Alors que la scène lyrique en 1901, découvre saisie, la force réaliste et vériste de Puccini dans son inclassable et irrésistible Tosca, Massenet présente à l’Opéra-Comique sa nouvelle comédie : Grisélidis, drame gothique (inspiré du Décaméron de Bocace et aussi de Charles Perrault), fusionnant symbolisme et naturalisme, éclectisme emblématique propre au début du siècle.
En ajoutant le personnage du Diable, facétieux, comique et parfaitement cynique, le compositeur enrichit l’action médiévale d’une verve terrifiante mais aussi spécifiquement méditerranéenne (il troque le Piémont originel pour la Provence française si aimée). C’est un succès dès la création, porté par la soprano wagnérienne Lucienne Bréval dans le rôle-titre, et aussi grâce à l’heureuse combinaison des registres divers : fantastique et surnaturel diabolique, mais aussi passion et souffrance sentimentale, … à travers la douleur de la très loyale Grisélidis se profile la trajectoire des héroïnes féminines précédentes que Massenet a conçu avec une exactitude (et une tendresse) remarquable : Manon (1884), Esclarmonde (1889), Thaïs (1894), Sapho (1897), Cendrillon (1899) … Grisélidis marque un jalon avant les complémentaires à venir : Ariane (1906), Thérèse (1907, ces deux drames hautement féminins, également enregistrés dans la même collection), sans omettre l’ultime Cléopâtre de 1914…
La lecture de cette Grisélidis, éditée par le Palazzetto Bru Zane joue sur la richesse des registres d’un ouvrage éclectique, assez inclassable, entre drame et comédie. La comédie lyrique gagne une vivacité permanente quand ce double caractère est respecté ; ce qui est le cas dans cet enregistrement de juin 2023 qui rétablit aussi les scènes parlées, de pur théâtre. L’activité barbare et cruelle du Diable s’affirme avec un réalisme savoureux grâce à l’excellent baryton Tassis Christoyannis ; truculent et juste, faussement compatissant mais vraie force toxique et pleine d’astuces perverses (dont le vol du fils de Grisélidis et du Marquis à la fin de l’acte II). Thomas Dolié offre au Marquis justement son timbre rond et somptueux, idéalement articulé ; quand Vaninna Santoni éblouit par la couleur à la fois angélique, ardente, blessée de son timbre rayonnant : voilà un trio vocal majeur, exemplaire à maints titres. L’Alain de Julien Dran, jeune berger vainement épris de la jeune femme, ne manque pas d’intensité non plus.
Et l’Orchestre sous la baguette de Jean-Marie Zeitouni marque avec acuité chaque jalon dramatique de l’opéra entre rires démoniaques et constance amoureuse, dignité émotionnelle de l’incorruptible Grisélidis. Un nouvel accomplissement remarquable pour la collection « Opéra français » publié par le Palazzetto Bru Zane.
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CRITIQUE opéra. MASSENET : Grisélidis (1901). Vaninna Santoni,Thomas Dolié, Julien Dran, Tassis Christoyannis… Choeur et Orchestre Montpellier Occitanie. Jean-Marie Zeitouni (Livre – 2 cd, enregistré en mai et juin 2023). CLIC de classiquenews janvier 2025
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CD. Massenet: Thérèse (Gubisch,Dupouy,Castronovo, Altinoglu,2012)