rose Caron, une incarnation spectaculaire, même si Reyer fusionne solos et récitatifs en un flux continu: pas d’airs isolés, ni de scène fermées. Grand admirateur de Berlioz et aussi de Gluck, Reyer soigne la lisibilité du chant déclamé auquel il associe un orchestre somptueux, d’un dramatisme efficace. C’est un tissu à la couleur permanente qui produit ce que les critiques de l’époque n’ont pas manqué de relever: mysticisme, rêverie, climat d’extase et de ravissement… Au centre de la partition, point culminant de l’orientalisme rêvé par Reyer, les rituels lunaires de l’acte II, où la prêtresse plus langoureuse que jamais, célèbre Tanit, où paraît Mathô (venu dérobé le Zaïmph, voile sacré de la déesse) que Salammbô, saisie, comme envoûtée, prend pour un dieu soudainement révélé… En lire plus : dossier Salammbô de Reyer
https://www.classiquenews.com/ernest-reyer-1823-1909-salammb-1890marseille-opra-du-27-septembre-au-5-octobre-2008/

LIRE aussi notre compte rendu de Salammbô de Reyer à l’Opéra de Marseille, octobre 2008 :
https://www.classiquenews.com/marseille-opra-le-5-octobre-2008-ernest-reyer-salammb/

Québec. CLASSICA lance la première intégrale discographique des mélodies de Massenet

Massenet jules cherubin Jules_Massenet_portraitCD intégrale événement : 1ère mondiale des mélodies de Massenet par le Festival CLASSICA et Marc Boucher, son fondateur et directeur artistique. Portée par le festival CLASSICA au Québec, l’intégrale des mélodies de Jules Massenet a réuni à partir de la rentrée 2020, les plus belles voix québécoises, naturellement calibrées pour la mélodie française. Le cycle s’annonce comme l’une des contributions majeures au genre de la mélodie française. Proposant depuis 3 années, le Récital Concours international de Mélodies Françaises à chaque édition de son festival de printemps, CLASSICA avait toute légitimité pour porter cette intégrale événement, « le plus important projet lyrique jamais réalisé au Canada ». Le vaste chantier discographique qui se profile prolonge ainsi le dessein du Récital-Concours conçu par CLASSICA pour faire rayonner l’art si spécifique de la mélodie française. Le projet a pu être amorcé malgré les mesures sanitaires imposé par la pandémie de la covid 19.

UNE INTÉGRALE EN 319 MÉLODIES… Jules Massenet (1842-1912) a marqué la scène lyrique française d’Esclarmonde à Werther, de Thaïs à Cléopâtre… Sa facilité dramatique, ses dons mélodiques ont aussi favorisé une œuvre de mélodistes chevronné, produisant quelques … 319 mélodies. L’intégrale MASSENET comprendra au total 12 coffrets de 3 cd chacun, proposant solos, duos, trios et quatuors, « près d’une vingtaine d’œuvres inédites, dont la plupart dans les tonalités originales, des « premières » telles les Expressions lyriques et l’ensemble des mélodies pour contralto dédiées à Lucy Arbell, dernière égérie du compositeur. » Décédée en 1947, la mezzo soprano Lucy Arbell incarne l’âge d’or des divas au début du XXè : celle qui chante Dalila de Saint-Saëns, Maddalena (Rigoletto de Verdi) ou Amnéris (Aida du même Verdi), tout en marquant le rôle de Charlotte (Werther), crée les ultimes grands rôles des opéras de Massenet : Perséphone (Ariane, 1906), Thérèse (1907), Dulcinée (Don Quichotte, 1910, aux côtés de Chaliapine)…
D’ailleurs toute l’oeuvre lyrique de Jules Massenet est marquée par les divas françaises qui lui ont inspiré les figures de grandes amoureuses, tragiques, mystiques, extatiques. Esclarmonde, Thaïs, Hérodiades, Thérèse, Cléopâtre… le catalogue opératique de Massenet fourmille d’héroïnes attachantes au destin oppressé.

classica-festival-canada-logo-vignette-classiquenews-annonce-concerts-festivals-operaLe baryton Marc Boucher, directeur artistique et fondateur du festival CLASSICA, assure la direction artistique de l’intégrale, tout en étant lui-même interprète de l’intégrale Massenet aux cotés des grandes voix québecoises tels Marie-Nicole Lemieux, Karina Gauvin, Michèle Losier, Julie Boulianne, Magali Simard-Galdès, Anna-Sophie Neher, Florence Bourget, Frédéric Antoun, Étienne Dupuis, Philippe Sly, Antonio Figueroa et Joé Lampron-Dandonneau. La partie instrumentale est assurée par le pianiste Olivier Godin, avec le complicité du violoncelliste Stéphane Tétreault, du violoniste Antoine Bareil, du guitariste David Jacques et de la harpiste Valérie Milot.
« C’est un rêve qui prend forme. Le budget global de ce projet avoisinera les 275 000 $. Nous y travaillons depuis déjà trois ans. En l’espèce, la pandémie constitue une opportunité dans la mesure où tous ces artistes, habituellement en tournée à travers le monde, seront au Québec pour les premiers enregistrements, d’une durée de 18 jours, qui auront lieu à l’automne 2020. Plus du tiers des mélodies seront enregistrées et la parution du premier coffret est prévue au printemps 2021 », a souligné Marc Boucher.

Marc Boucher retrouve ainsi Olivier Godin dont la complicité est à l’origine des précédentes intégrales des mélodies de Poulenc (2013), de Fauré (voix et piano, 2018), deux cycles majeurs édités par Atma Classique.

UN ERARD HISTORIQUE. L’intégrale Massenet bénéficie du piano ERARD de concert 1854, accordé au diapason 435 Hz, c’est à dire le diapason de l’époque du compositeur, « conformément à l’arrêté ministériel de Paris de 1859. L’esthétique, la mécanique et la sonorité de cet instrument d’exception apporteront une grande valeur à cet album ». L’instrument historique a été acquis en 2018 à Paris, « chez Pianos Nebout & Hamm. Son directeur Jacques Nebout l’a entièrement remis en état, conservant, les pièces d’époque datant de 1854, comme sa table d’harmonie, son clavier en ivoire et ses marteaux d’origine. Les cordes et les feutres ont été remplacés par des matériaux qui reproduisent la large palette des sonorités de l’époque », précise Marc Boucher. Ce même instrument est utilisé depuis l’année dernière lors du Récital Concours international de mélodies françaises, un élément important voire primordial dans la réalisation du concours québécois, qui le classe parmi les compétitions les plus exigeantes et légitimes du genre de la mélodie française. Premier volume à paraître donc, au printemps 2021. A suivre.

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Québec : Festival CLASSICA 2019, jusqu'au 16 juin 2019Fondé en 2011, LE FESTIVAL CLASSICA s’est donné pour mission de promouvoir un espace public qui provoque la rencontre entre la musique classique au sens large, les artistes, la relève musicale et le grand public, tout en privilégiant l’embauche prépondérante d’artistes québécois et canadiens. Le Festival Classica propose, du 11 au 20 décembre 2020, une édition spéciale, « en rappel » au cours de laquelle une quinzaine de concerts de l’édition 2020 sous le thème De Beethoven à Bowie, qui n’a pu avoir lieu en raison de la pandémie, seront présentés. Ces concerts constitueront sous réserve du contexte sanitaire, la première génération de contenus dédiés de la plateforme numérique immersive leconcertbleu.com destinée au milieu de la musique classique du Québec. VOIR notre REPORTAGE VIDEO Festival CLASSICA 2019 : immersion dans le classique accessible et fédérateur

CD, critique. ELLE : MARINA REBEKA, soprano (french opera arias, 1 cd PRIMA classic, 2019).

ELLE cd critique review cd classiquenews - rebeka-marina-riga-cd-opera-critique-cd-classiquenewsCD, critique. ELLE : MARINA REBEKA, soprano (french opera arias, 1 cd PRIMA classic, 2019). On l’avait quittĂ©e au disque depuis un prĂ©cĂ©dent rĂ©cital intitulĂ© « Spirito » (dĂ©jĂ  CLIC de CLASSIQUENEWS)… « Elle », diva cĂ©lĂ©brĂ©e de la Baltique, chante les grands airs de l’opĂ©ra romantique français. Un dĂ©fi linguistique pour la chanteurse lettone : Marina Rebeka (“Artist of the Year” ICMA award) dont on salue ici la prise de risque assumĂ©e : chanter le français alors qu’elle est au sommet de ses possibilitĂ©s. Sa Louise est extatique mais charnelle ; son HĂ©rodiade, plus articulĂ©e encore, digne et pleine de langueur amère vis Ă  vis du Prophète Iokaanan (« Prophète bien aimĂ©, puis-je vivre sans toi ? »), un personnage idĂ©al pour la voix de Marina Rebeka, soprano ample, dramatique, qui ne manque pas de puissance. Tout se joue ici selon sa facultĂ© Ă  nuancer, Ă  phraser et Ă  colorer chaque intonation du texte, riche en connotations liĂ©es Ă  la situation dramatique et psychologique de chaque sĂ©quence. Reconnaissons l’autoritĂ© franche avec laquelle la diva sait incarner, sachant aussi canaliser son formidable instrument.

Marina Rebeka : le tempérament romantique et français

Plus douce et tendre encore, l’admirable Chimène de Massenet (Le Cid), « préparée » par le solo de clarinette, impose une héroïne tout aussi meurtrie, à l’âme brisée dont le chant exprime le désespoir lacrymal. Les couleurs de la diva sonnent justes et très affinées (… » et souffrir sans témoins. »). De toute évidence, la soprano née à Riga, cultive ici une couleur fauve et féline, sombre et caverneuse qui rappelle la tragédienne Callas (déjà observée dans son dernier cd « Spirito »), offrant une vision à la fois sincère et exacerbée de Chimène ; Massenet atteint un sommet d’extase tragique et désespérée qui fait de son héroïne cornélienne, la sœur de Werther : une âme ardente et maudite, condamnée à souffrir. Voilà donc un nouveau disque qui couronne la cantatrice révélée en 2009, il y a plus de dix ans, au festival de Salzbourg sous la direction de Muti.

Après les 3 premiers airs, denses et tragiques, l’air de Marguerite de Faust offre une insouciance qui fait contraste où la diva plus légère, réussit ce tour de force entre coquetterie et insouciance. A la différence de nombre de ses consœurs, « La Rebeka » concilie agilité, clarté et… puissance. Sa Carmen, plus fantasque et capricieuse encore, confirme une nette proximité avec Callas : de la chair, du texte, une puissance sans appui, et un style direct qui font ici mouche. La sirène dragone, déesse de l’Amour lascif et libérée, captive.

Autre sirène, mais celle conçue avant par Bizet, enivrĂ©e par la douceur de la nuit, la berceuse de Leila des PĂŞcheurs de perles, – avec cor obligĂ© : voici Carmen, assagie, en extase. La diva de Riga excelle grâce Ă  son attention aux nasales françaises, Ă  sa ligne, au soutien (aigus souverains et dernière note). Le chant berce et captive lĂ  encore par la justesse de son approche.

Parmi les autres héroïnes abordées : Manon, Juliette, avouons que la chair embrasée qui indique le poids de l’expérience passée et les épreuves endurées, gagne un surcroît d’évidence dans le rôle charnel et mystique de Thaïs de Massenet dont Marina Rebeka chante deux airs centraux : « Ah je suis seule », la courtisane seule dans une vie factice et vide ; puis « O messager de Dieu », révélation divine pour la grande pêcheresse d’Alexandrie qui reçoit et accepte l’opération spirituelle qui la terrasse (« ma chair saigne. », symptôme de la fameuse Méditation, précédemment joué au violon solo)… La tension sous-jacente et le travail de la métamorphose qui sont à l’œuvre dans l’esprit éprouvé de la jeune femme, sont idéalement incarnés par le beau chant, expressif et sobre de la soprano. Dommage cependant que sa Thaïs perde l’intelligibilité du français. Ne subsiste que la justesse des couleurs.
CLIC D'OR macaron 200Très pertinente inclusion dans ce condensé d’opéra romantique français où règnent surtout Gounod et l’incontournable Massenet : la cantate pour le Prix de Rome, L’Enfant Prodigue du jeune Debussy: « l’année, en vain chasse l’année » : le tragique harmoniquement rare du jeune Debussy s’inscrit dans la droite ligne du Massenet le plus mordant et âpre, à laquelle la double invocation : « Azaël, Azaël… pourquoi m’as tu quittée? », apporte sa blessure mordorée maternelle que la diva incarne idéalement. Mais là encore, malgré des moyens captivants en couleurs et intonations, malgré l’intelligence de la caractérisation, on regrette en cette fin de récital globalement excellent, la perte de la précision linguistique. Vite un coach en français pour la diva au talent phénoménal : le dernier air de Juliette de Gounod (« Verse toi-même ce breuvage, O Romeo, je bois à toi ! ») saisit par son relief expressif, une couleur elle aussi mordante et même vériste, d’une belle conviction chez Gounod dont l’héroïne tragique, éperdue, revêt ici une incarnation très impliquée et charnelle… Quel chien, quel tempérament : sa Juliette n’a rien de frêle ; tout respire ici la fureur d’une héroïne romantique que l’amour embrase jusqu’à la mort. Ses Carmen, Marguerite, Thaïs promettent ici de prochaines prises de rôles, sans compter ce que l’on propose à la chanteuse manifestement passionnée par le français, un prochain récital de mélodies françaises. A suivre… de très près. Evidemment, comme son précédent « Spirito », le CLIC de CLASSIQUENEWS pour « ELLE ». bravissima Rebeka !

 

 

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ELLE cd critique review cd classiquenews - rebeka-marina-riga-cd-opera-critique-cd-classiquenewsCD, critique. ELLE : MARINA REBEKA, soprano (french opera arias, 1 cd PRIMA classic, 2019) – Sinfonieorchester St.Gallen – Michael Balke, direction/ EnregistrĂ© en Suisse en mai 2019 – 1 cd PRIMA classic - CLIC de CLASSIQUENEWS de mars et avril 2020.

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Approfondir
VISITEZ le site de Marina Rebeka
https://marinarebeka.com/

 

 

REBEKA marina soprano bel canto cd critique review cd par classiquenewsCLIC D'OR macaron 200CD, critique. SPIRITO. MARINA REBEKA, soprano (1 cd Prima classic, juillet 2018)… Extase tragique et mort inéluctable… : toutes les héroïnes incarnées par Marina Rebeka sont des âmes sacrificielles…. vouées à l’amour, à la mort. Le programme est ambitieux, enchaînant quelques unes des héroïnes les plus exigeantes vocalement : Norma évidemment la source bellinienne (lignes claires, harmonies onctueuses de la voix ciselée, enivrante et implorante, et pourtant âpre et mordante) ; Imogène dans Il Pirata, – d’une totale séduction par sa dignité et son intensité, sa sincérité et sa violence rentrée ; surtout les souveraines de Donizetti : Maria Stuarda (belle coloration tragique), Anna Bolena (que la diva chante à Bordeaux en novembre 2018, au moment où sort le présent album). Aucun doute, le cd souligne l’émergence d’une voix solide, au caractère riche qui le naisse pas indifférent. Les aigus sont aussi clairs et tranchants, comme à vif, que le medium et la couleur du timbre, large et singulière.

 

COMPTE-RENDU, critique opéra. PARIS, Bastille, le 5 mars 2020. MASSENET : MANON. Yende / Bernheim

manon massent pretty yen bernheim critique opera classique newsCOMPTE-RENDU, critique opéra. PARIS, Bastille, le 5 mars 2020. MASSENET : MANON. Yende / Bernheim. Après Bordeaux, le ténor Benjamin Bernheim reprend le rôle du Chevalier Des Grieux à Bastille, amoureux transi de la belle Manon ; mais trahi par elle, il devient l’abbé de Saint-Sulpice, avant de retomber dans les bras de celle qui n’a jamais cessé de l’aimer… Récemment auréolé d’une Victoire de la musique (fév 2020), le chanteur incarne efficacement le personnage dont l’abbé Prévost, premier auteur avant Massenet, souligne la candeur, l’innocence voire une certaine naïveté …fatale. Le ténor reviendra, pour la saison prochaine 2020-2021, à Bastille aussi, incarnant FAUST de Gounod.
Saluée à Paris sur la même scène dans Lucia di Lammermoor (oct 2016), La Traviata en sept 2019 avec déjà B.Bernheim comme partenaire, Pretty Yende incarne Manon faisant rayonner son art coloratoure enchanteur au profit d’une nouvelle prise de rôle rafraîchissante qui manque cependant d’implication textuelle : pas assez articulée, parfois inintelligible, la jeune diva sud-africaine manque sa partie à cause d’une mauvaise diction du français et un format qui paraît parfois sous dimensionné pour le rôle (air du Cours la Reine, et graves inaudibles). Pourtant le caractère est présent et la sincérité du chant, toujours intacte. On est quand même loin des Beverly Sills ou Ileana Cotrubas, voire récemment sur cette même scène, Renée Fleming. Tout cela manque et d’épaisseur et d’émotions. Parmi les seconds rôles, Ludovic Tézier (Lescaut) culmine par sa bravoure racée, onctueuse (un rien trop paternel pour le cousin de Des Grieux), comme Rodolphe Briand (fin Guillot de Mortfontaine, vraie incarnation de l’esprit du Paris Louis XV).

 

 

Manon en meneuse de revue

 

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yende bernheim manon massenet bastille critique opera classique newsHĂ©las, le chef Dan Ettinger aborde Massenet comme une rutilante tapisserie nĂ©obaroque, pompe et puissance pompier en prime : les voix sont couvertes, les chĹ“urs saturĂ©s, et la direction privilĂ©gie l’effet sur la respiration. Le ballet nĂ©o Versaillais pĂ©tille et ronfle Ă  souhait façon revue musicale. Quant Ă  la scène oĂą Manon fait la reconquĂŞte de son ex amant devenu abbĂ©, la musique verse des rubans de suavitĂ© sirupeuse. La caricature n’est pas loin. Encore une direction surdimensionnĂ©e qui affecte la perception du Massenet, subtil peintre des sentiments. D’autant qu’à la subtilitĂ© d’un XVIIIè pourtant Ă©lĂ©gant et parisien dans la partition, le metteur en scène de la nouvelle production parisienne, Vincent Huguet, ex collaborateur de Patrice ChĂ©reau, prĂ©fère l’ivresse des AnnĂ©es Folles qui fait de Manon, une meneuse de revue, la vĂ©ritable reine du Paris libĂ©rĂ©. Ce parti pris aux rĂ©alisations Art DĂ©co très esthĂ©tisantes, n’empĂŞche pas confusion et mĂ©li-mĂ©los dans la scĂ©nographie et la lisibilitĂ© de certaines situations (la fin de la courtisane mourante.…). Les inserts de JosĂ©phine Baker (comme si l’on avait pas compris le parallèle Baker / Manon) coupe la continuitĂ© de l’œuvre originelle et finissent par agacer. L’époque est au zapping, au redĂ©coupage, au saucissonage, quitte Ă  dĂ©naturer la partition d’origine. Soit. La production vaut surtout par le duo des chanteurs dans les deux rĂ´les protagonistes. Attention B. Bernheim / P. Yende ne chantent pas sur toutes les dates ; ils sont remplacĂ©s par d’autres solistes. Voir le site de l’OpĂ©ra Bastille afin d’identifier la distribution qui concerne la date requise. Illustrations : photos ONP © J Benhamou

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LIRE aussi notre présentation de MANON de MASSENET
http://www.classiquenews.com/nouvelle-manon-de-massenet-a-bastille/

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VIDEO : voir le teaser MANON de MASSENET / OpĂ©ra Bastille / Yende, Bernheim – mars 2020

https://www.youtube.com/watch?v=1bMXcG8_Nys&feature=emb_logo

 

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DON QUICHOTTE Ă  TOURS

 

Chaliapine dans Don Quichotte 02TOURS, Opéra. MASSENET : Don Quichotte, les 6, 8 et 10 mars 2020. Don Quichotte est fou d’amour pour Dulcinée mais celle-ci est bien trop volage. Le coeur brisé, le pauvre Chevalier devient un objet de moquerie… Heureusement, il peut toujours compter sur son fidèle Sancho. Massenet livre pour l’Opéra de Monte Carlo sa propre vision du Chevalier à la triste figure en fév 1910, avec dans les rôles du Chevalier et de Dulcinée, le légendaire Fedor Chaliapine et Louise Arbell, deux illustres vedettes du chant lyrique au début du siècle. La comédie héroïque est en 5 actes et débute par le défi lancé par Dulcinée à Don Quichotte : elle se réserve pour lui s’il lui restitue un collier dérobé par des brigands… Le Chevalier s’exécute alors en une quête de lui-même, où il guerroie contre les moulins à vent (« Géants cavaliers ») ; retrouve les brigands qui l’enchaînent mais lui restituent le collier, touchés par sa dignité morale (on rêve : depuis quand les escrocs ont des valeurs morales ?). Don Quichotte le rend à Dulcinée qui ingrate, se dérobe mais prend le bijou. A l’agonie, Don Quichotte peut avant de mourir, offrir l’île promise à son fidèle Sancho, et pardonner à la belle arrogante (Dulcinée) qui se repend… En 1910, Massenet intègre les scintillements oniriques et mystérieux voire énigmatiques de Debussy (Pelléas créé en 1902) ; s’il ne résiste pas comme à son habitude et comme Puccini aussi, à peindre un beau portrait de l’héroïne (tous les opéras ou presque de Massenet porte le nom de femmes : Esclarmonde, Thaïs, Manon, Cléopâtre, …), le compositeur brosse du Chevalier un tableau saisissant de vérité et d’humanité… que n’aurait pas renié Cervantès.

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Vendredi 6 mars 2020 – 20hboutonreservation
Dimanche 8 mars 2020 – 15h
Mardi 10 mars 2020 – 20h

Nouvelle production

RÉSERVEZ VOS PLACES
directement sur le site de l’Opéra de TOURS
http://www.operadetours.fr/don-quichotte

Billetterie
Ouverture du mardi au samedi
10h30 Ă  13h00 / 14h00 Ă  17h45

02.47.60.20.20
theatre-billetterie@ville-tours.fr

Samedi 29 fĂ©vrier- 14h30  – ConfĂ©rence
Grand Théâtre – Salle Jean Vilar
Entrée gratuite

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don-quichotte-opera-massenet-critique-annonce-classiquenewsComédie héroïque en cinq actes
Livret d’Henri Cain d’après Le Chevalier de la Longue Figure de Jacques Le Lorrain, inspirĂ© du roman de Miguel de Cervantès – Créée Ă  Monte Carlo le 24 fĂ©vrier 1910

Nouvelle production
Coproduction Opéra de Tours – Opéra de Saint-Étienne

Durée : environ 2h30 avec entracte

Direction musicale : Gwennolé Rufet
Mise en scène : Louis Désiré
Décors & Costumes : Diego Mendez-Casariego
Lumières : Patrick Mééüs

Don Quichotte : Nicolas Cavallier
Dulcinée : Julie Robard-Gendre
Sancho : Pierre-Yves Pruvot
Pedro : Marie Petit-Despierres
Garcias : Marielou Jacquard
Rodriguez : Carl Ghazarossian
Juan Olivier : Trommenschlager
Chef des bandits : Philippe Lebas

Choeur de l’OpĂ©ra de Tours
Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours

 don-quichotte-massenet-opera-critique-annonce-classiquenews-opera-de-tours-classiquenews-fevrier-2020

 

 

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VIDEO

Il existe des pages d’archives de la composition de Chaliapine en Don Quichotte pour le cinéma (PABST, 1933)

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Et aussi une bande d’avril 1927 dans laquelle Fedor Chaliapine incarne Don Quichotte mourant..

https://www.youtube.com/watch?v=ZBmhAdetlnc

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Nouvelle MANON de Massenet Ă  l’OpĂ©ra Bastille

massenet jules portrait classiquenewsPARIS, Bastille : nouvelle MANON de Massenet : 26 fev – 10 avril 2020 – Massenet contrairement Ă  ce qu’il dĂ©clare dans Souvenirs (souvent réécriture idĂ©alisatrice sujette Ă  caution), compose Manon sur une longue durĂ©e Ă  partir du livret de Meilhac et Gille. La composition s’accĂ©lère surtout en 1882, après la crĂ©ation milanaise d’HĂ©rodiade. Du genre opĂ©ra-comique, la partition comporte quelque scènes parlĂ©es, surtout un personnage issu du théâtre comique XVIIIè chantĂ© par un « trial », c’est Ă  dire un tĂ©nor lĂ©ger : le vieux Guillot de Morfontaine qui malgrĂ© son âge avancĂ© en pince pour Manon; mais celle-ci acceptant puis rechignant ses cadeaux exorbitants, ne pourra guère Ă©chapper Ă  la vengeance du vieux satire blessĂ© ; Massenet cite surtout le style français rococo et galant (ballet du Cours la Reine dans un style purement Louis XV et Pompadour). Pour le rĂ´le titre, le compositeur a subtilement mĂŞlĂ© les diverses facettes d’un personnage qui est tout sauf superficiel : attachant. Le rĂ´le exige virtuositĂ© coloratoure et dramatisme intense. Il faut autant exprimer la frivolitĂ© triomphante de la jeune coquette que le dĂ©sarroi sincère de la courtisane coupable et amoureuse…

D’après le roman de l’abbé Prévost (1731), Manon de Massenet précède l’opéra éponyme (Manon Lescaut) de Puccini (1893). Après son opéra, Massenet compose une suite chambriste à Manon, Le portrait de Manon (1894), où il resserre encore son écriture et approfondit sa nostalgie du grand style, mais sur un mode intimiste nouveau, très proche du théâtre.
Dans Manon, première lecture (création à l’Opéra Comique, le 19 janvier 1884), Massenet réinvente le personnage central de la jeune femme, frivole et amoureuse, fragile et trop légère … le rôle est brillamment incarné par les meilleures sopranos de la Belle Epoque: Marie Heilbronn (qui meurt trop tôt à 35 ans en mars 1886), puis Sibyl Sylberson (à partir de 1891 à l’Opéra Comique)…

Massenet soigne le brio des airs solistes: air du rêve de Des Grieux (comme une romance ancienne); grand air brillant et virtuosissime pour la soprano vedette : “je marche sur tous les chemins” (air du Cours La Reine) et depuis lors, emblème de toute coloratoure qui se respecte, là même où a brillé sans pareille, Beverly Sills, sur les traces de la créatrice du rôle, Marie Heilbronn.
Plus que dans Carmen de Bizet, Manon ose des tournures nouvelles, faisant évoluer en permanence l’écriture du discours vocal : air, arioso, drame chanté; la prosodie de Massenet est fine et libre, d’une liberté et d’une invention remarquables. Le grand duo amoureux à Saint-Sulpice où la sirène séductrice reconquiert son ancien amant devenu abbé (!) est l’un des sommets de l’opéra et l’épisode prosodique le plus réussi à ce titre.

 

 

 

 

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PARIS, Opéra Bastille
du 26 février au 10 avril 2020
3h25 avec 2 entractes
Réservez directement vos places sur le site de l’Opéra de Paris
https://www.operadeparis.fr/saison-19-20/opera/manon

La distribution alterne deux équipes : avec Pretty Yende / Amina Edris dans le rôle titre, Benjamin Bernheim / Stephen Costello (le chevalier DesGrieux), Ludovic Tézier (Lescaut)… Dans la nouvelle mise en scène de Vincent Huguet.

 

 

 

 

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Réinventer le style Pompadour….

Massenet en homme du XIXème réinvente le XVIIIè décrit pourtant avec précision par l’Abbé Prévost dans son roman qui se déroule à Paris au début des années 1720… le Cours la Reine est une pure invention du compositeur. Lescaut n’est plus le frère mais le cousin de la belle Manon. Celle-ci ne meurt pas dans le désert américain mais sur la route du Havre et elle a assez de discernement malgré sa fatigue et son épuisement pour, juste avant d’expirer, admirer le diamant de la première étoile du soir…
Avec le tableau du Cours la Reine, véritable image fantasmatique d’un XVIIIè redessiné par Massenet et ses librettistes, le directeur de l’Opéra Comique, Carvalho, mise sur les effets visuels et spectaculaires, grâce aux décors spécialement conçus pour la production: le public venu applaudir Marie Heilbronn dans le rôle de Manon et le célèbre ténor Alexandre Talazac, se passionne pour l’opéra: pas moins de 78 représentations pour la seule année 1884. Un triomphe et l’a confirmation que Massenet reste le plus grand créateur à l’opéra en cette fin du XIXème.

Synopsis
Manon Lescaut fuit à Paris avec le Chevalier des Grieux pour échapper au couvent. Mais les amants sans le sou déchantent vite et dans le Paris de la Régence (devenu l’emblème du style Pompadour dans l’opéra de Massenet), Manon quitte Des Grieux pour vendre ses charmes aux nobles assidus; devenu abbé à Saint-Sulpice, Des Grieux ne peut résister aux avances de son ancienne maîtresse venue le reconquérir… ils se remettent ensemble; il joue et gagne; mais c’est compter sans la vengeance des puissants; Manon est déportée et meurt dans le bras d’un Des Grieux, impuissant.

 

 
PrĂ©sentation de l’Ĺ“uvre par l’OpĂ©ra de Paris :

Lorsque l’abbé Prévost signe en 1731 L’Histoire du chevalier  des Grieux et de Manon Lescaut – qui inspirera à Massenet sa Manon – c’est le tableau d’une époque qu’il nous livre : celle de la Régence, qui voit la vieille société s’éteindre tandis qu’une nouvelle semble naître, pleine de la promesse d’une liberté nouvelle. C’est entre ces mondes qu’évolue Manon, fuyant le couvent pour embrasser les chemins du désir et de la transgression, et se jeter à corps perdu dans une passion brûlante et autodestructrice avec des Grieux. Une parenthèse s’ouvre, qui se refermera dans la douleur et dans la nuit. Le metteur en scène Vincent Huguet s’affranchit du taffetas historique de l’oeuvre pour en faire ressurgir toute la violence.

 

 

 

  

 

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ACTE I - AMIENS

Le vieux Guillot de Morfontaine, entouré de ses maîtresses Poussette, Javotte et Rosette, dîne bruyamment en compagnie de Brétigny. Débarque une foule de voyageurs parmi lesquels la jeune Manon. Elle est accueillie par son cousin Lescaut, chargé de la conduire au couvent. La belle ne passe pas inaperçue et Guillot tente de la séduire en faisant étalage de sa richesse. Lescaut l’éloigne et recommande à Manon de se tenir sage pendant qu’il s’encanaille dans le cabaret voisin. Restée seule, Manon rêve à la vie qu’on lui interdit. L’arrivée du chevalier des Grieux la tire de sa mélancolie : les deux jeunes gens tombent amoureux au premier regard et décident de s’enfuir à Paris.

ACTE II – PARIS

Le jeune couple vit dans un appartement de fortune. Des Grieux lit à Manon la lettre qu’il vient d’écrire à son père dans laquelle il lui annonce son intention de l’épouser. Ils sont interrompus par Lescaut, accompagné de Brétigny que Manon reconnaît immédiatement malgré son déguisement. Un jeu de dupes se met en place : Lescaut prétend se réconcilier avec des Grieux, tandis que Brétigny informe Manon que son amant sera rendu de force à son père le soir même. En échange de son silence, il lui promet de faire d’elle la reine du Tout-Paris. Malgré son amour sincère, Manon accepte le marché et se résigne à changer de vie. Des Grieux s’aperçoit de son trouble, mais il est trop tard : il est enlevé sous les protestations de Manon.

ACTE III – PREMIER TABLEAU LE COURS-LA-REINE

C’est jour de fête au Cours-la-Reine. Poussette, Javotte et Rosette s’amusent en cachette de Guillot tandis que Lescaut fait le joli coeur. Manon fait une entrée très remarquée et proclame devant la foule de ses admirateurs l’urgence de profiter de la jeunesse. Elle surprend une conversation entre Brétigny et le comte des Grieux et apprend que le chevalier a décidé de se retirer du monde et d’entrer au séminaire. Guillot, qui espère séduire Manon et l’enlever à Brétigny, a fait venir pour elle le Ballet de l’Opéra, mais la jeune femme quitte la fête précipitamment pour aller retrouver des Grieux.

ACTE III – SECOND TABLEAU SAINT-SULPICE

Des Grieux vient de prononcer un sermon qui a beaucoup impressionné les dévotes. Son père tente encore une fois de le dissuader d’entrer dans les ordres, mais le jeune homme reste inflexible. Cependant l’arrivée de Manon le trouble au plus haut point. Elle le supplie de lui pardonner sa trahison. Des Grieux est tiraillé entre son désir et ses résolutions. Il finit par céder au charme de Manon et s’enfuit une nouvelle fois avec elle.

ACTE IV – L’HĂ”TEL DE TRANSYLVANIE

Les dépenses de Manon ont épuisé les ressources de des Grieux. Pour se refaire, il se laisse entraîner dans un tripot où Lescaut a ses habitudes. Malgré ses réticences et son dégoût pour les jeux d’argent, il engage une partie avec Guillot dont il rafle les mises coup sur coup. Sa chance insolente irrite son adversaire qui l’accuse de tricherie. Guillot sort en menaçant le couple et revient peu après avec la police qui arrête Manon et des Grieux avec la bénédiction de son père.

ACTE V – LA ROUTE DU HAVRE

Sur une route qui mène vers Le Havre, des Grieux et Lescaut attendent le passage du convoi des filles condamnées à la déportation. Lescaut réussit à acheter la complicité des gardes pour que Manon et des Grieux puissent rester un moment seuls. La jeune femme s’accuse d’avoir gâché leur amour et implore le pardon. Des Grieux la rassure, tente de lui redonner espoir. Mais Manon est trop épuisée. Elle meurt dans ses bras en rêvant à leur bonheur passé.

Opéra-Comique en cinq actes et six tableaux. Musique de Jules Massenet.
Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille d’après le roman de l’abbé Prévost (Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut). Éditions Leduc-Heugel.
Créé à Paris, Opéra-Comique, le 19 janvier 1884.

 

 
 

 

TOURS, Opéra : Nouveau Don Quichotte de Massenet

 

Chaliapine dans Don Quichotte 02TOURS, Opéra. MASSENET : Don QUichotte, les 6, 8 et 10 mars 2020. Don Quichotte est fou d’amour pour Dulcinée mais celle-ci est bien trop volage. Le coeur brisé, le pauvre Chevalier devient un objet de moquerie… Heureusement, il peut toujours compter sur son fidèle Sancho. Massenet livre pour l’Opéra de Monte Carlo sa propre vision du Chevalier à la triste figure en fév 1910, avec dans les rôles du Chevalier et de Dulcinée, le légendaire Fedor Chaliapine et Louise Arbell, deux illustres vedettes du chant lyrique au début du siècle. La comédie héroïque est en 5 actes et débute par le défi lancé par Dulcinée à Don Quichotte : elle se réserve pour lui s’il lui restitue un collier dérobé par des brigands… Le Chevalier s’exécute alors en une quête de lui-même, où il guerroie contre les moulins à vent (« Géants cavaliers ») ; retrouve les brigands qui l’enchaînent mais lui restituent le collier, touchés par sa dignité morale (on rêve : depuis quand les escrocs ont des valeurs morales ?). Don Quichotte le rend à Dulcinée qui ingrate, se dérobe mais prend le bijou. A l’agonie, Don Quichotte peut avant de mourir, offrir l’île promise à son fidèle Sancho, et pardonner à la belle arrogante (Dulcinée) qui se repend… En 1910, Massenet intègre les scintillements oniriques et mystérieux voire énigmatiques de Debussy (Pelléas créé en 1902) ; s’il ne résiste pas comme à son habitude et comme Puccini aussi, à peindre un beau portrait de l’héroïne (tous les opéras ou presque de Massenet porte le nom de femmes : Esclarmonde, Thaïs, Manon, Cléopâtre, …), le compositeur brosse du Chevalier un tableau saisissant de vérité et d’humanité… que n’aurait pas renié Cervantès.

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Vendredi 6 mars 2020 – 20hboutonreservation
Dimanche 8 mars 2020 – 15h
Mardi 10 mars 2020 – 20h

Nouvelle production

RÉSERVEZ VOS PLACES
directement sur le site de l’Opéra de TOURS
http://www.operadetours.fr/don-quichotte

Billetterie
Ouverture du mardi au samedi
10h30 Ă  13h00 / 14h00 Ă  17h45

02.47.60.20.20
theatre-billetterie@ville-tours.fr

Samedi 29 fĂ©vrier- 14h30  – ConfĂ©rence
Grand Théâtre – Salle Jean Vilar
Entrée gratuite

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don-quichotte-opera-massenet-critique-annonce-classiquenewsComédie héroïque en cinq actes
Livret d’Henri Cain d’après Le Chevalier de la Longue Figure de Jacques Le Lorrain, inspirĂ© du roman de Miguel de Cervantès – Créée Ă  Monte Carlo le 24 fĂ©vrier 1910

Nouvelle production
Coproduction Opéra de Tours – Opéra de Saint-Étienne

Durée : environ 2h30 avec entracte

Direction musicale : Gwennolé Rufet
Mise en scène : Louis Désiré
Décors & Costumes : Diego Mendez-Casariego
Lumières : Patrick Mééüs

Don Quichotte : Nicolas Cavallier
Dulcinée : Julie Robard-Gendre
Sancho : Pierre-Yves Pruvot
Pedro : Marie Petit-Despierres
Garcias : Marielou Jacquard
Rodriguez : Carl Ghazarossian
Juan Olivier : Trommenschlager
Chef des bandits : Philippe Lebas

Choeur de l’OpĂ©ra de Tours
Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours

 don-quichotte-massenet-opera-critique-annonce-classiquenews-opera-de-tours-classiquenews-fevrier-2020

 

 

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VIDEO

Il existe des pages d’archives de la composition de Chaliapine en Don Quichotte pour le cinéma (PABST, 1933)

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Et aussi une bande d’avril 1927 dans laquelle Fedor Chaliapine incarne Don Quichotte mourant..

https://www.youtube.com/watch?v=ZBmhAdetlnc

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COMPTE-RENDU, opéra. SAINT-ETIENNE, le 2 fév. 2020. MASSENET, Don Quichotte. Orch. Symph. Saint-Etienne Loire, J. Lacombe/L. Désiré

COMPTE-RENDU, opéra. SAINT-ETIENNE, le 2 fév. 2020. MASSENET, Don Quichotte. Orch. Symph. Saint-Etienne Loire, J. Lacombe/L. Désiré. Nouvelle production du trop rare Don Quichotte de Massenet. Une très belle réussite scénique, malgré un plateau vocal inégal et une direction d’orchestre en demi-teintes. Loin de la vision enjouée et plus délirante de Laurent Pelly avec un José Van Dam impérial pour ses adieux en 2012 à la Monnaie, la lecture de Louis Désiré de l’un des derniers succès de Massenet (créé à l’opéra de Monte-Carlo en 1910 d’après une pièce de l’obscur Jacques Le Lorrain) est au contraire épurée et met l’accent sur l’humanité christique du héros espagnol.

 

 

Un chevalier Ă  la (bien) triste figure

 

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Sur le plateau, un décor d’une grande sobriété : un lit à baldaquin aux tissus fatigués, qui se retrouvera au centre puis sur la gauche de la scène, comme un fil rouge allégorique du songe inabouti de Don Quichotte. Quelques utilisations pertinentes de la vidéo (notamment une projection presque fantastique d’une forêt sombre et inquiétante, s’ouvrant latéralement et constituant ainsi un élément modulable du décor). Superbes costumes rappelant, à travers les fraises, le siècle d’Or espagnol, et des comédiens peinturlurés de blanc, qui imitent tour à tour les géants et un moulin à vent, et que l’on voit à un moment porter sur leur dos des jeunes arbres : l’effet est saisissant ; après les jeunes filles en fleur parsifaliennes, les hommes-arbres de Massenet font sans doute écho au dernier opus du maître de Bayreuth, quand on songe à la dimension christique du livret de Cain, par ailleurs littérairement et dramatiquement assez faible. L’efficacité de la dramaturgie est assurée par une direction d’acteur précise, même si l’on regrette un manque de fantaisie inhérente au protagoniste, et une absence criante de contraste entre Quichotte et son écuyer, personnage pragmatique et terre-à-terre, un peu trop en retrait à notre goût. Les lumières de Marc Méeüs (le rouge sang sur les prétendants de Dulcinée ou la lumière blafarde autour de la forêt) suppléent parfois à la trop grande sobriété de la mise en scène.
La distribution pèche hélas par son manque d’homogénéité et son caractère par trop inégal. Grosse déception du rôle-titre avec un Vincent Le Texier fatigué, à la voix chevrotante, largement à la peine dans les aigus (son grand air du 3e acte « Seigneur, reçois mon âme » est raté), malgré des graves encore bien présents ; de ce point de vue sa sérénade du 1er acte (« Quand apparaissent les étoiles ») lui sied davantage, tout comme les passages en récitatif sollicitant le bas-médium. Dans le rôle de Sancho, Marc Barrard est impeccable vocalement, malgré un jeu scénique qui manque de dynamisme. Lucie Roche est en revanche magistrale dans le rôle exigeant de Dulcinée : voix d’airain superbement projetée, diction sans faute et belle présence scénique qu’exige son personnage volage et coquette : sa romanesca antica du 4e acte (« Lorsque le temps d’amour a fui ») fait merveille. Les rôles secondaires sont très bien tenus : le Pedro de Julie Mossay, le Garcias de Violette Polchi ne déméritent guère, et la belle voix de baryton de Frédéric Cornille (dans le rôle de Juan) et le ténor affirmé et solide de Camille Tresmontant (dans celui de Rodriguez) ravissent presque la palme aux deux protagonistes. Les chœurs, très bien dirigés par Laurent Touche, convoqués dès la scène liminaire de l’opéra, n’appellent aucune réserve.
Dans la fosse, la direction de Jacques Lacombe déçoit également. Une direction bien pâle, peu attentive aux raffinements de l’orchestration, accentuant au contraire les tournures folklorisantes des « espagnolades », notamment au 4e acte, au lieu de les atténuer. Une production en demi-teinte qui n’enlève pas le plaisir d’entendre cette œuvre très belle, bien que musicalement inégale, trop rarement représentée. Illustrations : © Cyrille Cauvet / Opéra de Saint-Étienne, service de presse.

 
 

 

Massenet don quichotte saint etienne texier critique opera classiquenews

  

 
 

 

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Compte-rendu critique. Opéra. SAINT-ETIENNE, MASSENET, Don Quichotte, 2 février 2020. Vincent Le Texier (Don Quichotte), Lucie Roche (Dulcinée), Marc Barrard (Sancho), Julie Mossay (Pedro), Violette Polchi (Garcias), Frédéric Cornille (Juan), Camille Tresmontant (Rodriguez), Ismaël Armandola, Pier-Yves Têtu (Domestiques), Frédéric Foggieri, Bradassar Chanian (Brigands), Adrien Chambarella, Maxence Lemarchand, Marc Piron, Pierre Vandestock (comédiens), Louis Désiré (mise en scène), Diego Mendez Casariego (décors et costumes), Blai TOMAS Bracquart (vidéo), Jean-Michel Criqui (assistant à la mise en scène), Marc Méeüs (lumières), Laurent Touche (chef de chœur), Chœur lyrique Saint-Etienne Loire, Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, Jacques Lacombe (direction)

  

 

 

BD, critique. THAÏS : Guy Delvaux / Antonio Ferrara, d’après l’opéra de Massenet. Editions Kifadassé

CLIC D'OR macaron 200BD, critique. THAÏS : Guy Delvaux / Antonio Ferrara, d’après l’opéra de Massenet. Editions Kifadassé. Souvent, quoiqu’on en dise, les livrets d’opéras sont dignes d’un bon scénario cinématographique. Prenez le cas de Thaïs, ouvrage de Jules Massenet, compositeur postromantique qui marque l’Opéra de Paris à la fin du XIXè. Le drame créé en 1894 s’inspire lui-même d’Anatole France, d’où sa très solide structure narrative. L’éditeur belge Kifadassé réinvente la BD et l’accès au lyrique en inaugurant ainsi une nouvelle collection qui met l’accent sur l’intrigue captivante des opéras célèbres (Collection « Si l’opéra m’était dessiné »). A venir après Thaïs, deux nouveaux ouvrages annoncés sur Alcina (de Haendel) et Norma (de Bellini).

thais-si-lopera-metait-conté-kifadasse-bd-opera-critique-annonce-opera-critique-classiquenewsIcône d’Alexandrie, Thaïs est incarnation de la volupté la plus lascive, provocante, adorée, entretenue par le dilettante obsessionnel, Nikias ; face à elle, le moine Athanaël que son amour pour la belle courtisane, prêtresse de Vénus, submerge. Et voilà plantée la situation de départ… L’une des plus captivantes à l’opéra car Massenet traite musicalement d’un mouvement de bascule croisé, à l’évolution progressive inversée : à mesure que la courtisane pécheresse se voue à Dieu, le moine ne peut écarter sa propre volupté et son désir charnel pour la superbe créature. D’un côté la grande pécheresse d’Alexandrie devient une sainte ; de l’autre, le moine cénobyte tombe dans le gouffre du désir charnel… Amour divin, amour lascif s’entrechoquent en une rencontre au destin opposé.
Au centre de ce parcours qui ébranle deux cœurs exacerbés, la fameuse « Méditation », joué à l’opéra au violon et qui sur le plan dramatique, indique la transformation de Thaïs, de sirène à pieuse… dans la BD, la beauté égyptienne se coupe les cheveux.
Le dessin aigu, acéré (Antonio Ferrara) souligne les arêtes de ce conflit intérieur qui déchire les âmes. L’Egypte scandaleuse (avec citation de l’art égyptien du Nouvel Empire), l’aridité brûlante du désert où se devine aux confins éblouissants le couvent des filles blanches, jusqu’au tumulte des adorateurs d’une vie de débauche au cœur d’Alexandrie, véritable Babylone obscène (foule et danseurs à la fin de l’acte II), … tout est scrupuleusement évoqué, exposé avec une lumineuse clarté. Jusqu’à la couverture dont le dessin linéaire et aigu là encore fait crisser le brûlant désir du moine pour la déesse incarnée : il est nu, démuni, terrassé par ce désir qui l’embrase. Superbe album.

 

 

 

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BD, critique. THAĂŹS : Guy Delvaux / Antonio Ferrara, d’après l’opĂ©ra de Massenet. Editions KifadassĂ© – Collection « Si l’opĂ©ra m’était dessiné »… (parution : dĂ©but dĂ©cembre 2019). CLIC de CLASSIQUENEWS. A suivre : Alcina (de Haendel) et Norma (de Bellini).

 

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Editeur : Kifadassé
Titre : ThaĂŻs
Collection : Si l’opéra m’était dessiné…
Auteurs : Guy Delvaux / Antonio Ferrara
Format : 22 x 29 cm
Nombre de pages : 60
Reliure : Cartonné
Poids : 550 g
Prix public : 24,90 €
EAN : 9782931035009
CLIL : 3772 – Parution : 28 novembre 2019

 

 

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DVD, critique. MASSENET : MANON par K MacMillan – Lamb, Muntagirov, Yates (Opus Arte, 2018)

MANON-MCMILLAN-DVD-opus-ARTE-lamb-muntagirov-review-critique-danse-dvd-opera-classiquenewsDVD, critique. MASSENET : MANON par K MacMillan – Lamb, Muntagirov, Yates (Opus Arte, 2018). Inusable poĂ©tique de McMillan… Sir Kenneth MacMillan a marquĂ© les esprits par sa maĂ®trise du dramatisme, sachant revivifier la force Ă©motionnelle de sujets et mythes, tels Romeo et Juliette (1965 oĂą s’imposa Noureev, jeune pilier d’une Margot Fonteyn Ă  plus de 50 ans) ou la comĂ©die dramatique Mayerling (1978). Sa sensibilitĂ© narrative qui reste expressive et Ă©lĂ©gante s’est affirmĂ©e dès 1973 lors de sa crĂ©ation Ă  Covent Garden (avec Anthony Dowell et Antoinette Sibley, duo mythique du Royal Ballet) dans son inusable Manon (de son titre complet « L’histoire de Manon »), d’après Massenet (c’est Ă  dire ses opĂ©ras mais pas sa Manon contradictoirement). Comme John Cranko quand il s’empare de l’histoire d’OnĂ©guine (pas une note de l’opĂ©ra Ă©ponyme de Tchaikovski) MĂŞme si la fameuse scène Ă  Saint-Sulpice oĂą la courtisane Manon parvient Ă  sĂ©duire et reconquĂ©rir DesGrieux devenu abbĂ©, a Ă©tĂ© supprimĂ©e, McMillan trouve le ton juste, rĂ©alise avec mesure et Ă©quilibre le thème de l’amour contraint et finalement triomphant dans la mort; l’écriture narrative de McMillan, par sa clartĂ© et sa poĂ©sie – bel effet d’un Ă©quilibre maĂ®trisĂ©, a depuis influencĂ© dans cette mouvance dramatique, les Crnako donc, surtout John Neumeier, a contrario d’un BĂ©jart plus abstrait, et allĂ©gorique voire conceptuel. Jamais Ă©pais voire saint-sulpicien, McMillan prĂ©serve toujours une finesse psychologique admirable dont la Dame aux camĂ©lias de Neumeier est lui aussi redevable.

manon-500x333Sur les traces du roman de l’abbé Prévost (1731), la place majeure est réservée à la ballerina Sarah Lamb, Manon un peu sage cependant, qui devrait déployer une caractérisation riche, complexe, à multiples facettes : lolita écervelée, jouisseuse manipulant ses protecteurs, adoratrice de bijoux et de diamants (II) ; surtout dans la mort, agonisante, amoureuse sincère et jusqu’auboutiste, dans une plaine perdue de Louisiane (III) : peu à peu ce que révèle McMillan c’est l’évolution du personnage qui à mesure qu’il perd son insouciance gagne en humanité et en profondeur pour se consumer totalement. Le DesGrieux de Vadim Muntagirov assoit la forte conviction de cette production de 2018 : c’est un partenaire très solide aux côtés de Sarah Lamb, liane sensuelle, féminine jusqu’aux bouts de ses chaussons. Face à eux, agent du destin, qui rappelle toujours les deux cœurs trop jeunes et crédules à leur sort tragique, le Lescaut de Ryoichi Hirano s’impose par sa profondeur et la justesse du personnage.
CLIC_macaron_2014Dans la fosse, Martin Yates souligne les couleurs et les accents divers de la partition collectée par Leighton Lucas, qui reprend nombre de partitions extraites des opéras de Massenet. La version utilisée bénéficie d’une réorchestration réalisée par Yates en 2011. Plus de 40 après sa création, cette Manon de McMillan d’après Massenet n’a perdu aucun de ses charmes musicaux comme chorégraphiques. Un jalon classique et essentiel pour toute collection chorégraphique.

 

 

 

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Distribution :
Manon – Sarah Lamb
Des Grieux – Vadim Muntagirov
Lescaut – Ryoichi Hirano
Monsieur G.M. – Gary Avis
Lescaut’s Mistress – Itziar Mendizabal
Madame – Kirstin McNally
The Gaoler – Thomas Whitehead
Beggar Chief – James Hay
Courtesans – Fumi Kaneko, Beatriz Stix-Brunell, Olivia Cowley, Mayara Magri

Production:
Orchestration – Martin Yates (2011)
Choreography – Kenneth MacMillan
Staging – Julie Lincoln and Christopher Saunders
Designs – Nicholas Georgiadis
Lighting design – John B. Read

 

 

 

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DVD, critique. MASSENET : MANON par K MacMillan – Lamb, Muntagirov, Yates (Opus Arte, 2018) – Corps de Ballet du Royal Ballet, Orchestre de the Royal Opera House / Martin Yates, direction.

Illustration : © Alice Pennefather

 

 

 

 

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CD, critique. LA TOMBELLE : mĂ©lodies, musique de chambre, chorale et symphonique (3 cd Bru Zane – Coll « Portraits », vol 5 – 2017 – 2018)

TOMBELLE fernand classiquenews bru zane cd critique presentation annonce review cd classiquenews Portraits-La-Tombelle-Bru-ZaneCD, critique. LA TOMBELLE : mĂ©lodies, musique de chambre, chorale et symphonique (3 cd Bru Zane – Coll « Portraits », vol 5 – 2017 – 2018). FOCUS sur un nĂ©oclassique, Ă©lève de Dubois, grand admirateur du Moyen-Age et de lettres grĂ©co-romaines… Pianiste et organiste fervent, grâce Ă  â€encouragement de sa mère, le jeune Fernand de la Tombelle, nĂ© en 1854, enrichit son idĂ©al esthĂ©tique par l’assimilation de la culture et des rĂ©fĂ©rences poĂ©tiques lĂ©guĂ©es par Rome et la GrĂŞce antique. Quand il faut, Ă  19 ans, surmonter le choc traumatique de la disparition brutale du père, l’art est un rempart solide, voire une ressource inĂ©puisable pour se construire. Dans l’hĂ´tel parisien maternel, rue Newton, le compositeur Ă©crit pour chaque Ă©vĂ©nement familial ou amical, pièce de musique de chambre, mĂ©lodies, un peu Ă  la manière de Schubert et de ses schubertiades… les « Tombelliades » pourraient ainsi dĂ©signer une riche et rĂ©gulière vie mondaine et musicale, comme dans le PĂ©rigord, dans le château de Fayrac, La Tombelle compose Ă  la manière mĂ©diĂ©vale, instituant des « Cours d’amour » dans le sillon des poètes et troubadours du Languedoc. La Tombelle participe avec Guilmant et d’Indy Ă  la crĂ©ation de la schola Cantorum (1894), Ă  Paris.

C’est dans ses terres languedociennes que le compositeur à partir de 1895, éloigné de son épouse, se retire avec son fils, en un repli identitaire renforcé après la mort de sa mère. Mais La Tombelle poursuit son enseignement de l’harmonie à la Schola jusqu’en 1904. Le père a le goût de la transmission dont profitent ses propres enfants, mais aussi les habitants du village proche de Sarlat (conférences, concerts où il joue de la vielle, rencontres à « l’école des Frères »…). Perfectionniste dans l’âme, et idéaliste, La Tombelle cultive un style très imagée qui s’appuie sur les poèmes qu’il a pris soin de rédiger lui-même. Il s’éteint en 1928.
Fernand_de_La_Tombelle_1890_(2)Pour son volume 5 de la collection « Portraits », après Gouvy, Dubois, JaĂ«ll, FĂ©licien David, voici donc un livre disque monographique dĂ©diĂ© Ă  l’art musical du languedocien, Fernand de La Tombelle. On y (re)dĂ©couvre les pièces de La Tombelle, sa musique de chambre dont les mĂ©lodies, mais aussi chorale et symphonique. Les enregistrements ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sur deux ans (2017 – 2018) ; y paraissent ainsi un Ă©ventail large et significatif de l’écriture du compositeur, emblĂ©matique de l’éclectisme entre les deux siècles XIXè et XXè : Fantaisie pour piano et orch (1888), Impressions matinales, Livre d’images (CDI) ; Suite pour violoncelle, Quatuor avec piano (1894) ; musiques pour choeur (CDII) ; MĂ©lodies, Pages d’amour (Yann Beuron / Jeff Cohen), Sonate pour violoncelle, Fantaisie ballade pour harpe Ă  pĂ©dales (CDIII). Soucieux d’équilibre et d’expression mesurĂ©e, La Tombelle dĂ©veloppe un art marquĂ© par son professeur ThĂ©odore Dubois (1837 – 1924) qui pratique un dramatisme sĂ©duisant et accessible comme un suiveur de l’incontournable compositeur lyrique d’alors, Jules Massenet (1842 – 1912). La Tombelle fut d’ailleurs un proche de l’auteur de Manon. Ses pages pour orchestre, symphoniques pures ou concertantes n’évitent pas comme chez Dubois, un Ă©lan parfois Ă©perdu, clinquant ; mais ses mĂ©lodies, concevant et le texte et la musique, expriment un idĂ©al mieux abouti, plus naturel et portĂ© par une Ă©vidente sincĂ©ritĂ©. Belle rĂ©vĂ©lation.

LIEGE : L’ORW affiche DON QUICHOTTE d’après Massenet

Don-quichotte-opera-royal-de-wallonie-mars-2019-annonce-critique-operaLIEGE, ORW. DON QUICHOTTE : 12 – 17 mars 2019. L’OpĂ©ra de Liège n’oublie pas les jeunes spectateurs ni leurs parents. Librement inspirĂ© de l’opĂ©ra de Massenet, lui-mĂŞme adaptant le mythe lĂ©guĂ© par Cervantès, le spectacle Don Quichotte prĂ©sentĂ© par l’ORW OpĂ©ra Royal de Wallonie Ă  Liège, est participatif et surtout destinĂ© au jeune public (dès 6 ans) : occasion idĂ©ale, littĂ©ralement enchanteresse, afin d’éveiller les plus jeunes Ă  l’onirisme singulier du monde de l’opĂ©ra. La nouvelle production relit le sujet de Don Quichotte avec originalitĂ© et clarification : … « L’ingĂ©nieux Don Quichotte lit jour et nuit des romans de chevalerie qui le transportent dans une vie imaginaire. Faisant de Sancho son serviteur, il part avec Rossinante, son vieux cheval, Ă  la conquĂŞte de DulcinĂ©e, la Dame de coeur. Pour elle, il veut sauver le monde. Mais les rĂŞves extravagants de Don Quichotte se fracassent contre la rĂ©alitĂ©, le laissant, de bataille en bataille, un peu plus cabossé… » La nouvelle production dresse le portrait d’un pauvre hidalgo (petit noble), passionnĂ© de romans chevaleresques, au point de se prendre lui-mĂŞme, par la force de son imagination, pour un chevalier valeureux et conquĂ©rant ; il invente ses propres aventures, Ă©chafaude dĂ©fis et exploits, voudrait ĂŞtre digne et admirĂ© pour conquĂ©rir la belle DulcinĂ©e, la dame de son cĹ“ur.

Emblématique de la littérature espagnole baroque, Don Quichotte de la Manche, est un héros picaresque (pîcaro / misérable mais fûté), d’essence populaire dont l’activité s’inscrit dans le rêve et la parodie ; Cervantès a conçu son roman éponyme en traitant le thème du chevalier errant, solitaire, un rien allumé et délirant, que la sincérité de sa folie, rend touchant, très humain. Il n’a rien, n’est personne mais ne manque ni de courage ni de ressource ; il aspire à l’absolu et l’idéal chevaleresque, c’est à dire servir le Bien et le Beau, pour être couvert de gloire et d’amour.

Préparé par leurs parents ou leurs professeurs, les jeunes spectateurs ont le loisir de chanter plusieurs chansons pendant le spectacle (à partir du CD reprenant les chants participatifs et fiche pédagogique) ; Ils sont dirigés par le chef d’orchestre et/ou les artistes chantent avec eux :

https://www.operaliege.be//content/uploads/2019/01/fiche_p%C3%A9dagogique_Don_Quichotte_compressed.pdf

L’Opéra Royal de Wallonie-Liège a commandé cette nouvelle production d’un opéra participatif pour jeune public dès six ans, librement inspiré de l’œuvre de Jules Massenet. Mis en scène et adapté par Margot Dutilleul et Laurence Forbin sur une musique arrangée par Julien Le Hérissier, Don Quichotte sera dirigé par le jeune chef d’orchestre belge Ayrton Desimpelaere.

Le baryton-basse Roger Joakim (Don Quichotte), le baryton Patrick Delcour (Sancho) et la mezzo-soprano Alexise Yerna (Dulcinée) donneront du 12 au 17 mars 2019 vie aux mythiques personnages de Cervantes et à la musique de Massenet, lors de trois représentations publiques et de sept séances scolaires.

 
 
 
 
 
 

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Don Quichotte, d’après Jules Massenetboutonreservation
Du 12 au 17 mars 2019
LIEGE, OPERA ROYAL DE WALLONIE
Opéra participatif pour jeune public à partir de 6 ans
Nouvelle production – Commande de l’OpĂ©ra Royal de Wallonie-Liège

RESERVEZ VOTRE PLACE
https://www.operaliege.be/spectacle/don-quichotte/

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Au total, une nouvelle production comprenant 10 représentations destinées à un très large public :

Séances tout public / OPÉRA ROYAL DE WALLONIE à Liège :
Mercredi 13 MARS 2019 – 18h
Samedi 16 MARS 2019 – 18h
Dimanche 17 MARS 2019 – 15h

Séances scolaires :
Mardi 12 MARS 2019 – 10h & 13h30
Mercredi 13 MARS 2019 – 10h
Jeudi 14 MARS 2019 – 10h & 13h30
Vendredi 15 MARS 2019 – 10h & 13h30

Palais des Beaux-Arts de Charleroi :
Vendredi 5 AVR. 2019 – 10h30 et 13h30
Samedi 6 AVR. 2019 – 20h
Dimanche 7 AVR. 2019 – 16h

RESERVEZ VOTRE PLACE Ă  CHARLEROI

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Ayrton Simpelaere dirige cette nouvelle production d’après Don Quichotte de Jules Massenet (DR)

 
 
 

 
 
 

COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler

COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, Théâtre Graslin, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler. C’est une nouvelle (et belle) production que nous présente Angers Nantes Opéra en ce mois de décembre 2018 : une manière élégante et vocalement solide de souligner la veine merveilleuse d’un Massenet méconnu, qui souhaite dans les faits, « Bercer » par la fable, retrouver son âme d’enfant, diffuser l’onirisme du songe, la poésie du rêve… ainsi que nous le dit Pandolphe en bord de scène, dans son récit d’ouverture comme préalable au spectacle.

Mais il n’y est pas uniquement question du rĂŞve. Massenet ajoute aussi l’Ă©lan amoureux, cette passion sensuelle naissante qui colore effectivement chaque duo entre Lucette / Cendrille et son prince, sous le regard complice et protecteur de la bonne fĂ©e, marraine de la jeune femme ; d’ailleurs les trois forment Ă  deux reprises un trio rĂ©ellement enchanteur. On ne cesse de penser au compositeur alors saisi par le charme, – Ă©pris mĂŞme-, de la soprano Julia Giraudon, qui remplace la cĂ©lèbre crĂ©atrice de Carmen, Emma CalvĂ©, au dĂ©part pressentie pour le rĂ´le-titre. Chaque duo Cendrille / Le Prince est ainsi traversĂ© par un dĂ©sir ardent, juvĂ©nile, d’une irrĂ©pressible aspiration, tĂ©moignage autobiographique de cette passion qui Ă©lectrise Massenet lui-mĂŞme en 1899.

 
 
 

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ROI STATUE ET PRINCE DEPRESSIF… Si le tableau d’ouverture est un peu sage voire confus : on ne comprend pas bien ce qu’est cette « chose » en fil de fer rose (???) au dĂ©but du spectacle… (qui traverse l’ensemble du dĂ©cor comme si elle en dĂ©coupait la paroi blanche), l’immersion dans le rĂŞve nĂ©anmoins se rĂ©alise très vite affirmant son univers onirique parfois surrĂ©aliste… ainsi le tableau oĂą paraĂ®t le prince, juchĂ© sur un chapiteau corinthien inversĂ©, emblème de son dĂ©sĂ©quilibre intĂ©rieur manifeste : il ne veut rien faire, surtout pas participer au dĂ©filĂ© des filles de la noblesse que son père a dĂ©cidĂ© pour qu’il trouve Ă©pouse. Parlons du roi justement : il appartient au monde des lĂ©gendes, caricatural et dĂ©jantĂ© : une icĂ´ne statufiĂ©e, dĂ©bout / assis, tout amidonnĂ©e dans son ample manteau royal : truculent Olivier Naveau.
Concernant le Prince mĂ©lancolique voire dĂ©pressif… il faut bien toute la couleur du timbre grave de Julie Robard-Gendre pour exprimer un mal-ĂŞtre certain, ce moelleux maladif. Jusqu’Ă  ce que paraisse  Lucette / Cendrille dans sa robe blanche (de style Empire). Et les sens du jeune homme se rĂ©veillent soudainement (Massenet tout enamourĂ© de sa belle et jeune Julia ?).


CENDRILLON ENIVRÉE… Dans le rĂ´le-titre Rinat Shahan ici mĂŞme Ă©coutĂ©e en Octavia tragique et dĂ©sespĂ©rĂ©e (Le Couronnement de PoppĂ©e de Monteverdi), incarne une jeune femme angĂ©lique et volontaire, dont la couleur vocale fait tout le charme d’un chant simple, fluide, lumineux. Un angĂ©lisme ardent et sincère qui certes ne maĂ®trise pas encore parfaitement l’intelligibilitĂ© de notre langue mais reste toujours très juste ; il n’y a guère que le baryton emblĂ©matique François Le Roux qui rĂ©ussisse parfaitement l’exercice : son Ă©locution est exemplaire avec ce ton inspirĂ©, hallucinĂ©, des grands diseurs. Le chanteur donne du corps Ă  ce Pandolphe, vraie pantoufle domestique, passive et soumise… qui finit mĂŞme par agacer tant il demeure attachĂ© Ă  sa nouvelle femme, la comtesse de La Haltière (la britannique Rosalind Plowright, dragon rageur et haineux, qui a presque 70 ans, dĂ©ploie une prĂ©sence scĂ©nique totale, dramatique et … sonore, vraie marâtre dĂ©testable).

On sait Alain Surrans très soucieux de cohĂ©sion dramatique, y compris dans la dĂ©fense des Ĺ“uvres mĂ©connues ; le nouveau directeur d’Angers Nantes OpĂ©ra apprĂ©cie particulièrement les contes, prĂ©cisĂ©ment leur force poĂ©tique capable de nous parler encore aujourd’hui, dĂ©voilant des thèmes qui font Ă©cho Ă  notre actualitĂ©.
C’est assurĂ©ment le cas de Cendrillon de Massenet dont la figure courageuse de Lucette / Cendrille rappelle combien la dĂ©sobĂ©issance et la volontĂ© de croire Ă  ses sentiments sont majeurs pour toute Ă©mancipation.

 
 
  
 
 

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On Ă©mettra quelques rĂ©serves nĂ©anmoins dans cette nouvelle production. Bien des aspects de la partition surtout son livret, restent marquĂ©s par cette mièvrerie fleurie, typique de l’extrĂŞme fin du XIXème ; les rĂ©fĂ©rences Ă  la nature, le sujet de cet « avril printanier » Ă©voquĂ©s Ă  plusieurs reprises, par Lucette et son père (et jusqu’au couple que le père Ă©voque avec sa fille comme celui « d’amoureux » en promenade…) laissent un rien perplexe. On en regretterait les bienfaits de l’actualisation. Il y avait beaucoup de jeunes dans la salle ce soir Ă  Nantes : pas sĂ»r que la majoritĂ© adhère Ă  un art ainsi dĂ©modĂ© voire affectĂ© par des tournures d’un autre temps qui rĂ©duisent aujourd’hui la force de l’action. AssurĂ©ment quelques coupures eussent Ă©tĂ© bĂ©nĂ©fiques.

ESSOR ONIRIQUE… Quoiqu’il en soit, ne boudons pas notre plaisir. Le spectacle rĂ©alise en maints endroits la volontĂ© onirique de Massenet. Son invitation Ă  retrouver notre âme d’enfant prend forme et se rĂ©alise. Les deux tableaux oĂą paraĂ®t la fĂ©e (suave et agile Marianne Lambert malgrĂ© les redoutables arches coloratoure de sa partie), la première fois dans sa baignoire / nacelle, permettant Ă  Lucette d’aller au bal ; quand elle trĂ´ne enfin, en dĂ©esse sylvestre, parmi les chĂŞnes, … sont très convaincants.

Parmi les sĂ©quences les plus marquantes, ce sont bien les duos entre Cendrille et le Prince qui sont les plus inspirĂ©s (moins le couple du père et de sa fille : Pandolphe / Lucette). L’union des nouveaux amants, en particulier dans le tableau du bal (première rencontre) puis dans celui de leurs retrouvailles au pied du chĂŞne des fĂ©es, illustre ce Massenet inspirĂ©, – dans la lignĂ©e de Gounod, Ă©perdu et tendre, – entre dĂ©votion partagĂ©e et profondeur Ă©motionnelle ; quand par exemple dans leur premier Ă©moi, Cendrille avoue sa dĂ©votion immĂ©diate et totale Ă  l’ĂŞtre tout juste rencontré … On est proche de ce ravissement dont Massenet a dĂ©jĂ  Ă©laborĂ© l’expression dans Manon Ă©videmment (rĂ©fĂ©rence Ă  « la main presse »), composĂ©e 5 ans auparavant (1884).

 
 
 

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Manon est finalement une source maintes fois citĂ©e ou exploitĂ©e ici, ne serait ce que dans le parfum nĂ©o baroque, propre Ă  ce “classicisme XIXème », de l’ouverture ; Ă©galement dans l’esprit Grand Siècle des ballets qui citent toujours Manon (cf. le tableau de l’OpĂ©ra dans l’opĂ©ra). Saluons enfin danseurs et membres du Choeur d’Angers Nantes OpĂ©ra ; souvent très drĂ´le, la transposition que rĂ©alise le noyau des 5 danseurs du Centre ChorĂ©graphique national de Nantes, dans la chorĂ©graphie d’Ambra Senatore : ils emmènent avec eux les choristes maison dont le talent et la volontĂ© du jeu se rĂ©vèlent et s’affirment bel et bien, de production en production, avec chez certains, une claire rĂ©fĂ©rence Ă  Charlie Chaplin.
Enfin en fosse, l’ONPL, dirigé par Claude Schnitzler, s’il sonne dur et court en début de spectacle, se déploie plus onctueux et suggestif à mesure que l’action réalise ce passage du réel au rêve. Et vice versa. Convaincant.

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COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler - Encore à l’affiche au Grand Théâtre d’Angers, pour 3 représentations incontournables, les 14, 16 et 18 décembre 2018.

http://www.angers-nantes-opera.com/la-programmation-1819/cendrillon

LIRE aussi notre présentation annonce de la nouvelle Cendrillon présentée par Angers Nantes Opéra en décembre 2018
http://www.classiquenews.com/nouvelle-cendrillon-de-massenet-a-nantes-et-a-angers/

 
 
 

PROCHAINES productions Ă  ne pas manquer Ă  NANTES : Un Bal masquĂ© de Verdi (13 mars – 6 avril 2019)
A Nantes puis Angers : Le Vaisseau FantĂ´me de Wagner, 3 mai – 13 juin 2019

 
 
 
Illustration : Marianne Lambert (la fĂ©e) apparaĂ®t Ă  Lucette / Cendrille (DR – Angers Nantes OpĂ©ra – JM Jagu 2018  
 
   
 
 

Nouvelle Cendrillon de Massenet Ă  Nantes et Ă  Angers

Massenet jules cherubin Jules_Massenet_portraitANGERS NANTES OpĂ©ra. MASSENET : Cendrillon. Jusqu’au 18 dĂ©c 2018. Créé en 1899 Ă  l’OpĂ©ra Comique Ă  Paris, Cendrillon illustre la rĂ©ussite de Massenet dans le genre onirique et “merveilleux”. Le peintre des femmes souvent sublimes et fortes, mais aussi fragiles, ardentes, toujours passionnĂ©es (Manon, ThĂ©rèse, Sapho, HĂ©rodiade, ThaĂŻs, Ariane, sans omettre… Esclarmonde ou ClĂ©opâtre). Ici Cendrillon affirme un tempĂ©rament aussi volontaire et courageux que son père (Pandolphe) est… faible et soumis. Si l’opĂ©ra Notre-Dame de Paris fut Ă©crit uniquement pour des voix masculines, Cendrillon semble offrir un  pendant inversĂ© : Massenet favorise ici une large palette de timbres fĂ©minins. MĂŞme le prince est un rĂ´le travesti, confiĂ© Ă  un mezzo-soprano, charnel et large (dont la gravitas cependant sensuelle et amoureuse exprime au dĂ©but l’âme mĂ©lancolique d’un garçon qui s’ennuie ferme).
Massenet exploite du sujet, son prétexte onirique : il y est question de rêve et de songe, d’où sa couleur majoritairement merveilleuse (quand les deux amoureux, le prince et Cendrillon s’endorment au pied du chêne des fées à l’acte III). Pour se faire, les ballets prolongent l’atmosphère enivrée de l’action, mais sans les tutus règlementaires : le compositeur avait exprimé sa préférence pour cette touche de « modernité ».
Le romanesque amoureux évite l’artifice : Massenet trouve le ton et les mélodies justes. Dans la jeune cantatrice Julia Giraudon, qui remplace la célèbre créatrice de Carmen (Emma Calvé, au départ choisie pour la création), le compositeur a trouvé son interprète idéale pour Cendrillon : n’est-il pas lui aussi amoureux de sa nouvelle conquête ? Les qualités de cet opéra méconnu de Massenet, sauront-elles séduire les spectateurs nantais et angevins de 2018 ? En décembre 1900, pour sa création nantaise, si le public avait répondu présent (aux 17 représentations), les critiques restèrent de glace devant une « oeuvre industrielle », « au néant complet absolu ». Au moins, il y a plus de cent ans, on ne mâchait pas ses mots…

 

 

En dépit de sa marâtre, la Haltière (comtesse aussi sotte que vaniteuse comme ses filles, Noémis et Dorothée), la souillon, Lucette, dite Cendrillon ou Cendrille, grâce à la complicité de la fée sa marraine, se présente dans une robe somptueuse au bal (acte I) qu’offre le roi pour permettre à son fils, le prince charmant de trouver femme. Cendrillon fascine le prince (acte II) mais elle doit partir avant minuit, sans qu’il sache son nom : seul le soulier de vair que le jeune fille a laissé dans son départ précipité, peut l’aider à la retrouver.
Dans le logis, après le bal, Cendrillon est à nouveau humiliée par La Haltière et ses filles ; les deux amoureux peuvent néanmoins se retrouver au chêne des fées : ils s’endorment unis (acte III).
Entre rêve et réalité, Cendrillon s’interroge sur ce qu’elle a vécu : est ce réel ou un rêve ? On annonce bientôt que le prince convoque toutes les jeunes femmes du royaume pour retrouver sa belle inconnue… Dans la cour d’honneur du palais, Cendrillon retrouve le prince qui l’a reconnaît aussitôt. La Haltière s’en émeut (acte IV).

 

 

 

 

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NANTES THÉÂTRE GRASLIN
Novembre 2018
dimanche 25 Ă  16h
mardi 27 Ă  20h
jeudi 29 Ă  20h
Décembre 2018
dimanche 2 Ă  16h
mardi 4 Ă  20h

ANGERS GRAND THÉÂTRE
Décembre 2018
vendredi 14 Ă  20h
dimanche 16 Ă  16h
mardi 18 Ă  20h

RESERVEZ VOTRE PLACE 

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Opéra en 4 actes et 6 tableaux sur un livret d’Henri Cain et Paul Collin
Créé le 24 mai en 1899 à l’Opéra-Comique à Paris

En famille Ă  partir de 10 ans
Opéra en français avec surtitres
Durée estimée : 2h40 avec entracte

Nouvelle production Angers Nantes Opéra
Coproduction Angers Nantes Opéra, Opéra de Limoges, Opéra de Trèves

Cendrillon : Rinat Shaham
Le Prince : Julie Robard-Gendre
Pandolphe : François Le Roux
Madame de la Haltière : Rosalind Plowright
La Fée : Marianne Lambert
Noémie : Marie-Bénédicte Souquet
Dorothée : Agathe de Courcy
Le Doyen de la faculté : Vincent Ordonneau
Le Roi : Olivier Naveau

 

 

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Nos commentaires sur les chanteurs : la distribution est un argument de poids pour la réussite de cette nouvelle production. Saluons les solistes Rinat Shahan qui fut sur les mêmes planches une OCTAVIA sulfureuse et tragique dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi ; Julie Robard-Gendre qui incarnait Orphée de Gluck version Berlioz sur les mêmes lieux, et dans la rôle de la bonne fée, la suave et diseuse inspirée, Marianne Lambert, québécoise de charme et de subtilité que nous avions remarquée lors du Concours de chant de Clermont-Ferrand en 2017.

Direction musicale : Claude Schnitzler
Mise en scène, décors, costumes et lumières : Ezio Toffolutti
Chorégraphie : Ambra Senatore

 

 

 

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NOTRE CRITIQUE DU SPECTACLE

 

 

COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, Théâtre Graslin, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler. C’est une nouvelle (et belle) production que nous présente Angers Nantes Opéra en ce mois de décembre 2018 : une manière élégante et vocalement solide de souligner la veine merveilleuse d’un Massenet méconnu, qui souhaite dans les faits, « Bercer » par la fable, retrouver son âme d’enfant, diffuser l’onirisme du songe, la poésie du rêve… ainsi que nous le dit Pandolphe en bord de scène, dans son récit d’ouverture comme préalable au spectacle.

Mais il n’y est pas uniquement question du rêve. Massenet ajoute aussi l’élan amoureux, cette passion sensuelle naissante qui colore effectivement chaque duo entre Lucette / Cendrille et son prince, sous le regard complice et protecteur de la bonne fée, marraine de la jeune femme ; d’ailleurs les trois forment à deux reprises un trio réellement enchanteur. On ne cesse de penser au compositeur alors saisi par le charme, – épris même-, de la soprano Julia Giraudon, qui remplace la célèbre créatrice de Carmen, Emma Calvé, au départ pressentie pour le rôle-titre. Chaque duo Cendrille / Le Prince est ainsi traversé par un désir ardent, juvénile, d’une irrépressible aspiration, témoignage autobiographique de cette passion qui électrise Massenet lui-même en 1899. EN LIRE PLUS

 

 

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CD, événement. Frederica von Stade, the complete Columbia recital albums (18 cd Sony classical)

von stade frederica the complete columbia recital albums coffret cd review  critique cd classiquenews 18 cd coffret box 51AiKLG6r5L._SY300_QL70_CD, Ă©vĂ©nement. Frederica von Stade, the complete Columbia recital albums (18 cd Sony classical). SOMBRE VELOURS D’UNE DISEUSE FRANCOPHILE. Mezzo irradiĂ©e – ce qui la destine aux emplois sombres et tragiques, la jeune musicienne fait son voyage Ă  Paris oĂą alors qu’elle Ă©chouait Ă  devenir pianiste, elle Ă©prouve comme une sidĂ©ration inexplicable, le choc du chant et de la voix en assistant Ă  un rĂ©cital de la soprano allemande Elisabeth Schwarzkopf alors diseuse hors paires dans les lieder de Hugo Wolf. Il y a chez Von Stade qui a beaucoup doutĂ© de ses capacitĂ©s artistiques rĂ©elles, une ardeur intĂ©rieure, une hypersensibilitĂ© jaillissante qui a rappelĂ© dès ses premiers grands rĂ´les, les brĂ»lures tragiques et graves d’une Janet Baker.

CLIC_macaron_2014AU DEBUT DES 70′S… Jeune tempĂ©rament Ă  affiner et Ă  ajuster aux contraintes et exigences de la scène, Frederica Von Stade est engagĂ©e dans la troupe du Met de New York par Rudolf Bing (1970) : elle n’est pas encore trentenaire ; très vite, elle prend son envol comme soliste, avec l’essor augural des opĂ©ras baroques  (elle chante Penelope de l’Ulysse monteverdien). Mais la diva est une diseuse qui se taille une très solide rĂ©putation chez Mozart  (Cherubino qui sera son rĂ´le fĂ©tiche, et Idamante) et Rossini dont elle maĂ®trise la virtuositĂ© Ă©lĂ©gante et racĂ©e grâce Ă  des vocalises prĂ©cises et des phrasĂ©s ciselĂ©s  (Tancredi, Rosina, la donna del lago: surtout le chant noble mais dĂ©sespĂ©rĂ© de Desdemona dans Otello…). La Von Stade est aussi une bel cantiste Ă  la sĂ»retĂ© musicale impressionnante.
Le timbre sombre, essentiellement tragique colore une suavitĂ© qui est aussi pudeur et articulation : la mezzo s’affirme de la mĂŞme façon chez Massenet  (Charlotte de Werther, ChĂ©rubin lĂ  encore et aussi Cendrillon. ..), et Marguerite embrasĂ©e par un Ă©ros  qui dĂ©borde (La Damnantion de Faust), et BĂ©atrice (Beatrice et Benedicte d’après Shakespeare) chez Berlioz dont elle chante aussi Ă©videmment les Nuits d’Ă©tĂ© (de surcroĂ®t dans ce coffret, sous la direction de Ozawa lire ci après).

 

 

 

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COFFRET MIRACULEUX… Qu’apporte le coffret de 18 cd rééditĂ©s par Sony classical ? Pas d’opĂ©ras intĂ©graux, mais plusieurs rĂ©citals thĂ©matiques oĂą scintille la voix ample, cuivrĂ©e, chaude d’un mezzo dramatique et suave, plus clair que celui de Janet Baker, aussi somptueux et soucieux d’articulation et de couleurs que Susan Graham (sa continuatrice en quelque sorte)… C’est dire l’immense talent interprĂ©tatif et la richesse vocale de la mezzo amĂ©ricaine Frederica von Stade nĂ©e un 1er juin 1945, qui donc va souffler en ce dĂ©but juin 2016, ses 81 ans. Le coffret Columbia (the complete Columbia recital albums) souligne la diversitĂ© des choix, l’ouverture d’un rĂ©pertoire qui a souvent favorisĂ© la musique romantique française, la fine caractĂ©risation dramatique pour chaque style, une facilitĂ© expressive, une Ă©lasticitĂ© vocale, – dotĂ©e d’un souffle qui semblait illimitĂ© car imperceptible, et toujours une pudeur presque Ă©vanescente qui fait le beautĂ© de ses rĂ´les graves et profonds. Les 18 cd couvrent de nombreuses annĂ©es, en particulier celles de toutes les promesses, et de la maturitĂ©, comme de l’approfondissement des partitions, soit de 1975 (CD oĂą règne la blessure et le poison saignant de la Chanson perpĂ©tuelle de Chausson, dĂ©jĂ  l’ivresse ahurissante de son Cherubino mozartien, ce goĂ»t pour la mĂ©lodie française : très rare Le bonheur est chose lĂ©gère de Saint-SaĂ«ns, ou la question sans rĂ©ponse de Liszt d’après Hugo : “Oh! quand je dors S 282, rĂ©cital de 1977, cd3) ; jusqu’aux songs de 1999 et mĂŞme 2000 (Elegies de Richard Danielpour, nĂ© en 1956, avec Thomas Hampson).

 

 

 

Dans les années 1970 et 1980, la mezzo Frederica von Stade chante Mozart, Massenet, Ravel avec une gravité enivrée

VELOURS TRAGIQUE

 

 

frederica von stade woolfe2-von_stade_frederica_eric_melear_0Salut Ă  la France… La mesure, le style, une certaine distanciation lui valurent des critiques sur sa neutralitĂ©, un manque d’engagement (certaines chansons de ses Canteloube)… Vision rĂ©ductrice tant la chanteuse sut dans l’opĂ©ra français exprimer l’extase Ă©chevelĂ©e par un timbre Ă  la fois intense, clair d’une intelligence rare, Ă  la couleur prĂ©cieuse, Ă  la fois blessĂ©e, Ă©perdue, brĂ»lĂ©e : un exemple ? Prenez le cd 2 : French opera arias (de 1976 sous la direction de John Pritchard) ; sa Cavatine du page des Huguenots de Meyerbeer ; sa Charlotte du Werther de Massenet (noblesse blessĂ©e de “Va, Laisse couler mes larmes”), l’ample lamento grave de sa Marguerite berlozienne (superbe D’amour l’ardente flamme, au souffle vertigineux), ne doivent pas diminuer l’Ă©clat particulier de la comĂ©dienne plus amusĂ©e, piquante, dĂ©lurĂ©e chez Offenbach (PĂ©richole grise ; Gerolstein en amoureuse dĂ©chirĂ©e : voyez le rĂ©cital totalement consacrĂ© Ă  la verve du Mozart des boulevards : Offenbach : arias and Overtures, 1994, cd14), d’un naturel insouciant et douĂ©e de couleurs exceptionnellement raffinĂ©es pour le Cendrillon de Massenet, surtout Mignon d’Ambroise Thomas, notre Verdi français. La pure et fine comĂ©die, la gravitĂ© romantique, le raffinement allusif : tout est lĂ  dans un rĂ©cital maĂ®trisĂ© d’une trentenaire amĂ©ricaine capable de chanter l’opĂ©ra français romantique avec un style mesurĂ©, particulièrement soucieuse du texte.

 

 

von stade frederica concert 1024x1024Italianisme. Bel cantiste par la longueur de son legato et un souffle naturellement soutenu, aux phrasĂ©s fins et finement ciselĂ©s, Von Stade fut aussi une interprète affichant son tempĂ©rament tragique et sombre, d’une activitĂ© mesurĂ©e toujours, chez PĂ©nĂ©lope de Monteverdi (Le Retour d’Ulysse dans sa patrie), chez Rossini oĂą sa distinction profonde fait miracle dans Tancredi et Semiramide (airs et aussi rĂ©citatifs merveilleusement articulĂ©s / dĂ©clamĂ©s, cd4, 1977)… Evidemment son mĂ©tal sombre et lugubre va parfaitement aux lieder bouleversants de Mahler (cd5, 1978 : Lieder eines Fahrenden gesellen, RĂĽckert lieder) ; mais la passion vocale et l’Ă©tendue de son velours maudit, comme blessĂ© mais si digne et d’une pudeur intacte ne se peuvent concevoir sans ses prodigieux accomplissements dans le rĂ©pertoire romantique et post romantiques français : Chants de Canteloube avec Antonio de Almeida (2 albums, de 1982 et 1985, oĂą l’ivresse mĂ©lodique s’accompagne d’une voluptĂ© comme empoisonnĂ©e Ă  la Chausson… le timbre enivrĂ© de la mezzo amĂ©ricaine s’impose par sa voluptĂ© claire et son intensitĂ© charnelle ; exprimant tout ce que cette expĂ©rience terrestre tend Ă  l’Ă©vanouissement spirituel,… une ThaĂŻs en somme : charnelle en quĂŞte d’extase purement divine). Ces deux recueils sont des must, indĂ©modables (mĂŞme si pour beaucoup sa partenaire et contemporaine Kiri te Kanawa a mieux chantĂ© Canteloube, sans “s’enliser”).

 

 

Berliozienne et RavĂ©lienne, Von Stade a exprimĂ© son amour Ă  la France. MĂŞme style irrĂ©prochable dans ses Nuits d’Ă©tĂ© de Berlioz d’après Gautier de 1983 sous la direction de Ozawa ; et aussi ShĂ©hĂ©razade, MĂ©lodies et Chansons de Ravel Ă  Boston avec Ozawa toujours en 1979…
Avec son complice au piano, Martin Katz, la divina s’expose sans fards, voix seule et clavier dans plusieurs rĂ©citals qui ne dĂ©forment pas son sens de la justesse et de la musicalitĂ© allusive d’une finesse toujours secrètement blessĂ©e : deux cycles sont ici des absolus eux aussi, le rĂ©cital de 1977 comprend Dowland, Purcell, Debussy Canteloube dont il faut Ă©couter Quand je dors S 282 de Liszt sur le poème d’Hugo : maĂ®trise totale du souffle et du legato avec une articulation souveraine : quel modèle pour les gĂ©nĂ©rations de mezzos Ă  venir. Plus aucune n’ose aujourd’hui s’exposer ainsi en concert. Puis le rĂ©cital de 1981 se dĂ©die aux Italiens, de Vivaldi, Marcello, Scarlatti Ă  Rossini sans omettre Ă©videmment Ravel et Canteloube

 

 

stade von stade frederica coffret complete columbia recital albums sony classical cd review 1024x1024Sur le tard, Stade, appelĂ©e affectueusement “Flicka“, sait aussi se rĂ©inventer et goĂ»te selon l’Ă©volution de sa voix, d’autres rĂ©pertoires, d’autres dĂ©fis dramatiques : comme le montrent les derniers recueils du coffret Columbia : après celui dĂ©diĂ© Ă  la comĂ©die encanaillĂ©e mais subtile d’Offenbach (Offenbach arias & Overtures, Antonio de Almeida,1994), les cd 15 (Elegies et Sonnets to Orpheus de Richard Danielpour), cd 18 (Paper Wings et Songs to the moon… de Jake Heggie) soulignent la justesse des rĂ©citals (de 1998 et 1999) : celle d’une voix mĂ»re qui a perdu son agilitĂ© mais pas sa profondeur ni sa justesse expressive… CONCLUSION. Pour nous, française de coeur, Frederica Von Stade laisse un souvenir impĂ©rissable dans deux rĂ´les chez Massenet qu’elle a incarnĂ© avec intensitĂ© et profondeur : Cendrillon (cd16, 1978) et Cherubin (cd17, 1991), sans omettre son Mignon de Thomas (Connais tu le Pays, cd2, 1976). Bel hommage. Coffret Ă©vĂ©nement CLIC de mai 2016.

 

 

 

CLIC_macaron_2014CD, coffret Ă©vĂ©nement. Frederica von Stade : the complete Columbia recital albums (18 cd, 19975-2000). Extraits d’opĂ©ras, mĂ©lodies, songs, lieder de Massenet, Thomas, Ravel, Mahler, Schuebrt, Berlioz, Bernstein… CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2016.

 

 

Tchaikovski, Massenet… Concert Symphonique Ă  Tours

ossonce jean yves osrct symphonique toursTours. Concert Tchaikovski, Massenet, Falla. Les 7 et 8 novembre 2015.  AffinitĂ©s tchaikovskiennes… On se souvient d’une exceptionnelle Symphonie n°6 de Tchaikovski par Jean-Yves Ossonce et l’Orchestre tourangeau : sur le plan interprĂ©tatif : profondeur, gravitĂ©, tendresse et introspection. Sur le plan artistique, complicitĂ©, entente, Ă©coute rĂ©ciproque. Un accomplissement rĂ©alisĂ© en novembre 2014 et qui pourrait se renouveler un an après… les 7 et 8 novembre prochains, pour le concert d’ouverture de la nouvelle saison symphonique Ă  l’OpĂ©ra de Tours, tant chefs et instrumentistes s’entendent visiblement dans l’expression de la sensibilitĂ© tchaikovskienne. Le Concerto pour violon, sommet de la sensibilitĂ© romantique version russe est l’affiche du programme de l’OpĂ©ra de tours, constituant sa pièce maĂ®tresse oĂą la violoniste Sarah Nemtanu assure la partie solistique. LIRE notre compte rendu critique du concert 6ème Symphonie de Tchaikovski par Jean-Yves Ossonce et l’Orchestre symphonique RĂ©gion Centre Tours.

 

 

 

Tchaikovski romantique, Massenet nostalgique

 

Temps fort et séance inaugurale de la saison symphonique de l'Opéra de Tours avec par Jean-Yves Ossonce, la 6ème "Pathétique" de Tchaikovski : les 15 et 16 novembre 2014

Temps fort et sĂ©ance inaugurale de la saison symphonique de l’OpĂ©ra de Tours avec par Jean-Yves Ossonce, le Concerto pour violon de Tchaikovski : les 7 et 8 novembre 2015

Concerto pour violon de Tchaikovski : Clarens, 1878. Après son mariage raté et la séparation qui en découle, avec Antonina Milukova, Tchaïkovski, dépressif, se retire en Suisse, à Clarens, en 1878. A 38 ans, le compositeur se recentre sur une nouvelle oeuvre, probablement inspirée par la Symphonie espagnole d’Edouard Lalo.
Le compositeur pensait dédier son Concerto au violoniste Leopold Auer qui refusa cet honneur, trouvant l’oeuvre inexécutable! Adolf Brodsky, qui le joua et oeuvra pour sa notoriété auprès du public, en devint le dédicataire. Dans l’Allegro moderato, la virtuosité du violon solo conduit le développement mélodique. La Canzonetta fait entendre une nouvelle ampleur mélodique, autour d’un thème nostalgique, très vocal, dans le ton de sol mineur. Le dernier mouvement, Allegro vivacissimo impose un début tzigane bondissant, puis se succèdent motif nerveux et brillant à la Mendelssohn, et éléments de danse populaire, au caractère affirmé.

Massenet jules cherubin Jules_Massenet_portraitEgalement Ă  l’affiche de ce programme Ă©clectique, d’autant plus captivant, les pages mĂ©connues du Massenet symphoniste : Scènes Alsaciennes dont le sujet pourrait bien contester de façon nostalgique et pacifiste, l’annexion de l’Alsace Ă  l’Empire germanique depuis 1870. Au moment de la crĂ©ation d’HĂ©rodiade Ă  Bruxelles en 1881, Massenet a l’idĂ©e de composer son ultime cycle de musique symphonique pure : les Scènes Alsaciennes créées en 1882 : suivant la trame romanesque du texte de Daudet (Contes du lundi : “Alsace, Alsace”), le compositeur cĂ©lèbre avec vivacitĂ© l’acuitĂ© sensible de l’âme alsacienne : appel de la clarinette et de la flĂ»te un dimanche matin au moment de la messe (Ă©pisode serein), gaietĂ© franche et contrastĂ©e dans Au cabaret au rythme tripartite, volontairement rustique ; tendresse de Sous les tilleuls oĂą se prĂ©cise l’Ă©vocation d’un couple amoureux ; enfin l’entrain de la dernière scène, Dimanche soir, associe folklore et fanfare militaire pour une cĂ©lĂ©bration expressive elle aussi criante de vĂ©ritĂ©.

 

 

 

George Butterworth
English Idyll n°1
La saison symphonique s’ouvre sur la diversité de la musique européenne et de ses sources populaires, tout autant que sur le poids de l’histoire. George Butterworth, compositeur anglais, engagé volontaire dès 1914, fut tué pendant la bataille de la Somme le 5 août 1916. Nous lui rendons hommage avec cette English Idyll, qui plonge ses racines dans sa terre natale. Une stèle a été élevée à sa mémoire à Pozières, et son corps ne fut jamais retrouvé.

Piotr Ilitch TchaĂŻkovski
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 35
Concentré d’âme slave, le Concerto de Tchaïkovski sera interprété par Sarah Nemtanu, plus jeune violon solo jamais nommé à l’Orchestre National de France, qui l’a enregistré pour le film Le Concert et avec son orchestre dirigé par le grand Kurt Masur. À noter que la saison lyrique sera l’occasion de redécouvrir Eugène Onéguine, autre chef d’oeuvre de la même période.

Jules Massenet
Scènes alsaciennes, Suite pour orchestre n°7
Rareté que les Scènes Alsaciennes, où Massenet mêle son sens mélodique et orchestral à des effluves patriotiques (l’Alsace était alors depuis la guerre de 1870 occupée par l’Allemagne).

Manuel de Falla
Le Tricorne, Suite n°2
Les Danses du Tricorne, symbole de la musique espagnole dans son acception la plus authentique, conclueront ce programme dĂ©diĂ© Ă  l’histoire et Ă  la culture europĂ©ennes “de l’Atlantique Ă  l’Oural”.

 

 

 

Sarah Nemtanu, violon
Jean-Yves Ossonce, direction

Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours

boutonreservationSamedi 7 novembre – 20h
Dimanche 8 novembre – 17h
Conférence : présentation aux œuvres, les 7 novembre à 19h, 8 novembre à 16h
Grand théâtre, Salle Jean Vilar, entrée gratuite

 

 

Montpellier. Opéra Comédie, le 18 octobre 2015. Jules Massenet : Chérubin. Marie-Adeline Henry, Cigdem Soyarslan, Norma Nahoun, Igor Gnidii. Jean-Marie Zeitouni, direction musicale. Juliette Deschamps, mise en scène

Massenet jules cherubin Jules_Massenet_portraitPour inaugurer la première véritable saison de son mandat à la tête de l’Opéra National de Montpellier, Valérie Chevalier a fait le pari de la rareté, avec un petit bijou trop peu représenté dans le paysage lyrique : Chérubin de Jules Massenet. Créé en 1905 à Monte-Carlo, l’ouvrage demeure l’un des plus amoureusement caressés par le compositeur, et on se laisse vite enivrer par ses harmonies chatoyantes et la douce langueur de ses mélodies. On retrouve le personnage qu’on a tant chéri chez Mozart, avec quelques années de plus mais toujours aussi pleinement passionné par le beau sexe, amoureux de l’amour à en perdre l’esprit. Un portrait qui demande à la fois timidité, pudeur, et pourtant érotisme et sensualité. Ce qui manque en somme à la mise en scène imaginée par Juliette Deschamps.

Tendresse de Chérubin, où es-tu?

Si dans le programme de salle, la scénographe paraît avoir saisi l’essence même de l’œuvre, ce doux parfum semble s’être évaporé une fois porté à la scène. Trop de géométrie, trop d’angles et d’arêtes, trop de brutalité pour une musique réclamant rondeurs et caresses. La transposition dans la Californie des années 30, pour originale qu’elle soit, apporte finalement peu de choses et entre trop souvent en contradiction avec l’esprit profondément espagnol qui règne tout au long des trois actes. Si l’androgynie qui paraît être la règle pour les personnages principaux se justifie aisément pour le rôle-titre – et ne manque pas d’allure dans ce cas précis, rappelant irrésistiblement Marlene Dietrich –, on demeure plus circonspect envers un Philosophe affublé d’un tutu malgré son frac, et un Duc aux manières caricaturalement efféminées. Seule l’Ensoleillad, surréaliste et onirique grâce à son immense robe formée d’une multitude de mains – celles de ses innombrables admirateurs –, semble à sa place. En outre, on ne parvient pas à apprécier, malgré leur professionnalisme, la présence des danseurs obligés de se trémousser… y compris lorsque le climat musical est tendre et doux. Un comble !

 

 

 

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Musicalement, par bonheur, le plaisir est au rendez-vous, notamment grâce à la direction remarquable de Jean-Marie Zeitouni, galvanisant les musiciens de l’Orchestre National de Montpellier. Le chef canadien aime profondément Massenet, et cela s’entend. Le brillant de la première partie laisse vite place, une fois l’entracte passé, à la volupté du tapis orchestral, véritable velours sonore dans lequel l’oreille se roule avec délice. A ce titre, on n’oubliera pas de sitôt l’accompagnement déchirant du Testament de Chérubin ouvrant le troisième acte, l’un des plus beaux moments de la représentation.

Dans le rôle-titre, Marie-Adeline Henry fait valoir l’étendue et la puissance de sa voix ainsi que le raffinement de ses nuances, en outre excellente actrice. Seule la diction mériterait davantage de clarté pour permettre à cette jeune chanteuse d’occuper la place qu’elle mériterait dans ce répertoire.

L’Ensoleillad de la soprano turque Cigdem Soyarslan, malgré une belle élocution française et de beaux moyens vocaux, déçoit quelque peu. En cause : un instrument paraissant en ce dimanche comme terni et alourdi, manquant de l’apesanteur rayonnante qu’appelle la partition.

Lumière pure que possède en revanche la Nina délicieuse de Norma Nahoun, qui fait notamment de son air « Lorsque vous n’aurez rien à faire », authentique joyau de la partition, un pur moment de suspension musicale.

Philosophe tendre et paternel, Igor Gnidii offre une composition très réussie, nonobstant une émission un rien sombrée, qui n’empêche pourtant pas un legato bien conduit et un aigu percutant.

On retrouve avec plaisir Michèle Lagrange pour ce qui constitue ses adieux au public, dans une Comtesse drôle et toujours aussi sonore, et on salue une très grande artiste. A ses côtés, le jeune baryton Philippe Estèphe incarne un Comte aussi rageur et que bien chantant.

Baronne excellente bien que moins charismatique d’Hélène Delalande, tandis qu’on apprécie une fois encore la présence scénique et la voix généreuse de Julien Véronèse, et qu’on rit sans réserve devant le numéro impayable de François Piolino, incisif et admirable diseur. Le Ricardo exemplaire de Denzil Delaere ainsi que l’Aubergiste sympathique et ronchon de Jean-Vincent Blot complètent cette excellente distribution presque exclusivement francophone.

Beau travail également que celui des chœurs de la maison montpelliéraine, toujours impeccablement préparés et d’une homogénéité jamais prise en défaut. Un après-midi dont on revient néanmoins heureux et ému d’avoir pu déguster une si belle musique.

Montpellier. Opéra Comédie, 18 octobre 2015. Jules Massenet : Chérubin. Livret de Francis de Croisset et Henri Cain. Avec Chérubin : Marie-Adeline Henry ; L’Ensoleillad : Cigdem Soyarslan ; Nina : Norma Nahoun : Le Philosophe : Igor Gnidii ; La Comtesse : Michèle Lagrange ; Le Comte : Philippe Estèphe ; La Baronne : Hélène Delalande ; Le Baron : Julien Véronèse ; Le Duc : François Piolino ; Capitaine Ricardo : Denzil Delaere ; L’Aubergiste : Jean-Vincent Blot. Chœurs de l’Opéra National Montpellier Languedoc-Roussillon ; Chef de chœur : Noëlle Gény ; Orchestre National Montpellier Languedoc-Roussillon. Direction musicale : Jean-Marie Zeitouni. Robert Tuohy. Mise en scène : Juliette Deschamps ; Décors : Macha Makaïeff ; Costumes : Vanessa Sannino ; Lumières : François Menou. Illustration : © M Ginot / Opéra de Montpellier 2015

Le Cid de Massenet en direct du Palais Garnier Ă  Paris

logo_francemusiqueRADIO.France musique, samedi 18 avril 2015,19h: Massenet, le Cid. Annick Massis chante l’Infante avec ce charisme et ce naturel superlatif que nous lui connaissons. Avec Sonia Ganassi, Roberto Alagna, Paul Gay, Nicolas Cavallier… sous la direction de Michel Plasson. LIRE aussi la critique de notre rédacteur Sabino Pena Arcia qui assistait au Cid de Massenet au Palais Garnier à Paris, le 27 mars dernier :

SLIDE_Massenet_580_320 - copie« La première du Cid de Massenet a lieu au Palais Garnier le 30 novembre 1885 ; l’œuvre est unanimement saluée par le public et la critique. Opéra ambitieux sur l’amour et sur la gloire, inspiré de la pièce historique de Guillén de Castro y Bellvis et son adaptation par Pierre Corneille, il pose quelques problèmes formels à l’heure actuelle. Le livret raconte l’histoire de Rodrigue dans l’Espagne de la Reconquista. Et comment pour venger l’offense faite à son père, Don Diègue, il finit par provoquer et tuer le père de Chimène, sa fiancée. Elle ne peut qu’exiger le châtiment de son bien-aimé mais le Roi a besoin de lui pour lutter contre les Maures. Il revient vainqueur, Chimène est terriblement partagée, mais le lieto fine arrive quand Rodrigue décide de se donner la mort … qu’elle empêche, et le Roi les unit. L’amour et l’honneur sont vainqueurs. Cette difficulté contemporaine avait déjà été ressentie par Claude Debussy qui trouva impossible d’achever son propre essai lyrique Rodrigue et Chimène, d’après la même histoire, sur le livret de Catulle Mendès.
En effet, fin XIXe siècle, le grand opéra historique est déjà essoufflé. Il l’est davantage à notre époque. Or, la partition est riche en mélodies et pleine des moments de beauté comme d’intensité ; Massenet se montre artisan solide des procédés grand-opératiques, mis au point par un Meyerbeer ou un Halévy. L’influence de Verdi est aussi remarquable. Avec des interprètes de qualité, la facilité comme l’ambition mélodique de Massenet se traduisent en grands airs impressionnants. Mais il s’agît surtout du mélodrame habituel du compositeur dont la complaisance est évidente vis-à-vis des attentes du lieu de la création de son opéra. Remarquons que la dernière fois que l’œuvre a été représentée à Paris fut en 1919 ! … »

LIRE le compte rendu critique de Sabino PENA ARCIA, Le Cid de Massenet au Palais Garnier à Paris

 

France Musique, samedi 18 avril 2015, 19h. Massenet : Le Cid. En direct du Palais Garnier Ă  Paris… 

Compte rendu, opĂ©ra. Paris, Palais Garnier, le 27 mars 2015. Jules Massenet : Le Cid. Roberto Alagna, Annick Massis, Paul Gay… Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra national de Paris. Michel Plasson, direction. Charles Roubaud, mise en scène.

Michel Plasson revient Ă  l’OpĂ©ra National de Paris pour Le Cid de Jules Massenet. Le Palais Garnier accueille la production marseillaise signĂ©e Charles Roubaud. La distribution largement francophone fait honneur Ă  l’occasion rare et l’orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra de Paris rayonnent par leur un bel investissement.

 

 

 

Le Cid de Massenet au Palais Garnier : artificielle séduction servie par un grand chef

Plasson, vive Plasson !

 

SLIDE_Massenet_580_320 - copieLa première du Cid de Massenet a lieu au Palais Garnier le 30 novembre 1885 et l’œuvre est unanimement saluĂ©e par le public et la critique. OpĂ©ra ambitieux sur l’amour et sur la gloire, inspirĂ© de la pièce historique de GuillĂ©n de Castro y Bellvis et son adaptation par Pierre Corneille, il pose quelques problèmes formels Ă  l’heure actuelle. Le livret raconte l’histoire de Rodrigue dans l’Espagne de la Reconquista. Et comment pour venger l’offense faite Ă  son père, Don Diègue, il finit par provoquer et tuer le père de Chimène, sa fiancĂ©e. Elle ne peut qu’exiger le châtiment de son bien-aimĂ© mais le Roi a besoin de lui pour lutter contre les Maures. Il revient vainqueur, Chimène est terriblement partagĂ©e, mais le lieto fine arrive quand Rodrigue dĂ©cide de se donner la mort … qu’elle empĂŞche, et le Roi les unit. L’amour et l’honneur sont vainqueurs. Cette difficultĂ© contemporaine avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© ressentie par Claude Debussy qui trouva impossible d’achever son propre essai lyrique Rodrigue et Chimène, d’après la mĂŞme histoire, sur le livret de Catulle Mendès.

En effet, fin XIXe siècle, le grand opĂ©ra historique est dĂ©jĂ  essoufflĂ©. Il l’est davantage Ă  notre Ă©poque. Or, la partition est riche en mĂ©lodies et pleine des moments de beautĂ© comme d’intensitĂ© ; Massenet se montre artisan solide des procĂ©dĂ©s grand-opĂ©ratiques, mis au point par un Meyerbeer ou un HalĂ©vy. L’influence de Verdi est aussi remarquable. Avec des interprètes de qualitĂ©, la facilitĂ© comme l’ambition mĂ©lodique de Massenet se traduisent en grands airs impressionnants. Mais il s’agĂ®t surtout du mĂ©lodrame habituel du compositeur dont la complaisance est Ă©vidente vis-Ă -vis des attentes du lieu de la crĂ©ation de son opĂ©ra. Remarquons que la dernière fois que l’œuvre a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e Ă  Paris fut en 1919 !

 

 

cid-palais-garnier-roberto-alagna-paul-gay-massenet-michel-plassonEn cette fin d’hiver 2014 – 2015, Roberto Alagna et Sonia Ganassi interprètent le couple contrariĂ© de Rodrigue et Chimène. Le tĂ©nor se montre toujours maĂ®tre de sa langue, avec une attention Ă  la diction indĂ©niable, malgrĂ© la prosodie parfois maladroite et anti-esthĂ©tique du livret. Il est aussi un acteur engageant et engagĂ©, appassionato, ma non tanto en l’occurrence. Un Divo avec plein de qualitĂ©s dans une Ĺ“uvre et une mise en scène Ă  la beautĂ© … superficielle. Remarquons nĂ©anmoins son chant passionnĂ© lors des airs « O noble lame Ă©tincelante » et « O souverain, Ă´ juge, Ă´ père », vivement rĂ©compensĂ©s par le public, malgrĂ© une certaine difficultĂ© dans le dernier. Le public rĂ©compense aussi Chimène dans son cĂ©lèbre air « Pleurez, pleurez mes yeux ». Ganassi fait preuve d’un bel investissement Ă©galement, mais sa caractĂ©risation du rĂ´le met en valeur l’aspect hautain et caractĂ©riel du personnage, quand elle aurait pu davantage le nuancer. Le timbre plutĂ´t sombre et la prestation parfois trop forte ont un effet pas toujours favorable chez l’auditoire. Inversement, le Don Diègue de Paul Gay est le vĂ©ritable sommet d’expression, de prĂ©cision, de justesse de la distribution. Le chanteur affirme une prestation largement inoubliable par la force et la beautĂ© de son instrument, en l’occurrence dĂ©licieusement nuancĂ© selon les besoins (mĂ©lo)dramatiques. Son duo Ă  la fin du premier acte avec Rodrigue est un des nombreux moments forts le concernant.
Remarquons Ă©galement la belle prestation d’Annick Massis dans le rĂ´le de l’Infante. Du cĂ´tĂ© des femmes de la distribution, elle rayonne par la beautĂ© exquise de son instrument, une prĂ©sence scĂ©nique distinguĂ©e mais sans prĂ©tention, et une vĂ©racitĂ© Ă©motionnelle Ă©vidente (et surprenante!) lors de ses morceaux terriblement beaux, pourtant très artificiels. Retenons entre autres sa pseudo-prière lors de la distribution des aumĂ´nes au dĂ©but du IIe acte. Si le Roi de Nicolas Cavallier, correct, paraĂ®t moins noble que le Don Diègue de Paul Gay, l’EnvoyĂ© Maure interprĂ©tĂ© par Jean-Gabriel Saint-Martin est, lui, tout altier, toute agilitĂ©. FĂ©licitons les chĹ“urs de l’OpĂ©ra sous la direction de JosĂ© Luis Basso, très sollicitĂ©s pour les processions, les hymnes guerriers et religieux, les marches, etc…

 

La mise en scène de Charles Roubaud, dans sa transposition de l’action vers l’Espagne de Franco, demeure pourtant sans pertinence. Elle se contente souvent de suivre l’intrigue du Moyen Age, dans des habits du XXe siècle. Dans ce sens, elle s’accorde Ă  l’opĂ©ra lui-mĂŞme, d’une beautĂ© rĂ©elle mais peu profonde, et fais très peu pour insuffler de la vitalitĂ© durable et mĂ©morable Ă  la partition. La mise en scène, avec ses qualitĂ©s plastiques (beaux costumes et dĂ©cors de Katia Duflot et Emmanuelle Favre respectivement), paraĂ®t laisser le public indiffĂ©rent, dans les meilleurs des cas. Heureusement, et comme d’habitude, il revient Ă  l’orchestre d’ĂŞtre le protagoniste rĂ©el de la pièce. Sous la baguette sincère et experte de Michel Plasson les instrumentistes parisiens savent ĂŞtre discrets et pompeux Ă  souhait. Si personne ne prĂ©tend qu’il s’agĂ®t d’un chef-d’œuvre absolu de Massenet, nous y croirions presque devant la science si juste et si belle de Plasson, et la complicitĂ© et le respect des musiciens pour sa direction. Une Ĺ“uvre rare Ă  dĂ©couvrir au Palais Garnier Ă  l’affiche les 2, 6, 9, 12, 15, 18 et 21 avril 2015.

 

 

Cléopâtre de Massenet sur France Musique

cleopatre-egypte-reine-ptolemee-elizabeth-taylor-en-cleopatreFrance Musique. Massenet : ClĂ©opâtre. Samedi 29 novembre 2014, 19h.  Un an après la crĂ©ation de PĂ©nĂ©lope de FaurĂ© sur la scène de l’OpĂ©ra de Monte Carlo, a lieu le 23 fĂ©vrier 1914, celle de ClĂ©opâtre de Massenet. Le compositeur Ă©tait mort depuis quelques mois. L’Ĺ“uvre qui met en avant les qualitĂ©s de tragĂ©dienne lyrique de la cantatrice exposĂ©e dans le rĂ´le-titre, triomphe Ă  l’international : Chicago avec Maria Kouznetsova (1916), puis grâce Ă  Marie garden Ă  New York (1919). Massenet Ă©labore un rĂ´le tendu, dĂ©clamĂ©, particulièrement noble et Ă©motionnel, dessinant autant le profil de la figure politique que le portrait de la femme amoureuse…

mankiewicz cleopatre 800px-ClĂ©opâtre_Elizabeth_TaylorPourtant en France, il faut attendre… 1990, la recrĂ©ation de l’Ĺ“uvre grâce Ă  Kathryn Harries Ă  Saint-Etienne. Depuis, Montserrat Caballe au Liceu de Barcelone en 2004, Uria Monzon Ă  Marseille au printemps 2013 ont suivi, rĂ©vĂ©lant le sens de la dĂ©clamation juste, resserrĂ©e, tragique et sombre du dernier Massenet : ClĂ©opâtre est l’ultime portrait fĂ©minin d’une sĂ©rie qui en a comptĂ© de nombreux, de ThĂ©rèse Ă  Esclarmonde, sans omettre Manon, ThaĂŻs, ou les protagonistes altières et dignes de Roma… L’ultime scène funèbre qui comme dans la fresque spectaculaire hollywoodienne signĂ©e de Joseph L. Mankiewicz (1963) oĂą triomphe l’Ă©blouissante Elizabeth Taylor, s’impose ici, offre une scène lyrique particulièrement bien Ă©crite : dĂ©truite après son amour malheureux mais passionnel avec Marc-Antoine, la reine d’Egypte s’Ă©teint après plusieurs spasmes que l’orchestre exprime très explicitement, vĂ©rtiable cĹ“ur musical de l’hĂ©roĂŻne. ClĂ©opâtre, beautĂ© avec tous les ornements, telle qu’elle paraĂ®t dans les tableaux d’histoire signĂ©s par le contemporain GĂ©rĂ´me, peintre passionnĂ© de reconstitution archĂ©ologique empruntĂ© Ă  l’AntiquitĂ© (surtout romaine, l’Egypte y paraĂ®t surtout sous le filtre napolĂ©onien pendant la Campagne d’Egypte…), inspire Ă  Massenet un formidable opĂ©ra, riche, parfois grandiloquent, mais psychologiquement troublant voire bouleversant. Tout dĂ©pend des interprètes : que donnera Sophie Koch (voix ample et ourlĂ©e mais inintelligible) et surtout Ludovic TĂ©zier dans le rĂ´le de l’amant romain (le baryton français forcera-t-il sa nature pudique et intĂ©rieure pour offrir un Marc-Antoine noble, princier mais humain voire palpitant ?).

logo_francemusiqueRĂ©ponse sur France Musique, le 29 novembre 2014, 19h. OpĂ©ra en version de concnert enregistrĂ© au TCE, Paris, le 18 novembre 2014. Michel Plasson dirige l’Orchestre Symphonique de Mulhouse.

Compte rendu, Opéra. Liège. Opéra Royal de Wallonie, le 19 octobre 2014. Jules Massenet : Manon. Annick Massis, Alessandro Liberatore, Pierre Doyen, Roger Joakim. Patrick Davin, direction musicale. Stefano Mazzonis di Pralafera, mise en scène

massis annick liegeQuatre ans après sa prise de rôle à l’Opéra de Rome, il était temps pour Annick Massis de se frotter une nouvelle fois à l’héroïne née sous la plume de l’abbé Prévost et mise en musique par Massenet. Des retrouvailles entre une chanteuse et un personnage, comme une rencontre enfin aboutie, dont le concert du mois d’avril Salle Favart nous avait déjà donné un avant-goût des plus prometteurs.  Force est de constater que l’écriture du rôle convient idéalement à la maturité vocal acquise par la soprano française depuis plusieurs années, dont on ne cesse d’admirer l’évolution, toute en sagesse et en lent mûrissement, comme un grand vin dont le bouquet s’enrichit au fil du temps. Ainsi que sa Juliette dans la maison liégeoise nous le faisait déjà écrire voilà près d’un an, l’instrument d’Annick Massis a gagné en ampleur comme en richesse, affirmant un médium désormais parfaitement assis et un grave sonore dans un poitrinage réalisé avec beaucoup d’art, Annick Massis marche sur tous les chemins sans pour autant perdre l’insolence et l’éclat de son registre aigu, osant toujours de spectaculaires contre-rés qui médusent l’assistance et déchaînent ses ovations par leur puissance et  leur impact dans la salle.

 

 

Annick Massis marche sur tous les chemins

 

A l’instar de l’héroïne de Shakespeare et Gounod, l’évolution du personnage apparaît de façon parfaitement lisible dans son jeu scénique et ses inflexions vocales, l’adolescente naïve du début de l’œuvre faisant place peu à peu à une femme sûre de ses charmes et habile dans leur usage sur la gent masculine.

Plus encore qu’une « petite table » poignante et un « Cours-la-Reine » éblouissant, on retient surtout une scène de Saint-Sulpice débordante de sensualité et de tendresse, ciselée dans ses nuances comme jamais, dans un intense moment d’émotion.

On comprend mal en revanche la nécessité des costumes à enlaidir l’héroïne, la ravalant tout au long de la représentation au rang d’une vulgaire pute de luxe, affublée qu’elle est d’une affreuse perruque blonde contre laquelle se bat constamment l’interprète, un comble pour une chanteuse naturellement dotée d’élégance et de prestance !

A ses côtés, on découvre le jeune ténor italien Alessandro Liberatore, tout entier dans son premier Des Grieux, qu’il sert avec fougue et sincérité. Sa prestation démontre un travail sur la langue française, mais le style propre à cette déclamation et à cette musique mériterait d’être davantage approfondi, la nature profondément transalpine de sa voix transparaissant souvent, malgré un bel effort de nuances en voix mixte dans le Rêve. L’aigu demeure parfois un rien serré et fragile, la projection modeste du chanteur se réduisant alors dans le registre supérieur, rendant ainsi le combat inégal contre l’orchestre. Un talent à suivre, qu’on retrouvera bientôt dans le Nabucco nancéen, où il tiendra le rôle d’Ismaele.

Formidable Lescaut, Pierre Doyen confirme cet après-midi encore les qualités qu’on suit chez lui depuis un moment. Beauté du timbre, puissance de la voix, solidité de la technique, aisance de l’aigu, précision de la diction et intelligence scénique, voilà un carton plein qu’on est heureux, une fois de plus, de saluer bien bas.

On apprécie également sans réserve le Comte Des Grieux de Roger Joakim, davantage baryton-basse que vraie basse, mais c’est un plaisir d’entendre ce rôle chanté haut et clair, avec noblesse et bonté, loin de l’autorité charbonneuse des voix fatiguées souvent distribuées ici. On est sincèrement émus par un « Epouse quelque brave fille » à la ligne de chant si tendrement déroulée que l’amour paternel contenu dans cet air en devient pleinement sensible.

Excellents, le Guillot insidieux de Papuna Tchuradze et le Brétigny imposant de Patrick Delcour, ainsi que le trio d’élégantes formé par Sandra Pastrana, Sabine Conzen et Alexise Yerna.

Tous évoluent dans la mise en scène imaginée par Stefano Mazzonis di Pralafera. Le maître des lieux à conçu sa scénographie comme le grand livre de la vie de Manon, que la jeune femme feuillette avant de mourir. Les pages se tournent ainsi au fil des actes, idée d’une belle poésie mais dont la réalisation s’avère souvent poussive et la mise en place, à grand renfort de techniciens visibles du public, laborieuse. Si les décors évoquent clairement le premier quart du XXe siècle et les Années Folles – provoquant souvent un décalage avec la musique de Massenet évoquant clairement le XVIIIe siècle –, les costumes balaient allègrement trois cents ans, sans doute pour évoquer l’universalité de l’histoire de Manon Lescaut, ces télescopages créant une confusion qui laisse souvent les spectateurs extérieurs à l’action, les sentiments peinant souvent à s’installer.

A la tête des Chœurs de la maison, en bonne forme, et de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, très investi dans cette partition, Patrick Davin défend avec passion ce répertoire qu’il affectionne et galvanise ses troupes tout en ménageant les solistes, notamment le rôle-titre qu’il paraît couver amoureusement. Au rideau final, triomphe mérité pour Annick Massis, qu’on retrouvera à de nombreuses reprises durant cette saison, et un beau succès pour l’œuvre de Massenet, qu’on ne se lasse pas de redécouvrir.

Liège. Opéra Royal de Wallonie, 19 octobre 2014. Jules Massenet : Manon. Livret de Henri Meilhac et Philippe Gille d’après Les Aventures du Chevalier Des Grieux et Manon Lescaut d’Antoine François Prévost. Avec Manon : Annick Massis ; Le Chevalier Des Grieux : Alessandro Liberatore ; Lescaut : Pierre Doyen ; Le Comte Des Grieux : Roger Joakim ; Guillot de Morfontaine : Papuna Tchuradze ; De Brétigny : Patrick Delcour ; Poussette : Sandra Pastrana ; Javotte : Sabine Conzen ; Rosette : Alexise Yerna. Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie ; Chef de chœur : Marcel Seminara. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Direction musicale : Patrick Davin. Mise en scène : Stefano Mazzonis di Pralafera ; Décors : Jean-Guy Lecat ; Costumes : Frédéric Pineau ; Lumières : Franco Marri

 

 

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 12 février 2014. Jules Massenet : Werther. Abdellah Lasri, Karine Deshayes, Jean-François Lapointe, Hélène Guilmette. Michel Plasson, direction musicale. Benoît Jacquot, mise en scène

Abdellah_Lasri_Revelation_classique_Adami_2010Pour la dernière de cette reprise du Werther de Massenet dans la production de Benoît Jacquot, l’Opéra de Paris a eu la main heureuse en confiant le rôle-titre à un jeune ténor franco-marocain que nous suivons depuis longtemps déjà : Abdellah Lasri. Nous l’avions découvert tout à fait par hasard en 2008 dans une production de Don Giovanni montée par le CNSM de Paris, au sein de laquelle il incarnait un saisissant Ottavio – aux côtés d’Alexandre Duhamel et Gaëlle Arquez, respectivement Leporello et Zerlina –, portant déjà en lui la marque des très grands. Après son prix dans cette même institution, remporté haut la main, nous avons continué à suivre de loin une carrière s’étoffant lentement mais sûrement de l’autre côté du Rhin, le jeune artiste préférant l’apprentissage concret que permet le système allemand grâce aux troupes. Et c’est avec bonheur que la nouvelle de ses débuts sur les planches de l’Opéra Bastille – et quels débuts ! – nous est parvenue, le faisant succéder à Roberto Alagna pour cette unique soirée. Une seule et unique date, chance autant que gageure. Chance, car la fatigue n’a pas le temps de faire son œuvre ; gageure, car l’erreur n’est pas permise.

Un Werther vient de naître

Et c’est un coup de maître. Dès les premières phrases, on mesure combien ce jeune artiste fait jeu égal avec ses plus illustres aînés : le timbre est d’une rare couleur mordorée, immédiatement reconnaissable, lait et miel à la fois, d’une chaleur enveloppante dans sa texture qui fait penser à Luciano Pavarotti, ainsi qu’une égalité dans la ligne de chant, un sens des nuances et un ciselé dans la diction qui rappellent rien moins que Georges Thill.
Après un premier acte très assuré, c’est au deuxième, dans « Quand l’enfant revient d’un voyage » que le ténor déploie toute sa voix, en un superbe crescendo émotionnel. Au troisième acte, son « Pourquoi me réveiller », très attendu, déchaîne l’enthousiasme de la salle par l’élégance de son phrasé et l’éclat de son aigu, avant de se donner tout entier à la fin de la scène, fuyant vers son suicide. Mais c’est dans la scène finale que le drame se fait leçon de beau chant, l’émotion affleurant par la seule splendeur de la vocalité et le poids des mots, d’une épure dans les effets qu’on n’avait plus entendue depuis des lustres, laissant au loin toute tentation « naturaliste », pourtant souvent commode à ce moment de la soirée. Une mort bouleversante par sa sobriété et son raffinement, l’interprète paraissant simplement parler sur des notes, comme libéré du besoin de passer l’orchestre, du très grand art.
Le comédien apparaît quant à lui moins à l’aise, visiblement gêné par l’inclinaison de la scène rendant ses déplacements périlleux, et semble par instants n’avoir pas pu répéter suffisamment la mise en scène, mais au paroxysme de la passion, il se laisse simplement porter par la musique et trouve ainsi les gestes justes. Et c’est tout naturellement qu’il recueille au rideau final une spectaculaire ovation… dont il se montre le premier heureusement surpris.
Nous avons assisté ce soir à la naissance d’un grand Werther, et, plus généralement, à l’éclosion d’un ténor idéal pour les emplois de demi-caractère français, et promis, cela paraît désormais une évidence, à un brillant avenir. Gageons que les grandes maisons de la planète ne vont pas tarder à se pencher sur Abdellah Lasri, c’est le meilleur qu’on lui souhaite.
C’est de ces vœux que nous profitons pour espérer prudemment que, malgré sa prestation à saluer bien bas, le rôle de Werther ne lui soit pas trop vite confié dans d’autres maisons de la taille du vaisseau parisien et face à un orchestre aussi largement exposé. Pareille écriture vocale donne l’impression de le pousser parfois dans ses retranchements en matière de largeur et d’impact, surtout dans ces conditions sonores particulières, et il serait regrettable qu’un instrument aussi brillant et souple, si sain dans sa construction et sa vibration, en vienne à perdre de si belles qualités. Prudence est mère de sûreté, dit-on. C’est en tout cas notre credo, et celui qui, on l’espère, guidera la carrière de ce jeune ténor riche de promesses.
Face à lui, des chanteurs chevronnés, maintenant cette représentation à un très haut niveau. Pour sa première Charlotte, Karine Deshayes fait valoir sa fougue et la beauté de son timbre, incarnant avec vérité la femme déchirée entre l’amour et le devoir. Néanmoins, plus le temps passe, plus la voix paraît vouloir monter vers le registre supérieur, son centre de gravité semblant nettement se déplacer vers le haut. Le médium se révèle ainsi très peu sonore, et le grave semble étrangement poitriné, comme pas encore totalement ouvert et connecté. En revanche, le haut-médium et l’aigu impressionnent par leur puissance et leur facilité, augurant à notre sens de très beaux emplois parmi les rôles de soprano lyrique.
Nous ne pouvons nous empêcher d’émettre la même remarque au sujet de Jean-François Lapointe, qui donne vie de façon très crédible à la figure peu sympathique d’Albert, mais à la couleur vocale tirant très nettement vers le ténor central plutôt que le baryton annoncé, malgré un réel effort d’assombrissement du timbre et de l’émission. Là aussi, le centre de gravité de l’instrument apparaît audiblement plus haut que celui de l’écriture vocale qu’il sert. Saluons toutefois cet artiste, qui paie comptant et chante franchement.
Adorable Sophie, Hélène Guilmette croque avec malice ce personnage attachant et attendrissant, usant de la finesse de sa voix avec naturel et évidence, virevoltant sur scène comme un oiseau, toujours le sourire aux lèvres, un rayon de soleil au milieu du drame.
Efficaces et parfaitement à leur place, le Bailli de Jean-Philippe Lafont ainsi que les compères Schmidt et Johann incarnés par Luca Lombardo et Christian Tréguier, tous complètement idéalement une distribution soignée qui sert avec les honneurs ce répertoire et le style qui lui est propre.
La mise en scène de Benoît Jacquot, devenue déjà un classique, donne à lire l’intrigue telle que Massenet et ses librettistes l’ont voulue, ni plus ni moins. Et l’atmosphère toute germanique qui teinte cette scénographie rappelle l’origine goethéenne de cet opéra.
De retour aux commandes de cette œuvre, Michel Plasson confirme, s’il était besoin, son amour profond pour cette musique, dont il souligne toutes les teintes et fait naître les atmosphères comme un peintre devant sa toile, suivi comme un seul homme par l’orchestre maison, à la pâte sonore somptueuse. Le chef français rend en outre à certains tempi leur justesse, ramenant Massenet à lui-même, pour notre plus grand plaisir.
Une révélation qui porte un nom, Abdellah Lasri, et dont le succès ressemble fort à un envol.

Paris. Opéra Bastille, 12 février 2014. Jules Massenet : Werther. Livret d’Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d’après Johann Wolfgang von Goethe. Avec Werther : Abdellah Lasri ; Charlotte : Karine Deshayes ; Albert : Jean-François Lapointe ; Sophie : Hélène Guilmette ; Le Bailli : Jean-Philippe Lafont ; Schmidt : Luca Lombardo ; Johann : Christian Tréguier ; Kätchen : Alix Le Saux ; Brühlmann : Joao Pedro Cabral. Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris. Orchestre de l’Opéra National de Paris. Michel Plasson, direction musicale. Mise en scène : Benoît Jacquot ; Décors et lumières originales : Charles Edwards ; Costumes : Christian Gasc ; Lumières : André Diot

Illustration : Abdellah Lasri (DR)

Compte rendu, OpĂ©ra. Paris. OpĂ©ra National de Paris (OpĂ©ra Bastille), le 22 janvier 2014. Massenet : Werther. Roberto Alagna, Karine Deshayes, Jean-François Lapointe… Orchestre de l’OpĂ©ra National de Paris. Michel Plasson, direction. BenoĂ®t Jacquot, mise en scène.

Paris, OpĂ©ra Bastille : Werther de Massenet. Alagna, Deshayes, jusqu’au 12 fĂ©vrier 2014. La production parisienne sous la direction de Michel Plasson s’avère incontournable, confirmant le succès de cette reprise …  Werther de Massenet (1892) revient sur la scène de l’OpĂ©ra National de Paris dans la cĂ©lèbre mise en scène de BenoĂ®t Jacquot. Michel Plasson dirige l’Orchestre maison avec Ă©lĂ©gance et raffinement. Roberto Alagna incarne le rĂ´le-titre avec une passion et un abandon Ă  fondre les cĹ“urs. Karine Deshayes compose une Charlotte dramatique et d’une grande dignitĂ©.

 

 

Le cas Massenet ou l’investissement rĂ©dempteur des interprètes

Investissement rédempteur des interprètes

 

GetAttachment.aspx Werther est l’un des opĂ©ras les plus cĂ©lèbres et les plus reprĂ©sentĂ©s de tout l’opus lyrique de Massenet. Pourtant, lors de sa première mondiale (en Allemagne, 1892) le public et la critique sont dĂ©routĂ©s par l’aspect acidulĂ© de l’ouvrage. Ceci se comprend facilement, la source du livret Ă©tant un hĂ©ros prĂ©-romantique Allemand de la plume d’un grand gĂ©nie germanique Johann Wolfgang von Goethe. Le roman Ă©pistolaire et subtilement autobiographique de Goethe a fait sensation lors de sa parution en 1774. L’effet Werther se voyait dans le changement de mode vestimentaire, les jeunes hommes et femmes s’habillant comme les protagonistes du roman, mais l’impact de l’œuvre a eu aussi un visage plus profond et glauque : il a en effet dĂ©clenchĂ© une sĂ©rie de suicides qui marqueront fortement la conscience collective.

L’adaptation du roman  par Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann, comme la mise en scène traditionnelle et belle de BenoĂ®t Jacquot, sont d’une grande efficacitĂ©. S’il n’y a pas la profondeur mĂ©taphysique du roman, elle se marie brillamment Ă  la musique de Massenet, en l’occurrence d’une dĂ©licieuse mĂ©lancolie romantique. Cet Ă©tat d’esprit mĂ©langeant finesse diaphane et trouble sentimental est comme celui des protagonistes.

Le rĂ´le de Werther est tenu avec charisme par le tĂ©nor Roberto Alagna. Il compose un personnage rayonnant, captivant et touchant dans sa dĂ©tresse passionnelle. Il incarne avec brio l’exubĂ©rance et la naĂŻvetĂ© du jeune amoureux. Ici Alagna dĂ©lecte l’auditoire avec les apports gĂ©nĂ©reux de son art… : une diction sans dĂ©faut, une science dĂ©clamatoire confirmĂ©e, un souffle facile, un registre aigu lumineux. Quand il chante « Pourquoi me rĂ©veiller ? » au troisième acte, le temps s’arrĂŞte, rien ne paraĂ®t exister dans la salle gargantuesque Ă  part l’ardente et ensorcelante misère du jeune poète. La Charlotte de Karine Deshayes est aussi convaincante par son investissement, son jeu d’actrice engageant, une ligne de chant dĂ©licatement nuancĂ©e comme la psychologie du personnage… Elle est presque suprĂŞme dans la scène des « lettres » au troisième acte. Quand elle implore la pitiĂ© de Werther pendant qu’il l’Ă©treint en criant « Je t’aime !», Ă  la fin du mĂŞme acte, l’effet est impressionnant et les frissons inĂ©vitables. Remarquons Ă©galement l’Albert du baryton Jean-François Lapointe, d’une noblesse et d’une prestance ravissante, aussi en forme vocalement que physiquement, ou encore la Sophie d’HĂ©lène Guilmette pĂ©tillante ma non troppo, au chant charmant, faisant preuve d’une indiscutable candeur vocale et théâtrale.

La direction de Michel Plasson s’accorde somptueusement Ă  la nature de l’opĂ©ra. Il exploite avec douceur les qualitĂ©s de l’Orchestre de l’OpĂ©ra National de Paris et les beautĂ©s de la partition… Un coloris raffinĂ©, dont l’aspect atmosphĂ©riste parfois fait penser Ă  un certain Debussy (!), ou encore la richesse mĂ©lodique dont la simplicitĂ© et la luciditĂ© prĂ©figurent Puccini. Massenet a dit de lui-mĂŞme qu’il Ă©tait « un compositeur bourgeois », ce soir, pourtant, sa musique dĂ©passe l’Ă©pithète mondaine grâce Ă  la performance touchante et surtout rĂ©ussie des interprètes. Encore Ă  l’affiche de l’OpĂ©ra Bastille les 2, 5, 9 et 12 fĂ©vrier 2014. Incontournable.

Compte-rendu : Grignan. Temple, le 5 juin 2013. Emmanuelle Zoldan, Marc Larcher, Valérie Florac, piano. Airs et duos : Bizet, Gounod, Massenet, Offenbach, Saint-Saëns.

Emmanuelle Zoldan sepiaC’est un autre lieu non négligeable qui accueille et promeut la musique. Issue des anciens Amis du CNIPAL qui accueillaient, encadraient les jeunes stagiaires étrangers aux maigres bourses venus du monde entier s’y perfectionner, les aidant dans leurs démarches administratives, à trouver un logement, etc, sans nulle subvention, l’Association Lyric Opéra s’est constituée pour leur offrir également la possibilité de se produire en solistes ailleurs que dans le Foyer de l’Opéra qui, dans les deux rituelles Heures du thé mensuelles les produit depuis des années. Mais l’association programme également d’anciens stagiaires déjà frottés largement aux scènes nationales et même internationales, qui manifestent de la sorte leur fidélité amicale à ces anciens Amis du CNIPAL.
C’est ainsi que le 2 juin, accompagnés par la ductile pianiste Valérie Florac, étaient à l’affiche deux chanteurs, la mezzo Emmanuelle Zoldan et le ténor Marc Larcher, voix de velours et voix de lumière, ombre et soleil, ambre et or. Tous deux ont diversement incarné des héros lyriques correspondant à leur tessiture sur de nombreuses scènes nationales, la mezzo étant une notable Carmen et Maddalena de Rigoletto, le ténor se taillant par ailleurs de beaux succès dans de belles productions tournantes des grandes opérettes du répertoire classique, sa verve et sa culture franco-espagnole le faisant jubiler dans Andalousie et La Belle de Cadix de Francis Lopez.
Ils proposaient ici Une décennie de musique française, un intéressant état de l’opéra français au XIX e siècle, opéra comique et bouffe compris, de 1865 à 1877, époque où se créée ou recrée un style lyrique français posé par Gounod, imposé par Bizet, proposé même par l’ironie parodique d’un Offenbach, qui ébranle l’empire étouffant de l’opéra italien.
Ils sont beaux, des jeunes premiers, il chantent bien et, par ailleurs, s’avèrent de remarquables interprètes comédiens, donnant vie aux personnages qu’ils incarnent en concert, en dehors de la dramaturgie d’une scène, d’un spectacle. Alternant solos et duos, ils enchantent le public. De la sérénade de Smith (La Jolie fille de Perth de Bizet) à l’aubade de Roméo (Roméo et Juliette de Gounod), Larcher déploie un timbre solaire qui éclairerait vraiment la nuit, ferait vraiment se lever le soleil, projection lumineuse et généreuse, élégance du phrasé, tenue scénique exemplaire : nombre de chanteurs sont déformés par l’émission vocale, lui, il en est embelli, souriant. Nous faisant le cadeau, pour illustrer la thématique du concert, du grand air de Dalila (Samson et Dalila, Saint-Saëns) même s’il est trop grave pour elle et contrarie le souffle, Emmanuelle Zoldan, regard intense, toute en velours vocal, est une sensible Charlotte (Werther de Massenet) à la couleur et au volume homogènes, sans les lourdeurs vocale qui empêtrent parfois le rôle, une Carmen infiniment convaincante, très séduisante. Ces deux jeunes chanteurs réussissent la gageure, tout en chantant face à la partition, de nous donner l’illusion qu’ils sont dans le drame de la scène pour le poignant duo final de Carmen. Enfin, passant à  Offenbach, duos et solos, ils se montrent tout aussi crédibles, risibles dans le jeu, en passant avec une aisance joyeuse de drame  de l’opéra à jubilante dérision de l’opérette. Deux grands artistes secondés par une belle pianiste.Temple Grignan, 2 juin. Emmanuelle Zoldan, Marc Larcher, Valérie Florac, piano. Airs et duos : Bizet, Gounod, Massenet, Offenbach, Saint-Saëns.

Illustration : Emmanuelle Zoldan, mezzo-soprano (DR)

Compte-rendu : Marseille. OpĂ©ra, le 15 juin 2013. Massenet : ClĂ©opâtre. Uria-Monzon … Charles Roubaud, mise en scène. Lawrence Foster, direction

Cléopâtre de Massenet Marseille RoubaudDans le cadre de sa saison méditerranéenne MP13, l’Opéra de Marseille a donc présenté le 15 juin, en première création sur notre scène, une nouvelle production de Cléopâtre, le dernier opéra de Jules Massenet, né en 1842 et décédé en 1912. Commencé dès 1911, l’ouvrage ne sera créé, à Monte-Carlo, que le 23 février 1914, deux ans après la mort du compositeur, juste avant la Grand Guerre qui verra sa longue éclipse. Il faudra attendre sa reprise au Festival Massenet de Saint-Étienne en 1990 et celle de Marseille cette année pour ressusciter la belle Égyptienne chantée par Massenet.

L’œuvre, texte et musique. Il est de bon ton, en France, dans certains milieux critiques, de décrier Massenet et, en particulier, ce dernier ouvrage composé en 1911, au titre qu’il serait traditionnel après les révolutions musicales que sont Pelléas et Mélisande de Debussy (1902) et les premiers opus de Schönberg et de Stravinsky. Mais on oublie que ces derniers n’ont pas encore écrit leurs œuvres vraiment révolutionnaires, Pierrot lunaire (1912) pour le premier, Le Sacre du Printemps (1913) pour le second, qui ne sont pas exactement des ouvrages lyriques et que Turandot de Puccini, avec lequel la comparaison serait plus pertinente, est de 1926 et relève du lyrisme italien de sa Tosca de 1900, tout comme Richard Strauss suit la tradition lyrique allemande wagnérienne avec Salomé (1905) puis Elektra (1909). Pourquoi donc Massenet, déjà auteur de vingt-quatre opéras, serait-il, avec ce testament, moins légitime qu’eux pour demeurer dans une tradition française et sa propre lignée musicale ? Abandonnant ces clichés critiques, anachroniques, il faut donc juger cet opéra comme il est, pour ce qu’il est et non pour ce qu’il aurait dû être ou comme on voudrait qu’il fût. La musique en est donc dans la filiation des œuvres du compositeur, avec, cependant, des récitatifs assez secs frôlant le parlando et un refus moderne de la mélodie trop facile et des développements thématiques trop tissés.
Le livret, de Payen/Cain est intitulé « Poème », bien qu’en prose, mais on y perçoit, souvent, des coupes de 12 pieds, donc des rythmes d’alexandrin, exacts ou approximatifs, et ses hémistiches (//) de 6 syllabes :

« Rome est grande et son nom// rayonne sur le monde ! » ;
« Marc-Antoine a partout// fait triompher ses aigles// et les peuples d’Asie » ;
« Je reçois votre hommage// et vous promets la paix.» ;
« Je suis venue quittant/mes palais enchantés », etc.

Ces récurrences rythmiques, la musique reprenant certaines phrases à la fin des airs, créent souvent ainsi, par leur itération, le sentiment de retour que donnent habituellement les vers, et la sensation d’un air clos sinon un da capo.

Histoires, non Histoire. Le sous-titre, c’est « Drame passionnel en 4 actes et 5 tableaux. » C’est avouer que le drame politique, l’Histoire, le cède aux éternelles histoires d’amour et de mort, tradition de tout l’opéra romantique. En effet, le contexte historique mais encore surtout amoureux, y est suggéré de façon très elliptique au détour d’une phrase : Marc-Antoine rappelle d’emblée la liaison ancienne de Cléopâtre avec César qu’elle avait séduit (elle n’avait que quinze ans, quatorze ans plus tôt). Cela paraît comme une défense amoureuse personnelle du faible triumvir. Habile, flatteuse, la reine, lui répond qu’il est plus fort que César : elle le charme en lui concédant que lui ne cédera pas à ses charmes. Marc-Antoine, malgré ses premières dénégations, perd ses préventions : venu en vainqueur, il est aussitôt vaincu, conquis par sa conquête et le maître s’assujettit à sa maîtresse, la maîtresse femme.
On voit donc que la réalité historique, l’alliance politique et militaire entre le Triumvir —en rupture avec Octave pour la domination de Rome— et la reine d’Égypte dont le royaume est menacé d’annexion coloniale par les Romains, est pratiquement inexistante dans l’opéra ; rien du fruit des amours de Cléopâtre et de César, leur fils Césarion, véritable enjeu de la guerre que lui livre Octave. Ce dernier, le futur Empereur Auguste, simplement neveu et fils adoptif de César, dont il a hérité l’immense fortune et les pouvoirs, craint surtout que Césarion, fils légitime, et déjà reconnu futur pharaon d’Égypte, ne lui conteste l’héritage romain, se retrouvant ainsi à la tête d’un formidable empire. Il tuera plus tard ce jeune rival. Marc-Antoine, grand guerrier n’est ici qu’un amoureux passionné, tourmenté de nostalgie sensuelle de Cléopâtre alors qu’à Rome, il vient d’épouser Octavie, sœur d’Octave, mariage qui voulait sceller une paix et une alliance familiale entre les deux triumvirs rivaux, contre le troisième larron triumvir, Lépide : bref un partage le plus personnel possible du pouvoir qui, de trois, passera à un seul.
Pareillement, la fameuse bataille d’Actium (2 septembre 31 AJC) qui marque la défaite définitive des deux amants alliés face à Octave, n’est évoquée que par un soupir désespéré de Cléopâtre au dernier acte :

« Actium !… la défaite !… la fuite !…»

L’auditeur cultivé se souvient qu’elle a participé à ce combat en Grèce avec sa flotte mais que, croyant la partie perdue, elle prend la fuite vers l’Égypte pour sauver ses navires, laissant Marc-Antoine abandonné avec les siens. Elle en éprouve du remords, espérant

« Son pardon !… Car c’est moi //qui causai sa défaite. Cette fuite insensée… »

Évacuée l’Histoire, ou du moins très discrètement en coulisses pour un public cultivé, il ne reste donc, à l’auditeur moyen que ce « drame  passionnel » annoncé, ces amours finissant par un double suicide successif : Marc-Antoine, croyant Cléopâtre suicidée tente de se tuer, comme Roméo se tue croyant Juliette morte, laquelle se suicide à son tour, en le voyant mort.

Histoires d’amour

 

À côté de ces deux personnages principaux aux nobles voix graves, Marc-Antoine, baryton, et Cléopâtre, mezzo, inversant la tradition opératique qui dote les héros principaux des voix aiguës, il y a le contrepoint vocal de deux amoureux malheureux face au couple d’amants qui vont entrer dans la légende, un ténor et une soprano, Spakos, amoureux transi puis comblé et jaloux de Cléopâtre, et Octavie, la fidèle épouse repoussée de Marc-Antoine. En somme, en deux couples, nous avons trois conceptions distinctes de l’amour : l’amour-passion traversé d’orages entre les deux héros et l’amour conjugal représenté par Octavie qui essaie de ramener Marc-Antoine à ses devoirs envers Rome et l’amour jaloux de l’affranchi, qui cause la perte de Marc-Antoine en lui annonçant faussement le suicide de Cléopâtre pour le désespérer. Pour punir le félon, Cléopâtre le tue et, ne pouvant sauver Antoine de sa tentative de suicide, pour n’être pas indignement traînée à Rome au triomphe spectaculaire d’Octave, elle se tuera à son tour en sa faisant piquer par l’aspic.

    « Courtisane ! »

Un opéra, épure dramatique, ne pouvant s’encombrer de personnages trop nombreux, on comprend l’oubli de ses deux frères-époux (Ptolémée XIII et XIV) dont on sait quelle fit assassiner au moins le second pour régner seule —tout comme son encombrante sœur Arsinoë qui l’avait un moment éclipsée sur le trône. Mais la plus grande distorsion historique, avec c’est sans doute celle que subit la personne de Cléopâtre VII.
D’entrée, Marc-Antoine, qui ne la connaît pas, la traite sept fois de « Courtisane ! », de dépravée, évoque le nombre de ses amants, avant de trouver lui-même des charmes dans cette dépravation orientale dont il devient esclave. Pour charger le tableau, on nous la montre aussi, tel un aristocrate ou bourgeois décadent, courir s’encanailler dans les troubles jouissances d’un double, d’un travestissement, dans un bouge populaire, confessant publiquement sa recherche plaisirs nouveaux. Pourtant, si la légende noire de la reine égyptienne colportée par les historiens romains à la solde de ses ennemis politiques se complaît à exagérer sa vie sexuelle dissolue, ils ne lui prêtent, bien étonnant pour l’époque, pas d’autres enfants que ceux qu’elle eut de César et de Marc-Antoine. Ils auraient pu la noircir aisément sur les inévitables fruits bâtards de sa couche prodigue.
Cléopâtre fut une grande politique et une mère tentant de préserver l’héritage de son fils Césarion et des trois autres enfants qu’elle eut d’Antoine. Mais cette Cléopâtre lyrique est rangée ici dans le catalogue décadent des mondaines, demi-mondaines, des hétaïres qui hantent l’imaginaire masculin du XIXe siècle, grandes pécheresses comme Marie Madeleine, Thaïs, Manon déjà mises en musique par Massenet, et autres « Traviata », Carmen ou bien Salomé chère à Oscar Wilde (1891) et Strauss (1905) et aux tableaux divers de Gustave Moreau, etc, vénéneuses femmes fleurs de Klimt et de l’art décadent entre  morbide Symbolisme et Art Nouveau, séductrices repenties ou pas, femmes fatales mais presque toujours pour elles-mêmes puisque punies par la mort.
La Grande Guerre, si elle porte un coup à ces rêveries érotiques et névrotiques d’une époque révolue, n’en perpétue pas moins, dans un autre genre, ce type de femme fatale, à travers le mythe de la courtisane espionne comme Mata-Hari, et, pendant les « Années folles » de la post-guerre, les lesbiennes libérées, la Madone des sleepings, les « garçonnes » fripées mais friquées, libres et libertines, s’offrant cyniquement les services de beaux garçons comme dans le roman de Philippe Hériat, La Foire aux garçons. Le type, à notre époque, de la femme significativement surnommée « cougar », avide de chair fraîche masculine, n’en est qu’un avatar, un nouveau visage de plus.
La Cléopâtre de Payen/Massenet fait songer inévitablement à Carmen : adorée par tous, apparemment dédaignée et vilipendée par Antoine, elle, la captive, réussit à le captiver comme l’est Don José et, dans une taverne borgne avec danseuses qui ressemble fort à celle de Lillias Pastias à Séville, il y a un incident causée par la jalousie de Spakos, très Son José. D’ailleurs, le mot gitane n’est que la corruption populaire d’égyptienne, les « Gitans » ou « Égyptiens » prétendant descendre de Pharaon.

Réalisation

Maître d’œuvre de cette production, Charles Roubaud est entouré de sa fidèle et solide équipe est l’harmonie du travail commun est sensible. Le décor (Emmanuelle Favre), signe des temps de crise, est pratiquement réduit à un théâtral cadre de scène, sorte d’atrium triomphal paré de rideaux rouge empire, à quelques éléments intérieurs, marches, muret, mobilier caractéristique, romain, égyptien. Ce vide solide est rempli par les projections précises et précieuses de Marie-Jeanne Gauthé, qui nous plongent avec une grande vraisemblance dans une Antiquité tour à tour égyptienne et romaine, dans des couleurs, des teintes éteintes, roses, bistres, gris, beige, verts et bleus légers (qui font vibrer le rouge impérial des tentures). Cela évoque les décors de théâtre du XIX e siècle, dont on peut sottement ricaner aujourd’hui par ignorance, mais qui avaient la précision scientifique réaliste des plus récentes découvertes archéologiques dont de savants dessinateurs ramenaient des témoignages, avec ces peintures, aujourd’hui presque disparues d’une monumentalité que l’on croit toute blanche à l’os alors que tout monument était versicolore, à défier le technicolor des péplums hollywoodiens les plus hardis.
Pourquoi le théâtre en crise financière d’aujourd’hui se priverait-il des moyens modernes de faire rêver du passé quand, à l’évidence, la culture historique se joint au sens esthétique ? Nous avons, ainsi, tour à tour, un camp romain symboliquement fortifié de pieux sur une plage, tente et aigles romaines avec fond de galères, l’élégant atrium romain d’un sobre raffinement qui nuance en homme de goût Antoine le grand soldat, avec torchères et impluvium à eau courante avec, au bout, un magnifique Apollon du Belvédère ou l’une de ses nombreuses répliques, signe de la passion des patriciens romains pour l’art grec, le futur empereur Auguste, pour l’heure simple Octave, n’hésitant pas à faire condamner à mort certains possesseurs d’œuvres grecques pour en enrichir ses collections ; la taverne est vraisemblable et les jardins du palais d’Alexandrie de Cléopâtre, en rondeurs de colonnes et de moelleux coussins tout opposée à la raideur géométrique et virile de la demeure romaine de Marc-Antoine, font sens sensuel sur leur émolliente imprégnation délétère sur le triumvir et font rêver comme son tombeau déjà prêt fait frémir sur cette société qui fait aussi une œuvre d’art, de théâtre, de la mort, du suicide. Crépusculaires à tous les sens du mot, d’un monde qui s’achève, tamisées, les lumières de Marc Delamézière ont la douceur d’estompe et d’estampe du XIXe siècle, de certains tableaux romantiques ou symbolistes. Tableaux qui font sens psychologique et dramatique en opposition, monde d’en haut et d’en bas, militaire et civil, l’homme et la femme, la guerre et la fête, l’amour et la mort.
Dans ce cadre raffiné, les costumes inspirés de Katia Duflot font merveille : rudesse sombre et rigide des uniformes des fiers tribuns, légionnaires et triumvir romains, face à eux, drapés clairs et souples, des vulnérables vaincus et, précédée de danseuses toutes voiles dehors, comme un envol de mouettes, Cléopâtre apparaît dans une robe comme voilée, drapée de lune argentée : l’enlacement avec la raideur de roc de Marc-Antoine qu’elle semble envelopper, est plutôt le choc de l’eau fluide contre la pierre qui en finira usée. Sa robe de fête mêle vague argent et rose fanée, puis elle est, avant sa mort, de blanc vêtue sous un impalpable voile de victime qui flotte, vole telle une âme agitée cherchant à se poser, à repose enfin.
Toute en fidélité au texte, impératif imposé par l’ayant droit de Massenet, la mise en scène de Charles Roubaud se coule dans ce moule qu’il a voulu : beauté plastique des mouvements de masse, presque aérienne ou ondoyante de voiles des danseuses de Cléopâtre, rigueur verticale militaire du monde romain et horizontalité orientale égyptienne, amoncellement moelleux de coussins et l’on pense au désordre voluptueux de La Mort de Sardanapale comme dans ce suicide annoncé. Les héros nobles le sont aussi par le maintien, l’attitude, la sobriété de l’expression hors les fureurs jalouses de Marc-Antoine et le désarroi de Spakos. Sous sa direction, de grands et beaux acteurs autant que chanteurs.

Interprétation

L’homogénéité du plateau est évidente et sensible dans tous les rôles et mâles voix graves des hommes : Philippe Ermelier est un Ennius puissant, Bernard Imbert un Amnhès picaresque et pittoresque, Jean-Marie Delpas un Severus d’une romaine solidité et même l’épisodique esclave Norbert Dol a une richesse de timbre digne d’intérêt. À côté de ces voix sombres, et surtout auprès du vainqueur baryton auquel il s’oppose d’emblée en imposant Cléopâtre avant même son entrée, la voix claire et aiguë de Luca Lombardo fait contraste saisissant et signifiant : l’aimé n’est plus le ténor, héros déchu désormais, et son déchirement de véritable amoureux fidèle et désintéressé, d’amant bafoué et sacrifié, il l’exprime avec une vérité bouleversante. Il fait involontairement paire et couple malheureux avec l’autre personnage blessé, la soprano Octavie, épouse reléguée et abandonnée de Marc-Antoine, qui chante son désespoir et sa constance d’une belle voix lumineuse mais aussi ferme que le devoir de matrone romaine que Kimy Mac Laren incarne avec une grande élégance scénique.
Tel le quatuor vocalement inversé de Cosí fan tutte, que le déguisement harmonise en paires de voix de tessiture et couleur semblables, ici, la passion écarte des grands rôles les voix traditionnelles soprano/ténor pour laisser en tête à tête, en duel et duo, la mezzo et le baryton, unis pour le meilleur et le pire, pour l’amour et la mort. La stature, l’allure, la figure, la voix vaillante de Jean-François Lapointe en Marc-Antoine montrent à l’évidence qu’il est le centre du drame, l’épicentre du cataclysme politique et militaire qu’il déclenche, lui vainqueur, en passant sous les fourches caudines de sa soi-disant esclave Cléopâtre qui, à part l’avoir séduit, ne fait plus que subir les conséquences de ses actes ou de sa non action, jusqu’à mourir puisqu’il est mort. Il est de saisissante façon le soudard soûlard de l’Histoire, toujours la coupe à la main, veule et avili, rongé par l’inaction et le remords, mais si humain dans son désir et sa jalousie : il est Pelléas et Golaud à la fois, amoureux et jaloux. La Cléopâtre de Béatrice Uria-Monzon explique sinon justifie toutes les folies du triumvir : elle n’a qu’à paraître, voilée de deux ailes, jouant les vaincues pour vaincre. Son premier air, sans doute un peu trop grave pour sa voix, loin de le grossir, elle le murmure, le susurre et en arrondit, pour envoûter de velours vocal, les volutes mélismatiques étranges, enveloppantes. Une séduction non dans l’ivresse consciente du pouvoir de sa beauté mais dans la finesse de la conscience qu’elle joue et risque gros. Canaille, perverse, lucide dans la responsabilité de sa défaite, drapée dans sa dignité de reine divine risquant la déchéance publique du triomphe d’Octave, elle redevient humblement femme, humaine au moment de la mort par l’aspic que lui tend, dans le panier de fleurs et fruits, la charmante Charmion d’Antoinette Dennefeld : avec la même évidence scénique et vocale, aussi souveraine dans la grandeur que dans la misère de la commune mort.
Un beau danseur, Marco Vesprini, ovationné, et quelques ballets qui sacrifient à la tradition française et à un orientalisme de bon ton, un chœur bien préparé par Pierre Idodice agrémentent ce beau spectacle. Avec une gestique bien personnelle, plus affective que métronomique et géométrique, Lawrence Foster, réussit la gageure d’une direction sans accroc qui accroche l’auditeur à cette musique bien française par sa mesure mais étonnante sinon détonante d’un Massenet vieilli mais assez nouveau qu’il faudrait revisiter aussi respectueusement qu’ici.

Opéra de Marseille. Le 5 juin 2013. Massenet : Cléopâtre.  Drame passionnel en 4 actes et 5 tableaux. Livret de Louis Payen et Henri Cain. Béatrice Uria-Monzon, Cléopâtre ; Kim Mac Laren, Octavie ; Antoinette Dennefeld, Charmion ; Jean-François Lapointe, Marc-Antoine ; Luca Lombardo, Spakos ; Philippe Ermelier, Ennius ; Bernard Imbert, Amnhès ; Jean-Marie Delpas, Sévérus ; Norbert Dol, l’esclave.  Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille,. Lawrence Foster, direction musicale.  Charles Roubaud, mise-en-scène ; Emmanuelle Favre, décors ; Marie-Jeanne Gauthé, vidéographie ; Katia Duflot, costumes ; Marc Delamézière, lumières.

Illustration :  Christian Dresse © 2013

Werther de Massenet Ă  l’OpĂ©ra Bastille

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Paris, Opéra Bastille. Massenet : Werther. Du 19 janvier au 12 février 2014.

S’il ne dĂ©commande pas c’est Roberto Alagna qui chante Ă  l’OpĂ©ra de Paris – après l’incarnation mĂ©morable de Jonas Kaufmann (!) ce qui sera certainement son dernier grand rĂ´le sur les planches parisiennes : Werther de Massenet (1892) d’après Goethe. A 50 ans, Jules Massenet signe l’un de ses chefs d’oeuvres avec Manon et Esclarmonde. Y pleurent et le jeune hĂ©ros impuissant Ă  aimer et enlever celle qu’il aime de tout son ĂŞtre, et sa bien aimĂ©e Charlotte que le devoir (toujours) et une promesse Ă©noncĂ©e trop vite, obligent Ă  en Ă©pouser un autre (Albert)…  Triste temps pour les amants romantiques, mais il est vrai pas assez rebelles, trop conformes dans leur vie fade et bourgeoise pour oser s’aimer librement… seraient-ils comme Eugène OnĂ©guine et la jeune Tatiana (dans l’OpĂ©ra de TchaĂŻkovski) eux aussi incapables d’agir ? Comme vouĂ©s Ă  une inertie mortelle. Au final, nous voilĂ  bien face Ă  un lent et inĂ©luctable Requiem pour un jeune romantique trop faible et dĂ©calĂ©.
Dans la mise en scène de Benoît Jacquot (créé originellement à Londres en 2004), et sous la conduite ductible, vibrante de Michal Plasson grand connaisseur de la partition, Karine Deshayes est Charlotte, elle aussi, succédant à une précédente mezzo frappante par son intensité vocale : Sophie Koch.

Opéra Bastille
Du 19 janvier au 12 février 2014

 

 

 

Requiem pour un jeune romantique

 

 

WertherWerther est d’abord  créé Ă  l’OpĂ©ra ImpĂ©rial de Vienne, le 16 fĂ©vrier 1892, en allemand, sous la direction du compositeur. L’ouvrage est créé en français Ă  Genève le 27 dĂ©cembre 1892. D’après le roman de Goethe, dĂ©couvert par Massenet depuis son sĂ©jour Ă  Bayreuth en 1886, Werther est un opĂ©ra proche de sa source littĂ©raire, contrairement aux adaptations lyriques de Gounod (Faust) et de Thomas (Mignon), plus fantaisistes vis Ă  vis du modèle goethĂ©en.
Massenet cependant rĂ©serve Ă  Charlotte une place aussi importante que Werther, ne rĂ©sistant pas Ă  dĂ©velopper les ressources expressives et dramatiques que permet ce duo amoureux impossible. La non rĂ©alisation  comme dans Eugène OnĂ©guine, est la clĂ© de leur relation; le compositeur rĂ©ussit d’ailleurs un opĂ©ra lumineux par ses dĂ©clarations sombres, ses reports mĂ©lancoliques qui finissent par ronger le coeur du trio Albert/Charlotte/Werther.
Les couleurs de l’orchestre soulignent en dĂ©finitive ce qui reste un opĂ©ra intimiste, Ă  l’Ă©coute des vertiges de l’âme… Ame romantique, donc tourmentĂ©e et en conflit, jamais apaisĂ©e, toujours en quĂŞte d’un idĂ©al inaccessible.

En classique français, Massenet se garde d’adopter le wagnĂ©risme ambiant: son Ă©criture garde cette Ă©lĂ©gance transparente et fine, emblème de son style “XVIIIème”.  A l’origine pour tĂ©nor, le rĂ´le-titre fut ensuite réécrit par Massenet en 1902, pour le baryton Mattia Battistini. De sorte que nous avons Ă  prĂ©sent, validĂ©es par l’auteur lui-mĂŞme, deux versions de Werther de Massenet, l’une pour tĂ©nor, l’autre pour baryton.

 

 

CD. Massenet : Le Mage (Campellone, 2012)

CD. Massenet : Le Mage (Campellone, 2012)   …   Paris, 1891. A 39 ans, l’Ă©clectisme de Monsieur Massenet, furieusement dramatique, dĂ©jĂ  saluĂ© pour Werther et Esclarmonde, s’affirme ici dans le genre grand opĂ©ra français sur un sujet oriental. En choisissant après Rameau,  la figure du prĂŞtre d’Ahoura-Mazda, Zaroastre/Zarastra, Massenet certes s’orientalise (mais pas exagĂ©rĂ©ment, tout au plus comme il l’a fait pour Le roi de Lahore ou HĂ©rodiade, comme il le fera ensuite dans ThaĂŻs) ; ses Ă©vocations exotiques sont de pures recompositions, fantasmatiques Ă  la façon de l’orientalisme d’un GĂ©rĂ´me, peintre contemporain qui fut aussi l’ami de Massenet. La facultĂ© qu’a Massenet de se renouveler pour chaque sujet force l’admiration. Dans son Mage, le compositeur illustre et cĂ©lèbre surtout comme dans ThĂ©rèse plus tard (1907), les vertus proprement … rĂ©publicaines. Zarastra a des allures de grand prĂŞtre issu des valeurs de la RĂ©volution, n’aimant que le Bien et la VĂ©ritĂ©, au-dessus des enjeux religieux. Contre les fanatismes et le mensonge, voici un ĂŞtre de lumière qui jusqu’Ă  la fin, reste maĂ®tre de ses passions (Ă  la diffĂ©rence de celle qui l’aime, la  rugissante Varheda, – prĂŞtresse comme lui, dont le dĂ©sir se dĂ©verse et implose en haine dĂ©mesurĂ©e et tenace). 

 

 

Le Palazzetto Bru Zane ressuscite Le Mage de Massenet

 

Massenet : Le MageL’auteur se dĂ©voile aux instants d’intensitĂ© amoureuse Massenet est un grand sentimental et l’on regrette que la conception globale de cette production si attendue, n’ait pas su colorer ses options, d’ivresses plus Ă©perdues, de finesse lyrique plus suggestives voire Ă©chevelĂ©es, de fines allusions aux tourments des deux amants Ă©prouvĂ©s : ici Zarastra et Anahita. La direction du chef demeure uniformĂ©ment carrĂ©e, certes structurĂ©e et claire mais bien peu nuancĂ©e : c’est constamment propre, jamais enivrant. D’oĂą l’impression globale de musique descriptive voire hollywoodienne qui plombe un Massenet, assez schĂ©matique, sans beaucoup de subtilitĂ© (l’orchestre est trop lourd : il fait regretter ici les vertus allĂ©geantes des instruments d’Ă©poque, encore trop absents des recrĂ©ations lyriques de l’extrĂŞme fin du XIXème siècle). Mais n’est ce qu’une question d’instruments : Ă©coutez par exemple ce que parvient Ă  exprimer HervĂ© Niquet dirigeant le Brussels Philharmonic chez Max D’Ollone, Ă©lève de Massenet dont il a rĂ©cemment exhumĂ© Ă  l’initiative du Palazzetto Bru Zane aussi, les cantates pour le Prix de Rome (1895-1897) : la fine caractĂ©risation des personnages par un orchestre d’une subtilitĂ© puccinienne voire straussienne avait ici permis de réévaluer l’Ă©criture du musicien …

Car dans chaque opĂ©ra de Massenet, il y a une scène de conquĂŞte ardente d’un amour lointain qui Ă©voquĂ©, fantĂ´me d’un passĂ© qu’on croyait rĂ©volu, surgit pour prendre possession de l’aimĂ© (ainsi Armand languissant pour ThĂ©rèse, surtout Manon enivrĂ©e dĂ©sireuse de retrouver son Chevalier, devenu l’abbĂ© de Saint-Sulpice …) ; ici mĂŞme affrontement pĂ©rilleux, mais publique devant tout le peuple quand Varedha, menteuse mais si investie empĂŞche le mage Zarastra d’Ă©pouser celle qu’il aime : Anahita, Reine de Touran, en ressuscitant (et dĂ©ballant impudiquement) leurs Ă©treintes passĂ©es … (Acte II).

Un Parsifal français surtout … rĂ©publicain

Au III, bis repetitas, la prĂŞtresse de Djahi rĂ©apparaĂ®t jusque sur la montagne, lieu saint des apparitions oĂą s’est rĂ©fugiĂ© le Mage humiliĂ© … Varheda est un personnage passionnant (Ă  la fois, Ortrud et Lady Macbeth, exigeant un soprano dramatique large et puissant ou un mezzo aux aigus faciles et timbrĂ©s) qui recueille la frĂ©nĂ©sie conquĂ©rante des grandes amoureuses de Massenet  ; la fĂ©line est une sĂ©ductrice ; pour son aimĂ© Zarastra, les foules de fidèles, le pouvoir spirituel immense sur des armĂ©es de sujets soumis car la fille travaille avec son père l’infâme et vipĂ©rin Amrou, instance machiavĂ©lique : leur foi cache une ambition politique dĂ©vorante, prĂŞte Ă  imposer la tyrannie sur le peuple des adorateurs.
On voit bien ainsi que Le Mage est un opĂ©ra rĂ©publicain qui dĂ©nonce par la voix du Mage et dans son itinĂ©raire dramatique, la fĂ©lonie des religieux, le fanatisme aveugle, les dĂ©lires collectifs produisant les pires dĂ©routes  (cf fin cataclysmique du IV) : la France de la IIIè RĂ©publique Ă©dictera bientĂ´t la sĂ©paration de l’Etat et de l’Ă©glise; Zarastra est le fils des Lumières, plus exactement de la lumière de son dieu Mazda qui lui parle par foudre et tonnerre interposĂ©s sur la Montagne Sainte (III) ; en apĂ´tre de la loi nouvelle issue de la RĂ©volution, le prĂŞtre  cĂ©lèbre VĂ©ritĂ©, Bien, Lumière. Face Ă  Verhada rugissante et ardente, vĂ©ritable Kundry possĂ©dĂ©e, Zarastra renforce son mysticisme supĂ©rieur dĂ©finitivement rĂ©fractaire aux assauts de la terrible amoureuse …

L’opĂ©ra de la grande forme et des dĂ©flagrations orchestrales pas – toujours très subtilement Ă©noncĂ©s dans cette lecture-, se rĂ©alise encore au IV oĂą après les lumineux Ă©clairs de Mazda au III, Massenet dĂ©veloppe pour le ballet obligĂ© l’Ă©vocation de la ferveur iranienne dans le temple de la Djahi : succession de tableaux dont la sauvagerie orientalisante concentre la nature lascive et primitive de la religion prĂ´nĂ©e et dĂ©fendue ici par les Iraniens. Puis tout implose littĂ©ralement dans une scène de transe et de folie fanatique Ă  l’issue de laquelle Massenet peint un mariage forcĂ© et hystĂ©rique qui aboutit au massacre organisĂ© (de la belle Anahita qui cependant s’en sortira).
L’acte final est le sommet de cet Everest vocal et il faut de très solides chanteurs pour atteindre aux suraigus expressifs sans craindre les dĂ©chirures. On y retrouve le trio infernal Zarastra et Anahita, poursuivis par la toujours haineuse et maudissante Varheda, vĂ©ritable harpie et vipère qui comme toutes les amoureuses dĂ©chainĂ©es, implose en plein vol.

Eclectisme orientalisant

Sous la direction du chef, la partition de Massenet multiplie ses fureurs orientales avec un fracas cependant rarement ciselĂ©es ; l’auteur marquĂ© par sa dĂ©couverte de Parsifal Ă  Bayreuth aurait-il souhaitĂ© rendre hommage au dernier Wagner ? C’est tout Ă  fait possible dans la continuitĂ© symphonique mais (ici tonitruante) de l’orchestre : las, peut-ĂŞtre trop contraint par la commande officielle, le compositeur semble ici souvent Ă©pais, grandiloquent, trop solennel (mĂŞme dans les 10 Ă©pisodes du grand ballet qui ouvre le IV) : les grands ensembles choraux en style concertato comme dans le III (oĂą Massenet rivalise avec les tableaux collectifs d’AĂŻda de Verdi …), la prĂ©sence permanente des percussions et des cuivres – si peu mesurĂ©s ici-, font basculer l’ouvrage dans le monumental parfois … racoleur. Trop martial, trop vĂ©hĂ©ment dans ses atours collectifs, l’opĂ©ra souffre d’un manque manifeste d’Ă©quilibre plus subtils, de nuances plus humaines et introspectives.

CĂ´tĂ© chanteurs, notre apprĂ©ciation s’adoucit très largement. Dans le personnage possĂ©dĂ© et vengeur de Varheda (vraie Kundry Ă  la française … qui cependant, sans rĂ©mission envisagĂ©e, reste dans la vocifĂ©ration haineuse du dĂ©but Ă  la fin), saluons la très honnĂŞte Kate Aldrich ; la cantatrice aborde sans rupture de souffle un rĂ´le …  vertigineux. La couleur du timbre, le chant affirmĂ© et engagĂ© (malgrĂ© une articulation claire du français inexistante) exprime idĂ©alement les tiraillements volcaniques de cette amoureuse ambitieuse Ă©conduite.
Dommage que dans le caractère clĂ© et si exigeant du Mage Zarastra (conçu pour le tĂ©nor lĂ©gendaire Jean de ReszkĂ©), Luca Lombardo, malgrĂ© la justesse racĂ©e de la ligne et une intelligibilitĂ© louable, ne cache pas l’usure de sa voix parfois tirĂ©e dans l’aigu. Il est vrai qu’au moment du concert de Saint-Etienne dont dĂ©coule l’enregistrement, le tĂ©nor Ă©tait annoncĂ© souffrant.

L’Anahita de Catherine Hunold a certes l’Ă©clat droit de la souveraine de Touran mais l’intonation manque de subtilitĂ© : elle aurait pu faire une rivale plus nuancĂ©e de Varheda. NĂ©anmoins les aigus sont prĂ©sents, mĂ©talliques, incisifs … parfois criĂ©s : ils tĂ©moignent d’une partie vocale extrĂŞmement exposĂ©e (au suraigu mĂ©morable comme dans la fin du IV) qui Ă  l’origine fut conçu pour la soprano coloratoure Sibyl Sanderson (la crĂ©atrice d’Esclarmonde et de ThaĂŻs ; la vĂ©ritable muse pour Massenet et peut-ĂŞtre plus…, a aussi marquĂ© le rĂ´le de Manon).
Marcel Vanaud comme Jean-François Lapointe apportent chacun, une touche virile plutôt convaincante : ils font respectivement un Roi iranien plein de fougue bestiale (dans la scène du mariage arrangé à la fin du IV) et un prêtre Amrou, ivre de pouvoir, idéalement noir, méphistofélien.

Mis Ă  part nos quelques rĂ©serves s’agissant de ce premier enregistrement discographique du Mage de Massenet, les vertus musicales de la partition mĂ©ritent amplement la prĂ©sente rĂ©surrection. Voici un nouveau jalon dans notre connaissance amĂ©liorĂ©e des opĂ©ras de Massenet : scientifiquement juste et lĂ©gitime, ce Mage ne prĂ©sente pas pour autant l’Ă©vidence de ThĂ©rèse, autre volume de la collection ” OpĂ©ra Français ” du Palazzetto Bru Zane, qui bĂ©nĂ©ficiait  alors de deux chanteurs exemplaires (Armand, AndrĂ© : Charles Castronovo et Etienne Dupuis). Saluons le Centre de musique romantique française de nous offrir avec dĂ©calage, une autre notable redĂ©couverte : Le Mage est un ouvrage oubliĂ© mais dĂ©cisif dans la carrière du StĂ©phanois, quelques mois après les cĂ©lĂ©brations de son Centenaire 2012.

 

Massenet : Le Mage (mars 1891). Première discographique. Livret de Jean Richepin. Avec Zarâstra : Luca Lombardo ; Varedha : Kate Aldrich ; Anahita : Catherine Hunold ; Amrou : Jean-François Lapointe ; Le Roi d’Iran : Marcel Vanaud ; Prisonnier Touranien / Chef Iranen : Julien Dran ; Chef Touranien / HĂ©raut : Florian Sempey. ChĹ“ur lyrique Saint-Etienne Loire ; Chef de chĹ“ur : Lautent Touche. Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Laurent Campellone, direction musicale.  Livre disque 2 cd, Palazzetto Bru Zane, collection ” OpĂ©ra Français “. Parution : septembre 2013.

 

 

CD. Massenet: Thérèse (Gubisch,Dupouy,Castronovo, Altinoglu,2012)

CD. Massenet : Thérèse (Altinoglu, live 2012)

La coupe dramatique de l’opĂ©ra ThĂ©rèse (créé Ă  Monte Carlo en 1907), dès l’Ă©noncĂ© haletant de l’ouverture (annonce du couperet fatal qui Ă  terme emportera et ThĂ©rèse et son Ă©poux) manifeste le gĂ©nie de Massenet. Un Massenet, auteur officiel incontournable du milieu français, qui sexagĂ©naire, trouve de nouveaux ressorts pour rĂ©gĂ©nĂ©rer son inspiration. Ce nouvel enregistrement courageux nous en offre la preuve. C’est mĂŞme un moderne dont les mĂ©dias de l’Ă©poque ont relayĂ© la correspondance- rien qu’au tĂ©lĂ©phone (!) – avec le librettiste en vue de l’Ă©laboration de l’ouvrage. Massenet au tĂ©lĂ©phone, voilĂ  une image qui en 1907 impose un compositeur devenu monument musical, et depuis toujours Ă  l’avant-garde. Impression confortĂ©e encore Ă  l’Ă©coute de cette ThĂ©rèse rĂ©ellement passionnante.

Thérèse, enfin dévoilée

Massenet_Therese_280Toute l’action est infĂ©odĂ©e au passĂ© qui surgit oĂą on ne l’attend pas ; la musique ouvre des gouffres de passions dĂ©vorantes, des vagues de tendresse dont seul Massenet a le gĂ©nie… les forces de la psychĂ© Ă©prouvent l’âme amoureuse de la citoyenne ThĂ©rèse ; mais l’Ă©pouse se rĂ©vèle et s’impose finalement, affirmant une indĂ©fectible loyautĂ©, en dĂ©pit des vertiges sensuels que rĂ©veille la prĂ©sence insistante de son ancien amant. ConfrontĂ©e au surgissement du rĂŞve, la girondine a changĂ© : elle se voue prioritairement Ă  l’Ă©poux AndrĂ©. Massenet tire profit du jeu des contrastes qu’il a choisi sciemment et de façon mesurĂ©e : les girondins AndrĂ© et son Ă©pouse ThĂ©rèse d’un cĂ´tĂ©, et de l’autre, leur ami (et amant), Armand, l’aristocrate dĂ©chu ; d’un cĂ´tĂ© pour la jeune femme, l’ivresse revivifiĂ©e du passĂ© amoureux que porte la prĂ©sence d’Armand opposĂ© Ă  l’esprit du devoir conjugal ; l’appel au rĂŞve, un” lĂ  bas ” Ă©voquĂ© par ThĂ©rèse, en sphinge axiale, autant avec son Ă©poux qu’avec son amant… et qui inspire au compositeur deux duos amoureux parmi les plus ineffables de sa crĂ©ation; d’un cĂ´tĂ©, un huit clos sentimental Ă  trois; de l’autre, la violence barbare et collective de l’Ă©poque rĂ©volutionnaire (la Terreur a fascinĂ© Massenet, conscient de son potentiel hautement dramatique)… etc…Au final, il ressort que davantage encore que dans Manon d’après l’AbbĂ© PrĂ©vost, le prĂ©texte historique et rĂ©volutionnaire n’est valable que dans la mesure oĂą il renforce les Ă©pisodes d’effusion purement sentimentale que fait jaillir le dĂ©sir des trois protagonistes : AndrĂ©, ThĂ©rèse, Armand. Un trio d’autant plus liĂ© (la femme, son mari et son ancien amant) que les deux hommes sont tout autant liĂ©s par une amitiĂ© profonde… peut-ĂŞtre davantage dĂ©fendue par AndrĂ©.

Facettes d’un chef d’oeuvre

Dans cet opĂ©ra d’un naturalisme surtout sentimental, le choix du clavecin par exemple (symbole musical parmi tant d’autres) prend la mĂŞme valeur que celle, essentielle, de la fleur que jette Carmen Ă  l’attention de JosĂ© dans l’opĂ©ra de Bizet : ce ” menuet d’amour ” que chante alors le marquis Ă  son ancienne DulcinĂ©e renforce le stratagème de l’amant venu reprendre ThĂ©rèse, quitte Ă  trahir son ami d’enfance, celui qui est si bon pour lui.
Il y a ici des situations comparables Ă  celle de Manon quand terrassĂ©e par un amour qui la dĂ©passe, Manon reconquiert au nom des serments passĂ©s, eux aussi, son amant devenu curĂ© Ă  Saint Sulpice (!) : encore des jeux de contrastes ; dans ThĂ©rèse, l’activitĂ© de l’amant n’aura pas Ă©tĂ© vaine: c’est une amoureuse reconquise qui s’exprime enfin (du moins le croyons-nous) dans l’air passionnĂ© et d’un calme voluptueux ) la fois : ” Viens partons ” vers ce ” LĂ  bas … ” dont l”invocation magiciennescelle les serments de l’amoureuse avec son mari et avec son amant ; le choc de la rencontre produit ses effets et prend la forme d’un aveu d’une passion rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e avec une ardeur intacte comme l’exprime alors le chant aĂ©rien de la harpe dont la sonoritĂ© des cordes pincĂ©es rĂ©itèrent ce qu’a produit le clavecin dans la partie prĂ©cĂ©dente.
On savait Massenet gĂ©nial dramaturge : cette intelligence des Ă©pisodes qui se rĂ©pondent et ces options instrumentales prĂ©cises, agissant de connivence, d’une partie Ă  l’autre, soulignent la perfection du plan dramatique.
On pourrait ailleurs relever l’Ă©loquence dramatique du compositeur dans le trio tardif fixant la situation psychologique de chacun des trois personnages (scène 3, partie II) : aboutissement remarquable d’une Ă©criture savante qui s’appuie sur un solide mĂ©tier : Massenet n’a pas comptĂ© pour rien dans l’histoire des cantates pour le prix de Rome. Cet Ă©pisode Ă  lui seul aurait tout Ă  fait valider le succès de ses Ă©lèves laurĂ©ats tels Charpentier ou D’Ollone.

vertus de la fulgurance

Mais ce qu’apporte ThĂ©rèse, c’est la concision et l’intensitĂ© d’une Ĺ“uvre d’autant plus forte qu’elle dure peu, son parcours dramatique en un seul acte. Jamais Massenet n’avait Ă©tĂ© plus poète, ivre d’une sensualitĂ© extatique qui fait le nĹ“ud Ă©motionnel de l’ouvrage d’abord dans le superbe duo amoureux entre ThĂ©rèse et son Ă©poux Thaurel (“… aimer, c’est vivre; il faut aimer…”); puis comme son Ă©cho contradictoire, le duo qui suit… entre la mĂŞme ThĂ©rèse et son ancien amant, Armand ; le vĂ©risme de Massenet rejoint Ă©videmment celui de Puccini et de Mascagni: ThĂ©rèse est une amoureuse rugissante et mĂŞme d’unevoluptĂ© suprĂŞme que la dĂ©cision finale, dĂ©finitive et tragique, rend forte, sublime, admirable par son sens du dĂ©passement, du sacrifice, de la grandeur morale. C’est une figure digne d’Alceste.

Que vaut cet enregistrement rĂ©alisĂ© sur le vif lors du dernier festival de Montpellier 2012 ? La version s’impose par la justesse psychologique des voix requises, surtout masculines, chants d’un tempĂ©rament inouĂŻ qui rend justice au travail musical du compositeur. D’autant que ce dernier n’a nĂ©gligĂ© aucune des facettes des trois caractères. Au point de rĂ©ussir surtout comme nous l’avons dit, sur un fond historique, un huit clos Ă  3 personnages.

Relative dĂ©ception cĂ´tĂ© direction; l’Orchestre n’est rien qu’illustratif et parfois lourd : la baguette manque d’imagination et surtout de cette finesse tĂ©nue qui Ă©pargne au style de Massenet toute sĂ©cheresse mĂ©canique, toute impression de formule acadĂ©mique. La subtilitĂ© qui aurait tant servi le style musical fait souvent dĂ©faut et souvent l’on regrette de n’Ă©couter qu’un Massenet, vaguement rĂŞveur, rarement enchanteur, souvent dĂ©coratif et… prĂ©cieux dans ses rĂ©fĂ©rences historicisantes.

En revanche, Étienne Dupuis est excellent ; le baryton Ă©claire par un chant articulĂ© et d’une remarquable justesse la richesse du personnage d’AndrĂ© : pas uniquement l’Ă©poux aimant Ă  la bonhommie lisse, mais une âme singulièrement brillante et profonde, Ă©poux tendre et ami loyal d’une grandeur humaine admirable (l’astre insoupçonnĂ© au cĹ“ur de la tempĂŞte rĂ©volutionnaire : en roi des contrastes, Massenet a parfaitement atteint son objectif).

Charles Castronovo, d’une hallucination werthĂ©rienne, apporte lui aussi une couleur Ă©motionnelle passionnante au rĂ´le de l’amant fugitif Armand ; c’est une instance qui fait surgir la passion irrĂ©sistible du passĂ©… Il .rĂ©ussit un tour de force vocal lui aussi, portĂ© par la vitalitĂ© ardente d’un caractère qui l’amène Ă  soutenir et couvrir tous ses aigus pourtant redoutables. Armand est en effet de la mĂŞme Ă©toffe passionnĂ©e, vertigineuse, enivrĂ©e voire Ă©chevelĂ©e … que peut l’ĂŞtre celle de Werther, brossĂ© avec la rĂ©ussite que l’on sait par Massenet dans son ouvrage Ă©ponyme. Son grand air conquĂ©rant sur le passĂ©, Ă©tendard flamboyant de son dĂ©sir, vaut un remarquable investissement vocal (scène 5, première partie) et l’un des sommets de la version.

Nora Gubish suscite d’inĂ©vitables rĂ©serves malheureusement : tout lui est facile dans le mĂ©dium de la tessiture quand la pĂ©riphĂ©rie et les extrĂŞmes ne sont pas sollicitĂ©s (long monologue scène 3, première partie) : ailleurs, hĂ©las, les aigus sont dĂ©timbrĂ©s et tirĂ©s, jamais Ă©clatants; malgrĂ© la beautĂ© du timbre, l’interprète limite ses nuances et la palette dynamique comme les phrasĂ©s sont Ă  l’Ă©conomie. Quel dommage pour une figure lyrique rĂ©ellement passionnante, entre passĂ© inassouvi et devoir austère… Peintre de l’âme fĂ©minine comme Puccini, Massenet compose avec ThĂ©rèse, une figure magnifique et tendre capable d’un onirisme poĂ©tique sans Ă©quivalent ailleurs (” Jour de juin, jour d’Ă©tĂ© ” dont la chaleur climatique reflète l’incandescence d’un torpeur dĂ©lĂ©tère…).ThĂ©rèse, c’est Ă©videmment la soeur d’Isolde surtout de Tosca… Fière et presque arrogante vertueuse et loyale qui brave la mort. Aucun doute sur cette Ă©vidence, ThĂ©rèse est l’une des femmes fortes hautement morales et tragiques les mieux conçues de l’opĂ©ra français postromantique Ă  l’Ă©poque vĂ©riste.

AffectĂ©e, aux intonations peu naturelles, sans mordre dans le texte, le mezzo s’enlise souvent par son cĂ´tĂ© bĂŞcheuse et rĂ©citaliste qui l’empĂŞche d’approfondir son personnage si captivant de femme de devoir comme de passion … Ses r non roulĂ©s indiquent-t-il la dĂ©clamation du théâtre parlĂ©, certes qui reprend ses droits en fin d’action, au moment de la rĂ©solution tragique quand ThĂ©rèse crie volontairement ” Vive le roi ! ” pour ĂŞtre arrĂŞtĂ©e puis condamnĂ©e afin de rejoindre son Ă©poux dans la mort… ? VoilĂ  une articulation qui contraste avec celle de ses partenaires. Si le vĂ©risme doit sa vĂ©ritĂ© irrĂ©sistible Ă  la projection naturelle et première du texte, la diva embrume constamment la perception du verbe en une mĂ©lopĂ©e de sirène souvent inintelligible et parfois maniĂ©rĂ©e. Son rire final manque de sincĂ©ritĂ© dramatique : trop crispĂ©, et comme dĂ©calĂ©, il tombe Ă  plat.

Nonobstant ces petites rĂ©serves de style, le cd est une rĂ©vĂ©lation. Massenet impose donc un nouveau modèle lyrique en 1907: vraie alternative Ă  Wagner et aussi aux vĂ©ristes… L oeuvre est admirable de bout en bout : elle justifie ce nouvel enregistrement qui s’impose dans la discographie du compositeur : prise live du dernier festival de Montpellier (juillet 2012), le cd ajoute aux cĂ©lĂ©brations rĂ©alisĂ©es en 2012 au moment du centenaire.

Massenet : ThĂ©rèse, 1907. Nora Gubisch, Charles Castronono, Etienne Dupouy. Choeur et orchestre OpĂ©ra national Montpellier Languedoc-Roussillon. Alain Altoniglu, direction. 1 cd Pal. Bru Zane, collection ” OpĂ©ra français “.EnregistĂ© Ă  Montpellier en juillet 2013. DurĂ©e: 1h10mn. ES 1011.